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CHRONIQUE
DES QUATRE PREMIERS
VALOIS
(1327-1393)
PARIS. — IMPIUMERIE DE CH. LAHUKE ET O
Rues de Fleuru», 9, et de TOucst, 2i
CHRONIQUE
DES QUATRE PREMIERS
VALOIS
(1327-1393)
VVBUtE POUK LA PREMIÈBK FOU
POUR LA SOCIÉTÉ DE L*HISTOIRB DB FRANCE
PAR M. SIHÉON LUGE
Auxilimire de llosUtot, docteur et leitres, Aocien élère pensionnAhre de l'Ecole
des Chartes, ancien arcbifiste da département des Deux-Sèvres
A PARIS
CHEZ M" V* JULES RENOUÀRD
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE l'HISTOIRB DE FRANCE
BOB DB TOUBNON, M* 6
MDCCCLXII
2 9 OCT Wfi
OF OXFORD ^
EZTBÂIT DU SteuaUNT.
Art. 14. Le Conieil désigne les otiTrages à publier, et choi«i
les penoDDes les plus capables d'eu préparer et d'en suivre la
publication.
U nomme , pour chaque ouvrage à publier , un Commissaire
responsable, chargé d*en surveiller l'exécution.
Le nom de l'Éditeur sera placé è la tête de chaque volume.
Aucun ouvrage ne pourra paraître sous le nom de la Société sans
Tautorisation du Conseil, et s'il n'est accompagné d'une déclara-
tion du Commissaire responsable, portant que le travail lui a paru
mériter d'être publié.
Le Commissaire responsable soussigné déclare que
V Edition de la GHRoiaQUB des quatre premiers Valois,
préparée par M. Simëon Luge, lui a paru digne détre
publiée par la Société de l^Histoire de France*
Fait à Paris ^ /« i 5 septembre \ 861 .
Signé LAopoLD DEUSLE.
Certifié^
Le SecréUlre de la Société de l'HIetoire de France,
J. DESNOYERS.
PREFACE.
CHAPITRE I.
Date de la compoûtion de la Chroniqu9 des quatre premiers Falois, — >
Lien de naissance, condition sociale de Tautenr de cette chronique.
La chronique que Ton offrç ici pour la première
fois au public commence en 1 327 et s'arrête en 1 393,
c'est-à-dire qu'elle embrasse l'histoire de notre pays
depuis l'avënement de Philippe de Valois environ
jusqu'à la démence de Charles VI. C'est donc un
espace de soixante-six ans qu'elle comprend; mais
elle est partout fort succincte et ne devient un peu dé-
taillée et vraiment originale qu'à partir de l'avdne-
ment du roi Jean.
Elle est conservée au département des manuscrits
de la Bibliothèque impériale sous le n* 1 07 du Sup^
plément français; elle est inédite ; et même tous les
savants qui, dans le dernier siècle ou de nos jours,
ont étudié l'époque dont elle retrace l'histoire pa-
raissent en avoir ignoré l'existence.
L'auteur, quel qu'il soit, de cette chronique ne
X PRÉFACE.
nous a fait connaître ni son nom, ni le temps où il vi-
vait et où il a rédigé son ouvrage, ni son pays, ni la
classe de la société à laquelle il appartenait.
Sur le premier point, nous ne sommes pas en me-
sure (le soulever le voile dont il semble s'être enve-
loppé; sur les trois autres, il n'est peut-être pas
impossible d'arriver à une solution et même assez
précise.
I
L'examen le plus superficiel de notre chronique
prouve qu'elle n'a pu être composée que pendant la
seconde moitié du quatorzième siècle. La sécheresse,
les graves et nombreuses lacunes, le laconisme du
récit pour les années antérieures à 1350, tout parait
accuser dans cette partie de la narration une œuvre
de seconde main. D'un autre côté, deux phrases di-
gnes d'attention semblent indiquer que cette compi*
lation historique a été rédigée alors que Philippe
d'Alençon, précédemment archevêque de Rouen, était
archevêque d'Auch et sous le règne de Richard II, roi
d'Angleterre. Voici ces deux passages :
« En cel an fut le pape cause de la transmutacion
de Tarcheveschié de Rouen en l'archeveschié d'Aux
pour monseigneur Philippe d'Alençon. Et est en Gas-
coingne et avec ce patriarche*. »
1. Page 256.
PRÉFACE. XI
w Et prist (Rîcliard II), comme son ayeul avoit fait,
le tiltre du roy de France. Dont il fut mal conseillé.
Car tant comme il portera le tiltre de France, paix ne
acord ne sera entre les deux royaumes de France et
d'Angleterre*. »
Philippe d'AIençon fut archevêque d'Auch et pa-
triarche d'Aquîlée de 1375 à 1397. Richard II occupa
le trône d'Angleterre de 1377 à 1399. Il y a tout lieu
de croire, par conséquent, que la chronique conser*
vée sous le n* 1 07 a été composée durant les vingt
dernières années du quatorzième siècle.
Il
Nous ajoutons qu'elle a été composée par un
Rouennais. Comment expliquer autrement la part-^
énorme faite à l'histoire de Rouen dans cette chroni-
que? Pourquoi Fauteur interrompt-il presque à chaque
instant le récit des événements généraux pour noter
au passage le plus mince incident dont la capitale de
la Normandie a été le théâtre? Pourquoi les événe-
ments qui se sont passés dans cette ville sont-ils les
seuls qui soient racontés avec des détails aussi par-
ticuliers et d'une précision , pour ainsi dire , aussi
minutieusement locale?
Est-il question des trois fils de Robert d'Artois?
L'auteur, après avoir nommé les deux premiers , Jean
1. Page 262.
xn PRÉFACE.
et Charles, ajoute que le troisième , Louis a git aux
JacobinSy à Rouen'. »
En 1346, Edouard III, roi d'Angleterre, conduit
par Godefroi de Harcourt , fit une descente en
France. On nous fait remarquer qu'il arriva sous les
murs de Rouen a vers la Quesnoye, le sixiesme jour
d'aoust*. »
Charles, duc de Normandie, tint un parlement à
Rouen en 1356. On nous apprend que le bourgeois
qui, cette année là, était maire de Rouen, s'appelait
Jean MusteP; que^ deux ans plus tard, en 1358, ce
magistrat avait nom Jacques Le Lieur\ Il suffit de
jeter les yeux sur la précieuse liste des maires de
Rouen, publiée par M. Chéruel dans son excellente
Histoire de Rouen pendant l^ époque communale*^ pour
se convaincre que ces renseignements sont de la plus
grande exactitude.
Au siège de Breteuil , un assaut meurtrier coûta
la vie à beaucoup de Français ; mais on ne nous en
fait pas connaître le nombre. On nous dit seulement
qu'il y eut vingt arbalétriers de Rouen tués ou bles-
sés*. Au siège de Boutancourt, on a soin de faire ob-
server que les gens d'armes de Rouen commencèrent
l'assaut \
Tous les historiens ont parlé de la prise et de l'oc-
cupation du château de Rouen par les bourgeois de
cette ville en 1358. Mais ce qu'un Rouennais seul pou-
1. Page 2.-2. Pûgc 15. — 3. Page 35.— 4. Page 90. — 5. Tome l,
page 372. — 6. Page 44. — 7. Page 102.
PRÉFACE. XIII
vait dire, c'est que les gentilshommes qui, sous la con-
duite de Jean Sonnain, accoururent pour châtier les
coupables et reprendre cette forteresse, a vindrent à
ung vendredi assaillir Rouen par la plus loingtaine
porte de la {fille nommée la porte SainUHjrlaire^ .
Une grande mortalité sévit en Angleterre peu de
temps après le retour du roi Jean dans son royaume.
L'auteur de la chronique nous apprend que beaucoup
de nobles et de bourgeois de France, otages de ce
prince, qui avaient passé le détroit, périrent victimes
du fléau. Mais les deux bourgeois de Rouen qui suc-
combèrent dans cette occasion sont les seuls dont il
nous donne les noms : « Et des bourgois des bonnes
villes de France moururent dUceUe mortalité grant
partie des hostages. Et par especial y moururent les
bourgoiz de Paris et ceulx de Rouen , sire Amaarjr
Filleul et sire Jehan Mustel qui estoient pour le roy
de France en hostage*. »
I..es démêlés qui surgirent en 1 373 entre Philippe
d'Alençon, archevêque de Rouen, et Oudart d'Atain-
ville, bailli de cette ville, eurent du retentissement
hors de Tenceinte de la capitale de la Normandie et
même hors des limites de cette province. Par consé-
quent, il n'était pas besoin d'avoir vécu sur le théâtre
de ces différends pour en faire mention. Mais comment
savoir, à moins d'être Rouennais, que ce fut « ung
vendredi environ la Toussains » que dix commissaires
armés se saisirent des sergents de la cour de TofTicial
1. Page 79. — â. P^elSl.
xïY PRÉFACE.
et les mirent en prison au château de Rouen ; que ces
commissaires appartenaient à la population du port
auprès de laquelle le bailli était très-populaire el
qu'ils tuèrent un chapelain de Téglise Notre-Dame* ;
enfin, qu'Oudart d'Atainville fut démis de ses Fonc-
tions de bailli en 1375'?
Quel autre qu'un chroniqueur rouennais aurait
éprouvé le besoin de nous faire savoir qu un capitaine
au service du roi de Navarre, nommé Ferrando, d'a-
bord mis en prison à Caen, fut ensuite transféré « eu
chastel de Rouen, en la grosse Tour^. »
Un autre qu'un Rouennais aurait pu savoir que le
cœur du roi Charles V fut déposé à Rouen. Cependant
voici des détails qui semblent dus à des souvenirs per-
sonnels : i< En cel an, le jour de la Saint Denis^ fut
fait le service du dit cueur du roy à Rouen. Et fut mis
le dit cueur en très noble sépulture eu milieu du cueur
de la dicte église de Nostre-Dame de Rouen. Et furent
au dit service Tarchevesque de Rouen et autres prelas,
abbés, monseigneur de Blainville, mareschalde France,
monseigneur de La Rivière et les autres exécuteurs et
officiers du roy. Etn*jr ouït nui des fleurs de lis. A très
grant révérence fut mis le dit cueur en sépulture^. »
Nous en dirons autant du récit de l'émeute, si con-
nue sous le nom de Hardie, qui éclata à Rouen eu
1382. Chaque ligne de la narration trahit, pour ainsi
dire, la main d'un témoin oculaire'.
1. Page 243. — 2. Page 256. — 3. P^e 278. — 4. Page 289. —
5. Pages 298-301.
PRÉFACE. XV
De toutes les remarques qui procèdent et qu'il nous
serait aisé de multiplier', ne sommes-nous pas auto-
risé à conclure, avec une probabilité qui équivaut
presque à la certitude/ que notre chronique doit être
Tœuvre d*un habitant de Rouen ?
III
A quelle classe de la société appartenait ce Rouen-
nais ? Il est probable qu'il n'était pas noble, car les
gens des communes obtiennent dans maint passage de
sa chronique une justice qui, pour être méritée, n'en
était pas moins rare à cette époque, i^utrefois, le lieu
commun des historiens était le culte de la noblesse
comme aujourd'hui c'est l'adoration du peuple. Frois-
sart est le plus célèbre et le plus brillant représentant
de l'ancienne école, tandis que la chronique écrite au
quatorzième siècle par le second continuateur de Nan-
gis est peut-être la première où nous voyons le vieil
esprit faire place au nouveau. Sans rompre aussi har-
diment que le moine Jean de Venette avec toutes les
traditions du moyen &ge féodal et chevaleresque, l'au-
teur de notre chronique en porte le joug avec des al-
lures plus libres et plus dégagées que les autres anna-
listes de cette époque et surtout que le chroniqueur
1. Pages 33, 36, 37, 39, 40, 41, 62, 63, 65, 77, 78, 80, 87, 88, 89,
90, 103, 106, 107, 108, 110, 112, 114, 118, 121, 123, 128, etc.
f:
t
,!
XVI PRÉFACE.
de Valenciennes. Il fait taxer ou plutôt taxe lui-même
indirectement de folie le roi Jean^ lorsque ce prince
renvoie les gens des communes à la veille de la ba-
taille de Poitiers : « Puis fit donner congié le roy
Jehan à ses communes de ses bonnes villes. Dont ce
fut folie à lui et à ceulx qui conseil lui en donnèrent ^
se disoient plusieurs^ . »
A l'occasion d'une victoire remportée en Egypte par
le roi de Chypre contre les Sarrasins, il ne manque
pas de faire remarquer que Ton fut redevable de cet
avantage a à la menue gent. » Dieu voulut, ajoute-t-il,
qu'il en fût ainsi, afin que les nobles ne s'enorgueil-
^i lissent point à l'excès de leurs exploits : « Ce fut par
) la grâce et voulenté de Nostre Seigneur Jhesucrist
j que ce fait ainsi advint, car Dieu ne voulloit pas que
i sa noble chevalerie des Crestiens fust perie entre les
? mains des mescreans, et aussi pour donner exemple
aux nobles, aux puissans et bonnes gens d'armes qui
se travailloient à confundre et grever les ennemis de la
foy. Car Nostre Seigneur Jhesucrist ne veult point de
boban ne de vanité. Pour ce veult il que les petiz
feissent ou par eulx fut faicte la victoire affin que les
grans n'y prenissent vaine gloire*. »
A propos de la prise de Soubise et de la défaite du
captai de Buch, notre chroniqueur laisse voir plus
naïvement le fond de sa pensée , et sa prédilection
pour les gens du peuple apparaît dans tout son jour.
Après avoir fait vivement ressortir l'importance de ce
1. Page 46.— 2. Page 187.
PRÉFACE. xvn
succès et avoir insisté avec force sur le courage qu'il
avait fallu déployer pour l'obtenir , il ajoute aussitôt,
avec une satisfaction visible, que tout l'honneur en
revient, non point à de hauts et puissants seigneurs,
mais à de pauvres vilains et à de petites gens ; puis il
tire d'un tel exemple une leçon de modestie à l'adresse
des nobles : a Iceste victoire eurent les Françoiz sur
le captai et les Gascons et Angloiz que l'en tient à des
meilleurs guerroiers du monde. Laquelle ne fut pas
faicte par les haulz et nobles hommes, maiz elle fut
faicte par petite gent et povres hommes. Et pour ce
ne doit on pas avoir povre homme d'onneur en despit
ne le vil tenir^ »
Évidemment, un écrivain qui éprouvait ainsi le be-
soin d'interrompre plus d'une fois le cours de sa nar-
ration pour faire de telles réflexions, ne devait pas
appartenir au corps de la noblesse. Il n'appartenait
pas davantage à la bourgeoisie marchande et indus-
trielle, car alors il y aurait, soit dans l'ensemble, soit
dans les détails de sa composition, trace d'une sem-
blable origine. Or, s'il est un fait qui doive frapper
tout lecteur attentif, c'est que, dans cette œuvre d'un
Rouennais du quatorzième siècle, on ne trouve pas -un
mot sur le commerce, très-florissant à cette époque,
de la capitale normande.
Il ne reste donc plus qu'à voir dans l'auteur de notre
chronique un membre du clergé de Rouen. C'est sur-
tout, on le voit, par l'élimination des autres données
1. Page 249.
xTin PRÉFACE.
que nous sommes amené à cette conclusion; mais
nous trouvons naturel et facile de nous y arrêter et de
nous y confirmer.
Ce n'est pas que certains passages qui portent l'em-
preinte de croyances religieuses naïves et fortes nous
paraissent accuser nécessairement un clerc. Ainsi, que
la révolution qui sauva Paris le 31 juillet 1358 soit
attribuée aux prières et oraisons qui, de cette ville
plus que d'aucun autre lieu du monde, selon notre
chroniqueur, s'élèvent vers Jésus-Christ, la Vierge et
les saints* ; que l'horrible tempête qui détruisit dans le
pays chartrain une grande partie de l'armée d'E-
douard soit regardée comme un fléau envoyé par
Notre-Dame de Chartres dont le roi d'Angleterre dé-
vastait le territoire et comme une marque de sa ven-
geance protectrice*, il n'y a rien dans ces idées qui
soit d'un clerc plutôt que d'un laïque, cela est sim-
plement d'un croyant, et l'on sait qu'au moyen âge
tout le monde était croyant.
Mais la préoccupation intéressée du clerc et aussi
peut-être la reconnaissance de l'obligé ne se mar-
quent-elles pas d'une manière plus significative dans
les lignes suivantes : « Cestui pape Urbain fist moult
de bien aux clers et leur donna les bénéfices de Saincte
Eglise. Â aucuns clers mal lettrés qui par faveur des
grans princes avoient plusieurs et grans bénéfices le
pape Urbain leur recouppa leurs grans provendes et
en donna aux bons clers qui en avoient pou'. »
1. Page 86. — 2. Pages 1 14 et 115. — 3. Page 134.
PRÉFACE. XIX
Les habitants de Viterbe s'étaient révoltés contre ce
même pape Urbain. Celui-ci fit occuper cette ville
par son maréchal et par des forces imposantes. Une
grande partie des coupables furent mis à mort; les
meneurs principaux furent pendus à leurs maisons,
et leurs complices décapités. Sur quoi notre chroni-
queur se contente de faire tranquillement cette ré*
flexion : « Bien leur monstra riguereusement le mef*
&it qu'ilz avoient fait contre la dignité papal. Bien y
doit prendre chacun exemple'. »
Nous n'ignorons pas que Tautorité temporelle des
papes u'était pas matière à discussion au moyen âge
comme de nos jours. Toutefois^ ou nous nous trom-
pons fort, ou c'est un clerc qui n'a vu dans une ré-
pression aussi cruelle infligée par un pape à ses sujets
qu'une leçon dont chacun devait faire son profit.
Manifestement, c'est un clerc qui a dû tracer le ré-
cit des demies de Philippe d'Alençon, archevêque de
Rouen , avec le bailli Oudart d' Atainville. Soit pru-
dence, soit toute autre cause , notre chroniqueur se
montre ici fort réservé. Cependant, il n'est pas difficile
de voir que la cause des immunités ecclésiastiques
compte en lui un déterminé partisan. Il présente con-
stamment la conduite du bailli de Charles V sous les
couleurs les plus défavorables, tandis qu'il n'a pas une
parole de blâme pour Philippe d'Alençon*. Par le
même motif, Hugue Aubriot est traité d'homme cruel
lorsque, à l'occasion de l'enterrement de Charles V,
.1 Page 183. — 9. Pages 243 et 3i4.
XX PRÉFACE.
il intervient à main armée dans un débat de préséance
entre l'Université de Paris et les chapitres de Notre-
Dame et de la Sainte-Chapelle : « Là sourdi unggrant
débat dont le prevost de Paris, Hugues Aubriot, ung
homs crueux; lui et ses sergens armés coururent sus
aux clers et en navrèrent plusieurs, et bien plus de
trente-six en mistrent en prison. Les clers n estaient
pas armés ^ si furent pour ce jour les plus fiebles^ . »
Celte dernière phrase, où l'auteur semble tenir à
excuser les clercs d'avoir eu le dessous dans une ren-
contre avec leurs adversaires, n'a-t-elle pas tout l'air
d^avoir été écrite par un ancien habitué de la rue du
Fouarre? N'y sent-on pas, pour ainsi dire, la main,
n'y saisit-on pas l'accent d*un clerc qui se souvient
peut-être, non sans un certain orgueil, d*avoir eu,
lorsqu'il était écolier de l'Université, maille à partir
avec les gens d'armes du prévôt de Paris et de les
avoir rossés ou vu rosser dans le quartier d'outre
Petit-Pont?
1. Page 988.
PREFACE. zzi
CHAPITRE II.
De l'importance et de la yaleor historique de la Chronique tUs quatre
pnmîers Falots, — Des tendances personnettet, religienses, proTÎn-
cîalesy politiques, internationales qui ont présidé à sa rédaction.
— De sa Talenr littéraire. *- Des lumières nouTclles qu'elle apporte à
rhistoire.
1
Ce qui fait la valeur historique d'une chronique
anonyme^ c'est seulement son exactitude intrinsèque
et Tesprit de critique et de justice dont elle peut té-
moigner. Malheureusement, ces qualités font presque
toujours défaut aux annalistes du moyen âge, et Fé*
crivain inconnu du quatorzième siècle dont nous
publions le travail aurait pu lui-même, nous en^con-
viendrons sans peine, les posséder à un degré plus
remarquable. Les erreurs que Ton peut relever dans
sa narration sont certainement très-nombreuses , rien
n'est plus aisé que de s'en convaincre. Cependant, si
on le compare à quelques autres chroniqueurs de la
même époque, la comparaison est loin de lui être dé-
favorable.
Sans doute, il accueille les légendes les plus fabu-
leuses avec une crédulité excessive; mais serait-il
juste de lui reprocher trop durement un travers au-
quel n'échappaient pas de son temps les meilleurs
xxu PRÉFACE.
esprits? Cette légende étymologique du mont Tom-
belaine', par exemple, qui nous parait avec raison si
m vraisemblable, ne la trouve- t-on pas dans presque
tous les ouvrages, antérieurs ou postérieurs à notre
chronique, qui ont été publiés au moyen âge sur la
Normandie? Ne pardonnerons-nous pas à notre auteur
la faiblesse qu'il a eue de la reproduire ? Et cette autre
légende du voyage d'un chevalier au purgatoire de
saint Patrice et en enfer % n'était-ce pas aussi un lieu
commun accepté par tous les esprits aux treizième
et quatorzième siècles? Qui n'y reconnaît le moule
populaire où Dante venait jeter ses souvenirs et ses
rêves, ses amours et ses haines, ses vengeances et
ses rancunes, en un mot toutes les ardeurs, tous les
bouillonnements de son fier génie?
Il y a, il est vrai, une troisième légende, qui, si nous
ne nous trompons, n*a été rapportée que par notre
chroniqueur et dont par conséquent force nous est de
le faire seul responsable. Mais, bien que nous n'y
ajoutions guère plus foi qu'aux deux précédentes,
nous regretterions vivement qu'elle ne nous eût pas
été conservée, tant le merveilleux nous en parait tou-
chant, tant il nous semble trahir d'une manière aussi
forte que naïve la protestation de l'honneur français
essayant en quelque sorte de regimber contre un des
plus grands désastres de notre histoire. Voici le fonds
de cette légende. Un ange apparaît à un brave homme
qui habitait du côté de la Champagne, lui annonce
I. Pftge» 296-929. — 2. Pige 22.
PRÉFACE. xxui
•
que le roi Jean sera défait, s*il livre bataille k Poitiers,
et le charge d'aller dire à ce prince de ne pas com-
battre ses ennemis. L'honnête campagnard accompHt
sa mission ; mais le roi de France refuse de l'entendre
et d'avoir égard aux avis du Ciel ; aussi est-il vaincu
par les Anglais. Tel est le résumé fort sec d'un récit
dont il faut savourer dans notre texte même l'exprès*
sive naïveté '• Évidemment, nous le répétons, le sen-
timent national, qui fut toujours si chatouilleux en
France, se voyant humilié par la défaite de Poitiers,
voulut prendi*e sa revanche dans cette légende popu-
laire. Il se persuada naturellement que, si Jean fut
vaincu, ce fut moins par les Anglais que par le Gel
dont ce prince était accusé d'avoir négligé les avis et
méconnu les ordres.
Si notre chroniqueur admet avec la même com-
plaisance que ses contemporains ces légendes popu-
laires, cela ne l'empêche pas de faire souvent de
judicieuses réserves lorsqu'un fait lui parait invraisem-
blable. Ainsi, racontant quelque part certaine anec-
dote relative à la naissance de Pierre le Cruel, il ne
manque pas de nous dire qu'il a peine à y croire :
« Mais c'est dure chose à croire, car la royne, celle
qui l'appelloit filz, fut très saincte et bonne et moult
religieuse dame ; et n'eust jamaiz fait ung tel fol har-
dement envers le bon roy Alphons son seigneur *• y»
Ailleurs, après avoir rapporté que l'on accusait le roi
de Navarre d'avoir empoisonné sa femme, il a soin de
f . Pkgef 46-iS. — I. Pi«e 168.
PRÉFACE.
faire remarquer que ce n'est pas lui qui dirige cette
imputation contre Charles le Mauvais, car ce prince
aimait beaucoup la reine, sa femme : « Mais je ne dy
pas que ce eust fait faire le roy de Navarre, car il Ta-
moit moult \ »
Un détail qui n'atteste pas moins chez cet écrivain
le souci de Texactitude, c'est qu'en quatre endroits de
sa chronique * il lui est arrivé de laisser en blanc des
noms de lieu, des dates, des chiffres, que sans doute
il n'avait pas présents à l'esprit au moment de la ré-
daction. Des circonstances que nous ignorons l'empê-
chèrent sans doute de remplir par la suite ces blancs,
car ils subsistent dans le manuscrit unique qui est
parvenu jusqu'à nous. Il est permis de trouver regret-
tables ces lacunes, mais il n'en faut pas moins savoir
gré à notre chroniqueur du scrupule dont elles nous
administrent la preuve.
II
Si l'on peut juger du caractère d'un homme par ce
qu'il a écrit, l'auteur de notre chronique devait être
ce qu'on appelle un modéré. Il avait au moins assu-
rément une intelligence amie de la mesure, sensée et
judicieuse. A une époque où la France était déchirée
en partis contraires et en proie aux luttes intestines les
plus violentes, nous le voyons se tenir à égale distance
1. Page 27i — 2. Pages 79, 143, 256, 394.
PRÉFACE. XXV
de toutes les opinions extrêmes. Nous le félicitons
d'autant plus volontiers d'un tel esprit de réserve,
qu'il y sait joindre le sentiment le plus énergique du
droit et de la justice. Il a des opinions modérées,
mais il ne craint pas de faire entendre la vérité, même
lorsque cette vérité est un reproche sanglant à l'a-
dresse de quelque puissant de la terre.
On sait que Raoul, comte d'Eu et de Guines, con-
nétable de France, fut décapité par l'ordre du roi
Jean. Notre chroniqueur fait suivre la mention de
cette exécution des détails suivants : « De laquelle
mort ce fut douleur, car c'estoit ung des plus cour-
tois, des plus gracieux chevaliers de France et des
plus larges. Nul n'osa parler de la cause de sa mort.
De laquelle furent troublés grant partie des nobles de
France, ne oncques ne fut sceu du peuple la cause de
sa mort, jasoit ce que plusieurs en parloient et mur-
mur oient ^ »
A propos de l'exécution du comte de Harcourt, de
Jean de Graville, de Maubué de Mainemare et de Co-
linet Doublet, décapités à Rouen par Tordre du roi
Jean, ce même prince reçoit un blâme qui, pour être
adressé sous forme indirecte et en nom collectif, n'a
que plus de gravité et de force, a Moult fut blâmé le
roy Jehan de l'occision des diz seigneurs, et moult en
fut en la malivolenoe des nobles et de son peuple et
par especial de ceulx de Normandie '• »
On pourrait croire que le blâme est simplement
1. Pages 19 et 90. — 9. Page 37.
PRÉFACE.
chez notre chroniqueur une arme de parti ^ ce serait
une erreur; il le déverse à l'occasion sur les person-
nages qu'il parait aflectionner le plus. Philippe de
Navarre est sans contredit un de ces derniers. Charles
d'Espagne, au contraire, semble n'avoir eu nullement
les sympathies de l'annaliste rouennais. Et cependant
lorsque, dans un récit très-neuf, celui-ci nous montre
le favori du roi Jean surpris à Laigle par ses ennemis,
puis aussitôt assassiné par les ordres et sous les yeux
de Philippe de Navarre, il cherche évidemment à ex-
citer la pitié en faveur de la victime, et l'indignation
contre ses bourreaux qui « tant angoisseusement, vil-
lainement et abhominablement l'apareillerent qu'ilz
lui firent quatre vingt plaies ^ »
La même franchise courageuse a inspiré les juge-
ments que porte notre chroniqueur sur les faits et les
événements politiques. Nul n'a blâmé avec plus de
force que lui le traité de Brétigny ; nul n'en a fait res-
sortir l'inopportunité par des raisons mieux motivées :
a Trop fut ce traictié legierement accordé en grant
gnef et préjudice du royaume de France. Car l'ost du
roy d'Angleterre n'avoit que mengier, et si n'avoit nulz
vivres sur le plat pais. Car tout s'estoit retrait es for-
teresses, chasteaux et bonnes villes qui n'estoient pas
legieres à conquérir. Par quoy il falloit que le dit roy
d'Angleterre et son host par force vuidassent et par-
tissent du royaume de France, car ilz ne trouvoient
que mengier, et si estoient ja demi affamez. Et si pre-
1. Page 28.
PRÉFACE. xxvii
judicia trop ce dit traittië à la couronne de France.
Car depuis qu'il fut tout passe et accordé^ le dit roy
Jehan ne vesqui que ung pou après. Dont ce fut grant
domaige pour le royaume de France. >»
11 est vrai que notre chroniqueur, comme effrayé de
sa hardiesse, ajoute aussitôt le correctif suivant, dicté
évidemment par la prudence : « Il est à supposer que
ceulx qui tirent ce dit traittié le firent à honne enten-
cion à leur adviz au bien du royaume et pour la dé-
livrance du roy Jehan de France \ »
Pierre de Sacquenville, fait prisonnier à Cocherel
dans les rangs uavarrais où il combattait contre son
suzerain, est-il décapité à Rouen par l'ordre de
Charles V ? Notre chroniqueur ne manque pas de faire
réloge de ce chevalier, en l'accompagnant, il est
vrai, d*un blâme : « Lequel fut en son temps ung bon
homme d'armes et grant sages homs, maiz à la fois
sage foloié*. x
En revanche, il ne mêle aucune restriction à Phom-
mage si flatteur qu'il rend à l'avocat Jean Desmares,
décapité en 1380 par l'ordre des conseillers de
Gliarles VI, et il proteste noblement contre la con-
damnation et l'exécution de ce recommandable ci-
toyen : « Desquelz fut Tun monseigneur Jehan Des
Mares, chevalier, conseillier du roy en son parlement,
et en ses jours le plus solennel advocat du royaume.
Lequel fut merveilleusement plaint de tout le peuple
tant à Paris que aillieurs pour le bien de sa personne.
J. Pige H7. —2. Page 149.
xxnu PRÉFACE.
Lequel fut condampné en son absence, et ne fut
oncques ouy en ses excusacions K »
Cette sympathie si noble et si généreuse pour toutes
les victimes, à quelque parti qu'elles appartiennent,
ne fait-elle pas honneur au caractère de notre anna-
liste ? Ne doit-elle pas inspirer plus de confiance dans
son témoignage, et la valeur historique de son œuvre
n'en est-elle pas augmentée ?
Au reste, cette fermeté juste et modérée de carac-
tère n'apparatt pas moins dans des questions où le
chroniqueur est sans doute plus directement inté-
ressé, je veux dire dans les matières religieuses et dans
les questions qui ont trait à la province de Norman-
die. Le grand événement religieux de cette époque,
c'est le schisme qui divisa T Église entre le pape Ur-
bain et le pape Clément. Notre auteur ne dit nulle
part en termes bien explicites de quel c6té il se range.
Toutefois, il n*est pas difficile de s'apercevoir qu'il a
pris parti dans ce débat solennel, et que pour lui Clé-
ment n'est qu'un antipape, tandis que le vrai pape
est Urbain. Si les cardinaux élurent Clément après
avoir donné leurs suffrages à Urbain, c'est que ce der-
nier voulait réformer leurs mœurs et diminuer le
nombre de leurs bénéfices : « Et pour ce qu'il les
voult corrigier et leurs bénéfices apeticier, les diz car-
dinaulx se partirent de Romme *. » Charles V se dé-
clare pour Clément, parce que cet antipape est de son
lignage, et un certain nombre de prélats courtisans
i. Page 310. — 3. Page 368.
PRÉFACE. XXIX
imitent Texemple du roi dans la crainte de perdre
leurs bénéfices : « En Tan de grâce mil trois cens
soixante dix neuf, dit-ii, vindrent à Paris trois cardi-
naulx de par le pape Gement. Et prescherent et firent
preschier devant le roy de France et devant le peuple
que le pape Clément estoit vray pape et que le pape
Urbain n'estoit pas pape. Le roy de France fiit de leur
accord, car le dit pape Clément estoit de son lignage.
Maiz les clercs de l'Université de Paris ne le fiirent pas
ne le peuple. Les prelas tindrent t opinion du royafp^n
quUlz ne perdissent leurs bénéfices^, m
Notre chroniqueur éprouve un plaisir évident à ci-
ter tout au long la lettre si modérée, si spirituellement
railleuse et si digne que le pape Urbain écrivit aux
cardinaux dissidents pour répondre à leurs injures.
Cette belle épitre nous fait voir dans Urbain un de
ces prélats, hommes d'esprit, qui ont été à toutes les
époques l'honneur de la pourpre romaine *.
 Rouen, patrie présumée de notre annaliste, se
trouvait un autre partisan dévoué d'Urbain, l'arche-
vêque Philippe d'Âlençon, qui fut fait cardinal par ce
pape. Cette conformité de vues sur un point aussi ca-
pital,^ jointe à d'autres indices, nous donne lieu de
penser que la meilleure entente régnait entre ce pré-
lat et notre chroniqueur. Celui-ci, comme nous Ta*
vous fait remarquer plus haut, donne constamment
raison à Philippe dans sa lutte contre le bailli Oudart
d'Atainville ; et s'il ne nous entretient pas des démêlés
1. P^ge 280. — 9. Pages 370 et 271.
PRÉFACE.
du fier et tenace archevêque avec Charles V lui-même,
peut-être ne faut -il voir dans cette discrétion que Tef-
fet d'une nécessaire prudence. En efTet, sans être pré-
cisément hostile au pouvoir royal et à Charles le
Sage , Tauteur de la Chronique des quatre premiers
Valois se montre partout très-jaloux des immunités
ecclésiastiques, des privilèges locaux et surtout des
vieilles libertés provinciales de la Normandie. Le
célèbre Godefroi de Harcourt fut sous le roi Jean le
principal représentant de ces tendances d'opposition
et de cet esprit de résistance. Aussi notre chroniqueur
parle-t-il toujours- de ce chevalier avec une com-
plaisance et une faveur marquées. On n*a qu'à jeter
les yeux sur le récit si curieux et si neuf, dans ses
détails, du mauvais tour joué sous couleur d'hom-
mage par l'audacieux gentilhomme au jeune duc de
Normandie*; on n'a qu'à lire la narration si drama-
tique et si éloquente de la mort de ce chevalier *, et
l'on se convaincra qu'aux yeux un peu éblouis de
l'annaliste rouennais, son compatriote Godefroi de
Harcourt est vraiment un héros.
On retrouve dans les tendances politiques de notre
chroniqueur le même caractère de fermeté et de pru-
dente mesure que nous venons de signaler dans ses
jugements sur les personnes, dans son attitude au
point de vue religieux et au point de vue provincial.
Comme le moine Jean de Venette, autrement dit le
second continuateur de Nangis, avec lequel il a plus
1. Page 34. ^ 2. Pages 66 et 67.
PRÉFACE.
d*un trait de ressemblance, l'auteur de la Chronique
des quatre premiers Valois donne une entière appro-
bation aux commencements de la carrière politique
de Marcel ; comme lui, il loue sans réserve la conduite
et les résolutions des états généraux à leurs débuts ;
mais comme lui aussi, il condamne les actes de des-
potisme et de violence, les compromis où ces états
se laissèrent entraîner vers la fin au mépris du pa-
triotisme ; comme lui, il inflige le blâme aux derniers
actes du prévôt : « Bon commencement ourent^
dit-il quelque part en parlant des états de 1356,
mais mal finerent^. » Il rend grâces au Ciel de la
révolution du 31 juillet 1358 qui mit Paris à Tabri
d*un affreux coup de main : « Par la voulenté de
NoBtre Seigneur Jésus Christ et par droicte inspi»
racion divine^ aucuns bons preudommes notables
boui^oiz de Paris ourent regret et recours à leur droit
seigneur, monseigneur le régent le royaume de
France, Charles duc de Normandie et dalphin de
Vienne, ainsné filz de Jehan le roy de France*, n
Notre annaliste n'en prête pas moins, selon sa loyale
et généreuse habitude, l'attitude la plus noble et la
plus digne à Marcel et à quelques-uns de ses princi**
paux complices au moment où ils périrent victimes de
la réaction dirigée par la bourgeoisie royaliste : « Et
pour plus Ten faire certain, le dit Jehan Maillart et le
dit Pépin des Essars vindrent o grant quantité de
boui^oiz et de peuple à la bastide Saint Authoine,
\. Page 59. — 3. Page 83.
n.»
xx»i PRÉFACE.
et là coururent au prevost les marchans de Paris sus
et à cinq bourgois qui o lui estoient. Pierres GuifTart
et Jehan de Lisle se deffendirent^ car ilz estoient de
grant courage. Et comme on assailloit le prevost, il
disoit : « Pour quoy me vouliez vous faire mal ? Ce
« que je faisoye, je faisoye pour vostre bien comme
ce pour le myen. Et ains que j'enprinse riens^ vous me
(( feistes jurer que l'ordonnance que les trois estas
« avoient ordonnée je mainteudroye de mon povoir. »
Ainsi fina ledit prevost^ » Notre chroniqueur flétrit
les excès commis par les Jacques; mais quel bel éloge
il ose faire de leur chef^ Guillaume Cale : « Entre eulx
estoit ung homme bien sachant et bien parlant, de
belle figure et fourme. Cestui avoit nom Guillaume
Charles. Les Jacquez en firent leur chief. Maiz il
vit bien que c'estoient gens de petit fait, pour quoy
il fit reiïuz d'en avoir le gouvernement. Maiz de
Ëdt les Jacquez le prindrent et en firent leur gouver-
neur*. »
Rien ne serait plus curieux qu'une histoire de cette
haine si regrettable qui, pendant trop longtemps, a
animé l'une contre l'autre la France et l'Angleterre.
On se tromperait gravement en faisant remonter cette
haine au commencement de la guerre dite de cent
ans : elle ne fut que le résultat, et même assez tardif,
de cette lutte séculaire. Sans doute, bien avant cette
époque, il y avait eu entre les deux pays des guerres
terribles et nombreuses ; mais l'âme de ces guerres,
1. Pagei 84 et 85. — 3. Page 71.
«•« ^ n ^.s:a \
i
PRÉFACE.
c'était une sorte d'ëmulation chevaleresque, courtoise
et généreuse, ce n'était pas la haine, une haine achar-
née et implacable. Le premier monument où Ton voit
percer la violence . sombre de cette passion, est la
chronique dite du second continuateur de Guillaume
de Nangis, composée dans la seconde moitié du qua-
torzième siècle. L'auteur de cette chronique, le moine
Jean de Yenette, habitait le couvent du mont Carmel
à Paris, et Ton sait que cette ville iut Tun des foyers
d'où la haine violente des Anglais se répandit bientôt
par tout le royaume. L'hostilité contre l'Angleterre est
certainement beaucoup moins marquée dans notre
chronique. Il y a même un passage que Ton pourrait
citer comme un exemple et un témoignage de cette
courtoisie chevaleresque qui présida dans le principe
aux relations des deux peuples.
Au temps où Ivain de Galles était en Espagne auprès
du roi Henri de Transtamare , les Espagnols amenè-
rent prisonniers les Anglais qu'ils avaient défaits dans
un combat naval livré en vue de La Rochelle. Les
vainqueurs avaient attaché leurs captifs par couples avec
des cordes , comme des chiens qu'on mène en laisse :
ff En ceste manière, dit le chroniqueur, menèrent les
Espaingnolz les Angloiz devant leur roy. Et comme les
Angloiz veoient les Françoiz, ilz leur disoient : a Noble
cf gent de France et doulce, se nous fussions voz
« prisonniers, nous ne feussons si villainement menez
H ne si durement traictiez comme nous sommez '. »
1. Pftge335.
xzziT PRÉFACE.
Toutefois^ à l'époque où nous sommes parvenus,
c'est-à-dire vers le milieu de la guerre de cent ans, la
lutte s'était déjà envenimée, et les dispositions mu-
tuelles des deux peuples avaient singulièrement
changé. Aussi voyons-nous quelque part notre chro-
niqueur exprimer le regret que les Français, au lieu
de faire prisonniers les Anglais qui leur tombaient
entre les mains à la guerre, n'eussent pas pris l'habi-
tude de les tuer, parce que c'eût été le seul moyen
d'en finir avec eux et de délivrer le royaume de leur
présence : « Et donc commencèrent à traire parmy
eulx, et les communes leur coururent sus, si que en
pou d'eures furent tous occiz, et furent là occiz plus
de trois cens Angloiz. Ainsi fut Ten délivré d'eulx, et
qui eust ainsi fait le temps passe ^ les guerres n eussent
pas tant longuement duré comme Hz ont^. »
Certes, un tel souhait part d'un sentiment qui n'a
rien de commun avec la bienveillance. Toutefois, il
accuse peut-être encore plus d'impatience de guerres
trop prolongées que d'animosité proprement dite. Il
&ut arriver à l'époque de Charles VII et de Jeanne
d'Arc pour voir éclater, dans toute sa force, cette haine
meurtrière dont les luttes du commencement de ce
siècle devaient malheureusement raviver les sangui-
naires ardeurs.
1. Pages 169 et 170.
PRKFACE. sut
III
Enyisagëe au poÎDt de vue littëraire, la Chronique
des quatre premiers Valois n'a ni la précision étudiée
de la partie des Grandes Chroniques de France^
rédigée par Pierre d'Orgemont, ni le pittoresque et
rédatante couleur des récits de Froissart. Le style
n'en est pas moins presque partout d'une lucidité
remarquable. On peut regretter seulement cette ha*
bitude de commencer presque toutes les phrases par
la conjonction et:^ une telle manie communique à la
diction une pesante uniformité et finit par impatienter
le lecteur. Ces et répétés sont comme autant de
dous grossiers et lourds qui, enfoncés en tête de
chaque phrase, lui 6tent toute liberté de mouvement
et d'allure et Tempéchent, pour ainsi dire, d'essayer
son Tol et de prendre son essor. Les récits de ba*
taille ont en général porté bonheur à notre annaliste.
Sans doute, il ne faut lui demander ni les dévelop-
pements ni les détails épisodiques qui abondent dans
Froissart ; une chronique aussi abrégée que la sienne
ne les comporte pas. Mais l'entrain belliqueux, mais
la verve guerrière , mais le souffle ardent des com*
bats, il ne les possède pas à un degré moindre que
le chroniqueur de Valenciennes. Le combat naval de
l'Écluse^ la bataille de Poitiers', la rencontre des
I. Pages 9-11. —2. Pages 48-57.
PRÉFACE.
Jacques avec les gentilshommes *, Taffaire deÇocherel *,
celle d' Aurai', celle de NavarreUe*, ont été pour
notre écrivain , comme pour Froissart , Toccasion
d'autant de triomphes littéraires.
Les narrations de tous les événements qui ont un
caractère plus ou moins tragique, sont aussi merveil-
leusement réussies. Nous citerons notamment les ré-
cits de l'assassinat de Charles d*Espagne*, des derniers
moments de Godefroi d'Harcourt*, de Texécution de
Marcel et de ses principaux complices \ Ces pages
si naturelles, si éloquentes dans leur naïveté, peuvent
soutenir la comparaison avec les tableaux les plus
vantés de Froissart.
On doit vivement regretter que notre auteur n'ait
pas donné la même attention que le chroniqueur de
Valenciennes aux sujets de la vie familière et intime ;
on ne rencontre dans sa chronique qu'un récit em-
prunté à cet ordre d'idées, et ce récit est un vrai
chef-d'œuvre. Nous voulons parler des amours du
prince de Galles et de la veuve de messire Thomas
HoUand, digne pendant du célèbre épisode des
amours d'Edouard et de la comtesse de Salisbury
dans Froissart. Qu'on nous permette d'égayer un
peu la fin de cette trop longue préface en citant ce
badinage exquis : « Icestui monseigneur Thomas de
Hollande avoit espousée une des plus belles dames
du monde et moult noble. Apres le trespassement
i. Pagei72-76. — 2. Pageil44-«47— 3. Pages 159-162.— 4. Pa-
ges f 78-1 81. — 5. Pagea 26-28.-6. Pages 66 et 67. — 7. Pages 84-85
PRÉFACE. xxxvii
de son dit seigneur, moult de nobles chevaliers qui
moult aToient servi le roy d'Angleterre et le prince
son filz en leurs guerres, vindrent requerre au prince
qu'il lui pleust à parler à la contesse de Hollande.
En especial ung des haulz hommes et nobles d'An-
gleterre nommé monseigneur de Broacs, très bon
chevalier, qui moult grandement avoit servi le prince
et pour lui tant en ses guerres que autrement avoit
moult travaillié , requist le dit prince qu'il lui pleust
tant faire qu'il eust la dicte dame et contesse pour lui
à femme et qu'il en parlast à la dicte dame.
« Le prince pour le dit chevalier parla à la dicte
dame de Hollande par plusieurs foiz. Car moult vou-
lentiers aluit pour soy déduire veoir la dicte dame qui
estoit sa cousine et souventefToiz regardoit sa très
grant beauté et son très gracieux contenement qui
merveilleusement lui plaisoit. Et comme une foiz le
prince parloit à la dicte contesse pour le dit cheva-
lier^ la contesse lui respondi que jamaiz espoux n'au-
roit. Et elle, qui moult estoit soubtille et sage, par
plusieurs foiz le dit au prince. « Ha ! A ! se dit le prince,
« belle cousine, en cas que vous ne voulez marier à
a mez amis, mal fut vostre grant beauté dont tant
« estes plaine. Et se vous et moy ne nous appartenis-
c sons de lignage, il n'est dame soubz le ciel que
«V j'eusse tant chiere comme vous. » Et alors fut le
prince moult soupprins de l'amour à la contesse. Et
lors prinst la contesse à plourer comme femme soub-
tille et plaine d'aguet. Et donc le prince la prinst à
conforter et la prinst à baisier moult souvent en pre-
XXXVIII PRÉFACE.
nant ses lermes à graDt doulceur et lui dit : a Belle
« cousine, j'ay à vous parler pour ung des preux
(c chevaliers d'Angleterre , et avec ce il est moult
a gentilz homs. » Ma dame la contesse respondi
a en plourant au prince : ce Ha ! sire , pour Dieu
r< vueilliez vous souffrir de me parler de telles paroles.
(c Car c'est mon entente que je n'aye jamaiz espoux.
« Car je me suys du tout donnée au plus preux de
a dessoubz le firmament. Et pour Tamour d'icellui,
ti jamaiz espoux fors Dieu n'auray tant que je vivray.
« Car c'est chose impossible que je Taye; et pom*
c< la sienne amour me vueil garder de compaignie
« d'omme, ne jamaiz n'est m'entencion de moy
« marier. »
c< Le prince fut moult en graut désir de scavoir cil
qui estoit le plus preux du monde , et moult requist
la contesse qu'elle lui deist. Maiz la dicte contesse,
plus l'en veoit eschaufTé, plus lui prioit qu'il n'en
cerchast plus avant, et lui disoit : '< Pour Dieu, très
ce chier seigneur, en soy agenouillant, pour la très
ce douce vierge mère, vueilliez vous en souffrir
ce atant. » Â brief raconter, le prince lui dist que,
s'elle ne lui disoit qui estoit le plus preux du monde,
qu'il seroit son mortel ennemy. Et lors lui dit la
contesse : « Très chier et redoubté seigneur, c'est
oc vous, et pour l'amour de vous jamaiz à mon costé
oc chevalier ne gerra. » Le prince qui moult fut
adonc embrasé de l'amour à la contesse lui dit :
ce Dame, et je « voue à Dieu que jamaiz autre femme
que vous , tant « que vous vivres , n'auroy. » Et
PRÉFACE. XXXIX
présentement la fiança ^ puis après assez briefment il
respousa\ »
IV
Trois monuments d'une importance capitale, les
Grandes Chroniques de France, celles de Froissart et
la seconde continuation de Nangis, éclairent depuis
longtemps Tépoque dont la chronique, jusqu'à pré-
sent inédite et inconnue, que nous publions ici,
retrace aussi Thistoire. C'est pourquoi, personne,
croyons-nous, ne sera surpris d'apprendre que cette
publication ajoute surtout des faits de détail à la
somme de nos connaissances sur ces soixante -six
années du quatorzième siècle, dont elle embrasse
succinctement le récit.
Les renseignements tout à fait neufs, les révélations
proprement dites n'y font pourtant point entièrement
défaut. Il V a notamment sur les derniers incidents
•r
de la Jacquerie*, sur les causes et certains détails de
la révolution du 31 juillet 1358', sur une curieuse
expédition des Picards en Angleterre \ et sur la re-
vanche prise par les Anglais* et sur nombre d'événe-
ments dont la liste serait trop longue, des pages pré-
cieuses qui comblent heureusement de véritables
lacunes historiques. Les développements donnés plus
i. PÉges 42^425. —9. Pages 71-77.— 3. Pages 83-86. — 4. Pa-
ges Hi-li3. — 5. Pages Ii7-ii9.
XL PRÉFACE.
haut dans cette préface nous ont dëjà^ sur d'autres
points essentiels, fourni Foccasion de prouver cette
vérité. Toutefois, je le répète, les détails nouveaux
que cette chronique nous apporte presque sur chaque
événement de quelque importance, voilà ce qui fait
surtout, à nos yeux du moins, sa valeur historique.
Nous avons cru devoir noter ce qu'il y a de plus inté-
ressant dans ces additions, ces rectifications ou sim-
plement ces divergences; mais nous avons cru aussi
que la place de ces notes était au bas du texte auquel
elles se rapportent.
PREFACE. xu
CHAPITRE m.
Detonpdon ci histoire da manuscrit de la Ckromiquê de* quatre
premiers Faiou,
La chronique que nous publions est conservée dans
le manuscrit inscrit sous le n* 107 du Supplément
français^ au département des manuscrits de la Biblio-
thèque impériale. Elle occupe 78 folios, du folio 113
au folio 190. L'écriture est du milieu du quinrième
siècle. Voici la description très-fidèle de ce manuscrit
et des divers ouvrages qui y sont contenus telle que
nous l'empruntons au catalogue de la BibUothèque
du collège de Clermont dont il faisait partie à la fin
du dernier siècle, époque où il est entré à la BibUo-
thèque du roi.
DCCCXXIL
Un volume in-fol., de 317 feuillets, en vélin, cou-
verture de velours rouge ornée de doux, equerres et
fermoirs de cuivre doré, écriture du quinzième siècle,
contenant :
1* La Chronique de Normandie, par Guillaume le
Taleuty commençant à Aubert, premier duc (pré-
tendu) de Normandie, et finissant à Henry III, roi
d'Angleterre, ou depuis 1208 jusqu'à 1216. Cette co-
pie diffère peu de l'imprime.
PRÉFACE.
2** Chronique de France, traduite en français du la-
tin de Guillaume de Nangis, par le même Nangisj
commençant à Pharamond, fils du duc Marcomire en
420, et finissant à la mort de Charles VI en 1322.
3^ De origine et antiqua divisione regni Ângliae.
V Les Sermens que doivent faire le Chancelier et
autres Grands Officiers de France.
5' Les Chroniques et accidents depuis le roi Phi-
lippe de Valois en \Z^ jusquià Charles VI le Bien-
aimé en 1393, sans nom (Fauteur.
G"" Histoire d'Alexandre le Grand, roi de Macé-
doine, sans nom d'auteur.
7* Le livre des mœurs et du gouvernement des sei-
gneurs, appelle Les Secrets des Secrets dÀristote.
8* La proposition faite de par l'Université de Paris
devant nos Seigneurs de France et tout le Conseil as-
semblés, pour la réformation du royaume. Tan 1405,
par maitre Jean Gerson, solennel mattre en théologie
et Chancelier en Téglise Notre-Dame de Paris.
9' Charla Normannorum a Ludovico X®, Franco-
rum rege, confirmata apud Vicenas ( Vincennes )
an. 1314.
10® PactumTrecense contra Carolum VII, tunctem-
poris Delphinum, in cujus fine legitur : « Datum Pa-
risius in Parlamento nostro die quarta augusti anno
Domini W CCCC® vicesimo quarto et regni nostri se-
cundo. » Et infra : « Collatio facta est» »
11* Requeste pour remonstrer en brief que les ha-
bitants du duché de Normandie ne doivent être tra-
duits en France pour fait de iostice ; et Déclaration
PREFACE. xLui
de Charles VI donnée à Troyes en 1 420, qui accorde et
assure ce droit aux Normands.
1 2* Arrêt de 1 31 8 qui décide qu'un prélat ou égli-
sier peut acquérir en ses fiefs.
1 3* Aliquœ ordinationes tangentes jurisdictionem et
libertatem ecclesiœ. Actum apud Vicenas anno Do-
mini W CGC et XV.
14* Privilegium Universitatis Cadomensis per Hen-
ricum VI, Angliœ regera. Datum Rothomagi anno Do-
mini M* CCCC trigesimo primo. Sequitur confirma-
tio Eugenii IV papse.
1 5* Confirmatio Chart» Normannorum per Ludo-
vicum X Francise regem data apud Castrum novum
anno Domini M** CGC* et vicesimo tertio.
1 6* Decretum unionis orientalis ecclesiae cum occi-
dentali publicatum in sacrosancto œcumenico conci-
lio Floreotino anno Domini M* GGGG* XXXIX* *.
On voit par cette liste que la Chronique des quatre
premiers Valois est le cinquième des ouvrages ccHi-
tenus dans le manuscrit n*107. Elle est précédée
immédiatement de notions géographiques sur TAn-
gleterre, en latin^ et des formules du serment que
doivent prêter au roi de France les grands officiers
de la Gouronne. La main qui a tracé ces formules les
a fait suivre de cette mention significative : Nota quod
ciifitas Parisiensis fuit perbita décima ter lia die aprilis
1. Cattdogus manuseriptorum codicum eoUegii ClaromotUami ^ ParUiii m
ptktioy âpnd Lederc, 1764, p. 81 Ml 3.
ZUT PRÉFACE.
post Pascha anno Domini millesimo quadringentesimo
tricesimo sexto. Paris fut| en effet, repris sur les An-
glais en 1436. Cette curieuse note donne lieu de sup«
poser que le manuscrit qui contient notre chronique
a été entre les mains de quelque secrétaire au service
de Henri YI, roi d'Angleterre.
Ce manuscrit a été relie sous le premier Empire aux
armes de Terapereur Napoléon l*'. Trois feuillets de
garde ont été placés à tort par le relieur, la tête en
bas, à la fin du manuscrit. Sur le second de ces
feuillets de garde, on trouve ces lignes dont récriture
est du milieu du seizième siècle :
Legentem si quis repperiat hurvc forte lUfellum^
sunt possessoris cognita signa sui.
Signé :
Raymond Forget.
Nous apprenons par une quittance, conservée au
cabinet des titres de la Bibliothèque impériale, au mot
Foi^et, qu'un sieur Raimond Foi^et, qualifié de
« conseiller du roy, secrétaire de ses finances » avait
reçu de Mgr de Bâillon, trésorier de la maison du roi,
la somme de cinquante livres pour ses gages de secré-
taire de la chambre, des quartiers de juillet et oc-
tobre 1 561 • La signature et l'endos de cette quittance
sont de la même écriture et paraissent être de la
même main que la signature et les vers inscrits sur le
feuillet de garde du manuscrit n* 107. Nous sommes
PRÉFACE. XLT
donc fondés à croire que ce manuscrit était, vers
le milieu du seizième siècle , la propriété du secrétaire
du roi Raimond Forget.
passa ensuite entre les mains de messire Joachim
de Dinteville, qui lui-même en fit cadeau au mois de
février 1 578 à un troisième personnage dont le nom
nous est inconnu. Ces détails nous sont révélés par les
lignes suivantes placées sur le feuillet de garde en
question au-dessous de le signature de Raimond For-
get, mais dont l'écriture est d'une autre main et un
peu plus moderne :
« Messire Joachim de Dinteville, chevalier de Tordre
du roy et gentilhomme de sa chambre, m'a donné ce
livre à Troyes en febvrier 1 578. »
SOMMAIRE CHRONOLOGIQUE
ANNÉE 1328.
Philippe Vly dit de Valois, sacré à Reims, p. 4 . — Élection de
l'antipape Nicolas Y (mai), p. 1 et 2.
ANNÉE 1329.
Naissance de Philippe, fils de Philippe le Long et de Jeanne de
Bourgogne, p. 3.
ANNÉE 1330.
Maître Pierre Roger est promu à l'archevêché de Rooen, ibid.
ANNÉE 1332.
Jean, fils aîné de Philippe de Valois, est fait chevalier et reçoit en
apanage le duché de Normandie, ibid, — Robert d'Artois est
condamné par contumace (8 avril), p. 2.
ANNÉE 1333.
Succès du roi Edouard d'Angleterre sur les Écossais, p. 4. —
Philippe de Valois prend la croix (l*' octobre), p. 5 et 6.
ANNÉE 1334.
Mort de Jean XXII. Élection de Benoît XII (20 décembre), p. 6.
XLTm SOMIIAIRE CHRONOLOGIQUE.
ANNÉE 1337.
G>DYocation d'États à Pont-Audemer (juillet), p. 8 et 9.
ANNÉE i)b8.
Descente d'Edouard, roi d'Angleterre, en Flandres (22 juillet),
p. 7 et 9.
ANNÉE 1340.
Combat naval de l'Écluse (24 juin), p. 9, JO et 1i.
ANNÉE 1341.
Mort de Jean III , duc de Bretagne (30 avril). Le duché de Bre-
tagne est adjugé, par arrêt du Parlement, à Jeanne de Pen-
thièvre et à Charles de Blois (7 septembre), p. 6 et 7. Siège
et prise de Saint-Jean d'Angely par le duc Henri de Lancastre,
p. 12 et 13.
ANNÉE 1342.
Mort de Benoît Xn. Élection de Clément VI (25 avril), ihid.
ANNÉE 1343.
Altération des monnaies, p. 1 4.
ANNÉE 1436.
Descente d'Edouard en Normandie (juillet). Bataille de Créci
(26 août), p. 14-17.
ANNÉE 1347.
Prise de Calais (29 août), p. 17 et 18.
ANNÉES 1348 et 1349.
Peste et très-grande mortalité, p. 18. — Mort de la reine Jeanne
de Bourgogne (septembre 1 349), ibid.
SOBIMÀIRE ŒRONOLOGIQUE. xux
ANNÉE 1350.
Philippe de Valois épouse en secondes noces Blanche de Navarre
(19 janvier), ibid, — Mort de ce prince (22 août), p. 19. —
Couronnement de Jean, son fils aîné (25 septembre), ibid. —
Exécution de Raoul, comte d'Eu et de Guines, connétable de
France (19 novembre), p. 19 et 20.
ANNÉE 1351.
Siège et prise de Saint- Jean d'Angely par le roi Jean (août), p. 20
et 21. — Institution de la chevalerie de l'Étoile, p. 23 et 24.
ANNÉE 1352.
Combat dit des Trente, p. 20. — Mort du sire de Beaujeu devant
Calab, p. 21. Résumé de la vie et des exploits de ce chevalier,
p. 22 et 23. — Mort de Clément YI (5 décembre). Élection
d'Innocent YI (28 décembre), p. 25. Un combat singulier qui
devait avoir lieu à Paris entre le duc Henri de Lancastre et
Othon, duc de Brunswick, aboutit par l'entremise du roi Jean à
un arrangement, p. 24 et 25.
ANNÉE 1353.
Guerre en Bretagne entre Français et Anglais. Mort de sire Ro-
bert Bertran le Jeune. Prise du château de Guines par les An-
glais, p. 23 et 24.
ANNÉE 1354.
Assassinat de Charles d'Espagne, connétable de France^ à Laigle
(6 janvier), p. 25-28. — Accord entre le roi de France et le
roi de Navarre (22 février), p. 29.
ANNÉE 1355.
Le roi Jean donne à son fils aîné Charles le duché de Normandie
(avril), p. 33 et 34. — - Échec des Français devant Calais par la
perfidie d'un tnûtre nommé Ajmeri. Prise et punition de cet
d
L SOMMAIRE CHRONOLOGIQUE.
aventurier, p. 29 et 30. — Campagne du roi de France contre
le roi d'Angleterre qui refuse le combat, p. 31. — Succès
d'Edouard et du prince de Galles, son fils aîné, sur Douglas et
les Écossais, p. 31 et 32. ^ Tentative d'assassinat contre les
enfants de Navarre, p. 32 et 33.
ANNÉE 1356.
Exécution du comte d'Harcourt et de trois autres chevaliers nor-
mands à Rouen (avril), p. 34-37. — Emprisonnement du roi
de Navarre. — Bataille de Poitiers (19 septembre), p. 40-37.
•^- Convocation d'États généraux de la langue d'oïl à Paris
(17 octobre), p. 58-61 . — Prise et pillage de Pont-Audemer et de
Honileur par les Anglais, p. 61-63. Mort de Godefroy d'Har-
court (11 novembre), p. 66 et 67. Conférence du dauphin avec
l'empereur d'Allemagne, son oncle, à Metz (décembre), p. 65
et 66.
ANNÉE 1357.
Nouvelle convocation d'États généraux à Paris (5 février), p. 68.
Conclusion d'une trêve de deux ans avec l'Angleterre (23 mars),
p. 65. *- Délivrance du roi de Navarre (8 novembre), ibid,
ANNÉE 1358.
Assassinat de Jean Baillet, trésorier du roi, et exécution de Perrin
Marc, son meurtrier (janvier), p. 67 et 68. — Voyage du roi de
Navarre à Rouen Q'anvier), p. 65. — Assassinat des maréchaux
Jean de Conflans et Robert de Clermont (22 février), p. 68 et 69.
— Le duc de Normandie prend le litre de régent (1 4 mars) et
quitte Paris, p. 69. — Jacquerie, p. 70-77. — Prise du châ-
teau de Rouen par les bourgeois de cette ville, p. 77-80. — -
Siège de Paris par le régent, p. 80-83. — Exécution de Marcel
et de ses principaux complices (31 juillet) et rentrée du dauphin
dans Paris, p. 83-86. — Ravages des Navarrais et des Anglais,
p. 86-88.
ANNÉE 1359.
Siège et prise de Saint-Valery par les Picards sous les ordres du
connétable Moreau de Fiennes, p. 89-93. -^ Prise et pillage du
SOMMAIRE CHRONOLOGIQUE. u
bourg d'Amiens par Philippe de Navarre , p. 94-96. — Siège
de Melun par le régent (juin), p. 96 et 97. — Accord entre le
régent et le roi de Navarre (août), p. 99 et 100. — Edouard
débarque à Calais (28 octobre) et porte le ravage dans plusieurs
provinces; il échoue devant Reims, p. 100, lOi, 105, 106,
il 4. — Conspiration et exécution de Martin Pisdoé, p. 101.
ANNÉE 1360.
Siège de Boutancoiirt et de Blangi par les Anglais, p. 101-104.—*
Combat entre les Normands commandés par Louis d'Harcourt
et les Anglais. Défaite et prise du sire d'Harcourt, p. 107-110.
— Expédition des Picards en Angleterre, p. 1 1 0-113. — Expé-
dition des Anglais commandés par Henri le Picart en France,
p. H 7-119. — Traité de Brétigni (8 mai), p. H5-H7. — Ré-
conciliation du roi d'Angleterre avec le comte de Flandres et
du roi de France avec Philippe de Navarre, p. 119-121. Mise
en liberté et retour du roi Jean à Paris (13 décembre), p. 121
et 122.
ANNÉE 1361.
Amonrs et mariage du prince de Galles avec sa cousine^ rettre de
Thomas de Hollande, p. 123-125.
ANNÉE 1362.
Mort dTnnocent VI ; élection d'Urbain V (septembre et octobre),
p. 133 et 134. — Voyage du roi Jean à Avignon, p. 125 et
126.
ANNÉE 1363.
Le roi de France, le roi de Chypre et Philippe de Navarre,
comte de Longueville, prennent la croix, p. 127-129. — Le
due d'Anjou, otage, s'échappe d'Angleterre ; chagrin qu'en res-
sent le roi, son père, p. 129 et 130. — Grande mortalité en An-
gleterre, p. 130 et 131. — La guerre recommence en Norman-
die entre les Anglais commandés par Jean Jouel et les Français
aux ordres de Philippe de Navarre, p. 131 et 132. — Mort de
ce princci p. 132 et 133. — Le château de Rolleboise est pria
par les Anglais et repris par les Français, p. 1 35 et 136.
LU SOMMAIRE CHROINOLOGIQUE.
AimÉE 136(i.
Le roi Jean repasse en Angleterre (3 janvier), p. 134 et 135. —
Prise et pillage de Mante et de Meulan par des chevaliers bre-
tons, normands et picards aux ordres de Bertrand Du Guesclin,
p. 137-142. — Mort du roi Jean (8 avril), p. 143 et 144. —
Bataille de Cocherel (16 mai), p. 144-148.— Sacre de Oiarles V
à Reims (19 mai), p. 148 et 149. — Voyage de ce prince à
Rouen, p. 149. — La guerre recommence en Bretagne entre
Charles de Blois et Jean de Montfort ; Charles de Blois appelle
à son secours Bertrand Du Guesclin, p. 1 50, 158 et 1 59.'»- Suc-
cès des Français commandés par Philippe, duc de Bourgogne,
à Cameroles^ à Connoy et à ÉchaufTou-Marbeuf, p. 150-154.
— Succès des Navarrais sous les ordres de Louis de Navarre
à Moulineaux et à la Charité-sur-Loire, p. 155-158. — Ba-
taille d'Aurai (29 septembre), p. 159-162. — Du Guesclin
fait prisonnier est racheté en grande partie par le roi de France,
p. 162 et 163.
ANNÉE 1365.
Accord entre le roi de France et le roi de Navarre (6 mars), p. 163.
— Par les soins de Charles V, du pape et de Henri de Transta-
mare, les Compagnies vont en Espagne sous les ordres de Du
Guesclin faire la guerre à Pierre le Cruel, p. 163 et 164. —
Prise et pillage d'Alexandrie par le roi de Chypre ( 4 octobre),
p. 164-166.
ANNÉE 1366.
Entrée de Du Guesclin en Catalogne ; il est rejoint par le frère du
roi d'Aragon et par Henri de Transtamare (janvier), p. 166 et
167. — Henri de Transtamare couronné à Burgos; fuite de
Pierre le Cruel (5 avril), p. 167. — Légende sur la naissance
de ce dernier prince, p. 168. — Le fort du Homme, en basse
Normandie, pris par les Anglais, est repris par les Français,
p. 169 et 170.
ANNÉE 1367.
Sur les instances de Pierre le Cruel et grâce à la connivence du
roi de Navarre , le prince de Galles marche en Espagne contre
SOMUAIRE CHRONOLOGIQUE. lui
Henri de Transtamare et Bertrand Du Guesclin, p. 170-175.
Louis de Navarre épouse la fille de la reine de Sicile et prend
possession de la terre de Labour, p. 175-177. — Bataille de
Navarelte (3 avril), p. 178-181. — Du Guesclin fait prisonnier
est racheté en grande partie par le roi de France, p. 181. —
Départ d'Urbain Y de Marseille (20 mai) et entrée dans Rome
(juillet), p. 182 et 183. — Exécution de Richard de Beaumont
à Paris, p. 183-185. — Jean de Montfort vient à Paris faire
hommage du duché de Bretagne au roi de France (1 3 décembre),
p. 183-185. — Croisade prêchée par Urbain V; succès du roi
de Chypre, chef de cette croisade, sur les Sarrasins^ p. 185-191.
— Urbain V excommunie les Compagnies, p. 192.
ANNÉE 1368.
Le duc d'Anjou et Du Guesclin attaquent la Provence (février),
p. 193 et 194. — Le prince de Galles veut lever un subside
sur les Aquitains qui s'y refusent, p. 195. — Mariage de Lyon
de Gand, fils d^Édouard III, avec la fille de Bamabo de Milan,
p. 195 et 196. — Siège de Louviers, puis de Vire par les Com-
pagnies, p. 196. — Voyage de Charles V en Flandre, p. 197.
— Cahors fait retour à la France, p. 197. — Succès de Henri
de Transtamare en Castille, p. 198. — Naissance du dauphin,
depuis Charles VI (3 décembre), p. 199 et 200.
ANNÉE 1369.
Mort de Pierre I"", roi de Chypre (16 janvier), p. 200. — Le roi
de France fait défier le roi d'Angleterre en même temps qu*il
surprend le Ponthieu (avril), p. 200 et 201. — Bataille de
Montiel entre Pierre le Cruel et Henri de Transtamare (1 4 mars);
Pierre fait prisonnier est mis à mort par Henri (23 mars), p. 199.
— États généraux à Paris (9 mai) ; États provinciaux à Rouen
qui votent des subsides pour la guerre contre l'Angleterre, p. 201
et 202. — Mariage de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, avec
rhéritière de Flandre (19 juin), p. 201 . — Campagne du duc
de Bourgogne en Normandie contre le duc de Lancastre ,
p. 202-206.
LIT SOMMAIRE CHRONOLOGIQUE.
AJTOÉE 1370.
Campagne des Français en Guyenne contre les Anglais, p. 206 et
207. — Guerre maritime, p. 207. — Descente de Robert
ELnolles à Calais; il s'avance jusque sous les murs de Paris
(juillet), ibid, — Du Guesclin nommé connétable (iO octobre)
bat Tarrière-garde de Robert Knolles forcé de se retirer en
Rretagne et fait prisonnier Thomas de Grantson, p. 207 et 208.
— Siège et prise de Chàteau-Paon par les Anglais du duc de
Lancastre, p. 208 et 209. — Siège et prise de Limoges par les
mêmes (septembre et octobre), p. 209 et 210. — Retour d'Ur-
bain V à Avignon (24 septembre); sa mort (19 décembre); élec-
tion de Grégoire XI (30 décembre), p. 211 et 212.
ANNÉE 1371.
Paix de Vemon entre Charles V et le roi de Navarre (25 mars),
p. 210 et 211. — Reddition de la forteresse de Thury, p. 212
et 213. — Siège de Conches, p. 213 et 215. — Voyage et ef-
forts infructueux des légats du pape auprès du roi d'Angleterre
pour le réconcilier avec le roi de France, p. 214. — Guerre
dans les Pays-Bas entre le duc de Brabant et le duc de Gueldre ;
ils se livrent une sanglante bataille (22 août); le duc de Brabant
est vaincu et pris, mais le duc de Gueldre est tué, p. 215-220.
— Siégé et prise de Montcontour par le duc de Lancastre et les
Anglais, p. 220 et 221. — Accord entre le roi de Navarre et
Robert d'Alençon, comte du Perche ; fiançailles de ce dernier
avec Jeanne de Navarre; le roi de France s'oppose au mariage,
p. 221 et 222. — Montpellier cédé au roi de Navarre en com-
pensation de Mantes et de Meulan, p. 222 et 223. — Siège et
prise de Rochefort par Bertrand Du Guesclin et Olivier de Clis-
son, p. 223 et 224.
ANNÉE 1372.
Négociations infructueuses à Calais entre les envoyés d^Ëdouard in
et ceux de Charles V, p. 224-226. — Naissance d'un second
fils de Charles V, nommé Louis, p. 226. — Occupation par les
Anglais du mont de Notre-Dame de Tombelaine, p. 226. —
Étymologie légendaire de ce nom de Tombelaine, p. 226-229.
— Siège de Bricquebec par les Anglais, p. 229. — Prise de
Montmorillon par Du Guesclin et entrée du duc de Berry en
SOMMAIRE CHRONOLOGIQUE. lv
Gnyenne, p. 229 et 230. — Expédition maritime d'Tvain de
Galles contre les Anglais des îles de Jersey et de Guernesey,
p. 230-232. — Flotte anglaise sous les ordres du comte de Pem*
broke défaite devant la Rocthelie par les Espagnols (23 et
24 juin), p. 232-234. — Arrivée dTvain de Galles en Espagne;
on lui refuse les secours promis, p. 234 et 235. — Incursions
des Génois sous les ordres de Régnier de Grimande contre les
côtes d'Angleterre, p. 233 et 236. — Siège et prise du château
de Chauvigny par les ducs de Berry et de Bourgogne et Ber-
trand Du Guesclin, p. 237. — Reddition de Poitiers, p. 237 et
238. — Siège et prise de Soubise par Yvain de Galles et les
Français; le captai de Buch est fait prisonnier, p. 238-241. — -
Reddition de la Rochelle (15 août), p. 241 et 242.
ANNÉE 1373.
Lutte à Rouen entre Tarchevéque Philippe d'Alençon et le bailli
Oudart d'Atainville, p. 243 et 244. — Reddition de quatre cents
forteresses tant en Poitou qu'en Saintonge ; expulsion des An-
glais de ces deux provinces; retour des ducs de Berry et de
Bourgogne à Paris ; réconciliation de Charles Y et de Louis d'Har-
court, p. 244 et 245. — Entrée de Du Guesclin en Bretagne;
le duc Jean de Monlfort s'enfuit en Angleterre (28 avril) ; sou-
mission de toute la Bretagne à l'exception de Derval et de Brest,
p. 245. — Le duc de Lancastre débarque à Calais (fin de juil-
let), traverse toute la France en la ravageant et se rend à Bor-
deaux, p. 246-248. — Mort de Jeanne, reine de Navarre (3 dé-
cembre), p. 244. — Occupation de Chypre par les Génois^
p. 251.
ANNÉE 1374.
Continuation de la lutte entre l'archevêque et le bailli de Rouen,
p. 248 et 249. — Échec des Français près d'Ardres ; le comte
de Saint-Pol est fait prisonnier, p. 249 et 250. — Siège de
Saint-Sauveur le Vicomte par Tamiral Jean de Vienne, p. 250.
— Destruction d'une bande de brigands par Du Guesclin et
Hugue Aubryot, p. 250 et 251 . — Siège et prise de Montreuil-
Bonnin et de Cognac par le duc de Berry et Bertrand Du Gues-
clin, p. 251-253.
LYi SOMMAIRE CHRONOLOGIQUE.
ANNÉE 1375.
Reddition à la France de la forteresse de Saint-Sauveur le Vicomte,
p. 253 et 254. — Trêve d'une année entre les deux rois de
France et d'Angleterre, signée à Bruges (27 juin), p. 254 et
255. — Descente en Bretagne du duc Jean de Montfort qui
s'empare de plusieurs villes et forteresses, p. 254. — Prise et
pillage de quatre-vingt-quatre navires anglais surpris près de
la Rochelle par Tamiral d'Espagne (août), p. 255. — Procès
de Du Guesclin contre les habitants de Bruges au sujet du
payement de la rançon du comte de Pembroke, p. 255 et 25G.
— L'archevêque de Rouen Philippe d'Alençon est transféré sur
le siège d'Auch, et Oudart d'Atainville échange le bailliage de
Rouen contre celui de MAcon, p. 256. — Pierre II, roi de Chy-
pre, fait assassiner Jean d'Antioche, son oncle, p. 260 et 261.
ANNÉE 1376.
La trêve à Bruges est prorogée d'une année, p. 257. — Mort du
prince de Galles (8 juin), p. 227. — Aventures d'un jeune
homme qui prétendait être fils du roi de France, p. 257 et
258. — Révolte des Romains et des Florentins contre le pape
qui les excommunie et se rend d'Avignon à Rome pour les
faire rentrer sous son obéissance, p. 258 et 259. — Mort du
captai de Buch au Louvre, p. 259. — Impopularité du duc de
Lancastre en Angleterre, p. 259 et 260. — Négociations infruc-
tueuses entre plusieurs conseillers du roi de France et ceux du
roi d'Angleterre, p. 260.
ANNÉE 1377.
Mort d'Edouard Itl, roi d'Angleterre (21 juin) ; couronnement de
Richard II, son successeur (16 juillet), p. 261 et 262. — Prise
d' Aurai en Bretagne, par Olivier de Clisson, p. 262. — Incur-
sions des Français sur les côtes d'Angleterre, p. 262 et 363. —
Descente de Jean de Montfort à Brest, p. 264.
\
SOMMAIRE CHRONOLOGIQUE. ltu
ANNÉE 1378,
Voyage de Charles IV, empereur d'Allemagne, oncle du roi de
France, à Paris; fêtes données à cette occasion (4 janvier),
p. 264 et 265. — Mort de la reine de France (6 février), p. 265.
— Mort dn pape Grégoire XI (27 mars), p. 265. — Charles de
Navarre, fils aîné de Charles le Mauvais, fait livrer au roi de
France, son oncle, toutes les forteresses occupées par les Navar-
rais en Normandie, excepté Cherbourg et Mortain,p. 265-268.
Élection du pape Urbain VI (8 avril); grand schisme d'Occident,
p. 268. — Lutte entre Urbain VI et les cardinaux partisans de
Clément VII, p. 269-272. — Siège de Harfleur par les Anglais,
p. 272 et 273. — Jugement, condamnation et exécution de
Pierre Dutertre et de Jacques de Rue, familiers du roi de Na-
varre, p. 273 et 274. — Siège de Saint-Malo par le duc de
Lancastre, p. 274 et 275. — Prise de Mortain par les Français,
p. 275. — Siège de Cherbourg par Bertrand Du Guesclin,
p. 275-278. »- Mort de Charles IV, empereur d'Allemagne
(29 novembre), p. 278. — L'évéque de Paris envoyé en léga-
tion auprès de Wenceslas, fils et successeur de Charles IV, re-
çoit le plus mauvais accueil, p. 278-280.
ANNÉE 1379.
Arrivée à Paris de trois cardinaux, légats de Clément Vn,
p. 208 et 28i . — Curieuse scène à la cour du roi de France
entre le dauphin et le cardinal d'Amiens, légat de Clément Vn,
p. 283. — Exécution d'un partisan nommé Sevestre Bude, à
Mâcon, par le bailli Oudart d'Atainville, p. 282. — Le comte
de Saint-Pol s'étant donné au roi d'Angleterre , Charles V con-
fisque tout ce que ce seigneur possédait en France, p. 281 . —
Soulèvement de Montpellier contre le duc d'Anjou (25 octobre),
p. 281 et 282. — Lutte entre les Flamands et le comte Louis
de Flandre, p. 284. — Incursions des Espagnols unis aux Écos-
sais en Angleterre, ibid, — Emprisonnement des enfants du
comte de Foix, coupables d'avoir voulu emprisonner leur père,
ibid. _ Descente du duc Jean de Montfort en Bretagne,
p. 287.
LTm SOMMAIRE CHRONOLOGIQUE.
ANNÉE 1380.
Incursions et ravages des Anglais à Étaples et snr toute la côte de
Picardie, p. 285. — Clément VII fait la guerre aux Romains,
ibid. — Mort de Du Guesclin (13 juillet), p. 285 et 286. —
Descente des Anglais à Calais ; ils pénètrent jusqu'en Bretagne
et en Guyenne, p. 286 et 289. — Guerre civile en Flandre ;
lutte entre Gand et Bruges, p. 286 et 287. — Mort et funé-
railles de Charles V, roi de France (16 septembre), p. 287-289,
Siège de Gand par le comte Louis de Flandre (20 août-li no-
vembre), p. 289 et 200. — Sacre de Charles VI à Reims
(4 novembre), p. 290 et 291. — Soulèvement des Parisiens c[ui
obtiennent la révocation des nouveaux impôts (1 S novembre),
p. 291 et 292. — États de Normandie à Rouen ; vote d'une
aide ou subside sous forme de fouage par les États assemblés
à Paris (décembre), p. 292-294. — Siège de Nantes par les
Anglais, p. 294.
ANNÉE 1381.
Le duc de Bretagne fait hommage de son duché à Charles VI
(15 janvier), p. 296. — Défaite des Gantois (13 mai), et siège
de Gand par le comte de Flandre et les habitants de Bruges,
p. 294. — Jugement, condamnation et emprisonnement de
Hugue Aubryot , prévôt de Paris, à la requête de l'Université,
p. 294 et 295. — Lutte entre TUniversité de Paris, favorable
au pape Urbain VI, et le duc d'Anjou, partisan de Clément Vil,
p. 295 et 296. — Conquête du royaume de Naples par Char-
les de Durazzo dit de la Paix sur la reine Jeanne qui fait aban-
don de ses droits au duc d'Anjou, p. 296 et 297. — Soulève-
ment à Rouen contre de nouveaux impôts que veulent lever
les ducs, oncles du roi (octobre 1381), p. 297-299.
ANNÉE 1382.
Révolte dite des Maillotins à Paris (1" mars), p. 299 et 300. —
Charles VI entre par la brèche à Rouen et abolit la commune,
p. 300 et 301 . — Il fait la paix avec les Parisiens (fin d'avril),
p. 302. — Défaite des habitants de Bruges (3 mai), et prise de
cette ville par les Gantois, p. 302 et 303.— Entrée de Charles VI
SOMlfAIRE CHRONOLOGIQUE.
à Paris, p. 803. — Le dnc d'Anjou est sacré par Clément Vn
roi de Naples et de Sicile à Avignon, puis il quitte cette ville
et marche contre Charles de la Paix (30 mai), p. 304. — Nou-
velle sédition à Rouen contre l'impôt sur les draps et les
boissons (1"août), ibid, — Charles VI marche sur les Fla-
mands (18 août), les bat à Rosebecque (27 novembre), fait
lever le siège d'Oudenarde et entre dans Bruges, p. 305-308.
ANNÉE 1383.
Rentrée du roi à Paris y en abattant les portes et arrachant les
chaînes (11 février); exécution des principaux meneurs ; réta-
blissement des impôts et subsides ; rémission générale (1 *' mars) ,
p. 308-31 1 . — Descente des Anglais en Flandre (23 avril) ; ils
battent les Flamands à Dunkerque (25 mai), p. 311. -* Char-
les VI accourt en Flandre contre les Anglais (7 septembre) et se
fait livrer Bruckbourg au moment même où Oudenarde tombe
au pouvoir des Gantois (17 septembre), p. 311 et 312.
ANNÉE 1384.
Mort du comte de Flandre (6 janvier), p. 313. — Mort du duc
Louis d'Anjou en Sicile (10 octobre), ibid,
ANNÉE 1385.
Double mariage des enfants de Bourgogne avec ceux de Bavière
(12 avril), p. 313. — Mariage de Charles VI avec Isabeau de
Bavière (17 juillet), ibid. — Prise de Damme par Charles VI
(27 août); rupture des écluses par les Gantois; le roi de
France licencie son armée (12 septembre), p. 312. — Le pape
Urbain VI, assiégé par Charles de la Paix , est délivré par les
Géncûs et se rend à Gènes, puis de là à Rome, p. 313.
ANNÉE 1386.
Charles de la Paix périt en Hongrie de mort violente (6 juin),
ibid.
ANNÉE 1388.
Guerre entre les ducs de Gueldre et de Bourgogne ; campagne
de Charles VI contre le duc de Gueldre qui fait sa soumission
Lx SOMMAIRE CHRONOLOGIQUE.
(7 septembre et 8 octobre), ibid, -^ Grands préparatifs d'une
expédition projetée en Angleterre que le mauvais temps em-
pêche de réaliser; retour du roi en France, p. 313 et 314.
— Charles VI prend en main le gouvernement et congédie
ses oncles, les ducs de Berry et de Bourgogne (novembre),
p. 314.
ANNÉE 1389.
Trêve entre la France et l'Angleterre (18 juin), ibid. — Voyage
de Charles VI à Avignon (30 octobre ), ibid, — Mort du pape
Urbain VI (1 5 octobre) ; élection de Boniface IX (2 novembre),
ibid.
ANNÉE 1390.
Croisade du duc de Bourbon contre Tunis (fin de juin), p. 314
et 315. — Boniface IX sacre roi de N aptes le fils de Charles de
la Paix, p. 315. — Trois chevaliers français provoquent pendant
un mois en combat singulier tous les chevaliers anglais, ibid. —
Grandes joutes à Londres ; le damoiseau de Hainaut, en ac-
ceptant les dons du roi d'Angleterre, indispose contre lui le roi
de France, p. 315 et 316. — Mort de Jean, fils de Henri de
Transtamare, p. 316. -^ Démarches des Allemands à la cour
de France et près de l'Université de Paris pour mettre fin au
schisme, ibid. Démarches des Anglais auprès de Charles VI,
partisan de Clément VU en faveur de Boniface IX, ibid.
ANNÉE 1391.
Guerre entre le comte d'Armagnac et Galeas Visconti de Milan,
comte de Vertus ; défaite et mort du comte d'Armagnac à
Alexandrie (25 juillet), p. 317 et 318. — Mort du comte de
Foix (12 août), p. 318 et 319. — Guerre en Espagne entre les
juifs et les chrétiens, p. 319. — Guerre entre Bajazet I" sul-
tan des Ottomans, et Sigismond, roi de Hongrie, p. 319 et
320. -* Conférence du duc de Bretagne avec Charles VI à Tours
(fin de décembre), p. 320*
ANNÉE 1392.
Naissance du dauphin Charles, depms Charles VH (6 février),
p. 321 .—Guerre civile à Gand entre les partisans du pape Bo-
SOMMAIRE CHRONOLOGIQUE. ua
niface IX et ceux de Clément Vil, ibid. — Trêve prolongée à
Amiens d'une année (mars), ibid, — Mort du comte de Savoie,
ibid, — Tentative d'assassinat dirigée contre Olivier de Clisson
par Pierre de Craon (13 juin), p. 322. »- Le duc de Bretagne
refusant de livrer le meurtrier de son connétable, Charles VI
marche contre cette province (juillet) ; il est atteint de folie au
moment où il traverse la forêt du Mans (5 août); prières pour
son rétablissement ; le duc de Bourgogne s'empare du gouver-
nement, p. 323-325. — Éclipse de lune (1*^ septembre),
p. 325. — Les ducs de Berryetde Bourgogne font arrêter les
principaux conseillers de Charles YI et en général tous les of-
ficiers des finances, receveurs des aides et grenetiers, p. 325
et 326. — Défaite des Turcs sous les ordres de Bajazet par les
chrétiens ayant à leur tête le roi de Hongrie, p. 326. — Guerre
entre Louis II d'Anjou et Ladislas de Naples ; défaite de ce
dernier et d'Othon de Brunswick, son allié, p. 326 et 327. —
Ambassade envoyée à Paris par Boniface IX et prières par tout
le royaume de France pour la cessation du schisme, p. 327. —
Jugement, condamnation et destitution d'Olivier de Clisson,
connétable de France, p. 329.
ANNÉE 1393.
Mascarade à la cour; plusieurs compagnons du roi périssent dans
les flammes (29 janvier), p. 327-329. — Philippe d'Artois,
comte d'Eu, est fait connétable, p. 329. — - Trêve entre la
France et l'Angleterre prolongée d'une année (avril), p. 329.—*
Conférence des Français avec les envoyés du roi d'Angleterre
(27 mai), p. 331. — Nouvel accès de folie du roi (mi-juin),
p. 335. — Guerre entre le duc de Bretagne, Pierre de Craon,
d'une part, Olivier de Clisson, le comte de Penthièvre, le sire
de Beaumanoir, de Tautre, p. 329-335. — Guerre entre Ray-
mond de Touraine et Clément YII, p. 335 et 336. — Guil-
laume de Vienne est confirmé dans rarchevêché de Rouen,
p. 336. — Un médecin ramené d'Italie par le duc de Bourbon
rend la santé au roi, ibid.
CHRONIQUE
DES
QUATRE PBËMIËBS VALOIS
(1327-1393)
CHRONIQUE
DES
QUATRE PREMIERS VALOIS.
(1327-1393.)
Ce sont les croniques et accidens depuis le roy Philippe
de Vallois jusques à Charles le Bienamé.
Philyppe de Vallois se saizi du royaume de France
de Tacord et voulenté des princes du dit royaume, il
ala à Rains et fut sacre et couronné roy en Tan mil
trois cens \ingt sept. Cestui roy Philippe donna au
conte d'Evreux son cousin l'eresse de Navarre à
femme. Laquelle ouït de son dit seigneur trois filz et
deux filles. L'aisnë des filz ot nom Charles, le second
PhilippeSy le tiers Louys. L'aisnée fille ot nom Blanche
qui puis fust femme du dit roy Philippe et fut nommée
la royne Blanche.
En Tan mil trois cens \dngt huit, Louis de Bavière
manda au pape qu'il Falast couronner à empereur à
Romme. Et le pape lui manda qu'il luy envoieroit
ung légat pour le couronner. Louis de Bavière fut si
oultrecuidié et si mal conseillié qu'il fit ung autre pape
et se fit couronner par icelluy à empereur. Et fut celui
pape G^rdelier de Tordre des Frères Myneurs et fut
i
2 CHRONIQUE
appelle Nichole. Icestui antipape créa d'autres cardi-
naulx. Et depuis, celui antipape vint à mercy au pape
et fut mis en prison. Et Louis de Bavière qui estoit
excommenié requist au vray pape à estre absoulz.
Mais il ne le fut pas pour ce qu'il ne le requist en
fourme deue. Et aussi le roy Philippe lui estoit en
nuisance ^
du roy Philippe tint à surreptice et, par ce que
l'en donna jugement ou arrest contre le dit Robert
d'Artois^ il s'en ala en Angleterre au roy Edouartet lui
donna à entendre que le roy Philippe le desheritoit de
la couronne de France. Quant le roy Charles son on-
cle mourut^ il estoit le plus prochain hoir masle de la
couronne. Les Anglois se tindrent à ceste opinion^
car Anglois ce que ilz pensent ilz veuUent qu'il soit
fait. Et à une assamblée qui pour ce fait fut faicte
crièrent : « Par saincte Mare, nous ferons nostre roy
roy de France I n Et des lors print Edouart le tiltre de
roy de France et d'Angleterre. Et adonc envoya le roy
Edouart, par l'acort et voulenté de ses barons nobles
et des gens de ses bonnes villes, defBer Philippe de
Valloiz roy de France. Et lui manda le roy Edouart
que il ne le tenoit à roy et que à tort et à desraison il
s'estoit fait couronner. Adonc, quant le roy Philippe
sont que par son serourge Robert d'Artois la chose fii
ainsi comme vous avez ouy raconter, il fit bannir Ro-
bert d'Artois. Et trois filz qu'il avoit de la seur du roy
Philippe furent mis en prison eu Chastel Gaillart. Dont
l'un ot nom Jehan et l'autre Charles, le tiers Louis qui
gistaux Jacobins à Rouen.
i. Lacnne d*one ligne dans le mt.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 3
En Van mil trois cens vingt neuf, Philippe de Vallois
roy de France fit faire et fut faitte très bonne mon-
noye de fin or et de fin argent du poids et aloy de son
besael le roy saint Louis. La royne Jehenne de Bour-
goingne ot ung filz qui ot nom Philippe ^ et fut ne au
bois de Vincennez ; et comme elle gesoit il vint une
tempeste au dit bois où il avoit malignes esperis.
Icestui filz ot à femme la fille du roy Charles et fut
depuis duc d'Orléans. En Tan mil trois cens et trente,
fut maistre Pierres Rogier archevesque de Rouen , qui
puis fut cardinal, et depuis fut fait pape et fut nommé
pape Clément sixte. En Tan mil trois cens trente et
deux, le dimenche après la Saint Michiel, Philippe de
Yalloiz, roy de France, fist Jehan son aisné filz cheval-
lier. Et le dit Jehan fist quatre cens et plus de
jeûnez hommez nobles nouveaulx chevalliers. Et en
fîit faitte très solennel feste à Paris ou près. Et y fu-
rent Jehan roy de Boesme et Philippe roy de Navarre,
avec grant quantité de princes, comme ducs, contes et
barons et autres nobles sans nombre. Et en celle sep-
maine mesmez, les prelas, ducs, contes et barons pour
ce assemblés jurèrent tous d'une voulenté et acort au
roy Philippe et au dit Jehan, son ainsné filz, que quant
le cas escherroit que le dit roy Philippe yroit de vie à
trespassement, ilz recevroient le dit Jehan ainsné filz
du dit roy Philippe, comme dit est, à roy de France et
lors à leur prince. Le dit roy Philippe donna au dit
Jehan son filz la duchié de Normendie avec la conté
d'Anjou et du Maine par ainsi que, se le dit Jehan
aloit de vie à trespassement aincoiz qu'il parvenist à
la couronne du royaume de France, tantost toutes
icelles terres retoumeroient à la couronne de France.
4 CHRONIQUE
Et fut le dit duc Jehan très joieusement receu des
prelas, contes, barons, nobles, bourgois de toute la
duchié de Normendie. En ce temps, le roy Edouart
d'Angleterre et Henry le duc de Lenclastre et Robert
d'Artois o les Angloiz entrèrent en Escosse. Le roy
David o les Ëscos leur \indrent à Tencontre. Là out
moult forte bataille et furent les Escos desconfîz et le
roy Edouart out victoire et prinst Brucs et plusieurs
chasteatdx. Et le roy David s'enfuy lui et sa femme
qui estoit seur du roy Edouart. Et s'en vindrent en
France devers le roy Philippe qui moult honnourable-
ment les receut et leur trouva estât et vivre tel comme
à eulx appartenoit tout le temps qu'ilz furent en
France.
Apres ce, le roy Edouart d'Engleterre fist une très
grant armée et passa mer et descendi en la marche de
Flandres et courut devant Toumay et mist siège de-
vant la cité. Et estoient avec le dit roy Edouart au dit
siège à son aide l'empereur Louis de Bavière, le roy
de Craco*, le roy de Poulaine*, le duc de Bavière, le
duc d'Âusteriche , le viel duc de Lencastre, le prince
de Gallez, le conte d'Ârondel, le conte de Glo-
cestre, le conte de Yincestre, le marquis de La
Lehumbre', le conte de 01enest\ le duc Jehan
de Braban, le preux conte Guillaume de Henaut,
le conte Jehan de Beaumont, le conte de Naso*, le
duc de Julliers, le duc de Guelles*, le conte de
1. GracOy Gracoyie.
9. Poulaiae, Pologne.
3* La Lehumbre, le Humber?
4. Olenest, Ulster, comté du nord de TlrUnde?
5. Naso, Nassau.
6. Guelles, Gueldres.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 8
Grant\ o leurs barons, chevaliers et escuiers et Robert
d'Artois et Jehain le conte de Montfort et Jacques
d'Ardevelle o les Flamens.
Le roy Philippe semonst ses hostz pour venir contre
ses ennemis. Et fut en son ayde le roy de Boesme, le
roy de Navarre, le roy de Malogres*, le bon duc
Jehan de Bretaingne, Jehan son filz, le duc de Nor-
mendie, le duc de Bourgoingne, le duc de Bourbon,
le conte d'Alençon, le conte de Harecourt, le dalphin
de Vienne, le conte d'Eu, le conte de Flandres, le
conte d'Aucerre, le conte de Foiz et infini nombre
tant de chevaliers, escuiers comme de gens de bonnes
villes et de commun peuple. Et vint le dit roy Phi-
lippe o sa noble chevalerie et compaignie droit à
Toumoy contre ses ennemis. Maiz comme le roy
Edouart et sa compaignie sourent que le roy Philippe
venoit si efTorceement, il leva le si^e, lui et les siens,
qui estoient plus de cinquante mile bacinés sans les
Flamens, et entrèrent en l'Empire, et le roy Philippe
n'out pas conseil de les parsuir.
Aprez ce, le pape tramist deux l^atz aux deux roys
de France et d'Angleterre, et out trevez entre les deux
roys.
En Van mil trois cens trente et trois, le pape Jehan
introdit tous roys et princes crestiens generalment à
faire voiage et passage en saint voiage d'oultremer,
conquérir la Saincte Terre sur les Sarrazins, et establi
et ordonna sur tous roys et princes crestiens Philippe
de Valloiz roy de France estre en icellui voiage chief
1. Granty Gand.
3. Malogrety Hayonpies.
6 CHRONIQUE
et cappitaine de tous les crestiens. Lequel roy Philippe
landemain de la Saint Michiel prist la crois ; avec lui
la pristrent grant quantité de prelas, de princes, de
barons et de nobles et autres en pré de Saint Germain
jouxte Paris*.
En Tan mil trois cens trente et quatre, trespassa le
pape Jehan, et fut esleus et suceda pape Jacques du
Four de Tordre de Citeaulx, prestre cardinal, qui fut
appelle Benoit XII.
En Fan mil trois cens trente et six, Louis de Bavière,
soy portant pour empereur, requist à Benoit pape ab-
solucion des sentences données contre lui par pape
Jehan ; maiz sa requeste ne fut pas essaucée, pouk* ce
qu il ne requeroit pas en forme deue.
En cest temps, le bon duc Jehan de Bretaingne fut
malade. Icestui duc avoit ung filz qui avoit nom mon-
seigneur Henry et trespassa ains que son père ; de
cestui filz demoura une fille. Geste fille fut donnée
à mariage à monseigneur Gharles de Bloix. Or
advint que le bon duc Jehan de Bretaingne mourut.
Le copte de Montfort, qui estoit frère du dit duc,
disoit qu'il devoit estre duc et qu'il estoit le plus
prouchain hoir que la fille du filz au duc, lui qui es-
toit frère du duc. Et en vindrent desrener pour avoir
droit en la court du roy Philippe. Et fu jugié en son
parlement que la femme à Gharles de Blois devoit
estre duchesse et que la duchié appartenoit à elle qui
estait fille du filz. Et se parti le conte de Montfort de
court et se alia à Edouart, roy d'Angleterre, et passa
1. Cf. Les Grandes chroniques de France ^ édit. de M. P. Pftris» io-8,
t. V, p. 3b0, 351 et 332.
DES QUATRE PREAUERS VALOIS. 7
le roj Edouart en Bretaingne en l'aide du conte de
Montfort. Et se tindrent en Taide du conte de Mont-
fort les Bretons bretonnans. Et le roy Philippe de
France ordonna et charga à son nepveu Charles de
Bloiz grant chevalerie qu'il mena en Bretaingne, et là
out moult fort guerroyé. Et se tourna monseigneur
Olivier de Clichon contre le duc Charles de Bloiz
couvertement et maistre Henry de Malestrait et man-
doient la convine des François au conte de Montfort.
Dont l'eu s'aperceut et pour ce en fu monseigneur
Olivier de Clichon decapilé à Paris ; et le dit clerc
fut mené parmi les rues de Paris et fu si lapidé de
boe et d'ordure qu'il en mourust.
Le roy Edouart se parti de Bretaingne et ala en An-
gleterre, et d'Angleterre passa le roy Edouart en
Flandres, et vint à Jacques d'Ardevelle, ung Flamenc
godalier^, que les Flamens, après ce qu'ilz eurent dé-
bouté et cachié leur droit seigneur, esleurent à sei-
gneiu* et à conte. Et lui dit le dit Edouart et aux
Flamens aussi qu'il estoit droit hoir de France et que
la couronne et le règne lui appartenoit. Et pour ce
estoit il venu à eulx pour se complaindre du tort que
Philippe de Valloiz lui en faisoit. Adonc, dit Jacques
d'Ardevelle aux Flamens : « Puisqu'il est droit hoir de
France, Êûsons lui obéissance. » Et lors firent aliances
les Flamens au roy d'Angleterre contre leur souverain
seigneur le roy de France. Pour quoy le pape les
excommenia, et par ceste aliance se fist et esmeut
1. Lês Grandes ehronifuês de France diient qae Jacqaet d'ArtereM
•▼oh épooÊé voèb bimitereite de miel. Édh. de H. P. Phrit, iii-8» t. V,
p. 372.
8 CHRONIQUE
une très forte guerre en la coste de Flandres^ de Pi-
cardie, de Normendie et de Bretaingne.
En l'an mil trois cens trente et sept, Philippe de
Valloiz roy de France assembla par plusieurs fois au
Pont Audemer les prelas j les barons, nobles et gens
des bonnes villes pour imposer et mettre sus une aide
gênerai par tout son royaume pour le fait de sa guerre.
Pour laquelle chose les prelas et barons , nobles et
boui^ois des bonnes villes de Normendie se assemblè-
rent par plusieurs foiz pour les libertés et franchises
du pais garder. Et y furent Raoul le conte d'Eu con-
nestable de France, le conte de Harecourt, monseigneur
Godefroy de Harecourt, le mareschal Bertran, le sire
de Graville et les autres barons, prelas, nobles et
boui^ois. Et composèrent au roy Philippe et au duc
Jehan son filz par telle fourme qu ilz donnèrent au dit
roy et duc une grant somme de pecune, par ainsi que
le roy et le duc les maintendroient en leurs libertés
et franchises, selon ce que la chartre des Normans le
contient. La somme fut levée et le roy et le duc jurè-
rent ce tenir et garder fermement. Maiz après assez
brief temps, le roy et le duc ordonnèrent estre mis sus
par tout le royaume imposicions ou maletoutes et ga-
belles pour soustenir le fait de leur guerre. Dont les
Normans furent moult dolens de ce qu'ilz avoient
fait quant on ne leur tenoit convenant. Et encores
avec ce fist le roy Philippe courir fieble monnoye.
Car ung gros toumoiz de fin aident couroit pour cinq
soulz, qu'il avoit accordé aux Normans avoir cours,
selon ce qu'il est contenu en leurs dittes libertés et
franchises en la ditte duchié de Normendie, pour le
pris qu'il couroit eu temps du règne monseigneur saint
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 9
Louis son besael jadis roy de France, c'est assavoir
pour douze deniers tournois la pièce, et d'autre mon-
noye à l'equipolent^ pris pour pris. Les collecteurs
ordonnez et députez pour le roy cueillirent en Nor-
mendie les dictez imposicions et maies toutes. Si avint
que monseigneur Godefiroy de Harecourt, le sire de la
Roche Tesson et Rogier Bascon dirent , tant pour eulx
que pour leurs enfans de Navarre, qu'il ne courroit
nulles maies toutes en leurs terres. Pour quoy ilz furent
adjoumës à Paris. Monseigneur Raoul Tesson et Ro-
gier Baston chevalier y alerent et là ourent les teste»
couppëes. Mais monseigneur Godefroy de Harecourt
n'y ala point, ains s'en ala à refuge au roy Edouart
en Angleterre. Pour quoy il fut banny du royaume de
France.
En Tan mil trois cens trente et huit, le roy Edouart
d'Angleterre repassa mer à tout son host et descendi
en Breban pour entrer en royaume de France. Et tan-
tost le roy Philippe de France o son host chevaucha
jusques à Amiens afiin que se il estoit besoing d'aler
oultre qu'ilz fussent plus prez. Maiz pour celle foiz
n'osa encores le roy Edouart entrer en royaume de
France et s'en ala à Louis de Bavière pour recueillir
par luy force et aide. Lequel Louis de Bavière Testabli
son lieutenant de l'empire. En cet an, les collecteurs
de l'empire s'en alerent avec Louis de Bavière et firent
conspiracion contre l'Eglise de Romme. En cel an
fîst pape Benoit maistre Pierre Rogiêr archevesque
de Rouen cardinal avec cinq autres nouveaulx cardi-
naux.
En Tan mil trois cens quarante, le roy Philippe fist
une armée par mer sur les Flamens. Dont estoient et
10 CHRONIQUE
furent chiefz Charles de La Gouvande » Hue Kerfpt et
Beuchety noble homme de la duchié de Jennes, et
monseigneur Pierres d*£stelant ^y Normant, aussi fors
comme geans. Avecquez iceulx out bien mil hommes
de la coste de la mer de Normendie et de Picardie
avec les gens d'armes et arbalestriers. Uz singlerent
par la mer tant qu'ilz vindrent àTEscluze en Flandres
et là se tindrent devant TEscluze et se antrerent. Les
Flamens vindrent sur la terre jusques au nombre de
bien dix-huit mil. Les Francoiz leur requistrent place
à combatre. Et jour maiz entretant vint le roy Edouart
par mer, le conte de Hantonne, le conte de Glocestre,
le conte de Warwich, le conte de linchole, le conte
d'Ârondel et le conte de Lousciere o grant navire
chargié de gens d*armes. A icelui jour estoit la vegille
de la Nativité Saint Jehan Baptiste que la bataille fut.
Et comme vint à Tasembler, les Genenois s'en fuirent.
Monseigneur Pierre d'Estelant, Hue Kerest et Beuchet
alerent de bon cueur et de bon courage contre les
Angloix. Et se tirèrent ung pou vers la terre, dont ilz
firent que folz. Et là commença merveilleuse bataille
et dure. Maiz à brief raconter les Francoiz furent des-
confiz, maiz moult très chier ilz se vendirent. Car ilz
occirent plus de dix mil Angloiz, et y perdi le roy
Edouart quatre contes et plus de vingt quatre barons
et plus de cent chevaliers. Monseigneur Pierres d'Es-
telant tint tout le derrain en ung chastel d'une barge
où nul n'osoit ne ne povoit de lui aprocher, ne de*
vaut lui, tant fust haotli, n'osoit nul arrester. Tout
1. Notre chroniqueur eit le teal qn fasie mention de ce Pierre
d'Estekmt.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. il
enUmr de lui estoit la barge couverte de gens mors ;
bien occist de sa main plus de cent Ângloiz. Maiz par
force par derrière il fut mort et occiz. Hue Keret et
Beuchet ourent les testes couppées devant le roy
Edouart roy d'Angleterre \ De ceste desconfiture eu-
rent Angloiz et Flamens grant joye et Françoiz dueil.
En cest temps fîit né Lyon de Gant, filz Edouart , roy
d'Angleterre* En Bretaingne, monseigneur Charles
de Bloiz, comme il chevaucoit d'ung syen chastel
pour aler à Renés, les Angloiz et Thomas Dagure lui
firent une embûche et le souprinstrent^ et là out moult
fort pongneys. Maiz le duc monseigneur Charles de
Bloiz fut prins des Angloiz et mené en Angleterre ; car
il ne fut pas rescous des François. Mais depuis fut deli-
yré et s'en retourna en Bretaingne.
En cest temps, avint une bonne aventure en cres-
tienté. Car le bon roy Alphons d'Espaingne et de Cas-
telle et le roy de Portingal et le roy de Navarre mistrent
siège en la Guerzille '• Maiz maladie prinst au roy de
Navarre, dont il mourut. Et po|ir lever le siège, le
roy de Belemarine', le roy de Grenace et ung grant
admirai du Soudent, qui avoit nom Melhedinch et es-
toit descendu de la lignie de Salhadinc, iceulx haulz
I»inces sarrazins vindrent en Grenade pour lever le
siège. Et là out trop merveilleusement grant bataille
et s'i porta comme très vaillant et preux chevalier le
bon roy Alfons d'Espaingne. Et par la voulenté de
i. Cf. Grandes chroniques de France,^ t. V, p. 385-387, et FroiiBart,
éd. dn Panthéon littéraire, t. I, p. 106 et 107, Ut. I, part. x.
2. La Guenille, Grezille, Algésiras.
3. Le roy de Belemarine, le roi de Fez et de Maroc, de la dynattie
des Béni -Merini.
12 CHRONIQLE
Dieu, les Sarrazins furent desconfiz et Melhedinc
occiz. Et le roy de Grenade et le roy de Bellemarine
s'en fuirent, maiz l'en prist ung des filz du roy de
Bellemarine. Âpres la bataille , lescrestiens alerentaux
tentes des Sarrazins où ilz trouvèrent merveilleusez
richesses. Et si troWerent ou tref du roy de Bellema-
rine vingt femmes avec trop grant avoir d'or et de
joyaulx et de riches cameulx. Et de tout le trésor et le
gaing le bon roy Âlfons d'Espaingne donna tout aux bons
chevaliers crestiens par lesquelz avec la grâce de
Dieu ilz avoient eu victoire. Car ilz estoient plus de
quatre Sarrazins contre ung crestien. Apres ceste vic-
toire, le bon roy Alfons ala au chastel de Grezille,
lequel lui fut rendu, qui estoit inprenable, se n'estoit
par affamement.
L'an mil trois cens quarante ung, Henry le duc de
Lenclastre, conte d' Albic *, ala en Guienne et ala mettre
le siège à Saint Jehan d'Angeli, et moût efforcéement
y tint le siège. Et en cest temps qu'il y fu, Raoul de
Caours vint à un point du jour assaillir l'ost et moult
y porta grant domaige ; mais tost falut qu'il s'en re-
toumast. Car le duc de Lenclastre avoit grant gent;
car grant foison de Gascoins s'estoient tournez An-
gloiz. Le duc de Lencastre fit bien enforcier son host^
lui qui estoit ung des meillieurs guerroiers du monde,
moult destraiht ceulx de Saint Jehan d'Angeli. Et ains
que le duc vensist devant la ville, il y avoit ime partie
de la ville où les murs ne valloient riens. Ceulx de la
ville avoient requis aux riches hommes qu'ilz pres-
tassent du leur à faire fermer et enforchier celle par-
\. D' Albic, de Ucrby.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 13
lie ; maiz ilz n'en vouldrent riens baillier. Dont il avint
que le duc Henry de Lencastre fist tant donner d'as-
saulx vers celle partie qu'il falut qu'ilz se rendeissent.
Et comme la dicte ville de Saint Jehan d'Angeli fut
rendue, le duc de Lencastre sceut que, par la defaulte
des riches hommes^ celle partie des murs estoit de-
mourëe à enforchier. Pour quoy le dit duc de Len-
castre fit faire aux riches hommes celle partie de mur
de la dicte ville. Et en oultre à iceulx riches hommes
il fit comme à chevaulx charier la pierre, le mortier et
toute la matière pour parclorre la ville.
En cest temps, out fait une armée en France de Hue
Rerest le jeune et Charles Dyscondore de Marant * et
de ceulx de l'Eure' et de Dyepe et tournèrent la ma-
rine et ardirent Hantonne % Bourc et Blâme et prins-
trent des nefz d'Angleterre.
Apres ce, le roy Philippe envoia Jehan son filz duc
de Normendie et le duc de Bourgoingne en Guienne
et alerent mettre le siège devant le chastel d'Aguilon*;
maiz pou y firent de leur preu et honneur. Le dit
Jehan de Normendie et le duc de Boui^oingne y fi-
rent donner plusieurs assaulx où moult de bons che-
valiers moururent. Et y mourut le sire de Baqueville.
Durant le siège mourut le duc de Bourgoingne de
maladie naturelle. En ce temps estoit le bon duc Henry
de Lencastre en Prusse. Et comme il fut à Estone-
vei^e, les crestiens en firent leur chief. Et là estoient
i. Sans doute Marant^ Pat-de-Galais, arrond. de Montreail, canton de
Campagne.
S. La Fosse de l'Eure^ près Harflenr.
3. Hantonne, Southampton.
4. Sans doute Aiguillon , Lot-et-Garonne, arr. d*Agen, canton de
Poit-Sainte-Marie.
14 CHRONIQUE
moult de grans seigneurs et barons d'Alemaigne. Les
crestiens firent leur reze sur le roy de TEstone* et le
roi de Graco *, lesquelz s'estoient aliés à grant nombre
de mescreans pour desconfire les crestiens. Les crestiens
assemblèrent aux mescreans qui estoient infini nombre
et avoient grant chevalerie. Les Alemans se commen-
cèrent si à desconfire que Testandart des crestiens
chey à terre. Et quant ce vit le bon duc Henry de
Lencastre, il point celle part et o sa force et chevalerie
redrecha la baniere des crestiens. Dont par ce fait
s'esvertuerent tant les crestiens que par la voulentë
nostre Seigneur Jhesu Crist les mescreans fiu*ent tous
desconfis et les crestiens ourent victoire.
En Tan mil trois cens quarante trois, fit Philippe de
Valloiz quinze deniers venir à trois.
L'an mil trois cens quarante six, Edouart le roy
d'Angleterre, avec monseigneur Godefroy de Hare-
courtqui estoit bany de France, comme dessus est dit,
o tout grant armée d'Angloiz, descendirent à La Hogue
en Normendie. Le roy Philippe de France envoya en
fi'ontiere Raoul, conte d'Eu et de Guines et connesta-
ble, filz de Raoul de Foukarmont, conte d'Eu, qui fut
tué aux jouxtes à Paris. Et aussi ala avec lui le conte de
Tanquarville, le mareschal Bertran et grant baronnie
de Normendie. Edouart le roy d'Angleterre, comme il
fu descendu en Normendie, il chevauca à Caen. Et là
out moult forte bataille. Mais Angloiz si furent le plus
et furent les François desconfiz. Là fut prins Raoul
d'Eu connestable de France, le conte de Tancarville
1 . Ettone, Esthonie.
S. Graco, Krakovie.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 18
et moult de bons chevaliers. Et moult y et mors des
gens de la ville, si que les rues estoient couvertes de
gens mors. L'evesque de Baieux et le mareschal
Bertran son frère se retraistrent en chastel de Caen,
car pour lors la ville de Caen n'estoit point fermée.
CoDune le roj Edouart ouït desconfit ceulx de
Caen, il chevaucha jusquez à Rouen et vint devant la
ville vers la Quesnoye, le sixiesme jour d'aoust. Et
estoit monseigneur Godefroy de Harecourt guideur,
conduiseur et gouverneur de Tost du dit roy Edouart.
 Rouen estoit ja venu le roy Philippe de France le
deuxiesme jour d'aoust. Et devant la ville ouït ung
pongneys, et alors n'avoit point encoires assemblé le
roy Philippe ses hostz. Le roy Edouart se parti o son
host de devant Rouen et chevaucha vers Paris et vint
au pont de Poissi. Et là le sire d'Âufremont, le sire
de Revel et autres chevaliers et la commune d'Âur-
liens et autres qui gardoient ie pont estoient. Maiz
Anglois firent ung pont qu'ilz jetterent sur le pont
rompu et passèrent oultre. Là furent mors ceulx
d'Orléans.
Le roy Philippe estoit lors à Paris où il avoit
moult grant chevalerie, le roy de Boesme, le roy de
Halogres, le duc d'Athenez, le conte d*Alençon son
fi^re, le conte de Flandres, le conte de Harecourt, le
duc de Bourbon , le conte [de] Dampmartin , le conte
d'Aucerre et trop d'autres, tant barons que chevaliers
et escuiers , que c'estoit merveilles de la belle^ noble
et grant bachelerie qui fu là assemblée.
Le roy Philippe estoit bien hastif homs. Et pour ce
que par aucuns sagneurs que la roy ne avoit introduiz
à parler au roy, car elle ne voulloit que le roy issist ne
16 CHRONIQUE
qu'il se combatist, le roy ala troiz foiz parmi Paris,
disant et criant qu'il estoit trahi, puis parti de Paris.
Et ala parsuir le roy d'Angleterre qui s'en aloit en
Picardie et passa à la Blanche Taque. Et le roy Phi-
lippe le parsuivy et ataint à la valée de Cressi. Là fu
le roy Philippe trop hastif et ne voult croire conseil ;
ains couru sus au roy d'Angleterre qui avoit ordonné
par monseigneur Godefroy de Harecourt trois batail*
les, dont Edouart, ainsné filz du roy d'Angleterre, qui
estoit prince de Galles, out la première bataille, le conte
de Lincole et le conte de Glocestre ourent la seconde,
et la tierce ouït Edouart, roy d'Angleterre.
Le roy Philippe commanda que les Genenois assem-
blassent, roaiz ilz furent tantost desconfis et prinstrent
à fuire vers les François qui ochirent les Genenois.
Et lors le roy Philippe assembla aux Angloiz et là out
très fort estour et merveilleuse bataille. Les Anglois
archiers furent du premier embuschiés de les les haies
et par leur trait occistrent moult de chevaulx et de
gens. Et en ce jour fut l'occision des gens par les che-
vaulx. Car comme les François se cuidoient rengier,
leurs chevaulx cheoient mors. Que vous yroie la ma-
tière prolongant? Par hastiveté et desarroy furent
les François desconfiz. Le roy Philippe en sa hasti-
veté se porta celui jour comme très bon chevalier et
y fit merveilles d'armes, mais fortune tourna contre
lui.
En ceste bataille mourut le roy de Boesme, père de
l'empereur, le duc de Lorraine, le conte de Blois,
le conte de Sancerre, le conte d'Alençon, le conte
de Flandres, le conte de Harecourt et moult grant
quantité de grans seigneurs. Et du peuple y mourut
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 17
une très grant multitude. Mais le roy Philippe se
combati jusques à la nuit, ne oncques celui jour ne
perdi le roy Philippe le champ. Et quant vint sur
la nuit, par conseil il se retraist à Amiens. Et le roy
Edouart se retraist ou champ ou il gaigna la despouille
comme vainqueur.
Le roy Edouart se partit de Cressi et chevauca droit
à Râlais, et là mist le siège moult efforciement par la
terre et puis par la mer. Et furent les Flamens en son
aide. Et adonc out monseigneur Godefroy de Hare-
court sa paix et vint au roy Philippe. Car' quant mon-
seigneur Godefroy vit son frère occis, il ne voult plus
demourer avec le roy Edouart, et le roy Philippe le
retraist et mist en sa garde.
Le roy Edouart maintint le siège devant Calais plus
de dix mois et tant destraint ceulx de la ville qu'ilz
n'avoient que mengier. Et à brief raconter ilz men-
goient toutes ordures par droicte famine.
Le roy Philippe assembla ses hostz et semont ses
barons et chevauca vers Calais. Mais la maie royne
boiteuse Jehenne de Boui^oingne, sa femme, qui estoit
comme roy et faisoit destruire ceulx qui contre son
plaisir aloient, ou du moins elle les exilloit ou leur
toulloit le leur, iceste royne manda aux grans barons
qui estoient avec le roy que, comment qu'il fust, qu'ilz
ne souffrissent que le roy son seigneur se combatist^ ;
à Monseigneur Godefroy de Harecourt et au conte
1. Dans une note de sa précieuse édition des Grandes Chroniques de
framce^ M. P. Paris essaye d'expliquer ces allées etyenues de Philippe de
Valois, f On peut croire, £ût remarquer ce savant , que la grande raison
de tontea les irrésolutions dn roi de France venoit de la crainte qu'il
tfoit de laisser Paris à la merci des Anglois. U ne Touloit pas la quitter
18 CHRONIQUE
d'Aucerre, à Flacon de Revel, à ceulx le manda sur
la hart, et puis en escript aux prelas. Et oultre tant
avoit de paour de son mary le roy qu elle en escript
au duc Jehan son filz.
Le roy Philippe vint jusques à une lieue près de
Kalais. Mais par les lettres de la roine le roy out con-
seil de retourner, qui ne fut bon. Et donc quant
le roy Philippe se fut mis en chemin de retourner,
les Anglois pristrent Calais et se rendirent à la
mercy du roy Edouart. Et quant le roy Edouart
out prins Calais, il repassa mer et s*en retourna
en son royaume d'Angleterre. Et le siège estant
devant Calais, les Flamens vouldrent que leur jeune
conte preist à femme la fille au roy Edouart d'Angle-
terre. Mais il se eschapa et s'en vint tout droit au
roy de France. Apres ce, l'an mil trois cens quarante
huit, mourut la maie royne boiteuse de Boui^oingne,
femme du dit roy Philippe. Et après ce prinst le dit
roy Philippe à famé madame Blanche, seur du roy
de Navarre. Et le dit roy de Navarre depuis prist à
femme la fille du roy Jehan, filz de cestui roy Phi-
lippe.
En ce temps, l'an quarante huit et quarante neuf,
fi] la très grant mortaUté.
En l'an mil trois cens cinquante, fiit le plain par-
don à Romme et tenoit le siège de Romme pape
Clément Vl*°". Et en cel an trespassa de cest siècle
UDt qu'Edouard ne s*en éloignoit pas. s On yoit pour la première fois
par notre chronique que la funeste influence et les timides conseik de
la Ttme Jeanne de Bourgogne, épouse de Philippe, causèrent en grande
partie les lenteurs, les ajournements, Tinconsistaoce de résolutions et de
conduite de ce prince dans tout le cours de cette désastreuse campagne.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 19
très excellent prince et puissant Philippe de Vallois
roy de France et mourut à Nogent le Roy; et fut mis
en sépulture à Saint-Denis en France, le jour de la
vigille de la decolacion Saint Jehan Baptiste.
Après la mort de Philippe de Valloiz roy de France
régna Jehan son Glz ainsné duc de Normendie et fut
couronné à Rains ou dit an mil trois cens cinquante
le jour de la Saint Michiel. En cest temps, estoit empe«
reur de Romme et d' Alemaigne Charles de Boesme ;
et Edouart filz de Taisnée fiUe de France, fille du roy
Philippe le Bel, estoit roy d'Angleterre. Apres le très
noble sacre et couronnement du roy Jehan, vint à
Paris à très grant noble compaignie de princes, de ba-
rons et de toutes nobles gens qui avoient esté à son
sacre. C'est assavoir premièrement Charles le roy
de Navarre son gendre, monseigneur Philippe de Na-
varre, conte de Longueville, son frère, monseigneur
Philippe duc d'Orliens, frère du dit roy Jehan, mon-
seigneur Louis conte de Flandres et plusieurs autres
grans seigneurs et barons. Et à la joieuse venue du
roy ouït à Paris unes très nobles joustes de trente
chevaUers parés des armes du duc de Bretaingne,
lequel estoit encoires prisonnier en Angleterre. Et
après le département de la feste, fist le roy Jehan
décapiter ung très noble et courtois prince Raoul,
conte d'Eu et de Guines et connestable de France. Et
fut décapité à Paris en l'ostel de Neelle. De laquelle
mort ce fut douleur, car c'estoit ung des plus courtois,
des plus gracieux chevaliers de France et des plus
larges. Nul n'osa parler de la cause de sa mort. Delà-
quelle furent troublés grant partie des nobles de France
ne oncques ne fut sceu du peuple la cause de sa
20 CHRONIQUE
mort, jasoit ce que plusieurs eu parloient et murmu-
roient.
En cest temps conquist le roy d' Arragon le royaume
de Malogres et fit au roy qu'il prist coupper la
teste.
En cest temps vint en Bretaingne monseigneur
Thomas de Holande' o grant nombre de gens d'armes
d'Angleterre. Et contre lui fut envoyé de par le roy
Jehan monseigneur Guy de Neelle. Et comme il fut
arrivé en Bretaingne, il chevauca sur les Angloiz et out
devant Saint Malo ung dur paleteys. Et là ouït grant
bataille, car moult avoient les deux parties de bonnes
gens. Ce temps durant, ot une emprinse faicte de
trente François contre trente Anglois, et furent les
Angloiz desconfiz. Cy est le commencement de Bertran
de Clasquin.
En l'an ensievant, monseigneur Charles d'Espaingne,
qui estoit nouvelement fait connestable de France, ala
en Poitou et mist siège devant Saint Jehan d'Angeli et
fist viguereusement la ville assaillir. Les Anglois le
mandèrent à Ëdouart le roy d'Angleterre, lequel le
plus hastivement qu'il pout fist son appareil et passa
la mer pour lever le siège. Charles d'Espaingne le
manda au roy Jehan de France qui hastivement et
hardiement ala secourre Charles d'Espaingne son
connestable. Et chevauca le roy Jehan contre le roy
Edouart, lequel ne l'attendi pas à combatre et s'en
retourna en Angleterre. Et lors le roy Jehan retourna
à Saint Jehan d'Angeli et fist viguereusement la ville
assaillir^ laquelle les Anglois lui rendirent. Et avoit
1. Thomai Holknd.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 21
esté prinse la dicte ville par Henry de Lencastre au
temps du roy Philippe, père du ditroy Jehan.
Et après s*en retourna le roy Jehan à Paris, et au
printemps ensuivant monseigneur de Beaugeu ala de
par le roy à Saint Osmer pour porter guerre à ceulx
de Râlais. Et leur porta si aspre guerre et si dure
qu'Uz ne povoient riens conquester sur la terre de
France. Les Anglois le mandèrent au roy Edouart
qui leur envoya grant secours d'Angleterre. Monsei-
gneur de Beaugeu fist une chevauchée devant Kalais.
Les Anglois firent contre lui deux embusches de gens
d'armes. Des lors que monseigneur de Beaugeu vit les
Anglois, il leur couru sus, et furent desconfis et com-
mencèrent à fiiire vers Calais. Adonc les parsuirent
les François et se desrouterent. Lors saillirent les deux
embusches et vindrent courre sur les François. Et là
eut trop dur estour et dure bataille depuis Teure de
prime jusques après nonne. Et là fit monseigneur de
Beaugeu merveilles. Car non obstant que ses gens fus»
sent desroutés, si furent par lui les Anglois des em-
busches desconfis, et se ralierent les François et chas-
soient les Anglois. Et lors issirent de Kalais bien deux
cens hommes d'armes et trois cens archers, lesquelz
estoient pour la garde de la ville. Ilz coururent fres-
chement, efTorciement et hardiement sus à monsei-
gneur de Beaugeu et sa gent, et lui occistrent son
cheval soubz lui, et là fut tué et occis le bon cheva-
lier ^ Ung varlet piéton mirencolieux qui suivoit les
François vit la bataille et tantost le couint dire à Bou-
1. Cet engagement est raconté dans Froissart arec des drconstaucet
tontes différcaites et des détails beaucoup plus précis. Cf. liv. I, part. 11,
àï.ym; édit. du Panthéon, t. I, p. 395-297.
22 CHRONIQUE
loingne et à Saint Osmer. Et alors y estoit le mares-
cbal d'Andrehen qui o ceulx de sa route vint brochant
à esperon à la bataille, et se tenoient encorres les
François. Lors qu'ilz furent venus, les Anglois furent
tantost desconfis. Et y ot bien de mors quatorze cens
et des François neuf cens. Et après la bataille fist le
mareschal emporter le corps de monseigneur de Beau-
geu pour faire sépulture.
Le sire de Beaugeu fut extrait du lignage aux contes
de Flandres et du sang royal de France. Comme il fut
fait chevalier, il voua que ja ne fuiroit pour mourir.
Item, monseigneur de Beaugeu fut en Escosse à la ba-
taille monseigneur Guillaume Duglas, et si leva le
siège de Bezinc que monseigneur Lyon de Gant (ilz de
Edouart roy d'Angleterre out assiégée. Et là fît de
belles chevaleries tant que les Anglois se deslogerent.
Monseigneur de Beaugeu par son très grant hardement
fut en Tespurgatoire saint Patrice où il vit les tour-
mens infernaux, comme le raconte Heronnet son
escuier qui en dit moult de merveilles. Dit Heronnet
qu il vit Burgil)us, le portier d'enfer, qui tournoit une
roe par cent fois cent mille tours en l'espace d'ung
jour et y avoit cent mille âmes. Il vit le pont qu'il
fault passer aussi trenchant comme ung raseur à l'en-
trée. Il vit les âmes en lis plains de feu et y en recon-
gnut. Il vit le gibet d'enfer. Il vit le puis d'enfer. Il vit le
gouffre d'enfer. Apres vindrent en paradis terrestre.
En celle manière le raconte messire Jehan de Mande-
ville \ chevalier anglois, qui fut par le loing du monde
1, Voyage en Terre Sainte^ par Jeban de Mandeyille, Pan 1322. Le
département des ms. à la Bibliothèque Impériale possède un exemplaire
de cet ouvrage inscrit sous le nP 5586 àa fonds français .
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. Î3
en terre habitable. Monseigneur de Beaugeu si fut
avec le conte Guillaume de Henault, frère à la royne
d'Angleterre et nepveu du roy Philippe de France, à la
gaengne de La Grezille, et fut à Tavangarde où le roy
de Bellemarine fut desconfît et le roy de Grenace par
le bon roy Alfons d'Espaigne et le roy de Navarre. Le
sire de Beaugeu si fut à lever le siège de Montauben
que Angloiz avoient assis. Dont monseigneur Regnault
de Caours, le viel conte de Lisle avec le vieil Mouton
de Blainville si desconfirent les Ânglois par la prouesse
du sire de Beaugeu. Le sire de Beaugeu fut en la ba-
taille contre les Sarrazins et fut aussi k recouvrer la
cité de Constantinoble que les Sarrazins avoient assise.
Le sire de Beaugeu fut en Prusse et y porta la baniere
Notre-Dame et w onc ne fuy » tel fut son cry. Il fut
oociz devant Calais, comme dit est.
En l'an mil trois cens cinquante trois, monseigneur
Guy de Neelle et monseigneur Robert Bertran le Jeune
se combatirent en Bretaingne encontre les Angloiz, et
là out une grosse besoingne ; furent occis en iceste ba-
taille les dessus diz nobles hommes. Enquel Bertran
failli la lignie du nom des seigneurs surnommez Ber-
tran en Normendie. Et portoient ceulx d*icelle ligne
en leurs armes ung escu d'or à ung lyon de sinople
rampant couronné d'argent.
Jehan, roy de France, ordonna et fit une feste en
l'onneur de Nostre Dame, laquelle il fit à Saint Ouen
jouxte Paris. Laquelle feste fut appelle e la feste de
TEstoelle et fut faitte le jour de la Tiphanie. A laquelle
feste les plus hauls barons de son royaume furent et
portèrent tous par la devise du roy une estoille. Et en
celle feste par l'ordonnance du roy furent ceulx de la
24 CHROiaQUE
Teste vestus de vermeil dessus et de blanc dessoubz.
£t si furent à celle feste esleus neuf chevalliers preux
dont Charles de Blois duc de Bretaingne fu nommé
par le pais.
Et quelque le bernage, les princes et les barons de
France esloient en ceste feste, le roy Edouart, qui
tant estoit sage et soutif à laguerre, vint à Kalais, et son
ainsné filz le prince de Galles, et firent escheller par
le conte de Glos et le sire d'Âncelle et monseigneur
Jehan de Chendos le chastel de Guines, lequel fut prins
des Anglois.
Puis chevauca le roy Edouart d'Angleterre et Edouart
son ainsné filz, prince de Galles, devant Bouloingne et
ardirent la basse Bouloingne. Puis s'en ala le roy
Edouart o tout son host à Kalais et repassa la mer
pour cause de ceulx d'Yrlande et de ceulx d'Ecosse
qui lui murent guerre. Et envoya son filz le prince de
Galles contre les Yrois *, lequel se combati à eulx et
les desconfît par le grant secours que lui fît Henry
le Bon, duc de Lencastre, à quinze mil hommes.
Apres ce out descort entre Henry le duc de Len-
castre et le duc de Bezinc ' et s'entre appellerent de
bataille et promistrent à comparoir ung jour devant le
plus noble roy des crestiens Tung contre l'autre. F^e
duc de Lencastre disoit que c'estoit le roy d'Angleterre.
Et non obstant ce si se consenti il que ce fust devant
le roy de France que la bataille se feroit, par ce qu'il
fut dit que le roy de France estoit le plus noble roy
des crestiens et que c'est chose notoire par toute cres-
I. Yrois, Irlandais.
9. Bezinc, Berwick (Buchon).
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 25
tienté. Et par ce fut la bataille termée par l'acort du
duc ée Lencastre, conte d'Âlbic et du dit duc de Be-
zinc. Et vindrent à Paris et là s'apresterent et ordon-
nèrent pour combatre en Pré aux Clers jouxte Paris
par devant très excellent prince Jehan ^ roy de France.
Et fut amené le duc de Bezinc en champ par les enfans
du roy de France auxquelz le duc de Bezinc apparte-
noit de lignage à cause de leur mere^ fille du roy de
Boesme et seur de l'empereur.
Âpres vint en champ le duc Henry de Lencastre et
fiit amené en champ par noble prince Charles roy de
Navarre, conte d'Evreux, et monseigneur Philippe de
Navarre son frère , auxquelz le susdit duc appartenoit.
Et comme ilz furent tous deux en champ, par leurs
amis acort fii fait entre eulx et ne se combatirent point
et se partirent du champ en la fourme et manière
qu'ilz y estoient venus et alerent tous deux soupper
avecquez le roy Jehan. Et à brief temps s'en retoiuna
le duc de Lencastre à Kalais et le duc de Bezinc séjourna
avec le roy de France. — Alors vint en France le car-
dinal de Bouloingne pour traictier de la paix entre le
roy de France et le roy d'Angleterre.
En cest temps, trespassa pape Clément Sixte et (ut
fait pape Innocent.
En cest temps, meust discension à la court du roy de
France entre le roy de Navarre, monseigneur Philippe
de Navarre son frère contre Charles d'Espaingne con-
nestable de France ; et y out grosses parolles dictes
en la présence *du roy Jehan , entre lesquelles Charles
d'Espaingne desmenti monseigneur Philippe de Na-
varre. Et quant le dit messire Philippe ouy soy desmen-
tir, lors il sacha son coustel et en voult ferir Charles
26 CHRONIQUE
d*Espaingne. Et comme le roy Jehan vit ce, il vint à
monseigneur Philippe et le tint et si lui dit : oc Com-
ment ! beau cousin ^ vous fault il sacher armes en ma
chambre ? » Et lors se parti de la court Charles d'Es-
paingne. Et comme il se partoit, monseigneur Philippe
Navarre lui dit que oncques fîlz de roy ne iîi desmenti
qui fiist si chierement comparé et que bien se gardast
des enfans de Navarre. Et Charles d'Espaingne res-
pondi qu'il ne doubtoit eulx ne leur povoir. Par tant
se partirent de la court du roy de France le roy de
Navarre et monseigneur Philippe son frère et alerent
en leur terre t[u'ilz avoient en Normendie. Et alerent
avec eulx aucuns des nobles comme le conte de Hare-
court, monseigneur Godefroy et monseigneur Louis
de Harecourt et le sire de Clere, car à iceulx avoit
mauvaise voulenté le dit connestable. Et si avoit avec
iceulx en la dite aliance le conte de Namur, monsei-
gneur de Guerarville, monseigneur de La Fertë, mon-
seigneur Guillaume de Melle, le sire de Preaulx et
monseigneur Jehan de Preaulx son filz, monsei-
gneur Robert et Guillaume Le Noir de Grainville, le
sire d'Araines, Amaurry sire de Rony, le sire de Fri-
quans, monseigneur Regnault de Braquemont, mon-
seigneur Pierres de Sauqueville, et grant quanlité d'au-
tres chevaliers et escuiers dont les noms ne sont pas
icy retrais. Charles d'Espaingne se fia tant en son
avoir et eu roy de France qu'il ne prisa en riens les
menaces de monseigneur Philippe de Navarre et che-
vaucoit desgarny de gens d'armes et vmt en la ville de
Laigle en Normendie. Le roy de Navarre et monsei-
gneur Philippe son frère sceurent par leur endictes
que le connestable de France Charles d'Espaingne
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 27
estoit à Laigle, lors chevaucerent tant que par nuit
vindrent devant la dicte ville. Et adonc monseigneur
Philippe de Navarre, le conte de Harecourt, mon-
seigneur Jehan Mallet sire de Graville, le sire de Clere,
monseigneur de Friquans, monseigneur Guillaume
Carbonnier et monseigneur Ligier d'Aurichi, Colin
Doublet, Gillet de Panthelu, Le Bascon de Mareul et
Radigo avec trente hommes armés ou environ vin-
drent en l'ostel où estoit le connestable monseigneur
Charles d'Espaingne. Monseigneur Philippe de Na-
varre lors vint à Fuis de la chambre où estoit logié le
dit connestable et commença à hurter à Tuis. Adonc
veilloit le dit connestable, car cueur sent aucunes
fois ce que avenir lui est. Et quant il ouyt la frainte,
il se mucha soubz son Ut, car l'ostel tout entour vit
avironné de gens d'armes. Lors fut ouvert Fuis par
ung de ceulx de la chambre du dit connestable.
Adonc entrèrent ses ennemis en la chambre et alume-
rent les torches et vindrent premièrement au lit de
monseigneur Jehan de Meleun et puis au lit du dit
connestable, où il fut trouvé. Dont lui dit monsei-
gneur Philippe de Navarre : a Charles d'Espaingne,
mal desmentis Philippe filz de roy. » Et lors s'a-
genouilla le connestable les mains jointes devant
monseigneur Philippe de Navarre en lui priant qu'il
eust mercy de lui et qu'il seroit son serf racheté et
que de son pesant d'or il se raenconneroit et oultre sa
terre quitte lui clamoit et que outre mer s'en yroit
sans jamais retourner. Alors dit le conte de Hare-
court : « Sire, se de ce vous veult baillier bons hos-
tages, ayes pitié de lui. » Mais monseigneur Philippe
estoit tant yré et enflammé que en rien ne le voulloit
38 CHRONIQUE
ouir ne escouter. Et aussi vint monseigneur Pierres
de Sauqueville au dit monseigneur Philippe de par le
roy de Navarre son frère qui Tattendoit, lequel lui
mandoit que hastivement il se delivrast. Lors le Bascon
de Mareul et Radigo et quatre servans occistrent le
dit Charles d'Espaingne connestable de France. Et
Toccist de sa main et de son espëe le dit Bascon de
Mareul. Car il lui lança et bouta tout oultre parmi le
corps ; et tant engoisseusement, villainnement et ab-
hominablement Tapareillerent qu'ilz lui firent quatre
vingt plaies ^ Dont aucuns d'iceulx qui furent en la
place distrent que ledit monseigneur Philippe fîit bien
dolent qu'il n'avoit esté prins vif. Tantost que le fait
fut accompli, ilz s'en retournèrent devers le roy de
Navarre qui les attendoit et alerent à Evreux, et s apa-
reillerent comme pour avoir la guerre.
La contesse d'Âlençon, quant elle en sceut les nou-
velles, fit enterrer le corps, et ses gens retournèrent
à Paris et contèrent au roy Jehan le fait ainsi comme
advenu estoit. Dont il fut merveilleusement courchié,
car moult affectueusement l'amoit. Et jura moult
grant serement que jamais en son cueur joye n'auroit
jusques à ce qu il en fust vengié.
Âpres la mort de Charles d'Espaingne, monseigneur
Philippe de Navarre, avec lui monseigneur Godefroy
de Harecourt alerent en Costentin et là assemblèrent
1. L'assassinat de Charles d'Espagne est raconté ici aatrement qae
dans toutes les autres chroniques contemporaines. Le récit de notre
chroniqueur est le plus détaillé, le plus dramatique et yraisemblablement
le plus exact. Cf. Froisaan, li?. I, partie II, ch. xin; édit. du Panthéon,
1. 1, p. 301 et 303. — Les Grandes chroniques de France, édit. in-8,
t. VI, p. 7 et 8. — Le second continuateur de G. de Nangis, éd. de
Géraud, t. II, p. 227 et 338.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 29
moult grant nombre de gens d'armes. Et monseigneur
Godefroy fît emforchier les pas du clos de Costentin.
Et pour ce fut donné en conseil au roy Jehan que
c'estoit bon et pour le meillieur qu'il s'acordast au roy
de Navarre. Car s'il lui mou voit guerre, il s'alieroitau
roy d'Angleterre et ainsi yroit de mal en pis. Et donc
le cardinal de Bouloingne traicta de l'acort et fit tant
qu'il mist paix entre le roy Jehan de France et le roy
de Navarre. Et eurent plaine remission tous ceulx
qui avoient tenu le parti du roy de Navarre. Et
pour cause de la conté d'Angoulesme, le roy Jehan
livra au roy de Navarre la conté de Beaumont le
Rogier, et ainsi pour ceste fois fut faicte fin de ceste
discorde, et pour parfoumir lui le mariage qu'il lui
avoit donné avec sa fille.
Apres la prinse de Guines, monseigneur GuiefTroy
de Chamy et le marescal d'Andrehen, au-devant de
la mort monseigneur Charles d'Espaingne, furent en-
voies en frontière contre ceulx de Kalaiz et assemblè-
rent la chevalerie de Picardie, le conte de Bouloingne,
monseigneur de Fiennes, monseigneur de Roye, mon-
seigneur d'Aubegny et plusieurs autres, et alerent par
nuit devant Kalaiz et la cuida escheler le conte de
Saint Pol. Mais ilz furent apperceus, et fut Teschielle
prinse des Anglois. Et lors s'en retournèrent à Saint
Osmer et à Bouloingne.
(Jng faulx traistre que l'en appelloit Aymeri, lequel
avoit esté françois, se traist par devers le mareschal
d'Andrehen et lui promist par finance qu'il lui livre-
roit le chastel de Kalaiz à certain terme qu'il lui dist.
Le mareschal le dit à monsseigneur GuiefTroy de
Chamy, et lors alerent o plusieurs autres nobles au
30 CHRONIQUE
terme que Aymeri leur avoit dit et entrèrent dedans
le chastel. Et lors sailli le roy d'Angleterre en guise
d'ung simple chevalier o grant quantité d'Anglois qui
là estoient muchiez. Et leur coururent sus et là ouït
bataille grant et fort. Mais les François furent les plus
iiebles et furent tous prins, le mareschal et ledit mon-
seigneur Guieffroy et grant foisoii de bons chevaliers
et escuiersy lesquelz furent tous délivrés par raençon
de deniers qu'ilz paierent aux Anglois.
Ne demoura pas long temps après que le mareschal
d'Andrehen fut quicte de sa raençon que il chevauca
siur les Anglois et encontra une route de bien quatre
cens Angloiz et les desconfit. Et en celle desconBture
fut prins le dit Aymery nommé devant, lequel fut amené
à Saint Osmer. Et là le fit le mareschal si tourmenter
que à grans tenailles de fer l'en luy ostoit et evrachoit
la char et ainsi mourut de dure mort. Edouart le roy
d'Angleterre et le prince de Gales son filz firent leur
semonce en Angleterre le plus efTorciement qu'ilz
peurent et passèrent la mer et vîndrent à Kalaiz o
grant armée et allèrent assaillir une bastide que les
Françoiz avoient faicte où estoit monseigneur Thomas
de La Marche, monseigneur de Pommereul, monsei-
gneur Dennequin et le bastart de Renti.
Le prince de Galles qui avoit l'avangarde de Tost
son père fist la dicte bastide merveilleusement assaillir.
Et les François très bien se deffendirent. Maiz la force
du prince fut si grant que par force il falut qu'ilz se
rendissent ou ilz eussent esté prins, car ilz ne se po-
voient plus tenir. Les nouvelles en vindrent au roy
Jehan qui hastivement manda nobles et non nobles
et chevauca contre le roy Edouart à très grant foison
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 31
de gens d'armes, premièrement le roy de Navarre, le
duc d*Orliens, le duc de Bourbon, monseigneur Jehan
d'Artois conte d'£u, le conte de Harecourt, le conte
de Tancarville, le conte de Rony et très grant foison
de chevaliers, barons et escuiers et d'autres. Edouart
roy d'Angleterre, qui moult estoit sages de la guerre,
aperçut que ce n'estoit pas son avantage de combatre
au roy de France et retourna à Kalais. Et lors lui
manda le roy Jehan de France qu'il ne faisoit pas que
bon guerroier ne comme gentilz homs, quant il n'a-
tendoit la bataille. Sur ce le roy d'Angleterre lui re-
manda que gentilz homs estoit et que de bataille ne
lui fauldroit, car en toutes les marches de son pais
il lui livreroit bataille assez et tant qu'il en seroit tout
encombrés.
Comme le roy Edouart fut à Calais, lui vindrent
nouvelles de son pais que le gouverneur d'Escosse
messire Guillaume Duglas avoit mis siège devant la
cité de Bezinc' et avoit bien couru trois journées en
Angleterre. Adonc se partist le roy Edouart de Calais
et s'en ala en Angleterre et envoia son ainsné filz le
prince de Gales, le conte de Richemont son frère
pour lever les Escos. Lesquelz eurent nouvelles de
leur venue. Et fist messire Guillaume Duglas faire une
embusclie es bois. Et comme les Anglois entrèrent en
bois, les Escos leur coururent sus. Là ouït grant estor
et fort. Et lors messire Jehan d'Anselée et Edmond de
Glos firent leurs gens tous mettre à pié. Et coururent
sus les Anglois aux Escos et les mistrent à déconfiture.
Et s'en fuirent ceulx qui pourent eschapper en la
i. BezÎDCy Berwick.
32 CHROmQUfi
route de monseigneur Duglas et lui contèrent la force
que le prince a\oit. Âdonc se deslogerent les Escoz et
se mistrent en la frontière d'Escosse sur les destrois et
les entrées de leurs pais. Et le prince de Galles vint à
BezinCy laquelle cité il fist garnir de vitailles et rafres-
chir de gens d'armes^ et puis s'en retourna en sa terre.
En cest temps, le roy de Hongrie ala contre les Coi-
mins lesquelz estoient entrés en Grèce et degastoient
le pais, et n'y mettoient les Grecz nul remède. Icelui
roy de Hongrie se combati contre iceulx mescreans
Coimins oultre le fleuve du bras Saint Geoi^e et les
desconfist, si que lui et sa gent en occistrent bien
soixante cinq mil. Puis s'en retourna le dit roy de
Hongrye en son pais, et lui faillirent les Grecz de con-
venant qui lui avoient promis à rendre la cité de Cos-
tentinoble.
Jehan le roy de France fist une grant feste faire à
son palais à Paris et une grant assemblée de nobles.
Et à ceste feste dévoient estre les trois frères de Na-
varre. Et fut le roy à conseil au devant du disner. Au-
quel conseil fut le cardinal de Bouloingne, Pierres de
La Forest archevesque de Rouen et chancellier de
France, messire Jehan d'Artois conte d'Eu et le conte
de Tancarville et monseigneur Jacques de Bourbon.
En icellui conseil fut ordonné que en icellui jour au
disner seroient occis les trois frères de Navarre ^ Et
1. Notre chroniqueur est le seul qni parle de cet attentat projeté par
trahison ; il n'en est nullement question soit dans Froissart, soit dans
les Grandes chroniques de France. Cf. Froissart, liv. I, part. II, ch. xx,
p. 322. — Grandes chroniques, t. VI de Téd. in-8, p. 8-12 et p. 96 et
37. — Chronique latine de Guillaume de Nangis, éd. de Géraud, t. II,
p. 228 et 229.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 33
comme le conseil fut départi , par ung de ceulx qui
fut au conseil fut dit secrètement aux enfans de Na-
varre qu'ilz ne venissent au disner si chier comme ilz
amoient leurs vies. Lors s'en retournèrent hastive-
ment en leur hostel et firent armer leurs gens et s'en
vouloient aller. £t lors (ut dit en la court du roy Je*
han comme le roy de Navarre et ses frères s'en estoient
retournés et faisoient leurs gens armer. Donc envoia
le roy Jehan devers le roy de Navarre et ses frères
monseigneur Jaques de Bourbon. Et comme le roy
de Navarre le vist, si lui dit : « Cousin, je ne vous
cuidoie pas mortel ennemi. Et se vous ne venissies
comme, messagier, vous sceussies comme sont gentilz
hommes les enfans de Navarre. » Lors se partirent et
alerent à Evreux où là se départirent les trois frères,
ne onc puis ne iîirent ensembles. Le roy de Navarre se
tint garni à Evreux, et monseigneur Philippe ala en
Costentin pour assembler gens d'armes, et monsei-
gneur Louis de Navarre ala en Navarre.
Âpres ce, donna le roy Jehan à Charles son ainsné
filz la ducliié de Normendie. Et alors furent à acort
le roy de Navarre et monseigneur Philippe de Navarre
son frère au roy Jehan, et jurèrent paix l'un à l'autre
sur le corps de Nostre Seigneur Jhesu Crist consacré,
lequel fut parti en trois parties dont chacun ot sa part
et l'usa corporelment. Et lors vint le roy Jehan à
Rouen, et là vint à lui le roy de Navarre auquel le roy
de France Jehan fist très grant feste.
Apres ce, vint Charles duc de Normendie, ainsné
filz de Jehan roy de France, à Rouen, où il fut receu à
duc et à seigneur. Et avec lui vint le roy de Navarre,
le conte de Harecourt et des plus graàs barons de
3
34 CHRONIQUE
Normendie. Et là par le duc fut mandé à monseigneur
Godefroy de Harecourt et à autres nobles qu'ilz venis-
sent à Rouen pour lui faire liommaige de la terre qu*ilz
tenoient de lui en Normendie. Lequel Godefroy
manda au duc qu'il lui envoiast saufconduit et seurtë
de sauf aler et sauf venir et le garantir de tous arrestz
et encombriers. Et ainsi le fit le duc. Et lors vint à
Rouen monseigneur Godefroy de Harecourt pour faire
hommaige au duc. Et apporta de TEglise Nostre Dame
de Rouen la chartre aux Normans où sont contenus
les privilèges de Normendie. Laquelle chartre il ap-
porta sur sa teste pardevant le duc et dit oyant tous :
u Mon seigneur naturel, vecy la chartre des Normans.
En la fourme qu'il est contenu dedens s'il le vous
plaist à jurer et tenir, je suy tout prest de vous faire
hommaige. » Sur ces paroles, le conseil du duc de
Normendie voulust veoir et avoir la dicte chartre. Et
monseigneur Godefroy respondi que la dicte chartre il
avoit promis rendre et restablir présentement en la
dicte église et qu'il lui porteroit. Mais se copie ou vi-
dimus en voulloient, bien le pourroient avoir. Ainsi
se parti monseigneur Godefroy de Harecourt, sans
faire hommaige, de la court du duc et prinst congië
du duc, disant qu'il lui convenoit estre brief en sa
terre. Moult voulentiers l'escoutoit le duc parler et
grant plaisir eust eu qu'il fust demouré de sa retenue
de son conseil pour le très grant sens de lui K
L'an de Tincarnacion Nostre Seigneur Jhesu Crist
mil trois cens cinquante six, tint son parlement Charles
i. Tous cet curieux détails, qui retracent d*une manière si saisissante
la lutte de la grande féodalité , de IVsprit aristocratique et prorincial
personnifié par Godefroi de Uarcourt contre ie pouToir royal représenté
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 35
duc de Normendie à Rouen. Et à ce parlement fu le
roy de Navarre, le conte de Harecourt, le sire de Gra-
villci le sire de Clere, le sire de Preaulx, monseigneur
du Bec Thomas, le sire de Toumebu, le sire de La
Ferté, le sire de Berreville, monseigneur de BuiviUe le
bon chevalier qui fit le beau coup d'armes en Turquie,
Car il fendi ou couppa et trencha ung Turq tout au
long parmy devant le roy de Cypre. Et aussi furent à
cest parlement le sire de Friquans, le sire de Braque-
mont, le sire de Blainville, le sire de Saincte Beuve,
monseigneur de Houdetot, maistre des arbalestriers, et
la greigneur partie des chevaliers de nom de Normen-
die, et le maire de Rouen qui avoit nom sire Jehan
Mustel et plusieurs des plus suffjsans et notables bour-
gojs de la dicte cité de Rouen.
Monseigneur Godefroy vint assez près de Rouen
pour estreà icellui parlement; mais onc n*y voult ve-
nir sans le sauf conduit du roy Jehan et du duc Charles
son filz, car moult se doubtoit d'encombrier. Et par
icellui par qui il mandoit le sauf conduit il mandoit à
son nepveu le conte de Harecourt que, toutes choses
laissies, il venist parler à lui. Ainsi comme l'escuier de
monseigneur Godefroy vint au chastel de Rouen, le
conseil estoit continué à Tendemain. Lors vint l'escuier
de monseigneur Godefroy au conte et lui dist ce que
son oncle lui mandoit. Adonc demanda le conte de
Harecourt ses chevaulx pour partir du chastel. Et lors
vint à lui Robert de Lorris, lequel lui dist : a Sire,
monseigneur le duc n'atent fors que vous à disner. j»
par Charies, duc de Normandie, ces détails ne se trouTent que dans notre
chronique. Cf. HUtoire de Rouem pendant t époque communaU, par M. Ch^
roel, t.n, p. 173, 174 et 175.
36 CHRONIQUE
Et brief il lui osta son mantel et donc renvoia le de-
vant dit escuierV Et lors assistrent à disner monsei-
gneur le duc, le roy de Navarre, le conte d'Estampes,
le conte de Harecourt, le sire de Graville en une table,
et par les autres tables les autres barons, chevaliers et
bourgois. Et comme ilz furent en my le disner, le roy
Jehan entra eu chastel de Rouen par la porte des
champs et vint au disner, avec lui le conte Jehan d'Ar-
tois et Jehan de Meleun, conte de Tancarville, et le
mereschal d'Ândrehen o plusieurs gens d'armes. Et
lors ouy la frainte le chancellier de Navarre, lequel
s'en yssy hors de Rouen et trouva ledit escuier de
monseigneur Godefroy. Et doncala à lui et lui compta
comme le roy Jehan estoit soudainement venu et entre
eu chastel de Rouen. Lors dist monseigneur Godefroy :
a J'en pensoye bien autant. » Et donc s'en partirent
errant et s'en allèrent en Costentin.
Le roy Jehan entra en la salle du chastel de Rouen et
vinst en la table de son filz et là prinst de sa main
le conte de Harecourt, et le roy de Navarre fist prendre
et mettre en prison et le dit conte de Harecourt, le
sire de Graville et ung chevalier nommé Maubue de
Menesmares et ung escuier nommé Colinet Doublet,
et à yces quatre fist trencher les testes dehors le chastel
de Rouen. Et puis furent penduz au gibet l'an mil trois
cens cinquante six, le jour de la saint Ambroise. Et
ainçois qu'ilz fussent mis hors du chastel pour les de-
cappiter, le roy Jehan se saizy de toutes les clefz des
portes de la cité et les fist toutes fermer. Et avec tout
1 . Ces intéressants préliminaires de l'attentat du 5 arril 1356 ne nous
sont révélés que par notre chronique.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 37
ce fit dire par les rues que chacun fermast son huis et
que nul ne yssist hors de son hostel.
Apres ce fait, se parti le roy Jehan de Rouen et ala au
Pont de l'Arche. Et là vint à lui le prevost des mar-
chans de Paris à cinq cens hommes d'armes. Puis ala
le roy Jehan à Paris, et le roy de Navarre fut mené en
prison à Paris et puis au chastel de Gaillart jouxte An-
deli et puis à Crevecuer. Moult fiit blâmé le roy Jehan
de l'occision des diz seigneurs et moult en fut en la
malivolence des nobles et de son peuple et par espe-
cial de ceulx de Normendie.
Apres ce fait, le roy Jehan fit banir monseigneur
Godefroy de Harecourt en Costentin et ailiieurs de
tout le royaume de France comme murdrier en faus-
seté. Et lors monseigneur Philippe de Navarre et le
dit monseigneur Godefroy de Harecourt envolèrent
defïier le roy Jehan et lui rendirent leurs hommai-
ges. La terre du conte de Harecourt fut toute prinse
en la main du roy Jehan et fut moult requise au roy.
Et donc conseilla le duc de Bourbon au roy Jehan que
la terre dudit conte ne fut par lui à aucun donnée ne
des autres par semblable manière. Car il sembleroit
que pour cause de leurs terres les eust fait mourir. Et
donc par le conseil du duc de Bourbon ne fu pas la
terre du conte donnée ; maiz la terre du sire de Gra-
ville donna à monseigneur Jehan Martel qui puis la
rendi à l'oir de Graville.
Jehan roy de France fit mettre siège devant la cité
d'Evreux par monseigneur Jehan Martel, monseigneur
le Baudrain de la Heuse, amiral de France, monsei-
gneur Jehan Sonnain avec le Besgue de Villainnes.
Lesquelz prindrent le bourc, et là ouït grant assault et
38 CHROIVIQUE
grant escarmuche de Françoiz et de Navarrois, et fu-
rent là longuement assiégés.
Les Navarrois du chastel boutèrent le feu en la cité
es maisons devant le chastel, et sailli le feu en la mère
église de Nostre Dame. Et adonc entrèrent les Fran-
çois en la cité et la pillèrent. Ung souldoier que l'en
appelloit Jehan de Courourdain pilla Teglise de Nostre
Dame d'Evreux, car onc François n'y voult faire vio-
lence. Et en la fin en ouït tel mérite qu'il en fut pendu
à un gibet en Bourgoingne.
Par le commandement du rov Jehan, alerent au
Ponteaudemer monseigneur Robert de Houdetot,
maistre des arbalestriers du royaume de France, le
seneschal d'Eu, le sire de Villequier, monseigneur de
Plennes et grant foison de gens d'armes et d'arba-
lestriers et pavoisiens. Et y firent les François moult
d'escarmuches. Et fit le dit monseigneur de Houdetot
asseoir myneeu dit chastel.
Et ce durant, monseigneur Philippe de Navarre, qui
tant fut en son vivant amé de gens d'armes, après ce
qu'il ouït rendu son hommaige et defïîé le roy de
France comme gentilz homs doibt, il passa en Angle-
terre. Et là fu moult joyeusement receu de Edouart
roy d'Angleterre et de Edouart son fîlz prince de Galles.
Et là prinst le dit monseigneur Philippe l'aliance du
dit roy et de son dit filz et du duc Henry de Lenquas-
tre qui en sa propre personne vint en l'aide du dit
monseigneur Philippe de Navarre.
Quant monseigneur Philippe de Navaire ouït l'a-
liance et la bonne amour du roy Edouart qui lui aida
de grant nombre de gens d'armes à son congié, le dict
monseigneur Philippe et Henry duc de Lencastre se de-
DES QUATRE PREMERS VALOIS. 39
partirent o leurs gens et arrivèrent en Costentin où là
assemblèrent les garnisons englesches tant de Bretain-
gne que deNormendie, comme monseigneur Godefroy
de Harecourt, monseigneur Robert CanoUe, chiefdes
Anglois de Bretaingne, et grant foison de bons cheva-
liers et escuiers et de bons servans. Et fit scavoir
monseigneur Philippe de Navarre à tous les cappi-
taines des fors du roy de Navarre son frère que bien
et hardiement se deffendissent, car il les venoit se-
courre à vingt mille combatans.
Au Ponteaudemer en vint ung messagier qui estoit
maistre de nef de mer et estoit Costentinois. Et s'en
vint entre les arbalestriers et demanda se ceuk de
Rouen estoient là pour plus couvertement faire son
fait. Car il avoit plusieurs fois en sa nef admené mar-
chandise à Rouen. Ceulx de Tost lui distrent qu*ilz
n'estoient pas à ce siège et qu'ilz estoient à Evreux.
Et fut prins par souppeçon et enquis, et trouva l'en
sur lui les lettres qu'il portoit de par monseigneur
Philippe de Navarre. Pour quoy le dit messagier fut
decappite et escartelé, puis fut pendu devant le
chastel.
Le siège durant, furent envoies par le roy de France
pour enforchier le siège au Ponteaudemer monseigneur
Louis de Harecourt, monseigneur Robert de Gère-
mont, le Baudrain de la Heuse, amiral de France,
monseigneur d'Angerville et grant routes de gens
d'armes. Mais ains qu'ilz fussent venus au Ponteau-
demer, s'estoit parti du siège le maistre des arbales-
triersi lequel raconta ans dicts seigneurs la venue
et l'effors de monseigneur Philippe de Navarre qui
venoit pour lever le siège des François. Et lors retour-
40 CHRONIQUE
nerent tous à Rouen et contèrent au duc de Normendie
la venue de ses ennemis.
Et brief temps après le deslogement du dit siège,
vindrent monseigneur Philippe de Navarre et le dit
duc de Lencastre au Ponteaudemer et garnirent le
chastel de gens d'armes et de vivres et de ce que mes-
tier estoit à guerre souffrir. Et aussi firent ilz les autres
chasteaulx. Puis chevauchèrent le dit duc de Lencastre
et le dit monseigneur Philippe de Navarre o leur ost
en Perche, et là prindrent la ville de Vernueil. Laquelle
fut prinse par force d'assault. Et là se contint très
vassaument Philippe de Navarre, car il estoit eu pre-
mier front de la bataille eu lieu par lequel la ville fut
prinse. Et se combatoit main à main à ceulx de la
ville. Et par le cueur qu'il donna aux gens d'armes
prindrent ilz par force la ville et pillèrent. Là out
maint proudons occiz et detrenchié. Grant douleur et
grant pitié estoit de veoir les femmes de la ville de la
douleur qu'ilz menoient. Et pour ce firent commander
le duc de Lencastre et monseigneur Philippe de Na-
varre que nul ne leur meffaist. Trop grant trésor et
trop grant richesses gaingnerent en la tour de Vernueil
quant ilz la pristrent.
Jehan roy de France fut moult en grant* de com-
batre et desconfire ses ennemis et assembla très grant
host, Charles son ainsné filz, duc de Normendie et
daufin de Vienne, le duc de Bourbon, le duc d'Athè-
nes, le conte de Saint Pol, monseigneur Jehan d'Ar-
tois, conte d'Eu, monseigneur Charles d'Artois son
frère, à qui le dit roy Jehan avoit donnée la conté de
I. Sout-ent. : ciësir.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 4i
Longueville, le conte de Tancarville, le conte Damp-
martin, le conte de Rony, monseigneur Ix>uis de Ha-
recourt, monseigneur le mareschal de Cleremont,
monseigneur Robert de Cleremont, monseigneur
Adam de Meullent, monseigneur de Berreville, mon-
seigneur Jehan de Graville seigneur de Plennes, mon-
seigneur Jehan Martel, monseigneur Guillaume Martel,
monseigneur de La Ferté, monseigneur Amaury de
Meullent, monseigneur de Montmorensi, monseigneur
le Baudrain de la Heuze » amiral de France, monsei-
gneur Robert de Houdetot, maistre des arbalestriers,
et grant quantité de autres chevaliers de Normendie.
Et en la bataille de monseigneur Moreau de Fien-
nés, connestable de France, estoient les barons de
Picardie, le mareschal d'Andrehen, monseigneur de
Chamy, monseigneur de Roye, monseigneur d'Aube-
gny, monseigneiu* Mahieu de Roye, monseigneur Raoul
de Reneval, monseigneur Hue de Chasteillon, le sire,
de Piquegny, le baron de Coucy, monseigneur En-
guerren de Hedinc, monseigneur de Saneuze, monsei-
gneur Amory, ung chevalier de Cypre lors cappitaine
de Beauvaiz et moult d'autres vaillans chevaliers et
escuiers. Et encoires avec ce estoient o le roy Jehan
des bonnes villes de Paris, de Rouen, d'Amiens et
d'autres cites du royaume de France des bourgois o
grant nombre de gens d'armes. De très grant harde-
ment et de très grant voulenté poursuy Jehan le roy
de France ses ennemis tant qu'il vint à Tuebeuf\ Dont
l'en veoit le feu que faisoient les dessus diz ennemis.
Et là cria l'en alarme en l'ost du roy de France, en
1. Tabomf, Ome, ar. Mortagne, c. Laigle.
42 CHRONIQUE
disant que monseigneur Philippe de Navarre et le duc
de Lencastre venoient o leur host sur le roy. Là fu-
rent les communes mises en ordonnance.
Monseigneur Godefroy de Harecourt, qui à mer-
veilles estoit sages de la guerre, envoia par coureurs
veoir Testât du roy. Et quant il lesceut, il conseilla au
duc de Lencastre et à monseigneur Philippe de Na-
varre qu'ilz retournassent en Costentin et qu*ilz ne
porroient contre le roy, considéré le grant nombre de
bonnes gens qu'il avoit. Et donc se deslogerent les
Anglois et s'en alerent en Costentin.
Le roy Jehan envoia ses coureurs à Laigle, lesquels
lui rapportèrent que ses ennemis s'en estoient partis.
Et lors le roy Jehan et son host vint assegier BreteuL
Et quant le siège fut mis à Bretueil par le roy Jehan ,
le Baudrain de la Heuse, amiral de France, monsei-
gneur Robert de Houdetot, maistre des arbalestriers,
monseigneur ie seneschal d'Eu, monseigneur Martin
de la Heuse, monseigneur Jehan Sonnain à bien mil
combatans alerent mettre siège à Couches et y livrèrent
de grans assaulx et de fors. Et s'i portèrent si bien et
tellement que le chastel leur fut rendu. Et le roy Je-
han le fit bien garnir de gens et de vivres.
En cest temps, vint une très grant guerre entre le
conte de Flandres et le frère de l'empereur, monsei-
gneur Vitelaux^, duc de Braban et de Luxembourg^ à
cause de la ville de Malines. Et s'esmurent lesFIamens
à si très grant nombre que l'en les estimoit et nom-
broit à bien deux cens mille piétons et quatre mille
hommes armés à cheval. Et vindrent les diz Flamens
i, Vitelanx, Wencetlai.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 43
o leur conte en Breban et vindrent devant la dicte
ville de Malines pour y mettre siège. Monseigneur Vi-
telauxy frère de l'empereur, qui tant estoit gentilz
homs y ouït avec lui grant foison de gens d'armes et
de gentilz hommes, le duc Aubert duc de Bavière, le
conte de Henault, Guillaume (ilz Louis de Bavière,
monseigneur Jacques de Bourbon, le prince de Julliers,
le conte de Mons, le conte de Guelles, le conte de
Vendemons, le conte de Sallebrusse^ et bien vingt
mille hommes armes. Donné fut en conseil au frère
de l'empereur qu'il se retraist, car les Flamens estoient
quinze contre ung et que c'estoit trop fort de combatre
contre tant de peuple, Et donc se parti monseigneur
Vitelaux de devant Malines. Et lors les Flamens prin-
drent la ville et Anvers et autres villes en Breban.
Haiz depuis monseignepr Vitelaux retourna en Bre*
ban et recouvra la gregnieur partie de sa terre.
Cy retourne la matière du roy Jehan qui estoit de-
vant Breteul. Lequel tenant son siège fit faire engins
et très asprement faisoit assaillir le chastel de Breteul.
Et merveilleusement se deffendoient bien ceulx du
chastel et en ourent grant los et grant pris. Car onc-
quez pour le très grant povoir du roy de France ne
firent ne monstrerent nul failli semblant -, mais fai-
soient souvent en l'ost du roy mainte saillie.
Les maistres de faire engins firent ung chat de fust
pour combatre à ceulx du chastel main à main par
dessusT les miu^. Mais les Navarrois, comme le dit en-
gin fut acosté aux murs de leur chastel, gettoient
gresses et feu encontre les Françoiz qui estoient de-
1. SâUebratte, Saarbnick.
t
44 CHRONIQUE
dens, et moult asprement assailloient ceulx duchastel.
Et tant firent par leur force que Tengin fut acosté aux
murs du dit chastel. En icellui estoient moult grant
foison de bonnes gens. Donc quelque les Françoiz
entendoient à entrer par le dit engin eu chastel de
Breteul , par les gresses et par la force du feu chey le
pont du dit engin et ung des estages. Et là ouït moult
des Françoiz blechiës et mors qui cheirent de Tengin.
Entre lesquelz il y ouït bien vingt des arbalestriers de
Rouen que blechiés que navrés et que mors et moult
d'autres.
Et après ce le roy Jehan , tenant encorres le si^
devant Breteul , fit venir son gendre Charles le roy
de Navarre, conte d'Evreux, pour ce que par lui
fussent rendus les chasteaux qu'il tenoit en Normen-
die. Le dit Charles, roy de Navarre , quant il fut là
venu, fit commandement que de ses chasteaulx vui-
dassent les cappitaines et que ses diz chasteaux lui
rendissent comme à leur droit seigneur roy de Na-
varre, conte d'Evreux. Les cappitaines lui respondi-
rent que, quant à présent, il n'estoit point roy de
Navarre, quant il n'estoit en son povoir et en sa
dominacion; mais à très excellent et noble prince
monseigneur Philippe de Navarre rendroient ilz les
chasteaux, quant ilz le verroient en son estât, car
ainsi de lui les tenoient et non autrement. Par ceste
fourme respondirent tous les cappitaines des chasteaux
du roy de Navarre. Et lors par le commandement du
roy Jehan fut remené le dit roy de Navarre plourant
en prison à Paris, avecques lui monseigneur Friquet
de Friquans et Gillet de Panthellu. Apres ce, de par le
roy Jehan de France furent envolés au Ponteaudemer
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 45
mettre le siège monseigneur le Baudrain de La Heuse,
amiral de France, et monseigneur Robert de Houde-
toty maistre des arbalestriers, à tout mille combatans.
Et firent roydement assaillir et miner le chastel. Mais
traictié fut fait des Navarrois aus diz François que par
aident fut rendu le fort chastel du Ponteaudemer en
la main du roy de France. Et les Navarrois o le leur,
par le sauf conduit du roy de France, s'en alerent en
Costentin où estoit monseigneur Philippe de Navarre.
En celle saison, Edouart roy d'Angleterre fit guerre
aux Escoz, et chevauca par Escosse son filz le prince
de Galles. Mais monseigneur Guillaume Duglas lui
garda les passages. Et là furent prinses les trêves
entre les Anglois et les Escos, et furent jurées par les
parties.
Puis après ces trêves, le roy Edouart d'Angleterre
envoia son ainsné filz le prince de Galles en Gascoin-
gne, lequel par mer vint à Bordeaux sur Gironde. Là
assembla grant foison de nobles hommes de Guienne,
les enfans de Larbret, monseigneur Edmond de Pom-
miers, le captai de Bucz, le conte de Montfort, mon-
seigneur Guillaume d'Anselée, monseigneur Jehan de
Pipes, monseigneur Jehan de Cbendos, monseigneur
Hue de Carvelley, monseigneur de Lusse et Emond
de Varvic. Adonc quant le prince ouït assemblé iceulx
de Guienne qui tenoient son parti, il courut sur la
terre du roy de France, gastant le pais. Et vint le
prince courant le royaume jusques à Poitiers et par
deçà. Le duc de Lencastre, monseigneur Philippe de
Navarre, monseigneur Martin de Navarre dit Requis et
Robin CanoUe partirent de Costentin pour adjouster
leur host à celui du prince et chevaucereut amont la
46 CHRONIQUE
rivière de Loire. Maiz oncquez ne poureut passer, car
tous les ponts furent rompus et bien gardez des Fran-
çois, si qu il les fallut retourner.
Quant le roy Jehan de France, qui encorres estoit
au si^e devant Breteul, sceut que le prince de Galles
couroit sa terre , il traicta au cappitaine de Breteul et
aux Navarrois par une somme d'argent qu'il leur
donna. Et si les fit conduire en Costentin, et ilz lui
rendirent le chastel de Breteul. Puis fit donner congië
le roy Jehan à ses communes de ses bonnes villes.
Dont ce fut folie à lui et à ceulx qui conseil lui eo
donnèrent, se disoient plusieurs.
Le pape Innocent (ut trop couroucié de la guerre
qui estoit entre les deux rois de France et d'Angle*
terre ; et pour mettre paix ou acord ou trêves en espe*
rance d'acort, il envoia en France deux cardinaulx en
legacion, c'est assavoir le cardinal de Pierregort et le
cardinal d'Ugel. Yces deux cardinaulx vindrent au roy
Jehan de France pour traictier de la paix première-
ment entre lui et le roy de Navarre. Maiz le roy Jehan
fut lors moult troublé pour le prince de Galles qui
couroit et ardoit son royaume, et de grant voulenté ala
en rencontre du prince pour le combatre et assembla
son host à Chartres.
Et une aventure vous conteray d'une demonstranoe
qui avint de la prinse du roy Jehan. Ung vavasseur
estoit des parties de Champaingne ou environ riches
souffisaument, et très preudons et dévot envers Dieu
estoit. Ung jour ce proudomme en ses champs estoit.
Cne voix horrible et espuan table lui dist qu'il alast
denonchier au roy de France Jehan qu'il ne se corn-
bâtit point contre nul de ses ennemis. De ceste aven-
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 47
ture fut le preudomme en graiit double et raconta sa
vision à son curé qui estoit preudons et de bonne vie.
Son curé lui dist qu'il jeunast par trois jours et qu'il
feist penitance et puis ralast au lieu où la voix avoit
parlé à lui. Ainsi le (ist le preudoms. Et de rechief la
voix lui dist : n Va au roy Jehan de France et lui di
qu'il ne combate ses ennemis. Et se tu n'y vas et fais
ce que je te dénonce, en douleur et en peine sera le
corps de toy. » — Le preudomme raconta à son curé
comme la voix lui ouït dit de rechief. Le dit curé
lexamina sur ce moult fort, puis lui dist : « Mon
frerCy moy et toy ferons astinence et jeûnerons eâcorres
par trois jours et si prieray nostre Seigneur Jhesu Crist
pour toy. » Ainsi le firent. Puis après le tiers jour, ala
le dit preudomme où la voix lui avoit aparu. Et lors
qu'il vint là, il vit une très grant clarté cheoir ou
descendre du ciel merveilleusement espuantable. Et
la yoix lui dit de rechief : « Se tu ne fais sans dilacion
oeque je te dénonce par lavoulenté du filz de Dieu pour
le proufBt du commun peuple, soudainnement et di-
versement mourras. » Et donc le preudomme dit apper-
tentent à son curé parrocbial comme il lui estoit ad-
venu. Lequel lui conseilla qu'il alast tantost son advi-
sien denonchier, puis que c'estoit par la voulenté de
Dieu. Le preudomme ala à la court du roy et mena
avec lui ung syen filz et demanda lequel l'en tenoit le
plus preudomme à la court du roy. Les gens de la court
l'escharnirent et moquèrent de lui aucuns entre les
autres. Ung preudomme qui servoit en la court vit le
dit bon homme et apercust bien que c'estoit ung bon
preudomme simple et sans malice et lui dit que, s'il
avoit mestier de conseil, qu'il se traist par devers l'o-
48 CHRONIQUE
mosnier du roy. Le dit bon homme vint à l'omosnier
du roy Jehan et lui dist qu U le feist parler au roy et
qu'il lui avoit à dire tel chose qu'il ne diroit fors au
roy. L'omosnier l'enquist tort qu'il lui deist ce qu'il
Youloit dire au roy. Mais le preudoms lui dist que ce
qu'il YOuloit denonchier, il ne le diroit fors au roy et
que c'estoit pour son bien et proufïit. Lors quant l'o-
mosnier vit que le preudomme ne voulloit dire ce
pour quoy il estoit venu à court, il ala au roy et lui
dit : (( Sire, il a ung preudomme céans qui me semble
proudons à sa manière et \ous veult dire une chose
laquelle il ne diroit fors à vous. » Le roy dit adonc à
l'omosnier et à son confesseur que de par lui ilz ouïs-
sent le preudomme auquel ilz dirent que le roy les
avoit commis à ouir le de ce qu'il voulloit dire au roy.
Et lui dit et monstra l'omosnier et le confesseur que
parler au roy il ne povoit, et que ce qu'il avoit à dire
au roy il leur povoit bien dire et que souventefToiz
oyent le roy de confession. Donc quant le preudomme
aperçut qu'il ne povoit parler au roy et qu'il vit et
congnut la discreccion de l'omosnier et du confesseur,
il leur dist son advision devant dicte. Et donc l'omos-
nier et le confesseur le noncerent au roy. Et le roy,
qui estoit homs de très grant courage plain, n'en tint
conte et dit que l'en donnast de l'aident au devant dit
preudomme. L'omosnier et le confesseur offrirent au
preudomme de l'argent, mais il ne voult riens prendre.
Et donc l'omosnier et le confesseur en furent merveil-
liés et bien congnurent que le preudomme estoit de
bon affaire et juste et bon envers Dieu. Et ainsi s'en
partit le bon preudomme.
Jehan le roy de France fut moult en grant désir de
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 49
oombatre et confondre ses ennemis et chevauca tant
contre le prince que parvint à la cite d'Europe ainsi
nommée et appellëe de très ancien temps et à présent
est nommée et appellée Poitiers. Et furent les Fran-
çoiz ordonnez de bataille, premièrement les mares-
chaulx, les gueldons et puis les gens dont le roy de
France avoit o lui grant foison et grant nombre.
Le prince de Galles, par le conseil des seigneurs
barons et chevalliers qiû o lui estoient, print une forte
place à venir combatre et se hourda de son caroy. Et
fit trois batailles dont la première fut d'archiers et y
mist monseigneur Hue de Karvellé, monseigneur
Emond de Warvych, monseigneur de Lusse, Nicole
Dagome, monseigneur Jehan de Pippes et monseigneur
Jehan Jouel.
En la seconde bataille du prince (îirent les Gas-
coings. Et en furent chiefz monseigneur de Larbret et
ses frères, monseigneur de Pommiers et monseigneur
Emond de Ponuniers^ le captai de Bucz et ceuk de
Bordeaux.
En la tierce bataille ouït le prince de Galles Edouart,
ainsné filz du roy Edouart d'Angleterre, prince de
Galles, comme dit est, seigneur d'Yrlande et d'Aqui-
taine, duc de Cornouaille, conte d'Exestre, avec lui
monseigneur Jehan de Montfort, monseigneur Guil-
laume d'Anselles et monseigneur Jehan de Chendos.
Le roy de France par ses mareschaux et son connes-
table, pour lors le duc d'Athenez, fit de sa gent quatre
batailles dont la première eurent ses diz mareschaux,
le mareschal de Qeremont et le mareschal d'André*
hen et monseigneur GuiefTroy de Chamy o leurs
gens.
4
M : . CHROIVIQUS
Et la fleocKide bataille ouït le dued'Orleatis, le conte
de BloUy l'evesque de Chalons, monseigneur Guil-
laume de Harecourt et moult très grant nombre de
chevaliers et escuiers.
La tierce bataille conduit Chaiiés ainsné filz du roy
Jehan de France, lequel Charles estoit duc de Nofw
mendie et daulphin de Vienne, avec lui la plus grant
partie des contes, barons, chevaliers et escuiers de
Normendie.
La quarte bataille mena Jehan le roy de Francoi
avec lui monseigneur Philippe son filz duc de Bout-
goingne, le duc de Bourbon, le duc d'Âthenez , mon-
seigneur Jehan d'Artois conte d'Eu, le conte de
Tancarville, monseigneur Adam de Meleun, Pierres
de La Forest archevesque de Rouen, Guillaume de
Meleun, archevesque de Sens, le conte de Longue-
ville, le conte de Ponthieu, le conte de Rogny, le
conte d'Aucerre, le conte de Sancerre, le conte
Darapraartin^ le conte de Vendôme, le conte de
Ventadour, le conte de Sallebrusse, le sire de Mont-
morency, le sire de Craon, le sire de Chasteiilon, le
sire de Hangest et plusieurs autres tant contes, barons
comme chevaliers et escuiers à très grant multitude.
Les cardinaulx vindrent là pour mettre paix et acort
entre le roy Jehan et le dit prince et alerent de l'un
host à Tautre. Et virent bien comme les Anglois et*
toient en forte place. Aussi monseigneur Guillaume
Duglas qui tenoit trêves aux Anglois fut avecques \eé
cardinaulx et dit au roy Jehan de France que ce sera
son domaige s*il combat le prince en la place qu'il a
pnnse.
Mais Jehan le roi de France fut si plain de grant
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. Si
courage et de hastive voulante qu'il dist qu'il ne lai-
roit pas fiiire les ennemis puis qu'il les avoit atains.
Adonc furent les coureurs du roy de France mis sus
les champs, et furent les coureurs le mareschal de
Qermont et le mareschal d'Andrehen. Et monsei-
gneur Guieffroy de Chamy chevauca en une bataille
pour les secourre, se besoing en estoit. Les dessus diz
mareschaux de France coururent par devant les ba-
tailles du prince et adviserent Testât, Tordonnance et
la convinne des Angloiz, puis retournèrent devers le
roy Jehan de France. Et dist le mareschal de Clermont
au roy que ce sera folie d'assaillir les Anglois où ilz
sont et que Ten se logast près d'eulx si que ilz ne se
peussent avitailler ; et lors quant ilz n'aroient vivres,
ilz partiroient de la place. Et donc lui dist le mares-
chal d'Andrehen : ce Mareschal de Cleremont, vous
estes espeiné de les veoir. » Alors dist le mareschal de
Cleremont à celui d'Andrehen : « Vous ne seres huy
n hardi que vous mettez le musel de vostre cheval au
cul du myen \ » Ices parolles s'entredistrent les deux
mareschaux devant le roy.
En ces entrefaittes, râlèrent les cardinaulx par de-
vers le prince pour scavoir s'ilz pourraient traictier
d'accort. Et dist le cardinal de Pierregort au dit prince
que le roy de France avoit si grant quantité de gens
qu'il seroit impossible chose que il ne les syens peus-
sent arrester à lui. Donc (ist ces ofRes le prince de
Galles au roy de France que, se il l'en voulloit laissier
retourner à Bordeaux paisiblement sans le combatre.
1. FroiflMrt , dans ton récit d'ailleors li complet et û pittorea({ae , n'a
jMi tteMÛMiné cet incident.
S2 CHRONIQUE
il lui rendroit Kalaiz et Guinnes et tous les chasteaulx
qui en son temps avoient esté conquis en Gascoingne
et autres choses. Geste oflre raporterent les cardinaux
au roy de France. Et n'en voult le roy riens escouter,
maiz dist aux cardinaux qu'ilz s*en alassent à Poitiers.
Adonc sonnèrent les araines en Tost du roy de
France pour aler combatre. Et alerent les batailles des
mareschaux premièrement assaillir les Angloiz en la
partie où estoient tes Gascoings. Et là ouït très grant
bataille aspre et dure, car les Françoiz assaîlloient très
aigrement. Adonc le prince de Galles fist yessir ses
archiers et vindrent hardiant les Françoiz et leur oc*
cistrent leur chevaulx. Et là fut grant Toccision sur les
chevaulx et sur les hommes, car les mareschaux de
France furent appressës en ung trespas. Et là prindrent
les gens des mareschaux à eulx retraire. Mais le ma-
reschal de Cleremont, qui fut courcië des paroles dictes
devant le roy, tint estât contre les Angloiz. Et donc le
captai de Buch o toute sa route et monseigneur Hue
de Karvelley lui coururent sus. Et là fut occiz le bon
mareschal de Cleremont, car onc ne se voult rendre.
Et en ceste bataille ouït moult de vaillans hommes
occiz et prins. Le mareschal d'Andrehen s'i porta
moult bien et hardiement, mais retraire l'estuet. Et
donc quant le roy Jehan sceut la mort du mareschal
de Cleremont, il commanda la seconde bataille pour
combattre, laquelle avoit son frère le duc d'Orliens et
vindrent combatre contre les Angloiz, lesquelz s'es-
toient retrais en leur place. Adonc les Aurlierïnois les
prindrent à assaillir moult hardiement , maiz à les as-
saillir se desrouterent. Donc monseigneur Hue de Kai*-
velley et monseigneur de Chendos et bien huit cens
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 53
hommes d^armes et deux mille archiers leur coururent
sus soudainement d'une part, et monseigneur de Lar-
bret et monseigneur Emond de Tautre. Et à brief
raconter les Françoiz ou Aurliennoiz furent desconfiz,
et s'en vint le duc en la bataille de son nepveu le duc
de Normendie.
Adonc ala combatre la bataille au duc de Normen-
die aux Anglois, et la vindrent assaillir les Anglois en
la dessus dicte place et les Gascons. Et là ouït la plus
merveilleuse bataille, la plus dure et la plus mortel
des antres, et grant occision ouït d'une part et d'autre.
Et fit aler le prince sa bataille sur la bataille au dit
duc de Normendie, et de sa bataille mist le dit prince
sept cens archiers armez derrière ses gens d'armes qui
tiroient enmy le viz des Normans, qui moult fort les
grevoit. Monseigneur Guillaume Duglas s'en vint au
roi Jehan et lui dit : « Sire, vous perdes les gens au-
jour d'huy . Car sachiez pour certain que la journée est
contre vous et pour voz ennemis. Se vous me voulles
croire, vous laisseres la bataille et vous logeres devant
voz ennemis. Et je vueil perdre la vie, se ainsi le
fiûctes, ilz se rendront à vostre mercy. Car ilz n*ont
que mengier et vostre host est plantureux de vivres et
si vous croistrout voz gens. Et je vous dy ce pour vos-
tre prouffit et non pour aultre chose. Car vous et les
haulz princes, contes et barons que voy peuvent bien
scavoir que je ne le dy pas pour peur. Car je ne me
peus armer contre les Angloiz, si en prenes conseil. »
Adonc respondi le roy Jehan au gouverneur d' Escosse,
puis qu'il avoit ses ennemis au visaige et qu'il les veoit
si près de lui, que, se Dieu plaisoit, ja ne leur refuse-
roit de bataille. Et commanda lors à ceulx de sa ba-
54 CHRONIQUE
taille gaingnier les destrois sur ses enuemis. Et donc
passèrent une partie de ceulx de sa bataille les diz
destrois. Mais alors fut la bataille au duc de Normen-
die prez de la bataille du prince et de toutes ses deux
autres batailles , lesquelles est oient toutes ensembles
sur la bataille au dit duc de Normendie et des Nor*
mans tant qu'ilz la firent reculer et qu'ilz s'en retrai-
rent en la bataille du roy. Moult estoit merveilleuse
chose et espuantable à ouir la frainte des chevaulx,
les criz des blechiés, le son des araynes, des clerons
et des criz des enseingnes. La frainte et la noise estoit
ouye de plus de trois lieues loing. Et moult estoit
grant douleur à veoir et regarder que la fleur de toute
noblesse et chevalerie du monde se mettoit ainsi à des-
truccioUy à mort et à martire tant d'une part que d'au-
tre. Jehan roy de France qui moult estoit plain de grant
hardement et de très grant courage, «adrecha alors sa
bataille à celle du prince de Galles. Mais ainçoiz corn-
mania à Charles sou filz duc de Normendie qu'il se
meist en sa personne en l'arrieregarde avec la per-
sonne du duc d'Orléans o une partie de leurs gens
avecques ceulx de l'arrieregarde, et tout ce fut or-
donné par conseil. Puis chevauca le roy Jehan sur
ses ennemis. Et lors se retraistrent les Angloiz tous en
leur place et se mistrent en leur première ordonnance,
car ilz cuidoient avoir eu victoire. Et lors les Fran-
çoiz assaillirent les Angloiz en leur place, et là fut
merveilleuse bataille et aspre. Le prince fist yessir par
unes vignes monseigneur Hue de Karvelley et mon-
seigneur Jehan de Chendos o mille archiers et cinq
cens combatans. Donc les archers prinstrent de tra-
vers les Françoiz à traire, et par de costé fut la bataille
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. W
à ceuk de Gaëcoingne où les enfans de Larbret et le
oaptal de Buch et moaseignenr Emond de Pommiers
estoient. Iceulx cy o leurs gens Gascons assaillirent la
bataille du roy en front devant, et le prince o toute
sa bataille assembla à celle du roy. Et entre une car<»
riere et unes vignes en forclostrent le roy o toute sa
bataille.
Là fut merveilleuse, horrible et espoventaUe la
bataille et mortel. Là se combatoient Francoiz très
vassaument ; Angiois et Gascons s'i portoient bien à
Dierveilles. Le roy Jehan fut en front de ses ennemis où
il se combatoit trop hardiement, de coste lui le duc
d'Athènes et le duc de Bourbon, lesquelz devant le
roy furent occiz. Et donc vint ung Angloiz frère à
Tevesque de NicoUe % lequel prinst le roy Jehan par
le frain. Lors monseigneur Guieffroy de Chamy, qui
de ce ouït grant yre que au plus noble roy du monde
il avoit mis la main, si feri le dit Angiois d'une hasche
de tel vertu que il par devant le roy l'abati mort aux
piez du roy. Et en celle empain te furent mors et occiz
devant le roy le dit monseigneur Guieffroy de Chamy,
monseigneur Haubert de Hangest, monseigneur Jehan
Martel et grant foison de très grans seigneurs et no-
bles hommes.
Va lors à celle très grande empainte que les Angiois
et Gascons firent, s'en fuirent moult de gens de la ba*
taille au roy Jehan. Et donc conseillèrent au roy mon-
seigneur Jehan d'Artoiz conte d'Eu et le conte de
Tancarville qu'il partist de la bataille, et ilz mainten-
droient Festour et la bataille tant qu'il fust eslonguié
1. indiol», liacQln.
i
56 CHRONKIOB
de ses ennemis. Et le roy Jehan leur respondi que ja
ne s'en fuiroit, mais tendroit place tant qu'il pourrait
contre ses ennemis et adversaires.
Le prince de Galles aperçut bien comme les Fran«
çoiz tournoient à desconfiture; si commanda ses
grelles à sonner ses clerons ou ses araines pour sa gent
resbaudir. Et lors ferirent tous ceulx des batailles au
prince sur la bataille au roy de France. Et le caplal
de Bucb adreça sa bataille droit au roy et fit tant par
armes qu'ilz abatirent les banieres au roy de France.
Adonc quant les Françoiz qui u'avoient mais nulles
enseingnes virent que leurs banieres estoient abatues,
moult s*en prindrent à fuire. Mais le bon roy deraoura
en champ viguereusement combatant et fut de coup
d'epée navré en viaire. Maiz la bataille lui fut si con-
traire que par force fîit prins le dit roy Jehan de
France , monseigneur Philippe de France son filz, le
conte d'Eu, le conte de Longueville, le conte de Tan-
carviUe, le conte de Ponthieu, le conte de Rony, le
conte d'Aucerre, le conte de Sancerre, le conte Damp-
martin, le conte de Vantadour, le conte de Sallebrusse,
le conte de Yendosme, le sire de Craon, le mareschal
d'Andrehen, le sire de Derval, le sire d'Aubegny et
plusieurs autres. Et merveilleuse quantité tant ducs,
contes, barons y chevaliers, escuiers et bons ser-
vans furent mors en la dicte bataille. Dont ce fut
grant douleur, grant pitié et grant domaige irrépa-
rable.
Ains que le roy fut prins, quant il aperçut que la
bataille estoit doubteuse, il manda à son ainsné filz
Charles duc de Normendie que, sur quanque il amoit
et doubtoit, il se relraist à Poitiers, combien que
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 57
moult envys le feist. Mais il convinst qu'il obeist à
son père, comme raison estoit.
Bien merveilleuse chose fut de ceste bataille , car
le roi Jehan de France avoit o lui, comme aucuns
dient, bien cinquante mille hommes d'armes, dont il
y avoit vingt quatre, que ducz, que contes et bien
plus de trois cens banieres. Et en l'ost de Edouart,
ainsné filz de Edouart roy d'Angleterre, prince de
Galles, seigneur d'Irlande et d'Aquitaine, duc de Cor-
nouailleet conte d'Excestre, estoient deux mille hom-
mes d'armes à cheval, six mille archiers et quatre
mille hommes de pié. Et fut ceste bataille le xix* jour
de septembre, l'an mil trois- cens cinquante six.
Quant le roy Jehan fut prins, qui poult eschapper
si eschappa. Entre ceulx qui fuioient l'evesque Sam-
nau s'en fuioit. Ung charetier l'aperçust et au passer
ung fossé il le tua pour ce qu'il ne lui avait voulu
passer une lettre pour les preneurs du roy. Les An-
gloîs et Gascons ne firent long enchaux , car le prince
fit retourner sa gent et restraindre, puis vint au roy
Jehan de France et le fit desarmer, puis le mena en
son pavillon et lui fit très grant honneur. Les gens du
prince venoient au roy et lui faisoient la révérence,
maiz pou de conte il en faisoit et tenoit. Et quelque
le roy estoit avecques le prince, coururent les Anglois
et les Gascons es tentez du roy de France où ilz con-
queslerent tant grans richesses que c'est chose innom-
brable avec grant foison de prisonniers.
Le prince, après sa très grande et noble victoire,
ioelle propre nuyt se loga au propre lieu où la bataille
ouït esté, et souppa avec lui le roy Jehan de France.
Et lui dit le prince ces paroles : « Beau cousin , se
58 CHRONIQUE
VOUS m'eussiez prins comme la mercy Dieu j*ay vous^
que feissiez vous de moy ? m A ce ne respondi riens le
roy. Et donc ne lui en parla plus le prince, car pas ne
vouUoit son cousin plus courchier qu'il esloit.
Apres le deuxiesme jour que le prince ouït eu vio^.
toirCy il se desloga et vint à tout son host en ordon-*»
nance de bataille devant Poitiers. Maiz il eust conseil
qu'il retoumast et s'en ralast à Bordeaulx. Et il si fist
et en emmena o lui le roy Jehan de France. Et là fit
l'en au dit roy Jehan grant révérence en la dicte,
ville de Bordeaulx, maiz il n'en tenoit pas grant
compte.
On raconte cy du duc de Lencastre que, quant il ne
poult adjouster son host avec celui du prince, il ala
mettre le siège devant Renés en Bretaingne. Et là vint
à lui le conte de Montfort pour qui il a voit empris le
siège et y tint le siège l'espace d'ung an ou environ.
Charles ainsné filz du roy Jehan de France, duc
de Normendie et daulphin de Vienne , après la for-
tunée prinse du roy de France son père, vint à Paris»
Et là manda tçus les prelas, les nobles, ce qu'il en
poult finer, et des notables bourgois des bonnes villes
de France, pour remédier en l'aflaire de la prinse du
roy son père. Et à icellui parlement furent pour lors
les plus puissans du royaume. Et là monstra le conseil
du roy et de son filz le duc de Normendie aus dessus
diz prelas, nobles et bourgois qu'ilz se avisassent sur
le fait de la négoce du royaume. Les diz prelas, no-
bles et bourgois distrent qu'ilz se conseilleroient,
et ce qu'ilz trou veroient à faire au prouffit du roy et de
sa délivrance ilz rapporteroient. Et lois Airent com-
menchiës les trois estas.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 59
Les diz trois estas furent à* conseil pour le fait du
royauine ., et eurent les diz trois estas une mesniez
consideiacion chacun par soy, laquelle ilz s'entredis-
trent. Et puis parla de par les diz trois estas maistre
Jehan le Coq evesque de Laon et dist au duc de Nor-
mendie : « Très redoubté seigneur, les trois estas du
royaume. Testât de Teglise, Testât des nobles et Testât
des bourgoiz ont eu adviz sur Testât du bien commun
et de la délivrance du roy vostre père, nostre droit
et souverain seigneur. Sur quoy ilz ont délibère que
c'est le proufBt du royaume que toutes imposicions
choient et toutes nouvelles subvencions. Car par les
maleiçous qui en sont encourues a esté une cause en
partie de la prinse du roy.
Item, les desus diz estas ont délibéré qu'il coure
forte monnoye en vostre pais de Normendie et Dal-
phinë et eu royaume du roy vostre père. Item, ce fait
et accompli, ilz vous feront trente mille hommes
d*armes à délivrer le roy nostre seigneur. Item, les
diz trois estas ont délibéré que tous les officiers du
roy vostre père rendent compte de ce qu'ilz ont reçeu
et gouverné ; et s'aucun a mal fait, qu'il en soit pu-
gny.n Bon commencement eurent, mais mal fînerent.
La voye que les diz trois estas avoient ordonnée
desplut moult au conseil du roy et du duc; mais les
diz trois estas vouldrent acomplir ce qu'ilz avoient
empris. De leur auctorité firent faire monnoye, la-
quelle fut bonne et de bon aloy. Pour lors vint Char-
les de Blois à Paris pour avoir secours à lever le siège
de Renés. Mais il failli pour la discordance qui fu en-
tre le conseil du roy et du duc et des trois estas. Et
pour la cause des subvencions abatre par especial.
60 CHRONIQUE
les bonnes villes vouidrent maintenir et soustenir Tor-
donnance des trois estas de ce qu'ilz avoient mis sus.
Et fut le souverain d'icellui fait le prevost des mar-
cbaus de Paris et par conséquent aucuns prelas, au-
cuns nobles et bourgoiz aussi. Et firent maint consille
à Paris et approchèrent les officiers de rendre compte,
et par paour d'eulx s'en fuirent aucuns qui estoient
moult puissans bors du royaume.
En cest temps que les trois estas avoient emprins
le gouvernement du royaume , monseigneur Pbilippe
de Navarre fit une armée très grant et vint jusquez
devant Paris. Et pour lors estoit son frère le roy de
Navarre en prison eu cbastel de Crevecueur en Pi*
cardie. Monseigneur Pbilippe de Navarre , qui avoit
grant nombre de gens d'armes prez de Paris, manda
au duc de Normendie bataille et qu'il Tattendroit là
où il estoit. Puis aprez il escript aux trois estas lettres
aimables et doulces paroles \ et qu'il estoit en leur
commandement et obéissance et que, toutes foisqu'ilz
auroient besoin , ils les aideroit et secourroit envers
tous ceulx qui leur seroient en nuysance , et si leur
prioit qu'ilz voulsissent mettre peine à la délivrance
de son frère le roy de Navarre. Moult plust aux prin-
cipaulx des trois estas le mandement de monseigneur
Pbilippe de Navarre , et lui rescrirent que à leur po-
voir aideroient à acomplir ce que il leur requeroit. Et
atant s'en parti monseigneur Pbilippe de Navarre et
s'en retourna o ses gens en Costentin.
i. Cette lettre, adressée aux États par Philippe de NaTarre, cet
aTauces qa*il leur fit sont autant de renseignements précieux qui ont
échappé à tous les historiens tant que notre chronique est restée in-
connue.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 61
Par l'ordonnaDce des souverains des trois estas,
Fevesque de Laon et le prevost des marchans de Paris,
furent envoyés certainnes gens par les dessus diz, les-
quelz délivrèrent le roi de Navarre et vindrent au
chastel de Crevecueur ^ Et là estoit Pierres Gilles
bourgois de Paris o plusieurs autres qui par force
rompirent les portes et huys du dit chastel et en mis-
trent hors le roy de Navarre, lequel ilz amenoient jus-
ques à Amyens. Et là vindrent le sire de Piquegny et
Charles Troussac de Paris et moult d'autres. En la
dté d'Amiens fut le dit roy de Navarre joyeusement
receUy et là prescha au peuple le dit roy de Navarre de
très douces paroles en se complaingnant à eulx des
adversités qu'il avait eues es prisons. Et moult l'eurent
agréable moult de gens tant prelas, nobles et citoiens
des bonnes villes, et estoit acompaignié de moult
haulz hommes.
En la nuit que le dit roy de Navarre fut délivré et
mis hors de prison, il avoit au Pontheaudemer grant
gamiscMi de gens d'armes françoiz. Icelle nuit les An-
glob entrèrent en la ville et y boutèrent le feu de plu-
sieurs pars. Là ouït grant bataille par devers la ville et
moult viguereusement se deffendirent les Françoiz.
Les mareschaux du duc de Normendie , monseigneur
Jehan Le Bigot, monseigneur Nicole Marcdargent,
monseigneur Martin de la Heuse, filz du Baudrain,
monseigneur Mathieu de Pommereul et moult de bons
chevaliers et escuiers se retraistrent en une maison
en la ville. Et iceulx nobles hommes moult grande-
i. n y a ici une enear. Au moment de ta déliTranoey le roi de Na-
nm n était plos à GrèreGoar; il ayait été trantCM à Arleoz.
62 CHRONIQUE
ment se defTendirent contre les Angloiz. Monseigneur
Jehan Jouel, Poulehay et Pippes, qui estoient chie£t
des Angloiz, livrèrent trop grans assaulx aus diz Fran-
çoizy et firent bouter le feu en la maison de toutes
pars tant qu'ilz la firent embraser en plusieurs lieux.
Si que les Françoiz ne pourrent la fumée souffrir, et
convint qu'ilz se rendissent aux Ângloiz par certaine
somme d'argent qui fut nombrée.
Quant les Angloiz eurent pilli^ le Ponteaudemer^
ilz boutèrent le feu en la ville et puis s'en partirent,
et firent une grande course par Normendie, et prin*
drent moult de prisonniers eu dit pais. Les Angloiz
qui estoient partis de Mgr Philippe de Navarre, le*
quel ne vouloit pas alors personnelment guerroier,
iceulx Angloiz à une route où ilz estoient bien six cens
combatans, s'en vindrent à Honnefleu en la fin de
Seyne et prindrent la ville et la pillèrent. Et si prin*
drent ceulx de la ville excepté ung pou qui eschappe-
rent en nefe et vaisseaulx qui s'en fuirent à Harefleu
et moult s'en noierent. Moult fut le pais troublé de la
prinse de Honnefleu pour l'empeschement de la ri-
vière de Seyne qui gouverne le royaume en la plus
noble et puissant partie.
Les nouvelles en furent tantost espanduez, et en-
voierent ceulx de Rouen au duc pour avoir secours et
aide. Adonc fut trop grant discordance entre le duc
de Normendie et son conseil contre les trois estas»
Car pour lors n'avoit le duc point de finance, car les
diz trois estas avoient la gouvernance des bonnes
villes et du peuple. Et lors monseigneur Robert de
Cleremont, de par le duc, et monseigneur Louis |de
Harecourt, de par le pais de Normendie, alereni à
DES QUATRE PREIHERS VALOIS. 63
Rouen, et là assemblèrent les gens d'armes, et fi-
rent là deux armées. La première fut par la rivière
en laquelle furent les arbalestriers de Rouen, de
Harefleu, de l'Eure, de Moustiervilliers et de la coste
de la mer depuis le chief de Caux jusques à Dyepe.
Et avecquez iceuU envoia le prevost des marchans
souldoiers. Ceulx qui alerent par la rivière de Seyne
vindrent devant Honnefleu, et là gardèrent la riviei*e
contre les Angloiz. Monseigneur Louis de Harecourt
et monseigneur Robert de Cleremont, o grant nombre
de gens d'armes , et avec eulx des bourgois de Rouen
deux cens glaives fournis, vindrent et chevaucerent
devant Honnefleu par la terre. Et comme ceulx qui
estoient en la rivière virent Tost de la terre, ilz vin-<^
drent assaillir par leur navire viguereusement les An-
gloiz, et cuidoient que ceulx de la terre feissent ainsi.
Et assaillirent ceulx des vaisseaulx tant longuement
que la mer se retraist. Et en demoura aucuns de leurs
vaisseaulx assec qui par les Anglois furent ars, et ceulx
de dedens mis à mort par les diz Angloiz, voiant
ceux de la terre.
Par le commandement de Mgr Robert de Cleremont
se logèrent ceulx de la terre devant Honnefleu, et y
livrèrent ung grant assault, et alerent les gens d'armes
par les fossez combatre aux Angloiz. Par son barde*
ment fut là occiz Mgr de Pommiers. Tout le jour dura
l'assault, et lors furent sonnées les retraictes, et se re*
trairent ceulx de la terre en leurs logeis.
Icelle nuit aussi comme au premier somme, issirent
les Anglois de Honnefleu et vindrent bouter le feu es
logeiz de l'ost. Dont les François furent moult ef-
fraies, et aussi unes npuvellez vindrent en leur host
64 CHRONIQUE
que Mgr Philippe de Navarre venoit secourre Honne-
fleu. Et lors se parti le sire de Preaulx de Tost, lequel
s'en vint devers Mgr le duc de N or mendie^ et ep mur-
mura l'eo grandement sur luy. Puis tantost se deslc^
l'ost de la terre de devant Honnefleu, et après ceulx
de la rivière exceptes ceulx de Harefleu et de l*Eure
qui y demourerent pour garder la rivière. Moult &i»
soient grans huées les Angloiz de Honnefleu sur les
Françoiz au deslogier et crioient : iv Âlez vous en,
Jacques Bonhomme , reposer, ou , se vous n'y alez ,
tost nous vous y ferons aler. »
Cy après raconte comme, aprez ce que le roy de
Navarre fut délivré de prison, il s'en vint à Paris moult
grandement accompagnié de nobles hommes comme
monseigneur de Coussi, monseigneur l'eritier de Hare-
court, monseigneur de Piquegny, monseigneur Âmaury
de Meullent, monseigneur du Melle, monseigneur de
Préaux, l'eritier de Graville, le vicomte de Kesnes,
monseigneur de Saquanville , monseigneur de Rony,
monseigneur d'Âraines, monseigneur de Tournebut,
monseigneur de Clere, monseigneur Robert et mon-
seigneur Guillaume de Graville , et monseigneur Re-
gnault de Braquemont et moult d'autres nobles hom-
mes clers et bourgois. Le prevost des marchans de
Paris o grant quantité de bourgoiz ala au devant de
lui à sa venue. Et fut receu le dit roy de Navarre à
Paris comme s'il feust seigneur de la cité et y délivra
les prisonniers à sa bien venue. Et puis il prescha au
peuple au Pré aux Clers et se complainst à eulx de sa
prinse et comme en prison il avoit esté villainement
tenu, lui qui estolt roy couronné et si très noble
comme de la droite lignée royal de France. Et là se
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 65
adjoustereot à lui les gouverneurs des trois estas et
firent ensemble aliances jurées.
Âprez ce, ala le roy de Navarre à Rouen et fit des-
pendre du gibet de Rouen le conte de Harecourt, le
sire de Graville, Maubue de Menesmares et Colin
Doublet. Et furent en bières portés à très grant ré-
vérence en la mère église de Nostre Dame de Rouen
où ilz furent mis en sépulture très honnourablement
et haultement en la chappelle des Innocens de celle
église, ainsi comme à si nobles hommes appartenoit.
Et comme à Amiens et à Paris, prescha le dit roy de
Navarre en Tettre de Saint Ouen à Rouen, et n'v se-
jouma que bien pou, maiz tantost s'en retourna à Pa-
ris. Et fist rendre au filz ainsné du conte de Harecourt
toute sa terre. Et pour demourer à tous jours amy du
duc, fu pour lors donnée à mariage au dit hoir de
Harecourt la seur de la ducesse de Normendie, fille
du duc de Bourbon, laquelle estoit la plus belle créa-
ture de femme que Ten sceut en France, excepté
madame Jehanne de Navarre.
Jehan le noble roy de France, tant qu'il fut à Bor-
deaux, print trêves au prince de Galles jusquez à trois
ans, et se fit fort le prince à les faire tenir pour le roy
d'Angleterre son père. Et donc fut -mené après ce le
roy Jehan à Londres en Angleterre où le roy Edouart
fit grant honneur au dit roy Jehan tousjours, ne onc,
tant qu'il fut prisonnier en Angleterre, il ne fut des-
train en prison.
Charles, l'ainsné filz du roy Jehan de France, duc
de Normendie et dalphin de Vienne, pour ce que par
les gouverneurs des troiz estas il ne povoit jouir du
royaume ne de son pays à son plaisir, il ala par devers
5
«
66 CHRONIQUE
son oncle l'empereur d'Alemaingne, et y ala très gran-
dement et noblement accompaigné. L'empereur son
oncle. le reçut très reverammeut et vint contre son
nepveu au dehors de la cité de Mez en Lorraine. Puis
vindrent Toncle et le nepveu en la dicte cité de Mez
en Lorraine. Et le jour de Noël tint l'empereur estât
impérial et tint court planiere aux Françoiz. Et l'en-
demain^ le duc de Normendie festoia son oncle l'em-
pereur et les haulz princes et barons d'Âlemaingne. Et
leur donna de beaux dons, et puis s'^n retourna le
duc à Paris par le conseil de l'empereur son oncle.
Pour résister contre les Navarrois furent en fron*
tiere messire Robert de Cleremont, le Baudrain de la
Heuse, amiral de France, o quin2fe cents hommes
d'armes et six vingt archiers, et se tindi*ent à Saint Lo
en Costentin et es fors Françoiz. Mgr Godefroy de
Harecourt, Mgr Pierres de Saquanville, maistre Ro-
bert Porte, evesque d'Avrenches, firent une chevau-
cée sur la terre du roy de France, puis retournèrent
en clos de Costentin. Mgr Robert, Mgr le Baudrain de
La Heuze et Mgr du Melle passèrent les guez de Saint
Clément ^ et entrèrent en clos de Costentin et parsui-
rent les Navarrois. Âdonc Mgr Godefroy de Harecourt
fit sonner ses araines pour combatre les Françoiz et
mist pié à terre et cuida que ceulx qui estoient o lui
feissent comme lui. Maiz quant Mgr Pierres de Sa-
quainville et maistre Robert Porte aperçurent la force
et la puissance des François, ilz s'en fuirent. Quant
Mgr Godefroy vit de toutes pars ceulx de son parti
fuire, il fit le signe de la croix et dist : ce Au jour d'uy
1 . Saint-Clément, CaWadoi, arr. de Bayenx, c. d'Iaigny.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 67
en suaire d^armes sera mon corps ensevely. Doulx
Dieu Jhesu Crist, je tent à mourir en defTendant et en
vengant la cruelle mort dont à tort el sans raison on
a fait mourir mon sang villainement. » Puis se afleu-
tra contre une ente et prist son glaive et dit : « A I Dieu
Jbesu Cristy je te mercye de Tonnourable mort que tu
m'envoyez. » Le Baudrain, Cleremont et les autres
nobles hommes estoient rengiés en bataille devant lui
et luy disoient qu'il se rendeist. Et donc leur dist
llgr Godefroy de Harecourt : « Par Famé de Aelis
ma mère, jà le duc ne me tendra vif. » Donc luy cou-
rurent sus huit hommes et ne sçay quans archiers.
Haiz très efforcëement et viguereusement se defiendi
tant que de sou glaive en navra très fort les aucuns,
maîz en la fin fut mort et occiz le dit monseigneur
Godefroy de Harecourt ^
Monseigneur Philippe de Navarre ce jour estoit
venu en Costentin, o lui bien sept cens Angloiz et
cinq cens archiers, et vint très hastivement pour com*
batre les François, et encontra les fuians qui lui dis-
trent que monseigneur Godefroy estoit mort. 11 par-
8uy les Françoizy maiz ilz estoient ja passez les guez,
fors que environ de sept à huit vingt qui furent tous
que mors, que noyés, que prins. Monseigneur Phi-
lippe de Navarre fit emporter le corps de monsei-
gneur Godefroy de Harecourt en Tabbaye de Saint
Sauveur le Vicomte en Costentin où il fut mis en
sépulture bien et deuement.
Puis que monseigneur Godefroy de Harecourt fut
1 . Ce récit de la mort de Harcourt , pour n'être pas austi détaillé que
la namtioB de Froifaart, n*ett pat moins dramatique. Cf. Froissart, 1. 1,
paît. Uy ch. UT.
68 CHRONIQUE
mort et occiz, monseigneur Robert de Cleremont,
mareschal de France, vint à Paris par devers le duc
de Normendie et le mareschal de Cbampaingne. Et
lors advint à Paris que Jehan Baillet, trésorier du roy
de France, fut tué d'ung homme à qui il devoit ar-
gent, et s'en fuy icelui en Teglise de Saint Marry à
Paris. En laquelle église le dit mareschal de Clere-
mont le print de fait et de force; et fut icellui homme
tout droit mené pendre au gibet et pendu. Et si
comme Ten le menoit, le dit monseigneur Robert de
Cleremont disoit que ainsi feroit on des plus grans et
des plus suflisans de Paris, et moult fouUoit les diz
bourgoiz de sa parole et menaçoit.
Le prevost des marchans de Paris et Tevesque de
Laon et Charles Troussac et ceulx qui s*entremettoient
de la gouvernance de par les trois estas si firent à
Paris une assemblée de ceulx de la ville de la plus
grant partie des plus puissans, tant de corps que d'a-
voir, et vindrent tous armés au palais du roy. Et là
en la présence du duc de Normendie et en sa propre
chambre occirent et mistrent à mort monseigneur Ro-
bert de Cleremont, mareschal de France, et le mares*
chai de Champaingne et ung avocat que l'en appelloit
maistre d'Arcy. Icestui avocat souventefToiz es con-
seulx parloit contre les estas.
Adonc ouït grant double le duc de Normendie et
dist au prevost des marchans : a Prevost, sont cil mes
ennemis; ay je garde d'eulx. » Et donc lui dist le
prevost : (( Sire, ilz sont voz bien vueillans, car ilz ne
sont cy venuz fors que pour vostre proflit. » Et lors
lui bailla le prevost son chapperon rouge party d'as-
sure. Et lors les dessus diz bourgoiz de Paris traine-
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 69
rent les diz mareschaux , cil de Cleremont et cil de
CbanpaiDgnei en la court du palais, puis s'en parti-
rent. Et alors cuiderent les gouverneurs des trois estas
avoir paisiblement le gouvernement du royaume de
France. Et lors en l'assemblée d'eulx convint que le
duc de Norroendie, ainsné filz du roi Jehan de France,
jurast à tenir ce qu'ilz feroient. Quelques les trois
estas estoient en leur puissance, le sire de Friquans,
lequel a voit esté prins avec le roy de Navarre, s'es-
cbappa de Chastellet par l'acointance et promesse qu'il
fit à ung varlet du geaulier. Et fut par le dit varlet
mise et appliquée une corde d'une des tours des pri-
sons, comme se par là fut eschappé. Maiz comme
qu'il en avenist, délivré fut de Chastellet et s'en vint
devers monseigneur Philippe de Navarre.
Charles , duc de Normendie et dalphin de Vienne,
ainsné filz du roy de France, ne poult veoir , souffrir
ne accorder que les gouverneurs des troiz estas eus*
sent le gouvernement ne l'administracion du royaume
de France. Et pour ce aussi qu'il ne se tenoit pour
asseur de son corps, il se parti de Paris par maltalent
et mal content des superintendens des trois estas et de
ceulx de Paris. Quant il fust parti, il s'en vint droit au
marché de Meaulx qui est très forte place,* et là fit
venir la duchesse et assembla des nobles o lui en la
dicte place. I^s gens de Meaulx cuiderent prendre
ledit marché et s'en mistrent en fait et y donnèrent
assault, maiz riens n'y firent. Et yssirent aucuns des
gens du duc qui pristrent aucuns des gens de la ville
qu'ilz firent mourir. Le duc bailla adonc la duchesse
à garder au conte de Foiz.
Apres ce que le duc se fut parti de Paris, le prevost
70 CHRONIQUE
des marcbans et ceulx de Paris prindrent le Louvre
en leur main et y mistrent ung cappitaine. Et alors
Pierres Troussac *, Pierres Gilles et Pierres GuifFart*,
Jossien de Masoon *, o moult de gens d'armes, tous
de Paris, alerent de Paris à Meaulx et Guidèrent pren-
dre la forteresse du dit marché de Meaulx. Maiz le
conte de Foiz, qui le gardoit pour le duc, yssi contre
ceulx de Paris et se combaty à eulx sur le pont de
Meaulx. Là dist Pierre Gilles villanies de madame la
duchesse, dont il fit que faulx et mauvaiz. Et quant
ceulx de Paris virent qu*ilz avoient failli à prendre le
dit marché de Meaulx, ilz s'en retournèrent à Paris.
Alors se prindrent à doubter les generaulx des trois
estas, et firent à Paris une manière d'aliance, et firent
aux puissans de Paris porter fermailletz d'argent , et
estoient iceulx sermentés aus diz généraux des trois
estas.
Cependant par les trois estas le roy de Navarre as-
sist une forteresse d'Angloiz nommée Fresne, et lui
envolèrent gens de bonnes villes armez par lesquels
les Ângloiz furent destruis, car leur forteresse et eulx
furent prins. Apres ce, (Charles le roy de Navarre et
conte d'Evreux, o lui le jeune conte de Harecourt, le
sire de Piquegny, le viconte des Kesnes, le sire de Bas-
i. Pierres Troasiac. Lisez : Charles Toussac. Cet échevin de Parité
qui parait avoir été un personnage fort éloquent pour son temps, diri-
gea avec Marcel la commune de Paris de 1355 i 1358. H fut décapité
en place de Grère, ainsi que Joceran de Maçon, le 2 août 1358.
2. Pierres GuifBut. Lisez : Philippe Giffart. Échenn de Paris comme
Toussac, Giffart fut tué aux côtés de Marcel dans la journée du 31 juîl*
let 1358.
3. Jossien de Maçon. Lisez : Joceran de Maçon. Écheyin de Parîsi
comme les deux précédents.
A»^
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. Ti
queyille, monseigneur Ferry de Piquegny, le sire
d'Estouteville^ le sire de Friquans, monseigneur Re-
gnault de Braquemont et moult d'autres nobles hom-
mes de Normendie et Picardie alerent mettre siège de-
vant le chastel de Longueville en Caux y que tenoit
monseigneur Charles d'Artoiz o la conté par le don
du roy Jehan à lui fait après le banissement de
monseigneur Philippe de Navarre. Et tint tant le
roy de Navarre le siège devant le dit chastel qu'il le
prist.
En cest temps \ s'esmurent les Jacques parmy Beau-
voisin , et commencèrent vers Saint Leu de Cerens '
et vers Cleremont en Beauvoisin. Entre eulx estoit
ung homme bien sachant et bien parlant, de belle
figure et fourme. Cestui avoit nom Guillaume Charles.
Les Jacquez en firent leur chief. Maiz il vit bien que
c'estoient gens de petit fait, pourquoy il fit reffuz
d'en avoir le gouvernement. Maiz de fait les Jacques
le prindrent et en firent leur gouverneur avecques
ung homme qui estoit hospitalier, qui avoit veu des
guerres. Aussi en avoit veu Guillaume Charles qui
leur disoit qu'ilz se tenissent ensemble. Et quant les
Jacques se virent grant assemblée, si coururent sus
aux nobles hommes et en occistrent plusieurs et en-
ocres firent ilz pis comme gens desvez et forcenez et
de petit ensient. Car femmes et enfans nobles mis-
trent plusieurs à mort, dont Guillaume Charles leur
1. Cette partie de notre chronique relatiye à la Jacquerie a été déjà
publiée dans TouTrage intitulé : Histoire de la Jacquerie d'après des docu"
ments inédits^ par Siméon Luce. In-8, Paris, 1899, chez Durand,
p. 226-231.
2. Saint-Leu de Cerens , Saint-Leu d*£sserent , Oise , arr. de Senlitf,
c. de Creil.
72 CHRONIQUE
dist souventeffolz qu'ilz excedoient trop grandement,
maiz onc pour ce rien n'en laissèrent.
Lors Guillaume Charles vit bien que la chose ne
povoit ainsi remaindre ; car s'ilz se departoient, les
gentilz hommes leur courroient sus. Donc envoya des
plus sages et des plus notables devers le prevost des
marchans de Paris et lui escript qu'il estoit en son
aide et aussi qu'il lui fut aidant et secourant, se be-
soing estoit. De ce furent les generaulx des trois estas
joyeulx , et escriprent à Guillaume Charles qu'ilz es-
toient du tout prestz à luy faire secours. Iceulx Jac-
ques vindrent jusques à Gaillefontaines \ La contesse
de Valloiz qui là estoit se doubta d'eulx et leur fit
beau semblant et leur fit donner des vivres. Car ilz
avoient acoustumé par les villes [et] places où ilz pas-
soient que les gens, femmes ou hommes , mettoient
les tables es rues, et là roengoient les Jacques et
puis passoient oultre, ardans les maisons aux gentilz
hommes.
Adonc les gentilz hommes vindrent devers le roy
de Navarre à refuge et lui requirent comme il vousist
mettre remède et peine que ces Jacques fussent rues
jus, desconfiz et mb à mort et lui distrent : « Sire,
vous estes le plus gentil homme du monde. Ne souf-
fres pas que gentillesse soit mise à néant. Se ceste
gent qui se dient Jacques durent longuement et les
bonnes villes soient de leur aide, ilz mettront gen-
tillesse au néant et du tout destruiront. » Lors
s'acorda Charles roy de Navarre qu'il leur aideroit
contre les Jacques. Et là lui promistrent les gentilz
1. GaillefonUine, Seine-Infériearey arr. de Neufchâtely c. de Forges.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 73
hommes que contre luy jà ne seroient et en prist
leur foy.
Quant le roy de Navarre ouït la foi prinse des gen-
tilz hommes que ja en ses afTaires ilz ne seroient
contre lui, il se parti de Longueville avec les gentilz
hommes et Angloiz environ bien quatre cens comba-
tans. Et vint chevaucant sur les Jacques en Beau-
voisin et vint devant les Jacques prez de Cleremont
en Beauvoisin. Et là fit des gentilz hommes de France
deux batailles dont il conduit Tune et le sire de Pique-
gny et le viconte des Kesnes l'autre, et Robert Sercot
conduit celle des Angloiz.
Les Jacques sceurent bien que le roy de Navarre et
les gentilz hommes venoient sur eulx. Lors leur dist
Guillaume Charles: « Beaux seigneurs, vous scavez
comme les gentilz hommes viennent sur nous, et sont
grant gent et duiz de la guerre. Se vous me croyes,
nous yrons empres Paris et là prendron aucune place
et si auron le confort et Taide de ceulx de la ville. » Et
lors crièrent les Jacques que jà ne fuiront et qu'ilz
sont assez fors pour combatre les gentilz hommes.
Hz se fioient trop en eulx pour ce (]u'ilz se veoient grant
nombre. Guillaume Charles et Tospitallier rengerent
les Jacquez et firent deux batailles et en chacune
mistrent deux mille hommes. Et ceulx qui avoient
arcz et arbalestes mistrent en front devant, et par de-
vant eulx mistrent leur charroy. Une autre bataille
firent de leurs gens à cheval où il mistrent bien six
œns hommes dont le plus estoient armes, et furent
par deux jours ainsi là rengiez.
Le roy de Navarre et les gentilz hommes dont d'au-
cuns sont retraiz cy les nomz, c'est assavoir monsei-
7^ CHRONIQUE
gneur Louis de Harecourt, monseigneur de Piquegny,
monseigneur d'Aubegny, le baron de Coussi, monsei-
gneur Hue de Chasteillon, monseigneur de Roye,
monseigneur Matbieu de Roye, monseigneur Raoul
de Renevaly monseigneur de Preaulx, monseigneur
Mouton sire de Blainville, le preux cheralier monsei-
gneur de Buyyille, monseigneur Guillaume du Melle,
le viconte des Kesnes^ monseigneur d*Ennequin, mon-
seigneur de La Fertë, monseigneur de Basqueville,
monseigneur Friquet de Friquans» monseigneur Re-
gnauk de Braquemont, monseigneur Ferry de Pique-
gny, monseigneur de Montmorency, monseigneur de
Chantemelle, monseigneur Hue de Villers, monsei-
gneur d'ivry, monseigneur de Saquainyille, monsei-
gneur de Clere, monseigneur de Toumebut, monsei-
gneur de Fontaines, monseigneur Lohier de Trye,
monseigneur de Berreville, sire Pierres de Gisors, Le
Noir de Graville, monseigneur Guillaume Le Bigot,
monseigneur Guillaume aux Espaules, monseigneur
Jehan de Bellengues, monseigneur Nicliole Paennel,
dit Hutin, le seneschal d'Eu nommé Malesmains, Jac*
quemars de Fiennes o plusieurs autres nobles et Ro-
bert Sercot qui guidoit les Angloiz ; tous yces nobles,
avec moult d'autres dont les noms ne sont pas icy
retraiz, tant qu'ilz estoient bien mille hommes d*ar-
mes, vindrent en lacompaignie du roy de Navarre par
devant les Jacques, lesquelz de grant visaige et ma-
nière se tenoient en ordonnance et cornoient et busi-
noient et haultement cryoient Mont Joye, et portoient
moult d'enseingues paintes à fleur de liz.
Le roy de Navarre manda à trevez au chief d'eulx
qu'il veusist parler à lui. Guillaume Charles y ala àim-
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 75
plement, car il ne demanda nulz hostages. Et quelque
il vint au roy de Navarre^ pour ce que les Jacques fu-
rent sans chief, Robert Sercot o toute sa bataille prist
les Jacques en travers et leur rompi une de leurs ba-
tailles à force de glaives. Et à la radeur des chevaulx
en celle venue rompoient et abatoient les Jacquez par
devant eulx. Adonc furent les Jacques tous esperduz
pour leur cappitaine qui n*estoit point avecquez eulx^
et furent d'eulx mesmes tous desconBz. Et en mis-
treni les Ângloiz moult à mort. Puis vint l'autre ba-
taille des gentilz hommes qui vindrent courre sus à
l'autre bataille, et la rompirent aux glaives et à la
force de leurs chevaulx. Et les barons et seigneurs
dessus nommez moult yréement pristrent à occire
les Jacques. Ceulx qui estoient de cheval du costé des
Jacques^ quant ilz virent ceulx de leur costé qui tour-
noient à desconfiture, ilz s'en fuirent, et s'en sauva la
greigneur partie. Monseigneur Friquet de Friquans et
monseigneur Regnault de Braquemont les parsuirent
à tout cent glaives et en occistrent bien ung cent.
Charles le roy de Navarre, o toute sa bataille qui
estoit moult grande, se fery sur les Jacques de pié et
les mistrent tous à mort, excepté ung pou qui se tap-
fireni en ung champ de blé qui par nuy t s'en fuirent.
Si en occist on moult en ce blé, maiz le champ estoit
bien grant. Aprez ce que les Jacques furent desconfis,
le roy de Navarre ala à Cleremont en Beauvoisin, et
là fit décapiter le cappitaine des Jacques. Une route
de gentilz hommes où estoit le Baudrain de la Heuse,
monseigneur Guillaume Martel, monseigneur Jehan
Sonnain, monseigneur Jehan Le Bigot et le bailli de
Caux, en leur route bien trois cens glaives, lesquelz
76 CHRONIQUE
aloient en Taide du roy de Navarre contre les Jac-
queSy et ilz ourent ouyez nouvelles que les Jacques
estoient desconfiz^ si s'en devallerent en la fin de
Beauvoisin où avoit aucunez routes des Jacques. Et
assemblèrent les diz gentilz hommes Normans o ceulx
d'Amiois et de Bray. Et trouvèrent emprez Poiz* une
route de Jacques, lesquelz aloient à la grant route que
Guillaume Charles gouvernoit. Par les gentilz hommes
dessus diz furent mis tous à mort sans mercy plus de
treize cens. Puis chevaucerent les diz gentilz hommes
à Gerberray ' monseigneur de Beausaut avecquez eulx^
monseigneur le chastellain de Beauvaiz et monsei-
gneur de Boulainvilliers qui là adjousterent avecquez
eulx o bien sept cens glaives et quatre vingt et diz
archiers. Quant ilz furent assemblés, si se combatirent
entre Ray* et Gerberray une autre route de Jacques et
là en occistrent bien huit cens, et en ung monstier en
ardirent bien trois cens. Puis vindrent à Gaillefon-
taines où madame de Yalloiz estoit et luy firent moult
d*ennuy pour ce qu'elle avoit donné des vivres aux
Jacquez, comme ilz disoient , et là occistrent bien
mille paisans. Ainsi furent les Jacquez desconfiz et
destruiz en Beauvoisin et es marches d'environ. En
Brie, le conte de Roussi en occist grant foison et fît
pendre à leurs huis. Ainsi furent tous destruiz.
Cy raconte que, après la desconfiture des Jacques,
une route de gentilz hommes cuiderent prendre la cité
de Senliz et gaingnerent une des portes de la ville et
1. Poixy Somme, arr. d*Amieni, chef-liea de canton.
S. Gerlieroy, Oise, arr. de Beanyais, c. de Songeons.
3. Roje, Somme, arr. de Montdidier, chef-lien de canton.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 77
entrèrent dedans. Haiz ceulx de la ville se combati-
rent à eulx tant efforciemeut qu'ilz gettoient dessus
les gentilz hommes eaue bouillant. Et des plus aida-
bles et mieulx defTensables de la ville vindrent hardie-
ment à tout charettes par devant eulx et les boutèrent
sur les gentilz hommes de telle force et vertu qu'ilz
les classèrent hors de la ville \
Aprez celle mesmes destruction des Jacquez, comme
les gentilz hommes s'en retoumoient, une très grosse
route s'en vint à Buchy * à ung jour de marchié où là
se rafireschirent et burent et mengereut et de plusieurs
choses parlèrent. Entre lesquelles parlèrent de la cite
de Rouen et tant que nouvelles en vindrent à Rouen.
Dont le peuple murmura très fort et furent les bour-
ffjiz en grant soupechon de monseigneur Jehan Son-
nain qui estoit pour lors cappitaine du chastel de la
dicte ville. Car Teu disoit que par le dit chastel dé-
voient les gentilz hommes par nuy t venir pour pillier
la ville. Et lors pour celle cause Jacques Le Lieur
et les bourgoiz de Rouen alerent armés vers le dit
chastel pour y mettre des gens de la ville affin d'estre
en greigneur seurté. Ceulx qui estoient eu dit chastel
ne vouldrent souffrir que nul de la ville y entrast ne
fut avecquez eulx en fort*.
Adonc assaillirent ceulx de Rouen le chastel et
moult eflbrcéement tous jours tant de jour en jour et
plus fort de nuit, depuis le lundi jusques au mercredi
1. Cf. Chronifu latine de G, de Nangit^ éd. de Génud, t. Il, p. 267
et ses.
1 Bachy, Seine-Inférienrey arr. de Rouen, chef-lieu de canton.
3. Cf. Chémel, H'utoin de Rouen pendant C époque communale ^ t. Il,
p. iM407.
78 CHRONIQUE
que le chastel leur (ut rendu^ eo disant qu'ilz le pre-
noient en le gardant eu nom de leur souverain sei-
gneur le duc de Normendie. Mgr Jehan Sonnain porta
guerre à ceulx de Rouen, et fut en son aide ramiral
de France I le Baudrain de la Heuze, monseigneur
Guillaume Martel et moult grant foison de g^itilx
hommes. Lesquelz à ung dimenche aussi que après
mynuyt vindrent assaillir ung petit forbourc que Ten
appelle Martainville, ceuU de dedens ce forbourc se
deiTendirent vertueusement tant qu'ilz eurent secours
de ceulx de Rouen qui issirent et poursuirait les gen-
tilz hommes environ de cinq à six cens honmnes ar-
mes de la ville. Et les parsuirent en ordonnance bien
une lieue loing, puis s*en retournèrent tous par or^
donnance ensemble ainsi comme ilz y estoient aies.
Car les gentilz hommes chevaucoient très fort et es-
toient bien montés. Et Fandemain, le dit Baudrain,
amiral de France, et monseigneur Guillaume Martel,
à grant route de gentilz hommes, revindrent assaillir
Rouen par le costé du pont de Seyne. Ceulx de Rouen
yssirent contre eulx et vindrent à Saint Sever, et
moult vertueusement se deffendirent, et escarmouce-
rent moult longuement les ungs contre les autres, tant
que les gentilz hommes se retraistrent. Et ceulx qui es-
toient yssus de Rouen contre eulx s'en retournèrent.
Pour la dicte prinse du chastel, fut moult aspre la
guerre entre les gentilz hommes et les citoyens de
Rouen. Et moult domagerent les gentilz hommes les
héritages du plat pais à ceulx de Rouen, et ardirent
leurs manoirs, et par semblable autresi leur firent
ceulx de Rouen.
Les bourgoiz de Rouen envolèrent par devers le
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 79
duc leur seigneur deux frères prescheurs pour scavoir
si c'estoit par son vouUoir que les gentilz hommes les
guerroient, et que son chastel n'avoient pas prins
pour lui nuyre, mais pour ce qu*ilz se doubtoient du
cfaastellaio qui estoit estrange homme, et qu*ilz sont
prestz de mettre le chastel en sa main et qu'il y mette
iing chevalier du pais. Car tous jours, depuis qu'il fut
rendu, l'ont gardé et gardent en son nom comme le
syen et sa yille.
A ce les reçut le duc, et, par le contenu es lettres
qu'ib lui envoierent, tint leurs raisons justes et pour
causes moult évidentes. Car pas ne Tavoient fait
comme ennemis, maiz seulement pour eschiver aux
perilz. Et aussi que la garde du chastel fut transportée
de la main monseigneur Jehan Sonnain. Tandis que
ceulx de Rouen avoient envoyé au duc leur seigneur,
monseigneur le Baudrain de La Heuze et monseigneur
Guillaume Martel, monseigneur Jehan Sonnain, o
plusieurs gentilz hommes, vindrent à ung vendredi
assaillir Rouen par la plus loingtaine porte de la ville,
nommée la porte Saint Hylaire, et là occistrent aucuns
de la ville qui estoient en la barrière. Tantost ceulx
de Rouen, avec leur maire et cappitaine, yessirentaux
champs, et en yessi bien plus de six mUle de pié et
sept cens de cheval armés et en ordonnance comme
de combatre. Et parsuirent les gentilz hommes qui
s'en fuioient jusques au ^ qu'ilz ardirent et
pois s'en retournèrent à Rouen.
Puis ne demeura gaires que les deux frères mineurs
apportèrent les lettres du duc comme il vouUoit que
I. n y a ici nne lacniie d'un mot dans le mi.
80 CHRONIQUE
paix fut faicte entre les gentilz hommes et ceulx de
Rouen y et que monseigneur de Tonne ville fut cappi-
taine du chastel de Rouen.
Charles, ainsné filz de Jehan le roi de France, duc
de Normendie et dalphin de Vienne, pour porter
guerre aux bourgois de Paris, assembla tant de gens
d'armes comme il poult finer tant par prières que par
soldées, c'est assavoir le conte duc de Braban, son
oncle, le conte de Foiz, le conte de Sallebrusse, le
conte de Roucy, le conte de Yendemons, le conte
de Rony, le conte des Mons et le conte d*Au-
cerre, monseigneur Louis de Harecourt, monseigneur
d'Ëstouteville, monseigneur de Blainville, monsei*
gneur de Berreville, monseigneur d'Aubegny, mon-
seigneur Guillaume Martel, Le Besgue de Villaines,
l'Archepreslre, monseigneur Jehan et Bureau de la
Rivière et moult très grant foison de autres nobles
hommes dont les noms ne sont pas icy retrais. Aiceulx
nobles hommes pour plus les atraire à son aliance
leur octroya le duc le pillage de Paris. Pour quoy les
nobles hommes et les gens d'armes furent plus en*
clins de servir et aidier à monseigneur le duc. Et es*
ploita tant qu'ils vindrent devant Paris et vindrent
paleter à la bastide à ceuh de Paris.
Ceux de Paris, pour la doubte qu'ilz avoient du
duc de Normendie, ainsné filz de leur droit seigneur,
avoient mandé à secours le roy de Navarre, lequel à
leur besoing les vint secourre. Puis prindrent à soûl-
doiers ceux de Paris les purs ennemis de leur droit
seigneur le roy de France, les Angloiz, lesquelz au
mandement d'eulx vindrent à Paris en leur aide. Et
furent aucuns d'eulx logiez au palaiz du roy de
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 81
France, comme monseigneur Jamez Pippez, Jacques
Sandon, Jacques Plantin, monseigneur Jehan Jouel,
Thomas Rain et monseigneur Zilles.
Monseigneur le duc de Normendie fit son host ap-
prochier de Paris, et vint devant Saint Anthoine. Les
Angloiz et les gens du roy de Navarre et les archiers
yssireut contre Tost au duc de Normendie, et là ouït
paleteiz. Apres midi les Angloiz yessirent de Paris et
alerent au pont de Charenton que gardoit Le Besgue
de Villaines. Et là ouït une forte escarmuche et aspre,
et vint de Paris bateaux d'armée. Et furent ceulx du
pont si fort assailliz qu'ilz recuUerent contre ceulx de
Paris. Apres ceste besoingne, les Angloiz grant partie
estoient yessus hors de Paris pour faire une chevau*
cie. Et par une commocion qui fut par entre ceulx de
Paris, ilz tuèrent tous les Angloiz qui estoient demou-
rés en la ville, dont plusieurs avoient esté bleciez
pour les deffendre. Et en eurent tort ceulx de Paris
de les occire, en cas quMlz estoient venuz à leur man-
dement et pour eu\x aidier.
Le roy de Navarre, pour apaisier cetdx de Paris,
parla au commun de la ville et leur dist qu'il faisoit
venir ung grand secours et qu'il les delivreroit de
leurs ennemis. Et leur monstra par belles paroles et
doulces comme le prevost et ses bourgoiz voulloient
leur bien parfait, et que à deffendre la noble cité de
Paris d'estre pillie et robée de gens estranges met-
loient grant laboiur. Maiz depuis que ceulx de Paris
ocdstrent les Angloiz en la ville, ne s'i tint le dit roy
de Navarre se pou non . Et se tenoit et estoit en la ville
de Saint Denis, en attendant le bon chevalier son
frère monseigneur Philippe de Navarre, conte de
6
' ^-V
82 CHRONIQUE
LongueviUe et de Beaumont, qui assembloit en Cos-
tentin les garnisons d'Angloiz et de Navarrois de Bre-
taingne et de Normendie.
Le duc Charles de Normendie, o ses gens d'armes,
estant devant Paris pour porter guerre à ceulx de la
ville, le maistre du pont de Paris deut faire provision
de bateaux au duc pour avoir entrée en la cité de Pa-
ris. Et pour celle cause firent les bourgoiz de Paris
décapiter icellui maistre du pont. Et comme le bour-
rel vouUoit coupper la teste, il lui vint une maladie
soudaine. Alors les Angloiz, pour la cause que ceulx
de Paris avoient de leurs compaignons occiz sans for-
fait qui estoient venuz en leur mandement, comme
devant est dit, en leur aidance, guerroierent ceulx de
Paris, et à bonne et juste cause, au dit des gens d'ar-
mez. Car raison est, soit à droit ou à tort, se gens
d'armes aventureulx sont d'une partie et à sa re-
queste, icelle partie doit par loiauté d'armes ses soul-
doiers aventureulx encontre tous et de tout mal ga-
rantir et deffendre et de tous perilz comme soy
mesmes garder. Pour ceste cause, fut prins le pont
de Saint Cloud des Angloiz; par quoy domagerent
moult le pais d'entour Paris. Et par le prevost des
marchans et à sa requeste, le roy de Navarre et au-
cuns de ses gens vindrent avec ceulx de Paris, les-
quels estoient yssuz pour combatre les Angloiz. Et
donc dit le roy de Navarre au prevost qu'il feist sa
gent tenir en ordonnance. Moult bien le firent ceulx
de cheval, maiz ceulx de pié ne firent pas le comman-
dement, et s'espandirent par les courtilz, mengans
par les arbres les fruitages.
Les Angloiz, qui estoient rusez de la guerre, apper-
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 83
curent la maie ordonnance de ceulx de pie de Paris
et leur coururent sus radement. Ceulx qui n'estoient
en ordonnance estoient legiers à desconfire. Moult en
occidrent les Angloiz et moult s'en noierent en Seyne.
Et ceulx qui estoient de cheval s'en retournèrent à
Paris. Et Charles le roy de Navarre o toute sa bataille
vint à Saint Denis. Et à Saint Denis se tint le roy de
Navarre pour attendre son frère monseigneur Philippe
de Navarre, qui très grant nombre de gens d'armes
amenoit avec luy, c'est assavoir monseigneur Robert
Kanole, monseigneur Hue de Karvelley, monseigneur
d'Ansellée, monseigneur Martin Requis, avec eubc est
garnisons d' Angloiz de Bretaingne et de ' Normeudie.
Par la voulenté de Nostre Seigneur Jhesu Crist et
par droicte inspiracion divine, aucuns bons preu-
doimnes notables bourgoiz de Paris ourent regret et
recours à leur droit seigneur, monseigneur le régent
le royaume de France, Charles, duc de Normendie et
dalphin de Vienne, ainsné filz de Jehan roi de France,
c'est assavoir, sire Jehan Maillart et sire Pépin des
Essaits. Yceulx assemblèrent aucuns des plus puis-
sans et preudes hommes bourgoiz de Paris et leur
monstrerent le péril en quoy la ville estoit pour la
guerre qu'elle faisoit à son droit seigneur, et comme
monseigneur Philippe de Navarre, qui tant estoit en-
treprenant et bon guerrier par sus tous chevaliers, et
des gens d'armes qu'il amenoit o lui par le mande-
ment de son frère le roy de Navarre plus de dix mille
hommes d'armes; et comme, s il venoit à Paris o le dit
roy de Navarre et ses gens d'armes aussi, la cité de
Paris seroit destruicte, pillée et gastée. Et encorres
avoient d'autre part leurs ennemis par leur fait mes-
84 CHRONIQUE
mez, monseigneur Jamez de Pippes qui estoit à Che-
vreuse' à bien huit cens combatans, lesquelz se met-
troient avec la route du dit monseigneur Philippe de
Navarre. Dont il vendroit tel inconvénient que Paris
en seroit désert et destruit du tout a et nous morz oc-
ciz et decouppez. Si vault mieulx et si est raison et
droit que nous recevons et appelions avec nous en
suppliant nostre dit seigneur le duc de Normendie.
Lequel comme nostre chief nous gardera comme ses
membres et sa cité deflendra de ses ennemis et les
noz comme son propre heritaige. » Pour icestes rai-
sons et autres, se osterent, désistèrent et partirent
ceulx de Paris d'avec le prevost de Paris et ses adhe-
rens, et se tournèrent avec le dit Maillart et Essars.
Une principal cause qu'il plus tost fit tourner le
commun de Paris contre le prevost de Paris, si fut
pour la deffaulte de vivres qu'ilz avoient en la dicte
cité et par especial de pain. Car nulz vivres ne leur
povoient venir ne ne povoient avoir pour la très grant
quantité de gens d'armes qui estoient autour d'eulz
tout entour la ville, tant de Tost monseigneur le duc
de Normendie comme de Tost au roy de Navarre el
des Ângloiz aussi qui prenoient vivres sur le pais
d'entour.
Âdonc, quant le dit Jehan Maillart et Pépin des Es-
sars apperçurent que ceulx à qui ilz avoient parlé se
traioient à leur opinion, si firent scavoir à monsei-
gneur le duc de Normendie que à son bon plaisir,
quant il vouldroit, ilz le mettroient dedens Paris. Et
1. Chevreute-, Seinc-et-Oise , arr. de Rambouillet, chef-lieu de
canton.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 85
pour plus Ten faire certain, le dit Jehan Maillart et le
dit Pépin des Essars vindrent o grant quantité de
bourgoiz et de peuple à la bastide Saint Anthoine,
et là coururent au prevost des marchans de Paris sus
et à cinq bourgois qui o lui estoient. Pierres* Guiflart
et Jean de Lisle se deHendirent, car ilz estoient de
grant courage. Et comme on assailloit le prevost, il
disoit : « Pour quoy me vouliez vous faire mal? Ce que
je faisoye, je faisoye pour vostre bien comme pour le
myen. Et ains que j'enprinse riens, vous me feistes
jurer que l'ordonnance que les trois estas avoient or-
donnée je maintendroye de mon povoir. » Ainsi fina
le dit prevost. Et fut là à la dicte bastide occiz lui et
les bourgoiz dessus diz qui gardoient la bastide à
rencontre de monseigneur le duc de Normendie et
son host. Et après ce qu'ilz furent occiz, ilz furent
devant Saincte Katherine du Val des Escolliers. Au-
cuns des bourgeoiz, qui estoient conseillers du dit
prevost des marchans de Paris, s'en fuirent et se re-
trairent hors de la ville. Et Charles Troussac, qui es-
toit très advenable hooune et bien parlant, et Jose-
ran de Mascon, Pierres Gilles et le cappitaine du
Louvre, iceulx furent décapités en Grève à Paris. Le
cappitaine du Louvre et Pierre Gilles ourent les lan-
gues tranchées, pour ce qu ilz avoient dit villaines
paroles de monseigneur le duc de Normendie, de
madame la duchesse aussi.
Apres ces choses ainsi faictes, vint monseigneur le
duc de Normendie, dalphin de Vienne, ainsné filz du
roy de France, à Paris, et fut receu très haultement
1. Pierres. Lifez : Philippe.
86 CHRONIQUE
et joyeusement. Et crioient ceulx de Paris à sa venue :
<c Mont Joye Saint Denis au duc de Normendie nostre
droit seigneur! » Et aincoiz qu'il entrast en Paris, il
donna congié à son host pour ce qu'il ne voulloit pas
mettre les estranges souldoiers à Paris.
Monseigneur Philippe de Navarre vint pour lors
à Saint Denis à son frère le roy de Navarre, maiz à
Temprinse de son frère vint trop tart. Et vindrent
chevaucant à tout leur host par devant Paris, maiz
nul ne yessi de Paris contre eulx. Et pour ce qu'ilz
virent qu'ilz ne pourroient riens faire et qu'ilz avoient
failli à leur emprinse, ilz s'en retournèrent, le roy de
Navarre à Mante, el monseigneur Philippe de Navarre
o son grant host retourna en Costentin.
Nostre seigneur Jhesu Crist et sa benoicte doulce
mère garantirent la noble cité de Paris d'estre déso-
lée, pour les sainctes prières et oroisons qui en icelle
leur sont données. Car selon tout humain regart, con-
sidéré Testât en quoy ilz estoient et la très grant puis-
sance des gens d'armes qui entour eulx avoient esté,
et la voulenté des princes et de leurs gens, tant de
l'une partie que d'autre, ilz ne povoient, se ne fust
par inspiracion divine et la miséricorde de Dieu, que
la dicte cité ne fust ou eust esté pillie, destruictc et
degastée, et les gens occiz, que Dieu ne voult, la
syenne grâce et mercy.
Lors, le chancellier de Navarre fut prins à Paris, et
fut mis en garde au palaiz, et fut requis de Tevesque.
Et comme l'en le vouloit livrer à son ordinaire , el
qu'il fut yessu du palais, aucuns de ceulx de Paris le
mistrent à mort et l'occîstrent.
En Caux, quant la guerre fut ouverte contre le roy
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 87
de Navarre, le Baudrain de la Heuse, amiral de France,
et les gentilz hommes du pais et ceulx de Rouen firent
une chevaucie à Longueville et coururent la terre des
Navarrois ; la ville de Longueville piUerent, et les Navar-
pois qu*ilz trouvèrent dehors le fort pristrent et aucuns
occistrent. Moult fut grieve au pais de France et cruelle
la g^erre d'entre le roy de Navarre et monseigneur le
duc de Normendie. Car moult de gens en furent mis
à mort, mainte pucelle corrumpue, mainte preude
iemme violée, mainte bonne personne destruicte et
gastëe, mainte église, mainte ville et mainte maison
arse et bruie, et maint enfant en devindrent orphelins
et povres mendians.
Les Ângloiz qui estoient venus avec monseigneur
Philippe de Navarre, pour ce qu'ilz avoient failli à
leur proye de Paris, pour eulx recouvrer, ilz s'espan-
dirent par deçà Seyne vers la coste de Seyne et de la
rivière d'Aize, et prindrent plusieurs forteresses qu'ilz
obtîndrent longuement, la ville de Crael ^ et le Chas-
lel Chaumont' en Veuguessin, Latainville •, Joy*. Ro-
bert Canolle remena une grant route d'Ângloiz en
Bourgoingne, et prindrent et pillèrent la cite d'Âu-
cerre et le pais. Monseigneur Regnault de Braquemont
et Robert Sercot, à tout une autre route d'Ângloiz et
de Navarrois, chevaucerent vers Picardie, et prin-
drent le chastel de Poix et oblindrent. Puis furent en
segrete chevaucie et alerent à Saint Valéry sur Somme,
et le eschelerent et le prindrent et obtindrent.
1. Creil, Oise, arr. de Senlis, chef-lieu de canton.
S. Chaumont, Oise, arr. de Beanvais, chef-lieu de canton.
3. Lattainyille, Oise, arr. de Beauvais, c. de Chaumont.
4. Jouy-ftoos-Telle, Oise, arr. de BeauTais, c. d'Auneuil.
88 CHRONIQUE
Monseigneur Philippe de Navarre out la plus grant
rouie et guerroya en la Basse Normendie. Il prist la
ville et Tabbaye de Bernay et la 6t emparer, et y mist
bonne garnison de gens bien deflensables. Il prist
Tuesbuef * et Escbaufibu% MarbeuP et le fort d'Auvil-
lier. A brief parler, nul n'osoit pour lors en plains
champs arrester contre luy. Une route de Navarrois
vindrent courre emprez Rouen et en forcèrent saint
Denis de Thibout\ Mais ceulx de Rouen n'eurent cure
de telz voisins et alerent assaillir le dit fort moult
hardiement, puis s'en retournèrent pour autres af-
faires pour celle foiz. Et les Navarroiz laissèrent le
fort et s'en alerent par nuyt.
Clharles le duc de Normendie, régent le royaume
de France, fut moult désirant d'avoir Meleun que te*
noit en douaire la royne Blance, seur du roy de Na--
varre et de monseigneur Philippe son frère, pour ce
que par Tempeschement de Melun ne venoient aucuns
vivres à Paris par la rivière de Seyne du pais d'amont.
Et lors d'une route d'Angloiz fut prins Beczoisel'.
Si manda monseigneur le duc sa bachelerie de
Caux et ceulx de Rouen pour y mettre le siège. Maiz
il ouït conseil qu'il ne povoit bonnement de ça l'esté;
pourquoy il envoya les nobles de Caux et ceulx de
Rouen. Et alors qu'ilz estoient à Paris, vint monsei-
gneur Philippe de Navarre, le jeune conte de Hare-
1 . TuboBof, Orne, arr. de Mortagne, c. de Laigle.
2. EchaufTour, Orne, arr. d'Argentan.
3. Marbeufy Eure, arr. de Looviers, c. du Nenbourg.
4. Saint-Denia-le^Thiboult y Seine-Inférieure, arr. de Rouen, canton
de Dametal.
5. Becoiseau, château près Mortcerf, Seine-et-Marne, canton de Rozoy.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 89
court, monseigneur Martin de Navarre dit Requiz,
monseigneur Friquet de Friquans, monseigneur Re-
gnauU de Braquemont, monseigneur Jehan Joue! à
bien trois mille combatans par devant Rouen. Et
prindrent aucuns de la ville de ceulx qui estoient yssus
pour escarmuchier contre eulx, puis s'en retournèrent
à Mante. Et de une^ que firent les gens de monsei-
gneur Philippe de Navarre, prindrent monseigneur
Amaury de Meullent et desconfîrent ceulx de sa
route.
L'an mU trois cens cinquante huit, n^onseigneur
Philippe de Navarre, qui pour lors tenoit les champs
par les hoirs de Piquegny il vint assaillir le chastel
de Gamaches *. Et là fit de sa propre main monsei-
gneur de Harecourt chevalier. Du chastel de Gama-
ches fut moult asjtre l'assault et fort. Et très grande-
ment se defTendirent ceulx du chastel, tant que ceulx
de Piquegny et le viconte des Resnes firent sonner la
retraite pour ce que monseigneur Philippe tenoit Tas-
sault, puis se retournèrent à Aumalle* où ilz se re-
trairent.
Les Picars furent moult en grant de chassier les
Angloiz de Saint Valéry qui estoit une forte ville dessus
la rivière de Somme. Monseigneur Moreau de Fiennes
connestable de France et le conte de Saint Pol, par la
permission des bonnes villes de Picardie, firent une
grosse armée de nobles et des bonnes villes et allèrent
mettre le si^e à Saint Valéry. Les Anglois estoient
bien fors à Saint Valéry, car ilz estoient bien six cens
1. Sont-ent. : attaque.
î. Ganaches, Somme, arr. d'AbbeTille.
3. Amnale, Seine-InfMeure, arr. de Neafchfttel, chef-liea de canton.
90 CHRONIQUE
combatans. Ilz yessirent bien de la ville quatre cens
Ângloiz et grandement debatirent le logement des
Françoiz^ et là otdt ung dur escarmucheiz. Le conte
de Saint Pol faisoit Tavangarde des Françoiz à bien
cinq cens bommes à cbeval et mille hommes à pie.
Le dit conte de Saint Pol s'y porta si bien et si vas-
saument, lui et ceulx de sa route, qu'ilz rebouterent
les Angloiz, vousissent ou non, dedens Saint Valéry.
Et se logaje dit conte en Tabbaye de Saint Valéry. Et
le connestable de France sur la montaingne de Tautre
se loga qui avoit grant foison gent de la ville. Et fit
son host fossier tout entour et laissa une grant route
sans logeiz où le guet estoit. Puis fit le connestable
drechier trois engins qui jettoient en la ville. Maiz les
Ângloiz ravoient ung engin très bon qui dépeça ung
des engins des Françoiz. *
Le connestable de France, pour double de monsei-
gneur Philippe de Navarre, manda au Baudrain de La
Heuze, amiral de France, qui estoit lieutenant de
monseigneur le duc en Caux, qu^il veusist aidier à
maintenir le siège de Saint Valéry. Monseigneur le
Baudrain de la Heuze, amiral de France, fit sa se-
monce. Et ala avec lui le cappitaine de Rouen, Jac-
ques Le Lieur, bourgois de la dicte ville, o cent glai-
ves, cinquante arbalestriers et cinquante archiers de
la ville mesmez. Et de Caux assembla le dit amiral,
le sire d'Est ou te ville, le sire de Berreville, le sire de
Préaux, le sire de Blainville avec leurs routes, tant
qu'ilz furent bien cinq cens glaives, sans ceulx de
Rouen et des autres bonnes villes de Normendie de
par deçà la rivière de Seyne. Et esploitterent tant
qu*ilz vindrent à Saint Valéry. Et comme ceulx de
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 91
kunt Valéry les virent de loing venir, ilz Guidèrent
|ue ce fut monseigneur Philippe de Navarre ; et de la
oye qu'ilz en eurent, ilz yessirent bien cinq cens
xmibatans pour assaillir le guet. Et se vindrent bouter
K>udainement en guet de Tost du connétable, lequel
aisoit pour le jour monseigneur de la Bauce qui
noult vaillaument se defTendit. Maiz il fut tantost avi-
*onDé des Angloiz qui à leurs glaives Foccistrent et
noult de ceux du guet. Les autres s'en fuirent en Tost
niant : ce A Farme!. Trahy! trahy! Les Angloiz sont
mtrés en Tost. i> Adonc s'armèrent par tout Tost et
tonnèrent les arainez des nobles hommes et des bon-
les villes de tournay, d'Amiens, d'Abbeville, d'Arras,
le Hedinc S de Bouloingne et de Dourlens. Et y vint
tout Tost du connestable où le guet avoit esté descou-
St. Le conte de Saint Pol o une partie de sa geut fut
ftvant prest que Tost du connestable et vint combatre
les Angloiz comme ilz retournoient. Et là ouït ung
fortestour, maiz les Angloiz se retraistrent en la ville ;
car ils veoient bien qu^ilz ne povoient lors riens gai-
gœr sur les Françoiz. Atant s'aprocherent les Nor-
mans qui tenoient le parti de monseigneur le duc de
Normendie. Et comme ceulx de l'ost les virent venir,
ilz 86 mistrent en arroy d'eulx combatre et defTendre,
car ilz cuidoient que ce fut monseigneur Philippe de
Navarre. Mais il vint au devant d'eulx leurs coureurs
qui dénoncèrent à ceulx de Tost que c'estoit les nobles
hommes de Caux et ceulx de Rouen qui les venoient
aidier, dont les Picars furent moult liez et moult res-
baudis. Alors, quant les Angloiz virent que ce n'estoit
1. Hetdin, Pas-de-Calais, arr. de Montreuil, chef-liea de canton.
92 CHRONIQUE
pas monseigneur Philippe de Navarre, si furent moult
amatiz, car en la ville n'avoient point d'eaue douice,
et se mouroient tous leurs chevaulx de soif. Le con-
nestable leur avoit fait parler par ung chevalier pri-
sonnier de rendre la ville plusieurs foiz. Et comme •
ceulx de Normendie furent venuz , on livra assauk et
escarmuches aux Ângloiz. Et si fit l'en une myne et
lever engins qui jettoient par jour et par nuyt en la
ville de plusieurs parties.
Une nef qui venoit de Costentin, qui leur apportoit
aucunes choses nécessaires et qui les venoit conforter
et leur apportoit nouvelles que monseigneur Philippe
de Navarre les venoit secourir, icelle nef fut apperceue
des Françoiz. Et envoia Fen du Crotay ' deux vais-
seaux d'armëe qui la rachasserent à la terre. L*en ren-
voia monseigneur de Blainville, ceulx de Rouen et de
Dyepe et du bailliage de Caux à Cayeu pour deffendre
qu'elle n'arrivast. Les Ângloiz cuiderent qu'ilz ne fus-
sent point secourus. Pour ce qu'ilz n'oient nulles nou-
velles de monseigneur Philippe de Navarre, tramis-
trent le dit chevalier prisonnier pour traictier au con-
nestabie et au conte de Saint Pol qu ilz rendroient la
ville, maiz qu'ilz s'en allassent leurs biens saufz. A ce
furent ilz receuz, car l'en avoit ouy certaines nouvelles
de monseigneur Philippe de Navarre qui les venoit
secourir à grant quantit<^ de gens d'armes. Et fut fait
traictié par entre le connestable de France aux Ângloiz
qu'ilz emporteroient leurs biens hors la ville. Et par
ce traictié les Ângloiz se partirent de Saint Valéry. Et
à la quantité qu'ilz en yessoient, le connestable met-
1. Le Crotoy, SomnM, arr. d'AbbeTille, c. de Rne.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 93
toit des Françoiz en la ville. Et fit le connestable livrer
navire aux Angloiz pour passer de la Somme pour aler
à Calaiz. Et lors quant les communes de Picardie vi-
rent que les Angloiz estoient plus de demy passez^
à oeulx de derrière coururent sus et en occistrent bien
trois cens. Et pristrent à force leur pillage, ne oncquez
pour le connestable de France n'en vouldrent riens
laissier à faire. Dont le connestable fut grandement
yrésy car il les prist à conduire à sa seurté tant qu'ilz
fussent passés.
Ce jour que les Angloiz partirent de Saint Valéry ,
vindrent les nouvelles que monseigneur Philippe de
Havarre, lequel estoit parti de Mante avec lui quinze
cens glaives et bien sept cens archiers tous gens de
fiuty venoit pour secourir ceulx de Saint Valéry. Maiz
il oay nouvelles comme la ville estoit rendue à mon-*
seigneur Moreau de Fiennes, connestable de France.
Lors passa ledit monseigneur Philippe de Navarre la
rivière de Somme, ardant et courant le pais.
Le connestable de France et le conte de Saint Pol
et monseigneur le Baudrain de la Heuse, amiral de
Hrance, à tout leur host, passèrent Somme et costierent
monseigneur Philippe de Navarre. Et s'entre atain-
drent les deux hostz empres le Mont Saint Eloy ^ Par
le conseil des Angloiz, le dit monseigneur Philippe
prist une forte place pour atendre à combatre Tost
des Françoiz. Le connestable, le conte de Saint Pol et
Famiral de France vindrent par devant monseigneur
Philippe de Navarre^ lequel o son host estoit rengié
pour combatre et avoit mis sa gent en trois batailles.
i. Le Mont SainUËloy, Pas-de-CalaJB, arr. d*Arrai.
94 CHRONIQUE
Et les Françoiz firent quatre batailles, deulx, des com-
munes ; et en chacune bataille avoit cinq mille hom-
mes. Et es deuk autres avoit bien deux mille hommes
d'armes. Et furent les Françoiz par ung jour rengiés
par devant monseigneur Philippe de Navarre. Et fu-
rent les nobles hommes Françoiz en moult d'opinions,
à savoir s'ilz combatroient le dit monseigneur Philippe
de Navarre. Mais les plus sages de la guerre disoient
que ce seroit folie de l'assaillir, car il estoit en trop
forte place, et si avoit grant foison de gens d'armes
et archiers et tous gens de fait. Et d'autre partie, les
nobles hommes Françoiz ne s'osoient asseurer es
gens de commune. Ainsi avoient peur les ungz des
autres, car ceulx du costé monseigneur Philippe de
Navarre avoient grant doubte des Françoiz pour la
grant quantité. Geste besoingne peult l'en comparer
au roy Salhadinc qui par sa grant puissance et sa-
pience conquist la saincte cité de Jherusalem et toute
la saincte terre, dont toute chrestienté fut moult trou-
blée. Et pour la reconquérir alerent le roy de France
Philippe le Conquérant et Richart^ dit Cueurde Lyon,
roy d'Angleterrre, duc de Normendie, prince d'Aqui-
taine et d'Yrlande, conte d'Anjou et de Mayne, oultre
mer. Maiz par maladie convint le dit roy de France
retourner en France. Et le dit roy lUchart o son host
et des chevaliers de France demourerent par delà.
Quant Salhadinc le soudent sceut que le roy de France
estoit retourné et party , il semont tous les Sarrazins
de son povoir. Et furent si très grant quantité de gent
que on ne les povoit nombrer ne esmer. Et à tout ce
grant infmi peuple mescreant vint le dit Salhadinc
contre les Crestiens. Le roi Richart, o son host et les
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 95
nobles chevaliers de France, quant ilz sceurent que
le roy Salhadinc venoit sur eulx, par le conseil du sire
de Chavegny, ils prindrent ung destroit en très
forte place, et là attendirent le roy Salhadinc. Et
quant il vit la bonne ordonnance des Crestiens , lui
qui estoit ung des sages hommes du monde, et il cong-
Dut par ses tomelieux les banieres du roy Richart
et des chevaliers de France, il dit à ses hommes :
« Retournons, voyez vous ce tantet de gens là ? Se
tout le monde estoit devant eulx pour combattre, si
ne seroient ilz ja desconfiz. d Par raison évidente fit
ain$i le connestable. Car quant il ouït avisé la belle
ordonnance de monseigneur Philippe de Navarre et
de ceulx de sa route , par le conseil des nobles hom-
mes qui o lui estoient et qui au fait d'armes se con-
' gnoissoient, fît le dit connestable son host partir de
devant monseigneur Philippe de Navarre, et s'en re-
tournèrent les Françoiz.
Monseigneur Philippe de Navarre fit une chevaucie
droit à Amiens et assailli le bourc d'Amiens, pour ce
que ceulx d'Amiens avoient occiz de leurs boui^oiz
pour le roy de Navarre. Ceulx d'Amiens à leur povoir
dépendirent leur bourc contre monseigneur Philippe
et sa route^ et se combatirent par une journée les
ungs contre les autres. Monseigneur Philippe fit par
trois lieux assaillir le bourc d'Amiens. Le sire de Pi-
quegny et messire Regnault, le sire des Resnes leur
livreront assaut par une part. De l'autre partie fut
monseigneur Jehan Jouel et les cappitaines des An-
gloiz qui donnèrent bataille et grant assault, et get-
toient feu gregoiz par dessus les maisons. Monsei-
gneur Philippe de Navarre, le conte de Harecourt,
96 CHRONIQUE
monseigneur Pierres de Saquainville , monseigneur
Friquet de Friquans, EUdigo et le Bascon de Mareul
aussi livrèrent bataille et assault à ceux du bourc, si
que par force d'armes prist monseigneur Philippe de
Navarre le bourc d'Amiens. Et là fut moult grant Too-
cision de gens. Ceulx d'Amiens se retrairent en la cité,
maiz qui que vouit n'y entra pas. Car à l'entrée les
gens de monseigneur Philippe en occistrent moult,
puis pillèrent le bourc et Tardirent. Et puis s'en re-
tourna monseigneur Philippe à Mante.
Âpres ce, prist trievez monseigneur le Baudrain de
la Heuse, amiral de France, aux Navarroiz eu pais de
Caux depuis Andelle jusques à la mer. Et fut monsei-
gneur Louis de Harecourt à les conformer, lequel fut
institué par dessus tous lieutenant du duc de Normen-
die par toute la duchié. A cause des paz et destroiz
que le roy de Navarre avoit sur Seyne par amont Paris,
le pont de Melun qui estoit en la main de la royne
Blance qui tenoit le parti de ses frères, et au dessoubs
de Paris le pont de MeuUent et le pont de Mante,
pour quoy par la rivière de^yne riens ne povmt
monter ne avaler pour venir à Paris, dont Paris estoit
moult grevé et moult portoit à ceulx de Paris grant
domaige, car tous vivres estoient merveilleusement
chiers à Paris et moult y soufïroit le peuple grant
mesaize; pour quoy, monseigneur le duc de Nor-
mendie, régent le royaume de France, assembla moidt
grant foison de gens d'armes avec ceulx de Paris , et
ala mettre le siège devant Meleun , et prist la ville, et
par dedens le chastel assiega madame la royne
Blance. Eu chastel avoit moult de gens d'armes de
par le roy de Navarre et de par monseigneur Phi-
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 97
lippe son frère, lesquelz avoient la saizine du chastel,
comme monseigneur Guillaume Carbonnel, mon-
seigneur Ligier ' d'Aurrissi et les filz monseigneur de
Gainville. Iceulx avoient la dominacion du chastel de
Meleun.
Monseigneur le duc fit moult eflforciement assaillir
le dit chastel de Meleun et y (it drechier pierr[er]es qui
avoient esté apportées de Paris qui gettoient de jour
en jour et de nuit aussi. Des bacheliers et des gens
d'armes avantureulx avoient souvent de belles escar-
muches devant le chastel de Melun. Et se defTendoient
ceulx de dedens bien viguereusement contre ceulx de
dehors. Monseigneur Philippe de Navarre passa de
Cesarbourg en Costentin en Angleterre pour amener
secours. Et alors Edouart le roy d'Angleterre apres-
toit son navire pour venir guerroier le royaume de
France. Et son filz le prince de Galles estoit aie es
marches d'Irlande sur le conte [d'jAdrian qui s'estoit
voulu rebeller. Monseigneur Philippe parti le plus
tost qu^il poult pour ataindre le prince pour estre avec
lui s'il y avoit bataille. Maiz le conte d'Adrian vint à
obéissance au priuce. Et quelque monseigneur Phi-
lippe estoit avec le roy d'Angleterre et avec le prince
de Galles son filz, (ut le roy Jehan de France estrecié
de prison, et fut mis eu chastel de Wyndezore. Et
donna Ten congié à la greigneur partie de ses gens, et
oe lui demoura que pou de sa famille. Et s'en vin-
drent les gens du roy Jehan en France, lesquelz dis-
trent à monseigneur le duc l'appareil que le roy d'An-
gleterre faisoit à venir sur le royaume de France et
1. Léffier d'
98 CHRONIQUE
qu'il n'avoit oncquez fait si grant armée. Monseigneur
le duc fit traictier à la royne Blance, et par la promo-
cion de madame la royne Jehenne. Et fut Tacort tel
entre monseigneur le duc régent et madame la royne
Blance que, pour Melun et la terre qu'elle tenoit en
France et en Brye, qu'elle auroit Vernon, Neaufle* et
le Neufchastel de Lincourt en Normandie, à la valeur
qu'elle tenoit ce qu'elle avoit. A ce fut d'acort la
royne Blance et rendi Melun à monseigneur le duc, et
on lui entérina bonnement ce que on lui avoit en con-
venant. Et ala la dicte royne Blance demourer à
Vernon .
En ce temps, trespassa à Rouen monseigneur Guil-
laume de Flavencourt, archevesque de Rouen, lequel
avoit esté archevesque d'Aux*. Et après lui fut arche-
vesque de Rouen monseigneur PhiUppe d'Alençon,
lequel estoit pardevant evesque de Beauvaiz. Et le
chancellier de France surnommé de Dormans fut eves-
que de Beauvaiz. Et pour lors fut retourné monsei-
gneur Philippe de Navarre d'Angleterre, avecques lui
monseigneur Guillaume d'Ansellée, monseigneur Hue
de Karvellé à deux mille combatans et bien sept cens
archiers. Maiz monseigneur Philippe ouït nouvelles
que monseigneur le duc et sa seur avoient fait paix et
acort. Et les Angloiz s'espandirent par le royaume de
France, par Bourgoingne, par Soissonnoiz, par Nor-
mendie et par les marches, pillant, robant et courant.
Les Angloiz de Honnefleu passèrent Seyne et vin-
drent en Caux et premièrement à l'Eure. Le Baudrain,
1. Neaufles-Saint-Martiiiy £ure, arr. des ÀDdelys, c. de Gisors.
S. Auch.
DES QUATRE PREBflERS VALOIS. 99
amiral de France, est oit à Harefleu, lequel vint contre
les Ângioiz qui avoient couru TEure et occiz de ceulx
de la ville qui par fol hardement yessirent contre les
Angioiz et très hardiement et bien s'i combatirent.
Et les Angioiz qui avoient plus gens asses que ceulx
de l'Eure les avoient reculez jusques à leur monstier.
Et adonc vint Tamiral et ceuix de Harefleu et Mons-
tierviller secourre ceulx de l'Eure. Maiz ains qu'ilz
vensissenty estoient ceulx de TEure en leur fort, et les
Angioiz retraiz le plus en leur navire. L'amiral les par-
suy jusquez à la mer, et puis retourna à Harefleu.
Guillaume Lé Noir de Graville (it venir Navarrois
et Gascons eu chastel de Graville. Geste chose fit sa-
voir madame de Graville à ceulx de Harefleu et à
l'amiral, lesquelz moult efforciemeut vindrent mettre
siège au chastel de Graville et l'assaillirent si vertueu-
sement que Guillaume Le Noir se rendi sauve sa vie.
Et ad ce le prist l'amiral et les nobles hommes pour
sauver Tonneur de son noble Ugnage. Et la très bonne
dame de Graville ala à Harefleu et y mena son noble
filz l'oir de Graville.
Renommée qui partout voile apporta en France
comme le roy d'Angleterre et son filz le prince de
Galles venoient eu royaume de France. Par quoy ma
dame la royne Jehenne, icelle bonne créature envers
Dieu et le monde, si traictade paix entre monseigneur
le duc de Normendie régent le royaume de France et
le roy de Navarre par monseigneur Regnault de Bra-
quemont et monseigneur de Friquans, pour cause que
le roy d'Angleterre et son filz le prince de Galles ve-
noient en France. Car se monseigneur le duc et le roy
de Navarre avoient guerre ensemble, le royaume de
100 CHRONIQUE
France seroit en péril d'estre perdu, et que le roy
d'Angleterre ne le conquist par l'avantage des fortz et
des pontz du roy de Navarre qu'il a en France. Et
pour éviter à ce grant péril et plus efTorciement résis-
ter contre le dît roy d'Angleterre et le prince son filz,
fut Tacort fait entre le duc de Normendie régent et le
roy de Navarre.
Cest accord fut fait à Pontoise, Tan de grâce mil
trois cens cinquante neuf en la fin d'aoust. Et jurèrent
à tenir paix monseigneur le duc de Normendie, régent
le royaume de France, et le roy de Navarre. Et par
Facort mist le roy de Navarre les Ângloiz hors du pais
de pardeça Seyne du costé de Caux et de Picardie. Et
vuiderent les Ângloiz tous les forts qu'ilz tenoient es
diz pais et es marches d'environ. Et par ce traictié
ourent ceulx qui avoient tenu le parti du roy de Na-
varre leur paix absolutement.
Edouart le roy d'Angleterre et le prince son filz
ainsné, duc de Lenquastre, et les enfans du dit roy
d'Angleterre à très grant host passèrent la mer et vin-
drent à Calaiz, puis entrèrent eu royaume de France.
Et coururent jusques à la rivière de Somme, dont
moult de nobles hommes en gardoient les pas. Maiz,
non obstant ce, le roy d'Angleterre, o tout son host,
la passa et chevauca jusques à la cité de Rains
qu'il assiega. Ceulx de Rains s'estoient pourveus
pour résister à sa venue et avoient leur ville moult
bien garnye de ce qui est nécessaire pour guerre
soustenir. Et moult vertueusement se deflendirent
contre la très grant puissance du roy Edouart d'An-
gleterre.
Les Bourguegnons, pour la très grant paour qu'ilz
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 101
ourent du roy Edouart et des Ângloiz, vindrent à son
siège de Rains parler à lui pour raençonner leur pais.
Et si n'avoîent eu oncquez guerre de cest temps
comme les autres pays, comme Normendie, Bretain-
gne, Picardie, Ângou, Poitou, Guienne, Touraine et
le Mayne. Maiz les Bourguegnons firent de par le con-
seil des Flamens, comme l'en dit. Si n'avoit le roy
Edouart aucune voulenté d'aler en Bourgoingne. Maiz
quant ceulx vindrent pour leur pais raençonner de
leur propre voulenté, le roy Edouart leur acorda
raençon pour deux cens mille moutons de roy de fîn
or qu'ilz Iny paierent.
Tant comme le roy d'Angleterre guerroioit le
royaume de France personnelment, ung bourgoiz de
Paris nommé Martin Piedoue, comme on lui imposa,
mist gens d'armes dedens Paris pour grever ceulx par
qui le prevost des marchans et les bourgoiz de Paris
avoient esté mors, pour ce que cestui Martin leur ap-
partenoit de lignage. Pourquoy icellui Martin fut pris
et examiné, et pour celle cause fut le dit Martin déca-
pité à Paris.
Par icelle saison, les Angloiz asprement guerroians
le royaume de France, de plusieurs pars si passèrent
la rivière de Seyne, les ungs à Honnefleu, les autres
par le pais d'amont. Monseigneur Robert Sercot, qui
avoit une grosse route d' Angloiz de cinq cens glaives
et trois cents archiers, vint en la Haulte Normendie et
ala à filangi ' en Normendie et prist la ville et la ren-
força. Car pour ce qu'elle estoit de grant garde et il
avoit en la ville petit peuple, Bt une partie des murs
i . Blangy, Seine-Inférieure, arr. cîe Neufchâtel, cbef-lieu de canton.
102 CHRONIQUE
abattre. Et une autre partie de sa route, où il avoit
bien trois cens combatans de toutes genz, prindrent
empres Rouen BetencourtMUonseigneurde Blainville,
qui estoit lieutenant de monseigneur Louis de Hare-
court, lequel estoit par devers monseigneur le duc, si
assembla la bachelerie de tout le pais de Caux et ceulx
de Rouen et chevauca à Betencourt. Avec les gens
d'armes s'assemblèrent les gens du plat pais d'entour,
et tous vindrent à Betencourt. Et comme ilz furent là
venuz, ilz livrèrent ung grant assault que commencè-
rent ceux de Rouen. Parmi ung grant vivier les ale-
rent assaillir les autres gens d'armes aussi. Et en icel-
lui vivier, estoient les bons paisans jusquez à braiez.
Trop bien là le firent. Car ilz leur apportoient bois
d'ung tailleys tant qu'ilz en emplirent une partie du
vivier et pardessus le boiz mistrent estrain par quoy
les gens d'armes passoient par dessus, et vindrent là
combatre main à main aux Angloiz. Et dura Tassault
ou bataille depuis nonne jusques à une lieue de nuyt.
Très bien s'i portoient les nobles hommes de Caux.
Car parmy ung pal de pieux ilz se combatoient de
leurs glaives aux Angloiz qui trop hardiement se def-
fendoient. L'assault encorres durant, vint monsei-
gneur Louis de Harecourt, grant cappitaine de toute
Normendie, et vint à l'assault avec les autres. Et tan-
dis que les gens d'armes assailloient, les gens du plat
pais mistrent le feu en la granche et es salles. Âdonc
fut la retraicte sonnée de par monseigneur Louis de
Harecourt, dont ceulx du plat pais furent moult do-
1. Bootancourt, Oise, arr. de Beauvais, à quelque distance du Vieux
Rouen.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 103
leDs. Et demeurèrent bien mille hommes desarmés
en ung clos près des Ângloiz. Et les gens d'armes s'a-
lerent logier es villages et es hameaulx d^entour Be-
tencourt.
Les Ânglois laissèrent la nuyt Betencourt et alerent
à Blangi et monseigneur Robert Sercot, maiz oncques
ne firent mal aux bonnes gens du plat pais. Dont
Dieu leur fit grant grâce, car ilz les eussent tous de-
couppés s'ils fiissent venuz sur eulx. Et l'andemain
bien matin, dirent les diz gens du plat pais que les An-
gloiz avoient lessié Betencourt. Âdonc fit monseigneur
Louis de Harecourt aler tout l'ost au Neuf Chastel de
lincourt, et de là alerent devant Blangi. Et avec les
Françoiz vindrent bien deux cens glaives de Navarroiz
de leurs forteresses de Caux. Les nobles hommes de
Picardie et ceux d'Âbbeville et du pais estoient venuz
devant Blangi et s'estoient logiez en l'abbaye de Sery^
Et depuis le second jour de la venue de monseigneur
Louis de Harecourt, vint le conte de Harecourt son
nepveu et monseigneur d'Estou te ville à grant com-
paignie de gens d^ armes. Et ce mesmez jour fut Blangi
assailli par trois parties. Ceulx de Picardie assaillirent
de leur costé et monseigneur Regnault de Braque-
mont. Et les Navarroiz assaillirent par devers Gama-
ches. Et l'ost de Normendie, de monseigneur Ix>uis de
Harecourt et du conte de Harecourt assaillirent de la
partie de devers Foukarmont % et furent o ceulx cil
de Rouen. A l'autre costé furent Normans, monsei-
gneur le Baudrain de la Heuze, amiral de France,
1 . Sery, à un quart de lieue N. O. de Blangy.
3. Fouearmont, Seine-Inférieure , arr. de Neufchâtel , c. de Blangy.
lOd CHRONIQUE
monseigneur de Blainville et monseigneur d'Estoute»
ville o les Cauchoiz.
La ville de Blangi assaillirent moult efTorciement
les Françoizy monseigneur le conte de Harecourt qui
estoit jeune de Taage de quatorze ou quinze ans. Pour
sa hautesse des plus suflBsans s'estoient mis soubz sa
baniere, laquelle fut portée d'ung bon homme d'ar»
mes et fut ce jour là plus avant des autres. Le dit
conte, quant il vit sa baniere montée la douve des fos-
sezy il ala es fossez. Si tenoit l'en à bien esprouvé qui
se osoit tenir sur les fossez sans devaller, tant efTorcie-
ment gettoient les Ângloiz grans pierres, et fort et es-
pessement traioient 1 Apres le jeune conte de Hare-
court devallerent moult de haulz hommes et de bon-
nes gens d'armes pour prouesse faire et honneur con-
quester. Maiz en présent vint ung chevalier à monsei-
gneur Louis de Harecourt de par le roy de Navarre qui
lui mandoit qu'il serait Tandemain avecquez eubc et
que l'en l'atendist à assaillir. Et donc .fist monseigneur
Louis de Harecourt sonner la retraicte des gens d*ar-
mes. Et fut le conte de Harecourt à grant peine re-
trait et mis hors des fossez, car une pierre Tavoit
blechié en la jambe. En ce dit assault moult ouyssiez
hautement crier « Harecourt » pour l'amour du jeune
conte qui avoit un tel hardement.
Le roy de Navarre à grant foison de gens d'armes
vint en l'abbaye de Sery, avecquez lui monseigneur
de Piquegny et ses frères, le viconte des Kesnes, mon-
seigneur de Friquans et monseigneur Guillaume Le
Noir de Guerarville o bien cinq cens combatans. Et
en îcelle nuyt se parti monseigneur Robert Sercot de
Blangi et vint à L'Isle Adan et le print et enforça et
DES QUATRE PREBOERS VALOIS. 105
le tint moult longuement. Le roy de Navarre, le jour
que les Angloiz s'en alerent, vint à Blangi pour Tas-
saillir. Mai il n'y trouva pas Robert Sercot ne nulz
de ses gens. Puis départi Tost et ala chacun en son
fort, et le roy de Navarre retourna à Mante.
Edouart le roy d'Angleterre et son filz le prince de
Galles tenans leur siège à Rains firent faire moult d'en-
gins et des pierres pour domagier ceulx de Rains. Et
fit faire le roy d'Angleterre deux chatz de fust dont il
fit mener Fung au costé de la porte de Paris, et l'autre
fut de l'autre costé. Et fit crier l'assault. Et firent les
Angloiz quatre batailles dont les troiz assauldroient
et la quarte garderoit Tost, les paveillons et toutes
les troiz batailles ordonnées pour assaillir. Ouït la pre-
mière le prince de Galles, la seconde ouït le duc de
Lancastre, et la tierce ouït le conte de Richemont et
monseigneur Thomas de Hollande et monseigneur
d'Ansellée. Le roy d'Angleterre avoit une route de
gens d'armes pour aller veoir comme les batailles se
porteroient.
Ceulx de Rains et les nobles hommes qui estoient
dedens se rappareillerent moult curieusement pour
eulx defTendre contre les Angloiz et firent ung chastel
pour combatre contre les chatz de Tost. L'assault
commencèrent les Angloiz par ung jour matin, et
vint le prince de Galles assaillir par le costé devers
Paris. Et moult livra grant assault par icelle partie,
car en sa route estoient plus de deux mille archiers
qui moult espessement traioient et si fort que iml ne
s osoit découvrir par dessus les murs. Maiz les gens
d armes qui estoient dedens Rains avoient bons ba-
dnés à visière, parquoy ilz povoient plus seurement
106 CHRONIQUE
le trait attendre. Et gettoient par dessus les Angloiz
grans pierres et moult viguereusement se deflen-
doient.
Le prince par les paisans de la contrée que Ten
avoit prins fit venir bois et mesrien, et d'icelui fit bien
emplir vingt toises des fossez, et dura Tassault tout le
jour. IjCs nobles qui estoient dedens la cité firent une
saillie contre Tost du roy d'Angleterre. Et vindrent
sur le dit merrien et bois par une poterne et getterent
gressesy feurre et feu sur le dit merrien qui par ces
choses moult asprement ardist et aluma. Les archiers
du prince moult asprement traioient à ceulx de Rains
et moult en navrèrent. Edouart le roi d'Angleterre
chevaucoit par les batailles et resbaudissoit ses gens
et leur donoit cueur d'assaillir. Et ne fina Fassault
jusques à la nuyt. Et par toute la saison de Thyver
maintint le roy d'Angleterre le siège devant la cité de
Rains.
En cest temps, les Angloiz de Honnefleu multi-*
plièrent tant d'Alemans que d'eslrangiers qu*ilz ve-
noient guerroier la royaume de France. Thomas
Hurcz et Jehan de Marie à une route d'Anglois vin-
drent à Honnefleu ; puis s'espandirent courant parNor-
mendie pour prendre aucun fort. Et avisèrent la place
du vieil chastel qui estoit chastel du temps du roy Artur,
et n'y habitoit ame. Les Angloiz se boutèrent en ce
vieil chastel et Temparerent en petite saison, et est
de présent la place nommée Orival, et siet sur une
haulte roche assise sur la rivière de Seine à trois ou
quatre lieues de Rouen près Ellebeuf sur Seine. Près
d'icelui lieu prindrent les diz Angloiz moult de petis
bateaux qu'ilz amenèrent par devant le fort et la dicte
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 107
ville pillèrent. Car avecquez eulx vint Thomas Kain à
grosse route d'Ângloiz, dont le pais fut moult effraie
de leur venue. Ceulx de Rouen ^ qui n'avoient cure de
telz hostes à voisins^ si firent une armée en gallies et
en fousseset vindrent par nuyt devant Orival. Les
Angloiz si gardoient leur navire ; maiz ceulx de Rouen
vindrent sur eulx et coupperent les cordes des ba-
teaulx, et là ouït une forte escarmuche. Les Angloiz
ne s'osoient tenir en leurs bateaulx, car ilz n'estoient
point duiz de la rivière. Par quoy ceulx de Rouen
leur hosterent leurs bateaux excepté deux ou trois
que les Angloiz avoient mis sur terre.
Les garnisons des Angloiz qui estoient en Normen-
die firent une chevaucie. Ce furent ceulx de Honne-
fleu, ceulx d'Auvillier, d'Echaufou et de Tuebeuf
d'environ quarante cinq glaives et huit vingt archiers
et cinquante talevachiers. Monseigneur I^uis de Ha-
recourt fit sa semonce hastivement pour rencontrer
les Angloiz. A lui vindrent moult de nobles hommes,
le Baudrain de la Heuse, amiral de France, monsei-
gneur Jehan Le Bigot, monseigneur Regnault de
Braquemont, monseigneur Guillaume Martel, monsei-
gneur Jehan Sonnain, le seneschal d'Eu, monseigneur
Martin de la Heuse, monseigneur Jehan et monsei-
gneur Guillaume de Brenchon, monseigneur Richart «
Mangart, monseigneur de Harencvillier, monseigneur
Nichole Marcdargent, Jehan de MeuUent, La Heruppe
et plusieurs autres. Et estoient en la route du dit mon-
seigneur Louis de Harecourt douze vingt glaives et
bien soixante archiers, tous gens d'eslite. Et comme
monseigneur Louis de Harecourt ouït fait sa semonce
ainsi bastive, le roy de Navarre lui fit scavoir qu'il
108 CHRONIQUE
vouloit aler asiegierles Anglois en ung fort qu'ilz
avoient prins sur la marche de sa terre et du duc, et
qu'il y alast avec lui. Maiz monseigneur Louis voult
ains combatre les Ânglois et se parti de Rouen. Et
emmena des filz de bourgoiz aucuns o lui, et s'en ala
au Bec Hellouin, et là sceut nouvelles des Angloiz. Et
de là chevauça à Tabbeye de Préaux jouxte le Pon-
taudemer où il se loga. Et Tandemain ains jour monta
à cheval pour parsuir les Ângloiz, lesquelz scavoient
bien que monseigneur Louis les parsuivoit. Si prin*
drent les diz Ângloiz place pour combatre en ung
clos auprès du Faveril. Et firent deux batailles , la
première de gens d'armes, la seconde des archiers et
de leurs tallevachiers ; firent aussi comme une arrière-
garde pour deffendre leurs harnoiz et leurs chevaulx.
Monseigneur Louis de Harecourt o tout son host,
comme par devant est dît, vint par devant les An-
gloiz. Et au regart des Françoiz, ce ne sembloit rien
que des Angloiz, et les cuidoient les Françoiz legie-
rement desconfire. Le Baudrain de la Heuse et mon-
seigneur Regnault de Braquemont distrent à monsei-
gneur Louis de Harecourt : w Sire , se vous nous
voulez croire, vous feres une bataille de soixante hom-
mes d'armes à cheval qui rompront la bataille des
Angloiz ou de leurs archiers. Et sachiez bien que
s'ainsi le faictez, legierement vous les pourres descon-
fire. » Monseigneur Guillaume Martel contredit celle
opinion et dit que tous fussent à pie et que on a voit
assez gent. Pour ce qu'il estoit moult prochain du
duc, fut son opinion tenue, et se mistrent tous à pié*
Adonc monseigneur Louis de Harecourt et sa bataille
de gens d'armes alerent d'ung plain front assaillir les
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 109
ÂDgloiz. Et estoit leur bataille plus longue deux tans
et demi que celle des Angloiz. Les archiers des Fran-
çoiz estoient en une des elles de la bataille, et n'eu-
rent les Françoiz à besoingner fors que en tant comme
itz pourpreuoient la bataille des Angloiz qui par der-
rière eulx la bataille de leurs archiers avoient, lesquelz
traioient aux Normans, Françoiz parmi les vis et Ten-
droit des Angloiz. Fut la bataille des Françoiz par
mellon. Et vindrent combatre de glaives, lesquelz ilz
avoient couppés. Et aussi les Angloiz estoient sur ung
pendant et les Françoiz sur un condoz. Tant efTorcée-
ment boutèrent les Angloiz à force de glaives qu'ilz
rompirent la bataille des Françoiz. Et lors les Nor-
mans se cuiderent retraire. Monseigneur Jehan Son-
nain crya : « Retraiez vous à la haie! » Et là se
cuiderent retraire. Monseigneur Guillaume Martel
n'oy pas que on se retraist ou espoir il ne daingna
fuire. Et se tint fort contre les Angloiz et rompi son
glaive, et des glaives des Angloiz fut abatu à terre et
occiz. Comme les Normans se cuiderent retraire, les
Angloiz furent aussi tost à la haye comme eulx crians:
a Saint George ! n et les desconfirent par les petiz qui
fuirent qui eurent paour d'estre prins. Monseigneur
Louis ne l'amiral ne monseigneur Jehan le Bigot ne
monseigneur Regnault de Braquemont et moult d'au-
tres ne fuirent point, ains tindrent estai contre les Au-
gloiz qui par force les prindrent. Moult fut ceste be-
soingne mal fortunée pour les Normans. Car avec le dit
monseigneur Louis furent prins les meillieurs gens
d'ai-mez de toute Normendie et les plus sages de
guerre tant Françoiz que Navarroiz. Apres la bataille,
les Augloiz emmenèrent leurs prisonniers à Honne-
110 CHRONIQUE
fleu. Là fut prisonnier monseigneur Louis de Hare-
court et moult de gentilz hommes et autres qui se
délivrèrent par grant raençon.
Apres la prinse de monseigneur Louis de Hare^
court, les nobles de Normendie et ceulx des bonnes
villes du dit pais se assemblèrent à Rouen pour eslire
ung cappitaine pour gouverner le pais. Et alerent au-
cuns par devers le roy de Navarre savoir s'il s'en
voudroit chargier soubz monseigneur le duc. Lequel
s'excusa et dit que jamaiz du royaume ne s'entremet-
troit. Car s'il faisoit tous les biens du monde, si dî-
roent aucuns qu'il ne feroit fors à la confusion du
prince et du pais. Et sans riens faire s'en revindrent
les messagiers de Normendie. Et fut fait monseigneur
Philippe d'Alençon, arclievesque de Rouen, gênerai
cappitaine de toute Normendie. Ceulx de Rouen ale-
rent à*grant armée de cheval, et par la rivière de Seine
ceulx de pié devant le chastel d'Orival pour garder la
rivière. Et firent en une ysle devant le dit Orival une
garnison de gens d'armes et d'arbalestriers qui gar-
doient la rivière de Seine pour la marchandise.
Au devant de la prinse de monseigneur Louis de
Harecourt, lui et les Normans avoient prins compai-
gnie avec les Picars d'aler en Angleterre. Et non ob-
stant la dicte prinse, les Picars vouldrent fournir l'em-
prinse. Maiz moult perdirent grant secours en la dicte
prinse. Car bien fut aie du pais de Normendie six
mille hommes armés, tant gens d'armez, archiers, ar-
balestriers que marmeaulx, tous gens deffensables,
par quoy ceidx de Picardie furent moult plus fiebles.
Et se tous les deux pais fussent alez ensembles en An-
gleterre, ilz eussent bien peu getter de prison leur sei*
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 111
gneur le roy Jehan de France. Maiz fortune estoit
pour le temps contre le royaume et contre les Frau-
çoiz, premièrement eu chiefet puis es membres.
Ceulx de Picardie, premièrement monseigneur Mo-
reau de Fiennes, connestable de France, le conte de
Saint Pol et monseigneur Jehan de Neuville, ung vail-
lant chevalier, et moult d'autres nobles bommez firent
leur assemblée pour passer en Angleterre. Monseigneur
Jehan de Neuville s'entremist très curieusement d'à-
prester Temprinse et le voiage. Et pourchassa par les
portz du navire, et en Normendie mesmes, par la
coste prochaine de Picardie, assembla il gens et na-
vire. Les communez, comme ceulx du navire, mari-
niers, arbalestriers et archiers, prinstrent et firent leur
cappitaine de monseigneur Jehan de Neuville. Dont
l'en dit que le connestable et le conte de Saint
Pol eurent envie sur lui, se leur mistrent sur les com-
munez.
Quant le navire fut assemblé, les Picars et ung pou
de Normans se partirent de la coste de Picardie et
singlereut en Angleterre et arrivèrent à la Rye. Ceulx
d'Angleterre avoient ouy par ceulx de leur coste
comme les Françoiz vendroient en Angleterre, et
avoient pour ce aucuns des portz vuidéz de leurs
biens pour la doubte des Françoiz. Les Françoiz vin-
drent pourprenant terre pour descendre, et prindrent
port sans avoir point d'encontre au descendre. £t
quant ilz furent descenduz, ilz mistrent leurs gens en
conrroy et firent trois batailles. Dont monseigneur
Jehan de Neuville eult la première, et furent avec lui
ceulx de la coste de Normendie, et le connestable et
le conte de Saint Pol eurent les deux autres batailles.
m CHRONIQUE
Avecquez eulx furent les nobles hommes de Picardie
et de Normendie qui furent en celle emprinse. Et quant
ilz furent mis en bataille, ilz firent sonner leurs arai-
nés et businer leurs clarons, et vindrent montant la
coste pour prendre Yincelze^ Une tourbe d'Angloiz
estoient là ranjéz pour garder Vincelze. Lesquelz vin-
drent contre les Françoiz et traioient moult espesse-
ment. Mais les Françoiz aloient tousjours pourprenant
et rebouterent les Angloiz en Vincelze et en occistrent
ceulx qu'ilz pourent aconsieurre. Et puis par force en-
trèrent en Vincelze et s'i logèrent. Et tout le bon pil-
lage de la ville comme vin, laynes, estain, garnaches
et autres avoirs portèrent en leurs navires. " "
Le chancellier d'Angleterre out à Londres nouvelles
des Françoiz qui ainsi estoient descenduz à terre. Si
fit venir et crier l'arriére ban d'Angleterre. Et le roy
Jehan de France, pour doubte que les Françoiz ne le
rescouissent, fit mener en Galles bien avant en ung
chastel très fort où là (ut estroictement gardé et tous
ses gens emprisonnez. Quant les Françoiz eurent prias
Vincelze, ilz coururent aussi que huit lieues angles-
ches sur le pais. Et prindrent des paisans du pais qui
leur distrent que l'arriére ban d'Angleterre esloit
mandé à Londres pour venir sur les Françoiz. Et viu-
drent bien trois cens Angloiz de cheval coureurs pour
veoir et esmer les Françoiz. Et prinstrent en queue
les fourriers françoiz et en occistrent. Mais les Fran-
çoiz se mistrent en conrroy pour combatre. Lors les
Angloiz s'en retournèrent. Adonc ourent les Françoiz
conseil de laissier la ville de Vincelze et se deslogerent.
1 . Vincelxci Wincheltea, comté de Suitex,
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. ii3
Les Aiigloiz apperçurent qu'ilz laissoient Yincelze. Si
mandèrent de leurs gens qui estoient là bien près
repostz. Et comme les Françoiz voulloient entrer en
leur navire, les Angloiz leur vindrent courre sus moult
asprement. Premièrement vindrent ceulx de cheval
courant pour soupprendre les Françoiz qui cuiderent
bien que ce fut Tarriereban d'Angleterre. Si se haste-
rent moult d'entrer es nefz. llng tropel de Françoiz
estoit demouré derrière à Vincelze pour le pillage.
Ceulx cy furent soupprins des Ângloiz ainçoiz qu'ilz
peussent estre parvenus aux nefz. Et en occistrent les
Angloiz bien huit vingt, et de haste d'entrer es vais-
seaux il s*en noya aussi plusieurs.
Lors par le conseil de monseigneur Moreau de Fien-
Dez et du conte de Saint Pol et de monseigneur Jehan
de Neuville, firent leur navire singler droit à Kalaiz
pour scavoir s'ilz pourroient prendre Kalaiz du costë
par devers la mer. L'escherguette de Kalaiz vit le na-
vire de loing venir et crya qu'il veoit grant navire.
Cealz de Kalaiz s'appareillèrent pour deflendre la
ville et vindrent sur les murs. Lors les Françoiz s'en
retournèrent en Boulloingne, et s'en repaira chacun
en son pais.
Monseigneur Louis de Harecourt, qui estoit prison-
nier fiancé à ung Ângloiz de petit estât, si promist à
son maistre lui faire moult de bien. Son dit maistre,
qui estoit simplez homs, et pour doubte des cappi-
laines Angloiz qu*ilz ne lui tollissent son prisonnier,
fuà acort à monseigneur Louis. Et comme ilz faisoient
semblant d'aler jouer, ilz s'en vindrent sur deux cour-
siers vistement tant qu'ilz furent hors des mains des
Angloiz. Puis vint monseigneur Louis à Rouen, et fut
8
ii4 CHRONIQUE
establi de par monseigneur le duc de Normendie lieu-
tenant pour le duc en Normendie comme eu para-
vant. Et monseigneur Philippe d*Âlençon s'en demist
qui avoit este fait archevesque de Rouen.
Cy retourne la matière à parler du roi Edouart
d'Angleterre qui encorres tenoit son siège devant la
cité de Rains. Comme cil qui estoit le plus sage guer-
roier du monde et le plus soubtil apperçut qu'il ne
pourroit pas legierement prendre la dicte cité de
Rains y pour laquelle cause il ordonna à lever son
siège et s'en partir. Et adonc envoierent les Bourgui-
gnons monseigneur Jehan de Vienne pour raençonner
la duchié, comme devant est faicte mencion^ affin que
o son host il n'y entrast. Et fut raençonnée à deux
mille moutons de fin or qu'ilz paierent au dit roy
d'Angleterre. Lequel dist que ce n'estoit pas son in-
tencion d'avoir couru en la Bourgoingne^ comme de-
vant est dit.
Le roy Edouart d'Angleterre, après ce qu'il ouït levé
son siège de par devant Rains, chevauca tant o son
host qu'il passa Seyne et vint en Gastinois bruiant et
courant le pais. Et tant esploita que lui et son host
vindrent en Chartrain. Et là chey sur son host et sur
lui une très grant tempeste dont moult d'Angloiz
moururent et plus encorres de leurs chevaulx. Ainsi
avint jadiz eu dit terrouail à Rou, roy en partie de
Danemarche, premier duc de Normendie, son ance-
seur, descendu de lui par droicte ligne de père en filz
par la succession du roy Guillaume Le Bastard, duc
de Normendie, qui conquist Angleterre. Par quoy le
dit Edouart roy d'Angleterre, considérant que jadiz
les ennemis qui degastoient la terre Nostre Dame de
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. H 5
Chartres avoient là receu tourmens^ et en icelle terre
lui cheoit sur son host tourment, le plus tost qu'il
poult se parti du pais, et vint chevaucant par devant
Paris.
Alors estoit son host demi affamé, car ilz ne trou*
voient que mengier. Et pour ce vindrent pardevant
Paris le roy d'Angleterre et son host, c'est assavoir le
prince son ainsné filz et ses frères rengiez comme
pour combatre. Monseigneur le duc de Normendie,
régent le royaume de France, estoit pour lors à Paris,
mais pou avoit de gens d'armes au regart de Tost au
roy d'Angleterre. Monseigneur Rifflart de Flandres,
avec lui aucuns souldoiers, furent sur les Angloiz,
mais pou y arresterent, car l'arrestement n'y estoit
Dul.
Par Tordonnance du conseil de monseigneur le
duc de Normendie, régent le royaume de France, fu-
rent envoies en l'est du roy d'Angleterre le conte de
Tancarville et monseigneur Boussicaut pour traictier
devers le roy d'Angleterre de la délivrance du roy
Jehan de France. Et de leur première venue fut le roy
£douart moult dur, et demanda moult grant chose.
Premièrement il demanda la duchié de Normendie
tout entière, laquelle il disoit estre sienne par ance-
sourie, puis par semblable la duchié d'Acquitaine ou
Guienne, puis la conté de Poitiers et d'Angiers, tout
paravant qu'il tenist parole de la redempcion du roy
Jehan. Et icelles terres et pocessions lui délivrées, il
mettroit à raisonnable raençon le dit roy de France.
Le conte de Tancarville et Boussicaut lui distrent que
ce cju'il demandoit n'oseroient rapporter au régent,
aux barons ne au conseil du régent. Et furent par
ii6 CHRONIQUE
plusieurs jours devers le roy d'Angleterre sans aucune
chose faire, tant qu'ilz se vouldrent partir, et vindrent
devers le prince de Galles pour le requérir. Le prince
vint devers son père et parlèrent sur ce ensembles.
Et à brief raconter il se restraint que, pour tenir paix
au royaume de France et pour délivrer le roy Jehan,
il auroit la duchié de Guienne^ la conté de Poitiers,
la conté de Pontife, la conté de Guines et Kalaiz et
toutes les appartenances appartenant aus dictes terres
par declaracions et limitacions qui seront contenues
en Chartres ou lettres qui de ce seront faictez. Et pour
la raençon du roy Jehan de France, on lui paieroit
trente six cens mille flourins de fin or nommez frans,
la pièce pesant deux esterlins et demi d'or.
Cest traictié fut par les dessus diz aporté à monsei*
gneur le duc de Normendie, ainsné filz du roy Jehan
de France, régent le royaume. Lequel, pour la déli-
vrance de son père, comme vray filz, à son très grant
grief et préjudice de lui et du royaume dont il estoit
le droit héritier, nonobstant ce, pour mettre son père
hors de prison et des mains de ses ennemis, les dessus
dictes choses et la très excessive raençon acorda i
paier et entériner. Pour laquelle délivrance parfour-
nir, Tarchevesque de Sens, Je conte de TancarviUe,
Tabbé de Clugny, monseigneur Boussicaut, et mon-
seigneur Raoul de Gollons, de par monseigneur le
duc et régent, furent envoiéz pour passer et acorder
eu nom de lui le dit traictié au roy d'Angleterre. Le-
quel traictié fut promptement juré devant Paris.
Premièrement fut juré à tenir par le roy d'Angle-
1. Ponthieu.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 117
terre en sa personne, par son ainsné filz Edouart,
prince de Galles et par Tarchevesque de Cantorbiere.
Et de par monseigneur le duc le jurèrent les dessus diz
traicteurs eu nom de leur dit seigneur le régent. Trop
(ut ce traictié legierement acordé eu grant grief et pré-
judice du royaume de France. Car Tost du roy d'An-
gleterre n'avoit que mengier, et si n'avoit nulz vivres
sur le plat pais. Car tout s'estoit retrait es forteresses,
chasteaux et bonnes villes qui n*estoient pas legieres à
conquérir. Par quoy il falloit que le dit roy d'Angle-
terre et son host par force vuidassent et partissent du
royaume de France, car ilz ne trouvoient que mengier,
et si estoient ja demi affamez. Et si prejudicia trop ce
dit traittié à la couronne de France. Car depuis qu'il
fut tout passé et acordé, le dit roy Jehan ne vesqui
que ung pou après. Dont ce fut grant domaige pour
le royaume de France.
11 est à supposer que ceulx qui firent ce dit traittié
le firent à bonne entencion à leur adviz au bien du
royaume et pour la délivrance du roy Jehan de France.
Cy raconte Tistoire que, quant cestui acord fut fait,
passé et agréé par le roy Edouart d'Angleterre, il se
parti et se desloga de devant Paris , lui et son host
pour aler en Angleterre, et s'en ala pour passer tout
droit à Râlais. Son ainsné filz le prince remaint aprez
lui en France pour faire faire et deviser les Chartres ou
lettres de ce traictié et acort dessus diz.
En cest temps durant, ung bourgoiz de Londres
que l'en nommoit Henry Picart parti d'Angleterre à
bien quatre vingt vaisseaux pour courre en France
comme lesFrançoiz avoient fait en Angleterre. Cestui
Henry Le Picart avoit bien en sa route diz mille An-
as CHRONIQUE
gloiz et vindrent arriver en Seine à la fosse de l'Eure.
Et là priDstrent terre les Angloiz et yssirent hors de
leur navire, car il n'y avoit sur le pais qui les contre-
deist. Puis vindrent en conrroy rengiés et assaillirent
le fort de TEure très efforciement tant jour que nuyt
que le fort leur fut rendu. Car, à voir dire, ceulx de
dedens se detfendirent moult bien, mais contre si
grant force ne le povoient tenir. Et se partirent ceulx
de FEure et vindrent à Harefleu. Maiz ceulx de Hare-
fleu ne les laissèrent pas entrer en leur ville. Moult
fut le pais esmeu de leur venue. Les nouvelles en vin-
drent à monseigneur Louis de Harecourt, lieutenant
de monseigneur le duc de Normendie, qui estoit à
Rouen. Et adonc fit monseigneur Louis sa semonce
bien en haste et manda le conte de Harecourt, son
nepveu, qui vint là à grant compaignie de nobles
hommes. Monseigneur d'Estoute ville, monseigneur de
Berreville, monseigneur de Clere, monseigneur de
Blainville, monseigneur de Basqueville, monseigneur
d'Esneval et tous les plus haulz gentilz hommes du
pais de Caux se mistrent en sa route et vindrent à
Harefleu, et là furent en frontière pour garder le pais
contre les Ângloiz. Et par telle manière gardoient le
pais qu'ilz ne se povoient advitailler sur le dit pais.
Car ilz chevaucoientde jour à autre comme les Ângloiz
yessoient sur terre aucune foiz. Maîz les Ângloiz ne
povoient rien conquester, car la route de monseigneur
Louis et du conte estoient tousjours à costé d'eulx qui
ne les laissoient advitailler, et moult en occistrent des
Ângloiz. Comme ilz estoient sevrés de leur host pour
quérir vivres, ilz leur couroient sus.
Et quelque Henry Ije Picart estoit encorres à TEure,
DES QUATRE PREmERS VALOIS. iiO
vindrent les nouvelles de la paix à monseigneur Louis
deHarecourt et aussi d'autre partie aux Angloiz. Et s'en
ala et passa en Angleterre le prince de Galles es nefz
que Henry Le Picart avoit amenées, après ce que les
Chartres du traitctié ourent esté devisées et escriptes
en la fourme et manière qui ensuit.
Cy dit ristoire que, quant le roy d'Angleterre fut
retourné en Angleterre, il fit délivrer le roy Jehan et
vint à lui et lui dit : « Beau frère de France, moy et
vous sommes, la mercy Dieu, en bon acort. » Et s'en-
treacolerent et baisèrent les deux roy s. Au devant, le
roy Edouart n'avoit oncquez appelle le roy Jehan ne
8on père roys de France. Et après briefve saison vint
à Kalaiz le roy Jehan et le roy Edouart et son fîlz le
prince de Galles. Là vindrent à eulx les barons de
France et les prelas. Et principalment vint devers le
roy de France monseigneur le duc de Normendie, dal-
pbin de Vienne , son ainsné filz, avec lui monseigneur
le duc d'Orliens frère du roy Jehan , monseigneur
d'Angou, monseigneur deBerry, filz du dit roy o tous
les plus nobles du royaume de France , tant du sang
royal que d'autres et semblablement des autre gens des
bonnes villes du dit royaume pour veoir et visiter leur
souverain seigneur le roy Jehan de France.
A la court du roy d'Angleterre vint monseigneur
Philippe de Navarre. Et le jour qu'il vint, dounoit le
roy d'Angleterre disner au roy Jehan. Et sur leur dis-
ner vint monseigneur Philippe de Navarre contre le-
quel le roy Edouart se leva. Et à icelui disner requist
le roy Jehan au roy Edouart ung don. Et le roy
Edouart lui respondi : « Beau frère, il n'est chose dont
je vous escondisisse, hors mon honneur et mon deshe-
L
120 CHRONIQUE
ritement. » Et lors lui respondi le roy de France :
ce Ce que je vous requier n'est riens de ce. » Donc dit
le roy d'Angleterre : w Beau frère et je le vous donne. »
Et lors l'en mercia le roy de France et lui dit : « Icellui
don est tel que mon cousin le conte de Flandres qui
cy est ait paix à vous comme moy. » De ce fist le roy
d'Angleterre triste chiere et dit au roy de France :
« Beau frère y c'estoit la chose du monde que plus
enviz eusse fait, car c'estoit m'entente de le guerroier
de tout mon povoir. Et estoit l'omme du monde que
je pensoye à plus grever. Maiz puis qu'il vous plait, je
le vueil et acorde vostre requeste. »
Par ceste manière, fut fait l'acort et la paix du conte
de Flandres par devers le roy d'Angleterre. Et l'an-
demain Jehan le roy de France donna à disner au roy
d'Angleterre. Et à celle feste furent les enfans de
France et le duc d'Orliens, et y furent avec le dit roy
d'Angleterre y son ainsné filz le prince de Galles et
tous ses frères. Et comme l'en vouloit le roy d'Angle-
terre asseoir, ne vit pas monseigneur Philippe de Na-
varre. Lors dist par ceste manière au roy de France :
ce Beau frère de France^ il fault que vous me donnes
ung don, et je le vous requier. » Donc dit le roy de
France : « Beau frère, dittez ! » Lors dist le roy d'An-
gleterre : « Beau frère , je vous prie que beau cousin
Philippe de Navarre ait sa paix avec vous. » Et donc
dit le roy de France : w Beau frère, pour l'amour de
vous, je le vueil. » Lors fut mandé monseigneur Phi-
lippe de Navarre. Et comme il vint pour faire la ré-
vérence au roy d'Angleterre, le roy Edouart lui dist :
« Beau cousin, aies par devers beau frère de France
qui vous a donné paix. » Et lors vint monseigneur
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. i2i
Philippe de Navarre par devers le roy de France , et
le tenoit le dit roy Edouart par la main, lequel dit au
roy de France : « Beau frère, je vous livre le plus
loial chevalier qui oncquez passast la mer pour venir
à ma court, n Et là s'entrejurerent paix à tenir le roy
de France et monseigneur Philippe de Navarre. Et
tant comme depuis vesquirent, ilz furent bons amis
ensemble^ et bien gardèrent la paix l'un à Vautre.
Ainçoiz que le roy de France partist de Calaiz, fu-
rent livrés les hostages au roy d'Angleterre pour le dit
roy Jehan de France, c'est assavoir les deux fils du
roy monseigneur Louis, conte d'Ângou, monseigneur
Jehan conte de Poetiers, le duc d'Orliens frère du dit
roy Jehan, le duc de Bourbon, le conte d'Alençon, le
conte de Bloiz, le conte de Saint Pol, le conte de Ha-
recourt, le conte de Porcien, le conte de Valentinois,
le conte de Brene, le conte de Vandeb \ le conte de
Feres', le conte de Beaumont', le sire deCoussi,le sire
de Fieules, le sire de Préaux, le sire de Saint Venant,
le sire de Guencieres\ le dalphin d'Auvergne, le sire
de Hangest, le sire de Montmorency, monseigneur
Guillaume de Craon, monseigneur Louis de Hare-
court, monseigneur Jehan de Ligny.
Item, furent bailliez en hostage pour le dit roy Jehan
de France, c'est assavoir quatre bourgoiz de Paris,
deux de Rouen, deux de Thoulouse, deux de Bains,
deux de Tours, deux de Lyon, deux de Bourges, deux
de Chalon, deux de Troye, deux de Chartres, deux
1. Vaudemont.
î. Forez.
3. Le Ticomte de BeaumoDt.
4. Garencièret.
iSS CHRONIQUE
d'OrleaDSy deux de Compiengne, deux de Caen, deux
de Saint Osmer, deux d^Arras, deux de Lysle, deux
de Toumoy, deux de Beauvaiz, des plus suffîsans des
dictes villes et cités. Et si furent encorres en hostage
monseigneur d'Estouteville, monseigneur de Roye et
monseigneur de La Roche.
Puis fut délivré le roy Jehan de France. Et le roy
Edouart repassa la mer et euvoia ses hostages en An-
gleterre. Le roy de France vint en son royaume et
vint droit à Paris où il fut très solempnelment receu.
Etestoit Paris encourtiné moult richement. Et estoient
les citoiens vestus de robes pareilles. A son encontre
fut monseigneur le duc de Normendie, dalphin de
Vienne, et moult de haulx princes et barons de France.
Le roy de Navarre vint à Tencontre du dit roy Jehan
à Saint Denis eu France, et là fist la révérence à son
seigneur le roy de France. Maiz il ne vint pas à Paris
où le roy Jehan fut très joieusement receu. Et avoit
à Paris, quant le roy Jehan y entra, fontaines qui ren-
doient vins de plusieurs manières.
Apres ce que le roy Jehan fut venu de prison, fîit
fait ung grant concilie pour avoir voie de paier la
raençon du dit roy qui se montoit, comme devant est
dit , trente six cens mille frans flourins de fin or. Et
fut acordé à icelui parlement par les prelas, par les
nobles et aussi par les bonnes villes, pour paier la
dicte somme de la redempcion du roy, que jusquez à
six ans courroit en France Timposicion de douze de-
niers pour livre et la gabelle et le treiziesme du vin,
et sur le plat pais cinq solz pour feu à mettre hors les
ennemis du royaume de France. Et pour les diz An-
gloiz ennemis mettre hors, comme par le traictié avoit
DES QUATRE PREBOERS VALOIS. iS3
esté promis de par le roy d'ADgleterre^ demoura en
France monseigneur Thomas de Hollande, lequel fist
vuider la plus grant partie des forteresses anglesches
que les diz Angloiz tenoient en France et en Normen-
die. Et en ce faisant lui sourvint une maladie à Rouen
dont il mourust. Et fut enterré aux Frères mineurs à
Rouen la sepmaine d'aprez Noël, l'an de grâce mil trois
cens soixante. Icestui monseigneur Thomas de Hol-
lande avoit espousée une des plus belles dames du
monde et moult noble. Apres le trespassement de son
dit seigneur, moult de nobles chevaliers qui moult
avoient servi le roy d'Angleterre et le prince son filz
en leurs guerres, vindrent requerre au prince qu'il
hii pleust à pa[r]ler à la contesse de Hollande. En
especial ung des haulz hommes et nobles d'Angleterre
Dommé monseigneur de Brocas , très bon chevalier,
qui moult grandement avoit servi le prince et pour
lui tant en ses guerres que autrement avoit moult tra-
vaillié, requist le prince qu'il lui pleust tant faire qu'il
eust la dicte dame et contesse pour lui à femme et
qu*ii en parlast à la dicte dame.
Le prince pour le dit chevalier parla à la dicte dame
de Hollande par plusieurs foiz . Car moult voulentiers
aloit pour soy déduire veoir la dicte dame qui estoit
sa cousine et souventeffbiz regardoit sa très grant
beauté et son très gracieux contenement qui mer-
veilleusement lui plaisoit. Et comme une foiz le prince
parloit à la dicte contesse pour le dit chevalier, la
contesse lui respondi que jamaiz espoux n*auroit. Et
elle, qui moult estoit soubtille et sage, par plusieurs
foiz le dit au prince. « Ha! A! se dit le prince, belle
cousine, eu cas que vous ne voulez marier à mez
L
i24 CHRONIQUE
amis, mal fut vostre grant beauté dont tant estes
plaine. Et se vous et moy ne nous apartenissons de
lignage, il n'est dame soubz le ciel que j'eusse tant
chiere comme vous. » Et alors fut le prince moult
soupprins de l'amour à la contesse. Et lors prinst la
contesse à plourer comme femme soubtille et plaine
d'aguet. Et donc le prince la prinst à conforter et la
prinst à baisier moult souvent en prenant ses larmes
à grant doulceur et lui dit : « Belle cousine, j'ay à vous
parler pour ung des preux chevaliers d'Angleterre, et
avec ce il est moult gentilz homs. » Madame la con-
tesse respondi en plourant au prince : « Ha! sire,
pour Dieu vueillez vous souffrir de me parler de telles
paroles. Car c'est mon entente que je n'aye jamais
espoux. Car je me suys du tout donnée au plus preux
de dessoubz le firmament. Et pour l'aipour d'icellui^
jamais espoux fors Dieu n'auray tant que je vivray.
Car c'est chose impossible que je l'aye; et pour la
sienne amour me vueil garder de compaignie d'omme,
ne jamaiz n'est m'entencion de moy marier. »
Le prince fut moult en grant désir de scavoir cil
qui estoit le plus preux du monde , et moult requist
la contesse qu'elle lui deist. Maiz la dicte contesse,
plus l'en veoit eschauffé, plus lui prioit qu'il n'en cer-
chast plus avant, et lui disoit : « Pour Dieu, très chier
seigneur, en soy agenouillant, pour la très douce
Vierge mère, vueilliez vous en souffrir atant. » A. brief
raconter, le prince lui dist que, s'elle ne lui disoit qui
estoit le plus preux du monde, qu'il seroit son mortel
ennemy. Et lors lui dit la contesse : « Très chier et
redoubté seigneur, c'est vous, et pour l'amour de
vous jamaiz à mon costé chevalier ne gerra. » Le
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. i25
prince qui moult fut adonc embrasé de Tamour à la
contesse lui dit : « Dame, et je voue à Dieu que jamaiz
autre femme que vous, tant que vous vivres, n'auroy. »
Et présentement la fiança, puis après assez briefment
il Tespousa.
Edouart, le roy d*A.ngleterre, sceut comme son filz
le prince avoit la contesse de Hollande prinse et qu'il
Tavoit espousée. De laquelle chose il fut merveilleuse-
ment marry et dolent et voult qu'elle fust mise à mort.
Car moult plus hautement se fust le prince marié, et
D 'avoit empereur, roy ne prince soubz le ciel qui
n'eust eu grant joye, se le prince de Galles se fust mist
en son lignage.
La princesse sceut comme le roy d'Angleterre la
heoit et dit à son seigneur le prince que pour Dieu
ellefîist mise hors d'Angleterre. Car elle estoit certaine
que le roy d'Angleterre la feroit mourir, s'il la tenoit,
et aussi le scavoit bien le prince. Et pour ce l'en em-
mena le prince en Guienne et vindrent à Bordeaux.
Et là ouït elle ung filz qui fut nommé Richart qui de-
puis fut roy d'Angleterre, car ensainte estoit ainçoiz
qu'elle partist d'Angleterre. La dicte princesse avoit
une fille de monseigneur Thomas de Hollande, la-
quelle prist à femme monseigneur Jehan de Montfort
qui puis fut duc de Bretaingne. De ce que le prince
prist la contesse furent les Angloiz moult dolens et
courouciés. Et de ce furent mal meuz vers le prince,
et ne les povoit l'en plus couroucier que d'en parler
devant eulz.
Jehan, le noble roy de France, aprezce qu'il fut venu
d'Angleterre à Paris, il ala en Avignon par devers le
Saint Père pour plusieurs causes et principalmeot pour
126 CHRONIQUE
sa délivrance et de ses hostages plus briefmeDt expe-
dier, et aussi en especial comme vray catholique et
bon crestien pour les ennemis de la foy confondre et
la Saincte Terre de Jherusalem mettre en la main des
Crestiens. Car le dit roy Jehan avoit en voulenté et
propos dealer en saint voiage, lequel son bon père
Philippe de Valloiz avoit emprins quant il en fut
destourné par la guerre qui sourdi entre lui et le roy
Edouart d'Angleterre. Et pour ce qu'il y avoit paix jurée
entre les deux roys, le dit roy Jehan pour acomplir
son dit bon désir , estoit pour ce allé, comme dit est, de-
vers le Saint Père.
 la venue du roy de France vindrent les cardinaulx
à rencontre de lui, et Taconvoierent depuis Ville
Neufve jusques au palais du pape. Et là fut très sol-
lennelment receu du pape. Car à l'entrée de son palais
vinst le Saint Père encontre le roy de France comme
au plus noble des roys crestiens et lui (ist le Saint
Père très especial honneur et révérence. Tandis comme
le roy Jehan de France fut devers le Saint Père, vint
en Avignon Pierres le bon roy de Cyppre, lequel estoit
ung très excellent prince, hardi et preux pour la foy
catholique deCTendre et essaucier. D'aucuns des cardi*
naulx fut acompaignié à venir à court par devers le
Saint Père qui moult joyeusement le reçut pour ce
qu'il estoit venu pour loperacion divine , pour la foy
catholique de Jhesucrist essaucier. Et après ce que le
roy de Cypre eust esté par devers le Saint Père , vint
par devers le roy de France, qui moult lui fist grant
honneur.
Innocent, le pape de Romme, assembla son con-
cilie pour la saincte terre de Jherusalem délivrer de
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. i27
la main des Sarrazins. Et là prescha le pape le saint
voiage au dit roy de France et au dit roy de Cyppre.
Lesquelz par Tinspiracion divine pristrent la croix
pour aler eu dit saint voiage. Et pour icelle cause ,
comme dit est, estoit le dit roy de Cypre venu par
devers le Saint Père pour lui dénoncer que les Turcs
et le prince de chevalerie du soudent avoient destruit
aussi comme toute la plus grant partie du royaume
d'Arménie. De laquelle chose le pape fist moult pi-
teux reclaim , et par piteuses paroles le monstra au dit
roy Jehan de France. Lequel pour la bonne affection
qu'il y avoit et pour la grant nécessité qu'il veoit et
avoity prist la croix par la main du dit Saint Père en en-
tencion d'aler en saint voiage. Et après le service fait, le
pape donna à disner au roy de France et au roy de
Cyppre. Et au doys qui fut ordonné pour le roy de
France le plus prochain du pape , le roy Jehan , ains
qu'il fust assiz ne qu'il se seist , pria le roy de Cypre
qu'il se seist à sa table. Maiz par nulle manière le roy
de Cyppre ne se voult seoir avec le roy de France. Et
comme le roy Jehan le prist pour seoir, le roy de
Cyppre lui dit : «Très chier sires, il ne m'apartient pas
de seoir jouxte vous qui estes le plus noble roy des
Crestien». Car au regart de vous , je ne suys que ung
i^ostre chevalier. » Et toutesvoyes falust il qu'il se seist
jouxte le roy de France.
Quant les deux roys eurent par certaine espace de
temps séjourné avec le Saint Père, le roy de France
s'en ala à Nimes pour les affaires du royaume. Et
Pierres , le bon roy de Cyppre , vint en France pour
pourchasser chevaliers à fournir son emprise, et vint
par devers le conte de Flandres , qui le reçut moult
128 CHRONIQUE
hoDDOurablement. Et après qu'il fut parti de Flan-
dres, il vint en Normendie par devers le duc de Nor-
niendie, son cousin, qui le reçut très joieusement, et
ala en Tencontre de lui au dehors de Rouen, et le mist
très solennelment en la cité. Et fut le dit roy de
Cyppre avec le dit monseigneur le duc bien par Fes-
pace de ung mois. Puis ala veoir le duc de Bretaingne,
et puis retourna à Rouen , et de là s'en ala et passa
la mer, et ala par devers le roy d'Angleterre. Et fist
le roy d'Angleterre ung grant semblant au roy de
Cyppre. Et comme le roy d'Angleterre donna une foiz
à disner au roy de Cyppre , il iuy dit : « N'avez-vous
pas emprins à conquerre la Saincte Terre ? Quant vous
l'aurez conquise , vous devres rendre le royaume de
Cyppre que jadiz mon anceseur le roy Richart bailla
à garder à vostre prédécesseur. » Le roy de Cyppre
apperçut et entendi bien les paroles du roy d'Angle-
terre et parla d'autres paroles comme se il ne l'eust
point entendu. Puis ne demoura guaires en Angleterre
et prist congié du roy Edouart et retourna en France.
Jehan, le roy de France, escript à monseigneur
Philippe de Navarre comme il avoit prins la crois , et
que au plaisir de Dieu c'estoit son entente d'aler
oultre mer en saint voiage de la Saincte Terre. Mon-
seigneur Philippe de Navarre lui rescript en lui sup-
pliant qu'il lui pleust le acompaignier d'aler avec lui
en icellui saint voiage et qu'il le serviroit de mille
combatans, et que c'estoit la chose de monde dont il
avoit plus grant désir que de guerroier les ennemis de
la foy. De la response de monseigneur Philippe de
Navarre fut moult grandement liez et joyeux et dis!
ces paroles le roy Jehan de France qui furent ouyes :
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 129
(c II fut jà UDg jour que c'estoit moD mortel ennemi.
Or est , la Dieu mercy, mon parfait amy nostre amé
cousin Philippe de Navarre. Bien m'en dist vray
mon frère le roy d'Angleterre, quant il fist Tacord
d'entre moy et luy. » Puis escript à monseigneur Phi-
lippe de Navarre le roy de France comme il le fai-
soit malstre et gouverneur de toutes ses gens à icelle
emprinse d'aler sur les mescreans Sarrazins^ ennemis
delà foy.
Cy raconte l'istoire après à parler de monseigneur
le duc d'Anjou, filz du roy Jehan, que, comme il eust
esté en hostage en Angleterre par l'espace de demi an
et plus, il requist licence par devers le roy d'Angle-
terre de venir ung jour en France. Le roy Edouart
d'Angleterre ne lui en voult donner cougié. Dont le
duc d'Angou ouït moult graut despit que lui, qui
estoit filz du plus noble roy crestien, estoit tenu en telle
subgection. Pour laquelle chose, le dit duc d'Angou
fist tant et moult secrètement qu'il eust une nef, et se
parti celéement d'Angleterre, et s'en vint en France en
sa terre. Et de sa venue tant fist segretement que
monseigneur le duc de Berrv, son frère, ne monsei-
gneur le duc d'Orléans, son oncle, n'en sceurent riens.
Edouart, le roy d'Angleterre, fut moult yrésde ce que
le duc d'Angou s'estoit parti d'Angleterre, et fist aux
barons de France si estrechier leur prison qu'ilz n'a-
voient fors la cité de Londres. Puis manda le dit roy
Edouart à monseigneur Jehan Jouel, qui avoit et tenoit
plusieurs fors en Normandie, qu'il guerroiast en France
ea son propre nom comme Jehan Jouel. Et fut une
guerre couverte. Monseigneur Jehan Jouel prist lors à
guerroier en France et par especial en Normendie et
9
130 CHRONIQUE
garny ses forts moult grandement et pilla le pais, si
qu'il falut que les gens des villes du plat pais d'entour
se raençonnassent àluy.
Le roy Jehan de France soult comme son filz le duc
d'Angou s'en estoit venu en France de Angleterre.
Pour quoy vint à Paris et en fut très grandement cou-
roucié. Car le dit roy Jehan a voit semons ung très
grant parlement auquel vindrent les grans barons de
France, le conte de Flandres et monseigneur Philippe
de Navarre. Et comme le dit monseigneur Philippe
vint au dit parlement, le roy se dreça contre lui et le
fit asseoir contre lui. En icellui parlement, fut traictié
de l'emprinse du roy d'aler oultre mer, et par avant
de délivrer ses hostages et de satifier le roy d'Angle-
terre de sa raençon.
En icellui parlement, fîst le roy scavoir à son filz le
duc d'Angou qu'il y fii[s]t, maiz il se fist excuser. Néant-
moins le dit monseigneur d'Angou fit demander sauf
conduit de venir à son père le roy Jehan, pour ce qu'il
se doubtoit que le roy son père ne le voulsist détenir
prisonnier.
En Angleterre, ouït une très grant mortalité de mort
moult hastive. En icelle mortalité, mourust très grant
quantité de gens et des hostages grant foison, c'est
assavoir monseigneur le conte de Saint Pol, monsei-
gneur de La Roche, monseigneur de Préaux de qui
monseigneur Jehan de la Rivière espousa sa fille^
heresse de la terre de Préaux, laquelle après le tres-
passement d'icellui monseigneur Jehan de la Rivière
fut mariée à monseigneur Jacques de Bourbon. Et des
bourgois des bonnes villes de France moururent
d'icelle mortalité grant partie des hostages. Et par
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 131
especial y moururent les bourgoiz de Paris et ceu]x
de Rouen, sire Amaury Filleul et sire Jehan Mustel, qui
estoient pour le roy de France en hostage.
Cy après dit que il vint une armée d'Angleterre qui
estoit d' Angloiz à monseigneur Jehan Jouel, et estoient
bien quatre cens glaives. Monseigneur Jehan Jouel si
fist une chevauchie et prinl le fort d'Auvillier. Puis
vint devant Bernay et se loga devant le fort. Monsei-
gneur Philippe de Navarre lui manda qu'il vuidast
et qu'il . n*avoit cause de faire guerre. Monseigneur
Jehan Jouel ne fist rien pour le mandement du dit
monseigneur Philippe.
Adonc manda monseigneur Philippe de Navarre
tous les nobles de Normendie et ceuk de Rouen. Car
le dit monseigneur Philippe avoit de par le roy Jehan
lettres patentes à seel pendant en las de saye et cyre
vert que tous fussent prestz pour venir à son mande-
ment comme au propre ban du roy. Pour quoy les no-
bles et gens des bonnes villes vindrent au mandement
du dit monseigneur Philippe de Navarre, lequel che-
vauca. contre monseigneur Jehan Jouel qui pas ne Tat-
tendi à combatre, et lors donna congié à ses gens.
En iceste chevauchie, avint que monseigneur Phi-
lippe de Navarre estoit au Bec Thomas où il attendoit
ceulx de Rouen, qui là vindrent à lui en la compaignie
de monseigneur de Blain ville et des nobles de Caux. Et
avec eulx venoient marchans portans vivres. Et alors
n'avoient point de vin se pou non en Tost, fors mon-
seigneur Philippe de Navarre à qui il fut dit que les
gentilz hommes n'avoient que boire. Monseigneur Phi-
lippe fist crier que tous vensissent mengier avec lui, et
Gst mettre les nappes en ung gardin, et là furent les
132 CHRONIQUE
chevaliers et escuyers venuz. Monseigneur Philippe
n'avoit que deux barilz de vin qu'il fist getter en une
fontaine qui estoit en ce gardin et dist : « Beaux sei-
gneurSy or faisons liement et prenons à grë, car à pré-
sent je ne vous puis plus de vin aisier. » Des seigneurs *
et gens d'armes fut icellui soupper très parfaictement
prins en gré. A la très grant et bonne chiere qu'il fist
aux gens d'armes celui jour lui prinst la maladie de la
mort d'une froidure qui le prinst après le chault.
Apres cestechevauchie, ledit monseigneur Philippe
de Navarre, le bon chevalier, qui tant paramoit
l'amour des gens d'armes, par sa grant doulceur et cour-
toisie, dont en son temps par deçà la mer n'avoit plus
courtois de lui ne plus sages jeûnez homs de son estât,
il vinst à Vernon et là acoucha malade, et fut tant la
maladie grief^e qu'il en mourust. Moult estoit madame
la royne Blance couroucie de veoir la mort de son frère
qui tant parestoit plain de grant hardement avec sa très
haulte noblesse, et moult piteusement le pleingnoit.
Monseigneur Philippe de Navarre, quant il fut
apressé du mal, il se fit confez moult dévotement. Et
moult fut regretant Jehan le roy de France disant :
u Ha! hal Jehan, très redoubté et souverain seigneur,
départir me convient de la très haulte emprinse que
vous m'avieez octroiëe du saint voiage d'oultre mer.
Celui seigneur qui y voult p[r]endre char humaine vous
doint fournir vostre voiage ! » Puis redist monseigneur
Philippe de Navarre après ung souppir : « Ha ! beau
frère Charles de Navarre, moult s'esveilleront encontre
vous voz ennemis après ma mort, et moult se pene-
ront de vous troubler par devers Jehan le noble roy de
France. » Apres ce que monseigneur Philippe ouït oe
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 133
dit^ ne paria se pou dod. Et lui bailla Ten ses derrains
sacremens et rabsolucion « a pena et culpa » qu'il
avoit requiz qu'elle lui (ust leue. Puis getta le derrain
souppir et trespassa moult dévotement. Ses seurs ma-
dame la royne Blance et madame Jekenne de Navarre
faisoient le plus merveilleux dueil du monde, criant :
(c Hëlas ! Dieu, que fais tu, qui nous hostes nostre bon
frère et nostre espoux? Espoux voirement, car par lui
estions gardées et soustenues. Or avons nous tout
perdu. » Nul ne les povoit conforter. Et par le con-
seil de madame la royne Blance, le corps de monsei-
gneur Philippe de Navarre fut mis en sépulture en la
cité d'Evreux, en la mère église de Nostre Dame,
ainsi comme à si noble et si hault homme appartenoit.
Jehan le roy de France fut moult dolent de la mort
de monseigneur Philippe de Navarre, et en fist faire
très grant service et grandes omosnez pour prier
Dieu pour lui.
Le Saint Père pape Innocent trespassa de cest
siècle. Et après ce les cardinaux, comme de ce est
acoustumé, furent en consistoire pour eslire et nom-
mer pape. Mais ilz ne peurent estre d'acort. Et pour
la cause du descord d'entre eulx furent enfermés et
enserrés jusquez à tant qu ilz eussent nommé ung
pape et esleu. Les cardinaulx furent tous d'acord
qu'ilz s'en mettroient en Telection de trois d'eulx,
c'est assavoir monseigneur le cardinal de Bouloingne,
le cardinal [de] Pierregort et le doyen des cardinaulx.
Tceulx cardinaulx ne povoient estre d'acort. Car cha-
cun y vouUoit mettre ung syen parfait amy, car estre
ne le povoient. Et donc, par la grâce du Saint Esperit,
advint que le cardinal de Bouloingne dist aux austres
f34 CHROiaQUE
deulx cardinaulx : « Nous ne poYons estre d'acort de
faire ung de nous cardinaulx Saint Père. Et il y a ung
bon preudomme qui est abbé de Marcelles. C'est ung
vaillant et suffisant homme. Je lui donne ma voix. »
Les autres esleuz cardinaulx distrent à une voix sans
le descorder ne debatre : « Ainsi le voulions nous. »
Ainsi (ut il pape esleu et fut mandé. Il vint et fut con-
sacré à Saint Père, et (ut appelle pape Urbain. Et pa-
ravant en son propre nom estoit appelle domp ou
frère Jehan Grimouart, et estoit homme de bonne vie
et saincté.
Cestui pape Urbain (ist moult de bien aux clers et
leur donna les bene(ices de saincte église. A aucuns
clers mal lettrés, qui par faveur des grans princes
avoient plusieurs et grans bénéfices, le pape Urbain
leur recouppa leurs grans prouvendes et en donna aux
bons clers qui en avoient pou.
Cy raconte du roy Jehan de France qui, pour la ve-
nue de son fîlz monseigneur d'Angou, pour ce que en
nulle manière il ne voulloit enfraindre le traictié de
lui et du roy d'Angleterre, estoit moult desplaisant.
Et adfin que on ne peust dire que par lui feust en rien
Tacort corumpu, et aussi que le roi Edouart ne estre-
chast aux^ hostages leur prison, le dit roy Jehan de
France passa là mer en Angleterre, et s'en ala en sa
propre personne restablir prison pour son filz. Car le
dit monseigneur d'Angou par nulle voye, pour doubte
de aspre prison, ne voulloit retourner en Angleterre.
Et ainçoiz que le dit roy Jehan partist de France, il fit
et establi son lieutenant et régent le royaume son
ainsné filz duc de Normendie et dalphin de Vienne.
Puis passa, comme dit est, la mer et ala en Angleterre
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 435
pour apaisier et salifier son frère le roy d'Angleterre
de ce que monseigneur d'Ângou son fîlz s'estoit parti
d'Angleterre sans sa liœnce. Moult soult grant gré le
roy d'Angleterre à son frère le roy de France de ce qu'il
le vit si plain de loiautë. Et bien grandement s'en tint
content du fait du duc d'Angou pour la très grant foy
et loiauté du dit roy Jehan de France son père. Moult
souvent disoit le roy Ëdouart d'Angleterre que
oncquez si loial prince n'avoit veu comme estoit son
frère Jehan le roy de France.
En cest temps que le dit roy Jehan fut seconde foiz
en Angleterre, monseigneur Jehan Jouel , chevalier
angloiz, fit guerre en Normendie et en Chartrain. Et
en une chevaucie qu'il fit par France, il vint devant
une forteresse qui estoil nommée Rouleboise. Et prist
le chastel fors la tour en laquelle madame de Roule-
boise avec autres nobles dames et gentilz hommes se
retrairenty et moult bien la deffendirent. Mais mon-
seigneur Jehan Jouel consentit que la dame et autres
damoiselles fussent mises dehors de celle tour. Et
quant elle fut dehors ^ il fit mettre la dame et les
autres en une charette , et lors fit enfondrer la tour
et assaillir d'icelle partie. Pourquoy de la tour par
nulle voie n'osoient getter de celle partie, car ilz
eussent getté sur leur dame et mise à mort. Et par ce
prinst monseigneur Jehan Jouel le dangon de Roule-
iDoise, et puis en envoia la dame et sa compaignie.
De la prinse du chastel de Rouleboise vindrent les
nouvelles à monseigneur le duc de Normendie, ré-
gent le royaume, comme dit est, qui moult hastive-
nent y envoia des gens d'armes pour rescourre le
chastel, maiz ilz vindrent trop tart.
436 CBROMQUE
Et pour résister et garder la rivière de Seine, monsei-
gneur le duc régent fit faire une armée de galioz à nage
pour garder la dicte rivière et conduire la marchandise.
Et furent en ceste armée grant partie de joennes
hommes (ilz de bourgoiz de Rouen avec des arbales-
triers de la dicte cité de Rouen. Et comme ilz deurent
approchier de la dicte place, ilz se mistrent en ung
lieu couvert jusquez au vespre. Puis vindrent devant
le chastel et descendirent à terre sans faire noise et
vindrent assaillir ung moustier que les Angloiz enfor-
çoient. Et tant efforciement l'assaillirent que par force
le prindrent. Lors yssirent plus de trente Angloiz
lesquelz furent occiz de ceulx de Rouen excepté six
qu'ilz prindrent à raençon. Et pour le jour qui venoit
ilz se trairent en leurs galioz pour ce que les Angloiz
du chastel estoient plus que eulx, car ilz n*estoient pas
lors plus de trente jeunes hommes d'armes sans les na-
geurs et autres gens d'armes mal armés. Et en ame-
nèrent leurs prisonniers et avec ce amenèrent tous les
basteaux que les Angloiz avoient prins. Et firent iceulx
des galioz une petite bastide pour garder la marchan-
dise. Maiz les Angloiz renforcèrent le dit moustier et y
mistrent garnison. Et monseigneur d'Yvry, monsei-
gneur de Blaru, monseigneur Guillaume Carbonnier,
monseigneur Ligier d'Auricy et ceulx de la Bastide et
ceulx de Mante vindrent assaillir le dit moustier et le
prindrent.
En icelui an courant la date mil trois cens soixante
trois, furent les plus grans gelées et le gregnieur yver
que l'en eust oncquez veu ne ouy parler de plus de
cent ans au devant. Et furent les rivières si fort enge-
lées que les Angloiz à grosses routes passèrent à cheval
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 437
la rivière de Seine et coururent en Veuguessin et em-
menèrent plusieurs prisonniers en leurs fortz et rap-
passerent par dessus la dicte rivière de Seine. Et pour
résister contre eulx monseigneur le duc de Normendie
fit faire une grande armée dont monseigneur Raoul de
Reneval fut cappitaine^ avec lui monseigneur de Blain-
irille, l'amiral de France, monseigneur d'Âubegny,
avec eulx moult de nobles hommes, afiin que les diz
Anglciz ne passassent plus la rivière de Seine. Puis
après le froissement des glaces les dessus diz nobles
liommes firent une chevaucie par devant le fort de
monseigneur Jehan Jouel.
Monseigneur le duc de Normendie, pour rebouter les
ennemis du royaume, manda monseigneur Bertran de
Qacquin, lequel admena une grosse route de Bretons
avec de bons chevaliers^ monseigneur Yvain Charuel^
monseigneur Olivier de Mauny, monseigneur Jacques
de La Houssaye, Roulant de La Chenaye, La Barre,
avec maint bon homme d'armes. En la route de mon-
seigneur Bertran de Clacquin se mist le conte d'An-
ecrre et son frère le Vert Chevalier, à belle route de
gens d'armes. Par le mandement de monseigneur le
duc de Normendie, vint avecquez le dit monseigneur
Bertran la chevalerie de Normendie et de Picardie,
premièrement le mareschal de Normendie, le baron
de La Ferté, monseigneur de Blainville, monseigneur
le Baudrain de La Heuse, amiral de France, monsei-
gneur de Basqueville, monseigneur d'Yvry, monsei-
gneur de Blaru, monseigneur Jehan de la Rivière, sei-
gneur de Préaux à cause de sa femme, monseigneur
Regnault de Braquemont, monseigneur de Friquans,
monseigneur de Betencourt, monseigneur le senes-
i 38 CHRONIQUE
chai d'Eu, monseigneur de Clere, monseigneur d'En-
nevaly en leur route maint bon homme d'armes de
Caux et de Normendie. Secondement, vindrent les
chevaliers de Picardie , monseigneur d'Ennequin ,
maistre des arbalestriers, monseigneur d'Aubegni,
monseigneur Raoul de Reneval, monseigneur Mahieu
de Roye, monseigneur Hue de Chasteillon, le chastel-
lain de Beauvaiz et le viconte des Kesnes. Tous iceulx
nobles hommes et leurs mesnies vindrent avec mon-
seigneur Bertran de Clacquin, et s^assemblerent à
Mante les seigneurs, mais leurs gens n'y enstrerent pas.
A Pasques l'an mil trois cens soixante quatre, furent
les dessus diz nobles à Mante où ilz firent leurs Pas-
ques. Et l'andemain vindrent mettre siège devant le
chastel de Rouleboise^ Et là vint le Besgue de Vil-
laines, et se logierent devant le dit chastel. Et entour
leur host firent fossez et hayez les diz Françoiz qu'ilz
ne fussent soupprins.
L'un des cappitaines des Angloiz, nommé Gaultier
Strot, avec lui ung archier, le samedi de cluses
Pasquez sur la relevée, comme les vendeurs de cui-
sine appareîlloient leurs chars pour vendre l'andemain
en l'osty cestui cappitaine yssi de son fort par ung lieu
couvert, avec lui son archier, et vint en l'ost et prinst
une haste de char et navra le vendeur. Car comme le
dit Gaultier Strot le prenoit, le dit bonhomme lui dit
qu'il n'emporteroit pas son haste sans aident et lui
voult rescourre, parquoy il fut navré. Et lors s'en prist
Gaultier Strot à venir vers son fort. Le paisant com-
mence à crier : a Haro 1 haro ! celui là m'a navré et si
1 . RolleboUe, Seine-et-Oije, arr. Mantes, c. Bonnières.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 139
m'a hostë par force mes derrëes. » Aucuns le prindreot
à suivir^ et lors saillirent des Angloiz jusquez à vingt,
que gens d'armes, que archiers, qui rebouterent ceulx
qui suivoient Gaultier Strot et en navrèrent aucuns de
leur trait. Et en ce faisant bien douze ou quinze
Aogloiz yssirent semblablement de leur fort et prin-
dreot ung troppel de marchans qui apportoient vivres
en Fost, et eulx et ce qu'ilz amenoient emmenèrent
dedens leur fort. Par quoy ceulx de l'ost s'armèrent et
vindrent assaillir le chastel, et là ouït ung fort assault
qui dura jusque au vespre. Et vindrent ceulx de Tost
avaller les fossez et se combatirent aux lances à ceulx
du chastel. Et les Angloiz se deffendirent viguereuse-
ment et gettoient grosses pierres sur les Françoiz.
Monseigneur Bertran et le conte d'Aucerre assaillirent
ceubL du chastel par devant le pont, et pou s'en fallu
qu'ilz ne gaingnerentlepont. D'autre partie furent les
Normans et les Picars qui moult vassaument se por-
tèrent, maiz pour ce que jour failli remaint Tassault.
Âpres cestui assault, le dimeuche premier d'après
Quasimodo, monseigneur Bertran de Clacquin manda
toutes ses gens qui vivoient sur le pais en Veuguessin
et aillieurs. Et icelle nuit fit faire deux embusches.
li'une fut devant Mante où estoit monseigneur Olivier
4ie Blauny, Roulant de La Chenaye, monseigneur de
Forquon, La Barre, en leur route huit vingt hommes
d'armes. Et au matin, comme la porte fut ouverte et
les gardes n'estoient pas encoires tous venuz, les Bre-
tons saillirent sur le pont comme une charette yssoitde
de la ville et coururent sus aux gardes de la perte, et
gaingnierent la porte, et de plain front coururent
f^noi la ville. Ceulx de Mante furent ainsi soupprins.
i 40 CHRONIQUE
Aucuns s'en fuioient par dessus les murs, les autres par
eaue ; les autres si fuioient aux églises. Par quoy ceulx
de la ville furent pilliez des Bretons. Des lors qu'ilz
ourent gaigné le pont et la porte, ilz firent un signe
que monseigneur Bertran congnut. Et ala à Mante
avec lui monseigneur Yvain Charnel, avec eulx grant
route de gens d'armes. Et fit crier par la ville que nul
ne meffeist à femme ne à enfant, maiz la ville avoit
ainçoiz este pillie. Aucuns des bourgoiz de Mante
comme Jacquez Pétrel, trésorier du roy de Navarre,
maistre Jehan de Haincourt, Jehan Doubler et plu-
sieurs autres si s'en fuirent à MeuUent et se mistrent eu
dangon de MeuUent.
Par semblable manière, monseigneur Jacquez de La
Houssaye, avec lui bien quatre vingt Bretons, prist le
fort de Yetheuir, et fut pillié comme Mante. Apres ce
que Mante eust esté prise et pillie des Bretons, Tost de
devant Rouleboize se desloga. Monseigneur de La
Ferté se mist en fort de Roony ', et les autres gens
d'armes s'en alerent. Puis aussi trois jours après ce
que Mante ouït esté pillie et prinse, comme devant est
dit, monseigneur Bertran et le conte d'Aucerre et leurs
gens assaillirent MeuUent. Et pour garder Mante,
demeura monseigneur Yvain Charnel et le Vert Che-
valier, frère au conte d'Aucerre, o bien deux cens
hommes d'armes.
Monseigneur Bertran de Clacquin et le conte d'Au-
cerre vindrent à MeuUent et l'assaillirent moult effor-
ciement. Car ceulx de la viUe se deffeudirent moult
i. Vétheuil, Seine-et-Oise, arr. Maotes, c. Magny.
2. Rofiiy-fiir-Selne, Seine-et-Oiie, c. et arr. Mantes.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. i41
vertueusement, et furent par eulx trébuchiez ceulx qui
montoient es eschielles dedens les fossez. Ceulx qui
estoient en la tour, tant comme l'en assailloit la ville,
se garnirent de vivres, de blës, de ferines et de chars.
Et de tous vivres qu*ilz povoient avoir portoient et fai-
soient porter aux femmes et à ceulx de la ville qui
n'estoient point sur les murs.
De l'autre paitie de Seyne, vint à MeuUent monsei-
gneur le baron de La Ferté, monseigneur Baudouin
d'Ennequin, maistre des arbalestriers , monseigneur
d'Yvry, monseigneur de Blaru, monseigneur Jehan de
La Rivière, monseigneur de Basqueville et monseigneur
de Betencourt, en leur route bien trois cens glaives. Et
quant aucuns se virent avironnez de tant de gens
d'armes, si s'espuanterent et ourent paour que, s'ilz
estoient prins par aucune aventure, que l'en ne les
meist à mort. Si ouvrirent les portes à monseigneur
Bertran et au conte d'Âucerre. Et lors entrèrent ilz en
la ville, et fut courue et pillie comme Mante avoit esté.
Monseigneur de La Ferté et ceulx de sa route s'en
xetournerent quant ilz virent que la ville eust esté
prinse.
Ceulx de devant Rouleboize, gens d'armes et arba-
lestriers , qui estoient de par la ville de Rouen , qui
tout river avoient gardé la rivière, se deslogerent par
ce qu'ilz n'avoient nulz vivres et n'en pouvoient de
nulz finer. Car Yernon estoit ennemi du royaume pour
lors. Et le faisoit garder madame la royne Blance
moult eflbrciement pour doubte des Bretons de Mante.
Monseigneur Bertran, quant il ouït prins Meullent,
il y mist garnison pour la garder et pour asseoir ceulx
de la tour qui à merveilles estoit forte et comme im-
142 CHRONIQUE
prenable par assault. Puis après ce que monseigneur
Bertran ouït prins Mante, MeuUent, Yetueil et autres
places, il le manda à monseigneur le duc de Normendie
qui tantost vint à Pontoise. Et là vindrent à lui les
nobles hommes. Puis chevauca le dit monseigneur le
duc à MeuUent. Et comme il passa par devant le dan*
gon, les bourgoiz de Mante qui estoient dedens com-
mencèrent à getter pierres moult fort et disoient de
villaines paroles de monseigneur le duc. Donc ilz
firent que folz et mauvaiz, et moult chierement depuis
le comparèrent. En Meullentne fit monseigneur le duc
lonc séjour, maiz grosse garnison mist devant le dan-
gon, et si fit venir des mineurs qui jour et nuit minèrent
la dicte tour. Puis vint monseigneur le duc à Mante
où là il print le serement de ceulx de la ville et lui
jurèrent feaulté. Et pour la paix et seurté de ceulx de
Mante, il fit vuidier les Bretons de Mante, et en (lit
cappitaine monseigneur d'Yvry. Les mineurs qui mi-
noient la tour de Meullent minèrent si fort et si par-
fondement que la tour print à enfondrer. Par quoy à
briefvez paroles il convint que ceulx de dedens se
rendeissent, ou ilz eussent este agraventez de la tour.
Et furent les diz bourgoiz de Mante menez à Paris, et
là furent ilz décapités.
Cy raconte Tistoire du noble roy Jehan de France
qui, pour la cause monseigneur d'Angou, s'e^toit aie
restablir en Angleterre. Dont le roy d'Angleterre dist par
plusieurs foiz, loant la bonne foy et loiauté de son bon
frère Jehan le roy de France, disant que oncquez plus
loial prince n'avoit veu que son frère le dit roy Jehan.
Maiz la mort qui n'espargne nul prist son truage sur
le dit roy Jehan. Et comme le dit roy Jehan se vit
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 143
amaladiy comme vray catholique il requist les sains
sacremens, lesquelz il receust comme bon crestien
et fist son testament. Il donna à son filz monsei-
gneur Philippe dit Hardi, qui fut prins avecquez lui,
la duchié de Bourgoingne. Et comme le noble roy
Jehan estoit malade, il disoit souvent en priant Dieu,
disant : « Beau doulz père et doulx Dieu Jhesucrist,
pour vostre précieux sanc vengier et vostre loy acroistre,
me suys je croisié. Doulx Dieu, se ce n'est ton plaisir
que par moy le voiage soit emprins, ta voulenté soit
faicte et acomplie de moy à ton bon plaisir ! » Jehan le
noble roy de France fina ainsi sa vie moult dévotement
ung pou après Pasquez le .../jour d'avril l'an de
grâce mil trois cens soixante trois.
Edouart, le roy d'Angleterre, fut moult dolent de
la mort du roy Jehan et lui fist faire grant solennité et
grant service en Angleterre. Et fut le corps du dit roy
Jehan appareillié comme il est acoustumé en tel cas à
A très hault, si noble et si puissant prince. Et convoia
le dit roy Edouart la litière et bière en quoy le corps
du dit roy Jehan estoit jusques à la mer à très grant
luminaire, puis s'en retourna le dit roy Edouart.
Renommée, qui partout voile, vint en France de
la mort du roy Jehan. Monseigneur le duc de Nor-
mendie en ouït nouvelles. Et alors avoit discencion
entre lui et madame la royne Blance qui voult tenir
Vemon contre monseigneur le duc. Et vint monsei-
gneur le duc devant Vemon a grant foison de gens
d'armes. Et fut fait acort entre la royne Blance et
monseigneur le duc. Et en firent la paix monseigneur
i • Efpace laiBté en blanc dans le ma.
144 CHRONIQUE
de FriquaDS et monseigneur Regnault de Braquemoi
Alors vint le captai de Bues en Normendie de par
roy de Navarre, mais il ne scavoit riens de la prin
de Mante, de MeuUent et de Vetueil ne de la guei
source. Et lors vint à lui Tevesque de Avrenebes,
assemblèrent les garnisons des forteresses Angloid:
et Navarroises. Quant monseigneur le duc cuit
acort avec la royne Elance, il vint au Goullet et là i
çut certaines nouvelles que son père estoit trespan
Lors fut partout sceu le trespassement du noble r
Jehan de France.
Adonc ala hastivement le nouvel roy à PontoÎM
de là à Paris pour aler à Rains. Et monseigneur Bertx
de Clacquin demoura lieutenant du roy en Norm
die pour résister à la venue du captai. Et le i
Charles, filz du roy Jehan, ala à Rains pour estre oc
ronné et o lui sa mouUier. Avec lui ala Pierres le i
de Cyppre, monseigneur d'Angou, monseigneur
Boui^oingne et moult de haulz et nobles hommes,
prelas et autres gens d*estat.
Cy raconte que le captai ala à Evreux. où là asseï
bla les garnisons. Monseigneur Jehan Jouel vint, à
monseigneur Pierres de Saquainville , monseignc
Guillaume Carbonnier, Guillaume Le Noir de Gravi]
monseigneur de Gauville et son fils monseigneur f
digo, le Bascon de Mareul et tous les cappitaines <
fortz Angloiz et Navarroiz de Normendie. Et quekj
les Angloiz furent à Evreux , le captai vint veoir
royne Biance au chastel de Vernon et madame .
benne de Navarre. Et disna avec elles le lundi i
feries de Penthecoustes. Et au départir baisa madai
Jehenne, car le roy de Navarre, à la requeste et prL
DES QUATRE PREBUERS VALOIS. 145
du prince de Galles, lui avoit acordé qu'il Tauroit à
femme. Moult plut celui baisier au captai, car ma-
dame Jehenne estoit une des plus belles dames de
crestienté^ Puis se parti le captai de Yernon et se
mist sur les champs. Et en ouït monseigneur Ber-
tran nouvelles que ledit captai estoit sur les champs.
Lors se parti monseigneur Bertran de Clacquin pour
aler combatre le dit captai, avec lui le conte d'Aucerre
et son frère filz de madame du Bec Crespin en Caux,
monseigneur Yvain Charnel, monseigneur Olivier de
Mauny, monseigneur Jacquez de La Houssaye, mon-
seigneur de Porcon, Roulant de La Chenaye, La Barre,
avec iceulx grans routes tant de Bretons que d'autres
gens d'armes. Avec monseigneur Bertran se adjouste-
rent des Normans grant foison , c'est assavoir les
barons de Picardie et les nobles par grosses routes
que avoit assemblé le dit Bertran de Clacquin, le
viconte de Beaumont, monseigneur le baron de La
Ferté , monseigneur de Blainville , monseigneur de
Clere, monseigneur d'Ësneval, monseigneur de Ber-
reville, monseigneur de Villequier, monseigneur de
Betencourt, monseigneur le seneschal d'Eu, monsei-
gneur de Tournebust, monseigneur de Basqueville,
monseigneur des Ysles, monseigneur de Torchy, mon-
seigneur Baudouin d'Ennequin , maistre des arbales-
Iriers, monseigneur Robert de Guerarville et moult
d'autres nobles chevaliers et escuiers dont les noms
ne sont pas icy retraiz.
Sur la rivière d'Eure, emprez Cocherel, fut la ba-
1. Ce curieux incident, à la Teille de Cochert*!, nous est révélé puur
la première fois par notre chronique.
10
146 CHRONIQUE
taille des Françoiz, Normans^ Picars et Bretons contre
le captai de Bues o ses Gascons, Àngloiz et Navarrois.
De ambedeus parties avoit de bons chevaliers de toute
crestientë et de bonnes gens d'armes. Ce jour que la
bataille assembla estoit jeudi , et estoit le dix neu-
vième jour du mois de may S ^^ estoit la Teste de Saint
Yvez, Tan mil trois cens soixante quatre.
Les deux parties vindrent Tune contre l'autre à pié,
les glaives en poing ; et une route des Bretons de-
moura à cheval avec les pages et les bagaiges. En la-
quelle route estoient bien deux cens hommes. Et avec
iceulx se mistrent ceulx qui avoient paour des horions.
A l'assembler ouït grant criée d'une partie et d'autre.
Et assemblèrent les Normans et les Picars aux Angloiz
qui faisoient une bataille. Et monseigneur Bertran, le
conte d'Aucerre et ceulx de leurs routes et celle du
viconte de Beaumont qu'ilz adjousterent o eulx assem-
blèrent aux Gascons et aux Navarrois. Là fut la ba-
taille forte et aspre, et s'entreferoient de glaives tant
effbrciement que c'estoit merveilles. Et ceulx à qui les
glaives failloient ilz se combatoient de haches. Le
captai se combatoit si vassaument qu'il resbaudissoit
moult sa gent. Et d'autre part les Angloiz se comba-
tirent si fort qu'ilz firent ung pou reculer les Normans
et les Picars. Et à icelle foiz y ouït occiz de bons che-
valiers, monseigneur le viconte de Beaumont qui estoit
contre le captai, monseigneur de Betencourt , mon-
seigneur de Villequier, et monseigneur Baudouin
1 . Le jeudi 16 mai. La fête de saint Yyes est tombée le dimanche 19.
y. Froissait, liy. I, part. Il, ch. clxx-glxxix, éd. du Panthéon , t. I,
p. 475-483. — Grandes ehroniquêt, t. VI, p. 232. — Cont. de Aangis^
t. II, p. 341-344.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 147
cl*EoDequin, maistre des arbalestriers. Et là fut mon-
leigneur Jehan Jouel navré à mort, et monseigneur
Pierres de Saquainville et le Bascon de Mareul y furent
30ciz. Alors s'en vindrent les Bretons, qui o le ba-
goaige et les pages estoient, ferir en la bataille tous
Sraiz, et entrèrent en la bataille. Car les Gascoings,
Inglois et Navarrois estoient moult chargiés du faiz
jaîlz avoient de la bataille. Et se iceulx Bretons
eussent gueres plus atargié, le captai eust eu victoire.
UorSy comme dit est, iceulx Bretons se ferirent en
mvers des Gascons et des Angloiz. Et donc s'esver-
:uerent les François et pristrent à assaillir les Angloiz
ûus efforciement que au commencement de la ba-
bille. Lors les Bretons*, qui estoient fraiz et nouveaulx,
juant la bataille se tourna à desconfire, car aucuns
les gens du costé au captai s'en prindrent à fuire, et
noult en escappa par ung petit bois qui estoit prez du
^hamp. Quiconquez s'en fuit, le captai demoura en
rhamp en soy combatant comme bon et preux che-
valier, o lui environ cinquante hommes d'armes.
Et (ut asprement assailli; et ainçoiz qu'il se voul-
ôst oncquez rendre, il fut abatu à terre. Et lors
log Breton , qui estoit surnommé Betin, le prist, car
1 sailli sur luy, et fut fiancé le captai à iceliui Breton.
fous les bons prisonniers eurent les Bretons, car ceulx
[ui vindrent au retour de la bataille frez et nouveaulx
i gaingnerent plus legierement.
Âpres ceste victoire, retourna monseigneur Ber-
ran de Clacquin en la cité de Rouen, et les Françoiz
ivec lui y c'est assavoir Normans, Picars et Bretons^
I, Soii»«itendu : anAilUrent.
i 48 CHRONIQUE
par especial les maistres. Et amena le dit monseigneur
Bertran le captai à Rouen et monseigneur Jehan
Jouel, cappitaine des Angloiz , où monseigneur de La
Ferlé avoit part, car par ses gens avoit esté prins^ ja-
soit ce que ung Breton y clamast part avoir. Si fut
mené au Pont de l'Arche et monseigneur Pierres de
Saquainville aussi. Maiz monseigneur Jehan Jouel
mourut des plaies qu*il ouït en la bataille. Et les
autres Angloiz et Gascons furent mis à raençon. Mon-
seigneur Bertran de Clacquin escript au roy la prinse
du captai. Et comme le roy en ouït les lettres, il estoit
samedi vegille de ia Saincte Trinité et Tendemain de-
voit estre sacré. Et lors le roy tendi ses mains eu chiel
et rendi grâces à Dieu de la bonne \dctoire que Dieu
lui avoit donnée. Puis vint à Rains plain de grant
leesce et aussi tous ceulx de sa compaingnie, car
moult avoient grant doubte que le captai n'eust vic-
toire. Et comme le roy doubt entrer en Rains, les
citoiens vindrent en son encontre à noble compai-
gnie, et estoient vestus de robes pareilles.
L'an de Tincarnacion Nostre Seigneur Jhesucrist
mil trois cens soixante quatre, le jour de la Saincte
Trinité fut couronné, enoint et sacré à roy de France
Charles ainsné filz du roy Jehan, avec lui sa belle et
bonne mouUier madame la royne fille du noble duc
de Bourbon. Apres le sacre fut le disner grant et
noble, et après furent les joustes grandes et belles, et
y jousta le roy de Cyppre. Et après le sacre et la feste,
le roy se parti de Rains pour les affaires de son
royaume, et s'en vint à Paris où il fut très joieusement
receu et haultement. Et furent les bourgois de Paris
vestus de vert et de blanc, et parmi la ville de Paris
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 149
oult grant richesse de paremens, et y ouït joustes à
Paris pour la venue du roy graudes et planieres^ es
quelles joustes le dit roy de Cyppre jousta.
Charles le roy de France vint, depuis qu'il oult esté
à Paris, tantost à Rouen, et là fut très joieusement
receu.et très solennelment. Et furent les bourgoiz ves-
tuz de robes pareilles, de bleu et de tenné, étalèrent à
rencontre du roy à noble et grant compaignie et à
sons de instruraens à sa pieuse venue. Et comme il
fut en la cité, il vint en la mère église de Nostre Dame,
avec lui monseigneur d'Angou et monseigneur de
Bourgoingne ses frères, monseigneur le conte d'Alen-
çon et son frère le conte d'Estampes, monseigneur
Jehan d'Artoiz conte d'Eu, le conte de Tancarville,
les prelas de Normendie et la plus grant partie des
plus haulz barons et nobles du dit pais. En la dicte
mère église ouy le roy sa messe, et là vint à lui mon-
seigneur Bertran de Clacquin qui amena au roy le
captai. Et là fist le captai serement au roy par devant
tabelions de tenir loial prison. Puis ala le roy à son
chastel où il tint court planiere. Et à sa table fist as-
seoir le captai. Et là présentement donna le roy à
monseigneur Bertran de Clacquin la conté de Longue-
ville, laquelle fut à monseigneur Philippe de Navarre.
L'andemain de la venue du roy, fut décapité monsei-
gneur Pierres de Saquainville qui fut prins à la bataille
de Coclierel, lequel fut en son temps ung bon homme
d'armes et grant sages homs, maiz à la foiz sage
foloié.
En ce temps se parti Pierres, le roy de Cyppre, du
royaume de France et s'en retourna en sa terre, maiz
de lui se taist l'istoire à raconter quant à présent.
180 CHRONIQUE
Charles le roy de France et duc de NonneDdie, par
N^ l'ordonnance de sou conseil, fit à monseigneur Ber-
tran de Clacquin, conte de Longueville, oster et vut-
der les Bretons du pais de Caux. Et passèrent la ri-
vière de Seyne et prindrent Tabbaye du Bec les diz
Bretons. Maiz depuis monseigneur de Friquans la
prist sur les Bretons, poiu* ce qu'ilz damagoient trop le
pais. De rechief par devsgit Charles le roy de France
jura à tenir loiaument prison le dit captai de Buch, par
obligacion faicte et passée devant deux tabelions apos- -
toliques et quatre imperiaulx. Puis se parti le roy de
Rouen et retourna à Paris. Et le captai fut mené en
prison eu fort chastel de Meaux.
En Bretaingne sourdi une grosse guerre entre
Charles de Bloiz, duc de Bretaingne, à cause de sa
femme, et Jehan le conte de Montfort. Charles le duc
de Bretaingne manda monseigneur Bertran de Clac-
quin en son aide. Lequel ala à son seigneur et che-
vauca o ses Bretons le long de Normendie, destruisant
et gastant la terre du roy de Navarre et entra en Cos-
tentin qu'il degasta en partie. Monseigneur le baron
de La Ferté, affin que Bernay ne fust pillié des Bre*
tons, vint à tout deux cens glaives à Bernay, et se ren-
dirent et se mistrent ceulx de Bernay soubz sa garde.
Et comme une grosse route de Bretons vindrent par
devant Bernay pour pillier, ilz trouvèrent et sceurent
que monseigneur de La Ferté estoit dedens, si se par-
tirent et s'en retournèrent.
Les barons de Normendie, par especial ceulx de
Caux, monseigneur de Blainville, monseigneur de
Basqueville, monseigneur de Clere, monseigneur Le
Baudrain de la Heuse, amiral de France, monseigneur
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 151
Jehan de Meleun, monseigneur Jehan de [.a Rivière,
monseigneur de Garencieres, à grosses routes de gens
d'armes^ chevaliers et escuiers, chevaucerent sur la
terre au roy de Navarre. Et se adjousterent avec eulx
moult de nobles de Picardie, monseigneur d' Aubegny ,
monseigneur Raoul de Reneval, monseigneur Mahieu
de Roye, monseigneur Hue de Chasteillon, maistre
des arbalestriers, le viconte de Kesnes, en leurs routes
maint chevalier et escuier. Et tous ensembles alerent
par devant ung fort d'Angloiz et de Navarrois mettre
le siège. Et seoit cellui fort sur la rivière d'Eure, si
que la dicte rivière avironnoit tout entour icellui fort,
et estoit nomme Aquigny \ Les barons dessus diz des-
traindrent tant cib: qui estoient dedens par pierres et
par assaulx que les Angloiz et Navarrois rendirent le
fort en la main des barons dessus diz.
Alors monseigneur Philippe de France, duc de
Bourgoîngne, avoit mis le siège devant Camerolles,
ung fort entre Beausse et Orliens, en sa route moult
de grans seigneurs, monseigneur Dampmartin et mon*
seigneur Boussicaut, mareschal de France, et ceulx
d'Orliens. Par lesquelz fut tant effbrciement assailli le
chastel de CameroUes par force d'assauh, par pierres
et mangonneaulx qui de nuit et de jour gettoient eu
dit fort de CameroUes. Et d'autre part leur livroient
ceulx de Tost monseigneur le duc de Bourgoingne
d'asprez et fors assaulx. Le dit monseigneur de Bour-
goingne si estoit moult souvent le premier aux as-
saulx et moult hardiement se contenoit. Nouvelles
vindrent alors à monseigneur le duc de Boui^oingne
1. Acqnigny, air. et c. LouTÎen.
i 52 CHRONIQUE
que monseigneur Hue de Karvelley, monseigneur
Jehan de Chendos et monseigneur Robert Canolle ve-
noient à grande compaignie d'Angloiz lever le siège
de monseigneur le duc de Bourgoingne. Pourquoy il
manda à ceulx qui tenoient le siège devant Aquigny
que errant et sans delay ilz venissent de là à lui. Et
alors avoient tout de nouvel prins Aquigny. Et alerent
les dessus diz chevaliers à monseigneur le duc de
Bourgoingne, lequel avoit par force tant destrains
ceulx de Cameroles qu il les avoit prins. Et, comme
prince de grant justice plain, pour la punicion des
maulx qu'ilz avoient faiz au peuple, il fit les gens qui
estoient en dit chastel du pais de France adjoustés
avec les Angloiz et Navarrois, tous mourir comme
traistresy larrons. Et les Angloiz, Gascons et Navar-
roiz furent mis à raençon.
Jusquez assez près de Cameroles vindrent les ba-
rons de Nôrmendie et de Picardie. Et alerent des
haulz hommes d'entre eulx par devers monseigneur
Philippe de Navarre qui leur fist grant joye et les fist
retourner. Car il avoit ouy certaines nouvelles que
les Angloiz estoient retournés en Bretaingne. Maiz ains
que les barons de Tost des Normans et Picars par-
tissent, fut donné en conseil à monseigneur le duc de
Bourgoingne que Post des diz Normans yroient mettre
le siège devant Evreux. Et lors se partirent du duc les
diz Normans barons et s'en retournèrent à leurs gens
et se alerent rafreschir à Chartres. Puis se partirent
et vindrent à Evreux Tandemain de la feste Saint
Jacques et Saint Cristofle. Ceulx de la ville saillirent à
Tescarmuche contre les Françoiz. Et quelque monsei-
gneur de T-a Rivière escarmuchoit contre ceulx delà ville
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. i 53
et contre monseigneur Jacques de Landuras, souverain
cappitaine du chastel et de la ville, jasoit ce que ceulx de
la ville eussent fait leur cappitaine d'ung des bourgoiz de
la ville, moult fut Fescarmuche belle à prendre le siège
devant Evreux. Laquelle fut commencie par ceulx de la
route monseigneur Jehan de La Ville ausquelz vindrent
aidier moult de bons chevaliers et escuiers des routes
des autres seigneurs. Monseigneur Jacquez de Landu-
ras, qui moult estoit sage et bon chevalier et preux
aux armes et bien gentil homme, car il estoit cousin
du captai, quant il vit enforchier la route des Fran-
çoiz, il fit retraire ses gens en la ville. Maiz il n'estoit
pas lors devant, il estoit derrière. Et là fut la force
des Normans si grande et des Picars qu'ilz rompirent
les barrières et esracherent. Et pou s'en fallut qu'ilz ne
prindrent monseigneur Jacquez de Landuras qui se
recuilli par la planche. Lors se logèrent les diz bons
Noraians et Picars en Tabbaye de Saint Taurin jouxte
Evreux. Et tant comme le siège y fut, ilz livrèrent
maint assault et mainte escarmuche.
Monseigneur de Bourgoingne, à la requeste et
prière de ceulx de Chartres , ala mettre le siège de-
vant Connoy, et le Ht moult fort assaillir. Car de
Chartres vint engins et pierres qui gettoient de jour
et de nuyt par telle manière que nul ne se savoit où
rescousser eu fort de Connoy pour les coups de
pierres. Tant efforciement destraint monseigneur
Philippe duc de Bourgoingne les Ângloiz que le dit
fort lui fut rendu. Et comme il a voit fait de ceulx
de Camerolles, il fit semblablement de ceulx de
Connoy.
Cy raconte des aucuns barons de Normendie, c'est
itik CHRONIQUE
assavoir monseigneur de Beaumesnil /monseigneur de
La Ferté, monseigneur de Toumebust, baron du Bec
Thomas, et monseigneur Guillaume du Melle à tout
leurs routes de tant comme ilz pourent fîner de gens
d'armes, chevaliers et escuiers normans et grant
nombre de bons servans, allèrent mettre le siège par
devant Eschaufou, le plus fort chastel que les Ângloiz
eussent en Normendie ne en France, hors les chas-
teaux roiaulx que tenoit en Normendie le roy de Na-
varre. Cestui fort d'Eschaufou ne povoit estre prins
par assault. Et pour, monseigneur Guillaume du MellCi
qui moult estoit sages hommes d'armes , fit establir
une myne et fît venir mineurs du pais de La Ferté el
de Laigle. Lors commencèrent fort à miner. Les An-
gloiz apperçurent la myne et firent contremine. Et
advint ainsi que les deux mines s'entrencontrerent
et assemblèrent. Et comme les mines fiirent ouvertes,
s'entre rencontrèrent les Angloiz et les Normans. En
icelle mine ouït souvent de dures batailles. Et donc,
par le conseil du dit monseigneur Guillaume du Melle,
on refit une autre myne. Alors avoit ung Angloiz à
Eschaufou qui avoit esté clerc et escollier, lequel avoit
nom Hoclequin Lucas. Cestui Angloiz fit traictië aux
Normans qu'il se rendroit à eulx, et leur rendi le fort
d'Eschaufou, et jura qu'il seroit desormaiz bon et
loial Françoiz. Et par son bel langage et bel contene-
ment, le retint monseigneur de La Fertë de son
hostel.
Et tant comme les Normans estoient occupez es
sièges qu'ilz avoient mis par devant leurs ennemis, les
Gascons, avec eulx Pierron du Saut cappitaine d'icelle
route, vindrent par ung point du jour escheler le chas-
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. i55
tel de Mou1ineauIx\ Car alors le cappitaine du chas-
tel, uDg chevalier qui avoit nom monseigneur Jehan
de Belengues, estoit au siège à Evreux. Et quant les
Gascons eschelerent le dit Moulineaux, il faisoit ung
très grant bruilas. Parquoy ilz ne furent oncques
apperceux jusques ad ce quMlz furent bien dix Gascons
montés. Et lors commença le soleil à lever, etl'eschau-
guette qui estoit monté pour le jour commença à
crier : « Trahi ! trahi ! Alarme ! » Et lors les Gascons
crièrent « Saint George ! » et coururent à la porte à
haches et congnies. Et rompirent les serreures et ou-
vrirent la porte et le pont et coururent sus à ceulx du
chastel et par force les prindrent. Pierron du Saut fit
les dames de dedens le chastel, ma damoiselle de
Harecourt, laquelle ne youU oncques avoir espoux, et
les autres dames conduire par les gentilz hommes
mesmes qui estoient eu chastel avecques elles. Maiz il
leur fit premier jurer prison. Et fut conduicte ma da-
moiselle de Harecourt o les trois dames et damoiselles
à Rouen. Moult fut le pais troublé de la prinse de
Moulineaux. Ceulz de Rouen, qui moult haoient le
voisinage de leurs ennemis, envoierent messages à
monseigneur le duc de Bour^oingne comme il lui
pleust mettre siège devant Moulineaulx, lequel avoit
esté prinsdes ennemis du roy leur souverain seigneur.
Monseigneur le duc de Bourgoingne, désirant débou-
ter les ennemis de la terre du rov son frère, moult
hastivement s'appliqua pour venir devant Moulineaulx,
vrec lui le conte Dampmartin^ monseigneur le mares-
1. MoolineanXy Seine-Inférieure, arr. Rouen, c. Grand-Couronne,
^mm. de la Bouille.
ir:6 CHRONIQUE
chai Boussicaut, monseigneur de La Ferté et tous
ceulx qui a voient tenu le siège de Eschaufou. Ceulx
de Rouen vindrent avec monseigneur le duc de Bour-
gongne moult efTorciement de gens d'armes, archiers,
arbalestriers. Et firent mener grant foison d'engins,
bricolles et pierres, et moult efTorciement emprist le
siège. Car nul jour ne fut tant comme le siège fut de-
vant le chastel que les engins ne gettassent et qu'ilz
n'eussent assault et forte escarmuche.
En cest temps entra monseigneur Louis de Navarre
en royaume de France à grant route de gens d'armes
servans et archiers qu'il eust du pais de Gascoingne
et de Navarre et des forts des Anglois qu'ilz tenoienten
Languedoc et en hault pais. A tout celLui liost vint mon-
seigneur Louis de Navarre courant le royaume jusques
à La Charité sur Loire. Laquelle ville fut tant efTorcie-
ment assaillie des gens de l'ost du dit monseigneur
Louis de Navarre que par force la prindrent, cou-
rurent et pillèrent. Le dit monseigneur Louis de Na-
varre, par le conseil de monseigneur Luce et par mon -
seigneur Martin Requiz, fit vuidier le pais de vivres
d'entour La Charité environ sept lieues, et en fit la
ville et forteresse de La Charité très bien garnir.
Au roy de France vindrent les nouvelles comme
monseigneur Louis de Navarre estoit entré en son
royaume à grant quantité de gens d'armes. Alors
manda le roy à monseigneur de Bourgoingne et à tous
les haulz hommes de France qu'ilz alassent encontre
la venue de monseigneur Louis de Navarre. Par quoy
monseigneur Philippe de France, duc de Bourgoingne,
se parti de devant Moulineaux et leva son siège. Et
aussi firent les nobles hommes qui tenoient le siège
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 157
devant Evreux et se adjousterent à Tost de monsei-
gneur le duc de Bourgongne à la Croix Saint Lieuf-
firay *, Et de là chevauca monseigneur de Bourgongne
contre monseigneur Louis de Navarre. Et à trois lieues
près de La Charité se vint logier monseigneur de
Bourgoingne o son host.
Puis vint monseigneur de Bourgoingne par devant
La Charité de Laire pour combatre le dit monseigneur
Louis de Navarre. Et par devant La Charité ouït ung
fort paleteis de Gascons, d'Anglois et de Navarrois
contre les Françoiz. Et furent par force d'armes recul-
lés les gens de monseigneur Louis de Navarre jusques
dedens la ville. Et furent monseigneur le duc de Bour-
gongne et les François par devant La Charité pour
atendre bataille bien quinze jours. Mais de vivres
souflfroient ilz très grant mesaize, par especial pour
leurs chevaulx. Car le pais avoit esté tout pillié des
gens du dit monseigneur Louis de Navarre. Et de
l'autre partie de la rivière avoient ceulx de Tost de
monseigneur Louis de Navarre le pais à leur bandon.
Aucuns des routes de monseigneur de Bourgongne
se avanturerent pour avoir des vivres et passèrent à
ung bon guay au dessus de La Charité et alerent four-
ragier. Monseigneur Louis de Navarre le sceut et
envoia contre eulx ses mareschaux et bien cinq cens
combatans qui acousuirent les François comme ilz
retournoient et voulloient passer la dicte rivière de
Loire. Et ja en estoit bien passé deux cens. Et comme
les autres virent leurs ennemis qui estoient plus fors
d'eulx de plus des trois pars, si se mistrent à passer la
i. La Groix-Saint*Lenfroy, Eure, arr. Louvien, c. Gaillon.
158 CHRONIQUE
rivière et laissèrent leur proie. Là perdirent les Fran-
çois bien mille chevaulx par defaulte de vivres. Par
quoy il fallut, pour la defaulte de vivres par especial
de leurs chevaulx, que le dit monseigneur de Bour-
gpingne s'en retournast, et donna congié à ses gens et
à ses nobles hommes. Et monseigneur Louis de Navarre
s'en ala en Normendie lieutenant pour son frère le roy
de Navarre. Et fit les forteresses et chasteaux de son
dit frère renforchier et garnir de vitailles et rafreschir
de gens d'armes. Et es chasteaux mist cappitaines en
aucuns lieux selon son plaisir et qu'il veoit estre
expédient.
En cest temps mesmes, le conte de Montfort, filz du
vieil conte de Montfort, clamoit droit en la ducliié de
Bretaingne à cause de succession, car le vieil conte de
Monfort estoit frère du bon duc Jehan de Bretaingne.
Et quant le bon duc Jehan trespassa, il n'avoit nul
hoir masle. Maiz il est bien vérité que le duc Jehan de
Bretaingne avoit eu ung filz , lequel estoit trespassë par
avant que son père le duc Jehan trespassast. Et de
cestui filz du duc yessi une fille , laquelle fut mariée à
monseigneur Charles deBloiz. Et fut au temps du roy
Philippe jugié par arrest de parlement que la dicte
duchié de Bretaingne seroit et appartenoit à la dicte
fille du filz du duc Jehan , comme devant est dit. Le
vieil conte de Montfort disoit estre hoir prochain,
disant qu'il estoit frère du duc Jehan et qu'il estoit plus
prochain hoir que sa niepce , et que au jour que son
frère le duc trespassa, il n'avoit nul hoir masle yessu
de lui. Maiz non obstant les raisons du vieil conte de
Monfort, fut adjugée la duchié de Bretaingne à la dicte
fille, femme de monseigneur Charles de Bloiz. Par
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 159
quoy le dit vieil conte de Montfort guerroya tant
comme il vesqui le duc Charles de Bloiz. Et après la
mort du vieil comte de Montfort reprint son filz la
guerre. Et à grant nombre de gens d*armes d'Àngle-
terre, c'est assavoir monseigneur Hue de Karvellé,
monseigneur Hue le Despencier, monseigneur Jehan
de Chendosy monseigneur James de Pipes^ et Robert
Cauolle, avec iceulx et leurs routes vint en Bretaingne
le comte de Montfort. Monseigneur Louis de Navarre
lui envoya grant route de ses gens à soy aider, et
prindrent aliance par Tevesque d'Âvrenches entre le
comte de Montfort et monseigneur Louis de Navarre.
Puis après l'aliance prinse le dit evesque s'en retourna
par devers monseigneur Louis de Navarre.
Monseigneur Charles de Bloiz, duc de Bretaingne,
pour deffendre sa terre, assembla grant gent, monsei-
gneur Bertran deClacquin, monseigneur le conte d'Âu-
cerre^ monseigneur de Beaumanoir, monseigneur
Yvain Charnel, monseigneur Olivier de Mauny. Et avec
ce y vint grant foison de gens d'armes de Normendie.
Monseigneur Charles de Bloiz chevauca o tout son host
encontre le conte de Montfort, et s'entre approchèrent
les deux hostz. Et avoit monseigneur Charles de Bloiz
plus grant nombre de gent que n'avoit le conte de
Montfort. Et comme les deux hostz furent Tun devant
l^autre, aucuns preudommes s'entremistrent de faire
acort par entre le duc et le conte de Montfort. Et
de tous les drois que le conte de Montfort clamoit en
la duchië, il quittoit le duc Charles et sa femme par qui
il tenoit la duchié pour la conté de Dol et trente mille
livres de terres parmy la dicte comte. Ce traictië fut
cipporté par devers le duc Charles lequel estoit sur le
166 CHRONIQUE
point de l'acorder quant par monseigneur Bertran de
Clacquin fut le dit traictié et acort rompu. Donc ce
desplut moult aux liaulx hommes et nobles de Bre-
taiugne et par especial à monseigneur de Beaumanoir.
Car alors dit le dit monseigneur Bertran, oyans tous
les seigneurs et ceulx qui faisoient parlement de l'acort :
ce Sire, les veoiës vous^ les ordoux gars! Hz seront
desconfiz au jour d'uy. Je vous rendroy la duchié de
Bretaingne nettyée de ces gars^ » Moult furent yrés et
ourent grant despit ceulx qui estoient de par le conte
de Montfort. Et rapportèrent les paroles de monsei-
gneur Bertran au conte de Montfort et aux Angloiz
qui de ce ourent grant despit. Et se mirent lors les
Angloiz en conrroy pour combatre de trop grant cou-
rage et approchèrent Tost de monseigneur Charles de
Bloiz. Cellui jour estoit feste de Saint Michiel, et s'en-
trevindreut les deux hostz courre sus. En premier
front, du costé au duc, fut le conte d'Aucerre, avec
lui des chevaliers de Normendie et des escuiers, car
Normant estoit de par sa mère. Puis vint monseigneur
Bertran du Clacquin o sa bataille et alerent combatre
les Anglois. Charles de Bloiz duc de Bretaingne fit aler
sa bataille contre celle de son cousin le conte de Mont-
fort. Monseigneur de Beaumanoir et le sire de Lyon,
avec eulx grant partie de Bretons, se tindrent indiffe-
rens, et à leur bataille n'approchèrent point les An-
glois. Et lors assemblèrent les batailles, et à rassembler
ouït grant noise tant des instrumens que des cris des
1 . On trouTe dans Froissait un récit tout difTéreot. D*aprèt ce chro-
niqueur, ce ne fut pas Bertrand Duguesclin, mais Jean Chandot, qui
s'opposa, de parti pris, à tout arrangement. V. Chron,^ liv. I, part, II,
chap. cxcu, édit. du Panthéon, t. I, p. 493 et 494.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 161
ensaingnes. Lors s'entre commencèrent à ferir des
glaives à grant force, et s'entre combatirent de hasches
et d'espëes très efforciement. De lonc temps paravant
n'avoit esté plus forte ne plus aspre bataille. Car d'une
part et d'autre estoient des meillieurs gens d'armes du
monde et des plus ruses de la guerre. Et d'ambe les
deux parties estoient droites gens d'armes, triés, armés
de toutes pièces de pié en cappe, par quoy la bataille
en estoit plus dure.
Les Anglois apperçurent comme une grant route de
Bretons ne se mouvoient ne de Tune partie ne de
l'autre. Lors prindrent terre contre les Françoiz et
firent reculer la bataille au conte d'Aucerre. Et en
icelle empainte de la force des glaives ouït moult de
ehevaliers et escuiers mors. Monseigneur le conte
d'Aucerre , qui se combatoit vassaument, ouït là l'œil
crevé. Car il estoit chut à terre; et n'eust esté ung sien
escuier, il eust esté mort, qui crioit a Aucerre! » et
lors fut il prins. Monseigneur le duc estoit contre son
cousin. Là estoit moult forte et moult dure la bataille.
Et estoit de toutes pars si forte que l'en ne scavoit qui
auroit victoire, car moult souvent branloit tant d'un
costé que d'autre. Maiz, à brief raconter la chose, la
desconfiture tourna sur le duc Charles, car aucuns de
sa bataille s'en fuirent. Car aucuns Bretons amoient
bien chier le comte de Montfort, et iceulx s'en fuirent
de la bataille de leur droit seigneur le duc. Adonc mon-
seigneur Jehan de Chendos et monseigneur Hue Le
Despencier avec le comte de Montfort coururent sus
au duc Charles qui se combatoit comme preux, et par
force o ceulx de leur route rompirent la bataille di|
duc Charles. Et là furent abatues les banieres du duc
11
162 CHRONIQUE
Charles de Bloiz. Et à celle foiz il fut occiz. Moult
estoit le duc Charles bon chevalier en son temps et
très preudomme et grant omosnier ; très humble estoit
et moult faisoit d'abstinences, comme de vestir point
de linge y de jeûner et de moult d'autres bonnes
euvres.
Quant le duc Charles fut occiz, sa bataille tourna à
desconfiture. Et avec lui ouït mors moult de nobles
hommes bons chevaliers etescuiers grant foison. Mon-
seigneur Bertran et ceulx de sa route se tenoient
encoires. Maiz la bataille et forte puissance fut lors ai
grant que la bataille du dit monseigneur Bertran fut
rompue. Et fut sa baniere abatue par terre, et celui
qui la portoit mort, et Roulant de La Chenaye occiz,
qui moult estoit bon homme d'armes. Lors fîit mon-
seigneur Bertran prins et grant nombre de chevaliers
et escuiers.
Âpres la bataille fut mené monseigneur Bertran par
monseigneur Jehan de Chendos, lequel avoit trop grant
dueil de ce que monseigneur Bertran avoit appelle les
Anglois guars. Pour celle cause fut mené par icellui
par dessus les mors, et s'arresta monseigneur Jehan de
Chendos sur la place où le duc Charles gesoit occiz,
tout avironné de haulz et nobles hommes mors. Lors
dist monseigneur Jehan à monseigneur Bertran, qu^il
vausist mieult qu'il n'eust oncquez esté né, car par lui
estoient mors tant de si haulz et nobles preudommes.
Puis retournèrent par devant le conte de Montfort.
Lors dist monseigneur Jean de Chendoz devant le
conte de Montfort à monseigneur Bertran : <c Sire, veea
les gars de Montfort! Par vous est il au jour d'uy duc
de Bretaingne. » Et après que le conte de Montfori
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 163
eust eu victoire, il fut receu de tous les Bretons à sei*
gneur et fut duc de Bretaingne paisiblement. Âpres ce
que le conte de Montfort fut duc et il ouït eu et receu
les hommaigesy il fit tenir paix en son pais et osta de
sa terre tous les estrangiers. Depuis, après petite sai-
zon y fut monseigneur Rertran de Clacquin mis à finance.
Et en paia pour le dit Bertran le roy Charles de France
une grant partie de sa raençon, et fut délivré.
Dncoires tenoit le captai en cest temps prison à
Heaulx, lequel traictaau roy de France qu'il eust accort
au roy de Navarre. Et fut fait Tacort entre le roy de
France et le dit roy de Navarre, par ainsi que le roy
de Navarre auroit pour Mante et pour MeuUent et la
perte qu'il receut à Mante en or monnoyé et en
joyaulx, la baronnie de Montpeullier et la conté de
Lunele et par dessus ce une somme d'or. Et parmi cest
acort fut délivré le captai sans raençon et devint
homme du roy de France.
Le roy Charles de France envoia monseigneur Ber<-
tran avec des gens de son conseil devers le Saint Père,
Et là fut ordonné par le Saint Père de mettre hors les
compengnes de France. Et alors le bastard d'Espaingne
envoia au Saint Père comme il lui fust en aide vers son
firere le roy Petre, lequel, comme il le signifioit, n'es-
toit pas bon crestien. Le Saint Père, qui congnoissoit la
malice du roy Petre qui n'estoit pas bon catholique,
ottroya aux messages à Henry le bastard d'Espaingne
de mener les compengnes sur son frère. Et là firent les
diz ambaxadeurs aliance à monseigneur Bertran. Et
donna le Saint Père un diziesme pour paier les gens
d'armes. Puis retourna monseigneur Bertran en France
et parlementa à monseigneur Hue de Karvelley et
164 CHRONIQUE
aux autres Angloiz, et fit tant par devers eulx qu'ilzlui
convenancerent dealer avec luy. Et aussi Charles le
roy françoiz fit grant finance au dit Monseigneur Ber-
tran et aux cappitaines des compengnes afiin qu'ilz
vuidassent de son royaume. Et aussi Henry le bastard
d'Espaingne, comte de Linstremare ou Tristremare,
mist grant peine et grant labour à atraire à lui les gens
d'armes. Tant bonne diligence y fut mise, tant par le
Saint Père tant par le roy que par la pecune qu'il
donna y que les dictes compengnes tant d'Angloiz,
Françoiz, Normans, Picars, Bretons, Gascons, Navar-
rois et autres gens qui se vivoient de la guerre parti-
rent hors du royaume de France.
Cy se taist ung pou à parler des compengnes et parle
de Pierres le bon roy de Cyppre comme après ce qu'il
fut parti de France où il concueilly aucuns chevaliers
lesquelz Tensuirent, c'est assavoir monseigneur Jehan
de La Rivière, sire de Préaux à cause de sa famé, mon-
seigneur de Basqueville, monseigneur Jehan de Fri-
quans, monseigneur du Puchay, monseigneur de Tail-
lan ville, roy d'Ivetot, et moult d'autres bons chevaliers
et escuiers dont les noms ne sont pas cy retraiz. Et
comme le roy de Cyppre fut parti du royaume de
France, il assembla une armée par mer et manda son
frère monseigneur Jehan le prince de Antyoche, lequel
avoit assemblé quatre gallies armées de Geneuoys et
bien sept autres où il avoit des frères de Tospital de
Rodes et d'Angloiz pèlerins bien huit vingt combatans
sans cilz de Cyppre. Avec les dessus diz s'ajousta mon-
seigneur le prince d'Anthyoche au roy de Cyppre son
frère. Alors comme le roy Pierron de Cyppre ouït
son armée adjoustée, il singla droit au royaume
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 165
d'Alixandr[i]e et entra en la rivière du Nil qui passe
pariny Âlixaudrie. Jehan le prince d*Ânthioelie frère du
dit roy descendi à terre , a\ec lui ceulx de l'ospital et
les Angloiz et des chevaliers et des escuiers de Cyppre,
en sa route de toutes gens bien trois cens combatans,
et allèrent par terre assaillir Alixandrie. Pour lors
estoient en la dicte rivière du Nil trois vaisseaulx de
Turcs qui gardoient la rivière. Et si y estoient aucuns
autres vaisseaulx de marchans qui furent prins des
Crestiens par force d'armes fors ung qui est oit plus
legier que les autres qui s'en fuy en Alixandr[i]e et vint
criant en son langaige que les Crestiens venoient
prendre la ville. Alors furent les Sarrazins d'Alixandrie
tous esmeuzet se coururent armer. Et adonc vindrent
présentement Jehan le frère au roy de Cyppre et les
Crestiens de sa route. Lesquelz assaillirent une des
portes de Alixandr[i]e par telle force qu*ilz en rompirent
à force d'armes les manteaulx de la porte. Adonc ouït
là ung très pesant estour à souffrir aux Crestiens. Car
les Sarrazins vindrent là à si grant force qu'ilz estoient
bien vingt mille et plus, et les Crestiens n'estoient pas
plus de trois cens. Et touteffoiz tenoient ilz pié et s'i
portèrent à l'aide de Dieu si bien et si vaillanment
qu'ilz occistrent en celle bataille le seigneur et cappi-
taine de la ville d'Alixandr[i]e qui estoit là lieutenant
du soudencde Babilone.
A icelle heure arriva et prist terre à Alixandrie par
la rivière Pierres le roy de Cyppre, et encontre lui cou-
rurent les Sarrazins pour lui deveer le descendre. Maiz
les Crestiens saillirent moult hardiement des vaisseaux
et coururent sus aux Sarrazins de glaives et d'espées
que, par l'aide de Dieu qui plus leur aida que les armes
i6ô CHRONIQUE
manuelles , ilz desconfirent les Sarrazins et les firent
fuir, chassant et decouppant par les rues. Tout le jour
entier ne cessèrent de Sarrazins occire par maisons et
par les temples aux maliommeries où ilz trouvèrent
moult de richesses.
Aucuns Turcs s'en fuirent et racontèrent à Kayre
en Babilone comme les Crestiens avoient prins Âlixan-
dr[i]e. Et donc le prince et maistre de la chevalerie du
soudenc de Babilone assembla lepovoir du soudeuc et
vint pour combatre les Crestiens. Et avoit cestui lieu-
tenant du soudenc en sa compaignie plus de cent mille
Sarrazins. A tout ce grant peuple mescreant vint devant
la ville d'Alixandr[i]e. Et pour lors le frère au roy de
Cyppre esloit aie courre sur le pais à tout ses trois
cens hommes d*armes. Et raconta aux Crestiens coomie
les Sarrazins venoient sur eulx à très grant et merveil-
leux peuple. Par quoy le roy de Cyppre ouït conseil
qu'il feist sa gent et son conquest retraire en son na-
vire. Car les Crestiens n'estoient pas plus de trois mille
hommes de toutes gens. Et lors vindrent les Sarrazins
à Alixandr[i]e9 et là ouït une moult forte et moult dure
bataille. Car les Crestiens avoient retenu huit grandes*
maisons moult fortes dessus la rivière^ et au devant
avoient fait hourdeiz par le conseil de monseigneur
Symon de Tynory et du connestable de Cyppre. Là
rendirent les Crestiens estour aux Sarrazins, pub
entrèrent en leur navire. Et s'en retourna le roy de
Cyppre en sa terre. Et se le roy de Cyppre eust eu
mille hommes et mille archiers avec ce qu'il avoit , il
eust combatu les Sarrazins comme qu'il fust.
Cy retourne l'istoire à raconter comme monseigneur
Bertran de Clacquin et le mareschal d'Andreheu, mon-
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. i67
seigneur Hue de Karvelley, le Besgue de Villaines et
les cappitaiues Augloiz allèrent en Espaingne en Taide
de Henry le bastard d'Espaingne, conte deTnstemare.
Et en son aide fut aussi le frère du roy de Arragon .
Encontre les compengnes vint le dit comte de Triste-
mare et reçut monseigneur Bertran et tous les cappi-
taines à grant honneur. Puis prindrent conseil d'en-
trer en Espaingne. Et fut ordonne que monseigneur
Hue de Karvelley et les Ângloiz feroient l'avantgarde.
Le roy Petre qui bien scavoit la leur venue avoit
mis gens d'armes sur les pas et sur les destroiz. Et
furent les Espaingnolz desconfiz si que partie en furent
mors et les autres s'en fuirent. Et gaingnerent les An-
gloiz les pas et les destroiz. Puis entra Henry le conte
de Tristemare avec les Françoiz, Angloiz et gens de
compengnes en Espaingne. Et se rendirent à lui la
plus grant partie des bonnes villes d'Espaingne tant
qu'ilz parvindrent à Bures ^ Parles cités et villes les
Angloiz et les Françoiz occioient les Juifz et les Sarra-
zins qu'ilz trouvoient. Pour la paour des compaignes
s'en fuy le roy Petre en Sebille* la grant , et de là ala
requérir ayde au roy de Portuigal. Maizil luy respondy
que contre la grant compaigne n'oseroit mouvoir
guerre. Puis s'en retourna le roy Petre en Sebille. Par
le royaume d'Espaingne se rendirent lés villes, bourcs
et cités au conte Henry de Tristemare. Et fut receu en
la cite de Bures à seigneur, et là fut couronné à roy
d'Espaingne par l'aide des dictes gens d'armes et cap-
pitaines des dictes gens de compaignes. Et fut cou-
1. Burgos.
2. Se ville.
168 CHRONIQUE
roDné roy d'Ëspaingne Henry le Baslard Tan de l'in-
camacion Nostre Seigneur mil trois cens soixante
six. Ainsi advint il jadiz en Angleterre, car le bastard
de Normendie conquist le royaume à Tespée, et eschey
que en icellui an couroit la date en six. L'an de Tin-
carnacion Jhesu Crist Nostre Seigneur mil soixante six,
fut le duc Guillaume le Bastard couronné à roy d'An-
gleterre. Et trois cens ans ensuivant fut couronné
Henry le Bastard à roy d'Espaingne. C'est assavoir Tan
mil trois cens soixante six par Espaingne obéirent les
Espaingnolz au roy Henry fors ceulx de Castelle et
ceulx de Galice. Et ces deux pais obéirent au roy
Petre comme bons, vrais et loiaux subges.
Pour cause que le roy estoit cruel homme à mer-
veilleSy aucuns ont imputé par renommée qu'il estoit
filz d'un Juifz. Et comme laroyne fut enchainte, pour
cause qu'elle n'avoit porté par avant que filles, l'en
raconta à la royne que le bon roy Âlfons de Castelle
et d'Espaingne avoit dit que, se la royne avoit de celle
groesse une fille, que jamaiz autre porteure ne feroit.
La royne ouït paour du roy. Et comme elle ouït enfant,
comme les imputeurs racontent, la royne ouït une
fille. Et alors on fist qu'elle en ouït ung filz, lequel
estoit filz d'un Juif que l'en appelloit Zil. Et icestui
Juif que l'en appelloit Zil, après la mort du bon roy
Alphons et de la royne, fut tout gouverneur du roy
Petre. Par quoi ceulx qui imputoient cest blâme au
roy Petre l'appelloient Petrezil. Mais c'est dure chose
à croire, car la royne, celle qui l'appelloit filz, fut très
saincte et bonne et moult religieuse dame ; et n'eust
jamaiz fait ung tel fol hardement envers le bon roy
Alphons son seigneur.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. i69
En NormeDdie, en cest temps, vindrent une route
d'Ângloiz qui prindrent une ville en marescs appellëe
Le Homme *. Et ne povoit l'en aler en celle ville que
par une cauchie qui avoit bien demie lieue de long.
Par le pais prindrent ces Ângloiz à guerroier. Et lors
par le mandement du roy de France se assemblèrent
les gentilz hommes de Normendie, avec eulx ceulx de
Caen et des villes et bourcs de Normendie la Basse et
vindrent assiéger les Ângloiz. Avec les Normans vin-
drent les Navarrois et leur furent en aide. Et furent
les Ângloiz tellement assegiés des Normans, tant Fran-
çoiz que Navarroiz, qu'ilz furent affamés. Et comme
ilzfurent si affamés, ilz se vouldrent rendre à la mercy
du roy de Navarre, maiz ilz n'y furent point receuz.
Trois des plus notables des Angloiz se rendirent lors à
la mercy du roy de France. Ices troiz prinst le roy de
France à mercy.
Les nobles Normans, c'est assavoir monseigneur de
La Ferté, monseigneur du Melle, monseigneur de
Toumebust, monseigneur de Blainville, monseigneur
Frlquet de Friquans, monseigneur Regnault de Bra-
quemont firent crier l'assault. Car ceulx de Caen, de
Bayeux et de Saint Lo avoient fait faire grans claies et
Eût trenchier le joncs et les roseaulx des diz marées.
Par quoy on fust entré par les marées. Et quant les
Angloiz apperçurent ce et qu'ilz ne se pourroient tenir,
ilz se rendirent aux Françoiz et yssirent tous desarmés
hors des marecz. Âdonc dit monseigneur de Friquans
auxarchiers Françoiz : « Délivres vous tost! j> Et donc
commencèrent à traire parmy eulx, et les communes
i, Auj. Ile-Marie, Manche, ar. de Valogne, c. de Picauville.
i70 CHRONIQUE
leur coururent sus^ si que en pou d'eure furent tous
occiz et furent là occiz plus de trois cens Angloiz. Ainsi
(ut l'en délivré d'eulx, et qui eust ainsi fait le temps
passé, les guerres n'eussent pas tant ioneuement duré
Cy retourne à raconter d'Espaingne. Le roy de
Grenade doubtatant la force des compaignes, iesquelz
chassèrent le roy Petre de son royaume qui estoit tant
puissant. Et pour doubte qu'ilz ne vensissent en sa
terre le getter hors de son royaume, il manda au roy
Henry, à monseigneur Bertran de Clacquin et aux
autres nobles hommes et cappitaines des routes des
compengnes que, se ilz lui donnoient trêves jusques à
trois ans, il donrroit et paieroit autel truage comme il
faisoit ou avoit fait au roy Petre et encoires par dessus
il paieroit grant somme d'or pour raençonner son pais.
De ce que le roy de Grenade manda au roy Henry et à
monseigneur Bertran il fut receu à paier le truage et
la raençon. Et ilz lui donnèrent trêves jusques à trois
ans par paiant ce que dessus est dit.
Le roy Petre, dont dessus est parlé, fut couroudé
moult amèrement de perdre son royaume d'Espaingne
et vint à reclam au prince de Galles et de Guienne. Et
comme il vint devant lui, il se getta à ses piéz et roropi
son vestement. Le prince qui scavoit bien son affaire,
quant il le vist, le redrecha et lui promist qu'il lui aide-
roit à conquérir son royaume. Et fist sa semonce
moult effbrciement et assembla grosse armée de gens
d'armes armés de toutes pièces, d'archiers et d'autres
gens de guerre. Edouard le roy d'Angleterre envoya
son filz le duc de Lencastre à son frère le prince de
Galles à tout grant nombre de gens d'armes pour con-
DES QUATEE PREMIERS VALOIS. 171
fundre etdesconfire monseigneur Bertran de Clacquin,
pour ce que le dit monseigneur Bertran devoit avoir
dit qu'il combatroit le roy d'Angleterre et son filz le
prince de Galles. Dont le dit roy d'Angleterre et son
filz le prince de Galles avoient trop grant despit que
ung tel homme 9 simple bachellier, se mettoit en
aramye contre eulx. Le prince fîst grant Teste de la
venue de son frère le duc de Lencastre, puis manda au
roy de Navarre qu'il peust passer par sa terre. Maiz le
roy de Navarre lui respondi sur ces paroles indiiïeran-
ment en soy excusant que moult doubtoit les Bretons
et que moult avoit iceulx souspechonneux.
Monseigneur Bertran ouït nouvelles que le prince
devoit venir sur lui. Si envoia monseigneur Olivier de
Hauny devers le roy de Navarre affin qu'il ne lui don-
nast passage. Et comme le roy de Navarre ung jour
chevaucoity monseigneur Olivier de Mauny le prist, et
fut mené prisonnier en Ârragon, puis fut délivré en
baillant hostages en disant que indeuement avoit esté
prins. En ses raisons le ouy le roy d'Arragon, lequel
avoit eu sa seur à femme. Et après sa délivrance
retourna en Navarre. Le prince fist le plus efforciement
sa semonce qu'il poult et assembla son host à Bor-
deaux. Et là vindrent par devers le roy de Navarre le
roy de Malogres^ le roy Petre, le duc de Lencastre, le
conte d'Armignac, monseigneur de Larbret, monsei-
gneur de Chendoz, monseigneur Hue le Despencier,
monseigneur Louis de Harecourt, le sire de Chastelle,
le captai et le sire d'Ânsellée avecquez lesquelzle prince
tint parlement. Et en cest parlement le roy de Na-
varre fist acort de livrer passage au roy Petre parmy
ce que le roy Petre promist et donna au roy de Na-
i 72 CHRONIQUE
varre une grant somme d'argent et avec ce la cité de
Grong' en Espaingne. Ettandiz que le roy Petre estoît
avecquez le prince, il envoia messagiers et ambaxa-
deurs au roy de France pour scavoir se il le faisoit guer-
roier. Et eurent les ambaxadeurs responce du roy de
France que par lui ne faisoient les compengnes au dit
roy Petre guerre ne à autres, maiz les avoit par ses
deniers mis hors de sa terre ; et se ilz estoient allés sur
lui en Taide du roi Henry, que ce n'estoit aucunement
par lui. Geste responce rapportèrent les' ambaxadeurs
Espaingnolz au roy Petre.
Le roy de Navarre print une somme d'or du trésor
du prince pour livrer au dit prince passage et vint au
devant pour livrer le dit passage au dit prince et à son
host. Monseigneur Olivier de Mauny revint en Navarre
et envoia ung syen parent par devers le roy de Na-
varre en message de par monseigneur fiertran de Clac-
quin. Et comme il vint devers le roy de Navarre, il fut
prins et mis à mort. Et tantost le roy de Navarre en-
voia monseigneur Pierres de Landuras à quatre cens
glaives et quatre cens Navarrois, lesquelz prindrent
monseigneur Olivier de Mauny, et fut mis en prison
en ung des chasteaux du roy de Navarre où il fut bien
gardé.
Le prince parti de Gascongne o tout son host le
plus entier et le plus parfait de bonnes gens que on
eust vende longtemps. Son frère le duc de Lencastre,
le captai et monseigneur Jehan de Chendoz ourent
la première bataille. Le comte d'Armignac, le sire de
Larbret et le sire de Pommiers ourent la seconde ba-
1 . Lo Grono.
DES QUATRE PREBOERS VALOIS. 173
taille. Et avec eulx fut mis monseigneur Hue le Des-
pencier à mille hommes d'armes et autant d'archiers.
La tierce bataille ouït le prince et avec lui le roy Petre,
le roy de Mallogres, monseigneur Louis de Harecourt,
monseigneur d'Ansellée et moult grant foison de
nobles chevaliers et escuiers. Car en Tost du prince
estoient bien dix mille hommes d'armes, quatre mille
archiers et six mille servans hardiz et vaillans. Et ains
que le prince partist de Guienne, il fist acort au conte
de Foix par le moyen du roy de Navarre.
Aucuns Angloizy qui estoient allés en Espaingne
avecquez monseigneur Hue de Rarvelley, parlemen-
tèrent ensemble secrètement d'occire monseigneur
Bertran de Clacquin dedens son paveillon. Ung d'i-
ceulx Angloiz dist leur convine à monseigneur Hue de
Karvelley qui le fit assavoir à monseigneur Bertran
secrètement. Car le dit monseigneur Hue de Karvel-
ley ne voulloit pas estre coulpable ne consentant de la
mort d'ung si preux et si vaillant chevalier comme mon-
seigneur Bertran de Clacquin. Quant monseigneur
Bertran sceut qu'ilz le dévoient ou voulloient occire,
U fil telle diligence qu'il fist prendre aucuns de ceulx
qui avoient sa mort pourparlée et les fist mourir.
Monseigneur Hue de Karvelley sceut que son sei-
gneur le prince de Galles venoit sur le roy Henry et
sur monseigneur Bertran. Lors vint parler au mares-
chal d'Andrehen et au Besgue de Villaines et puis
print congië à monseigneur Bertran et au dit mares-
olial et Besgue en leur disant qu'il ne povoit ne ne
devoit estre contre son seigneur le prince. Puis se
parti de Tost du roy Henry et tous les Anglois et
vindrent jusques en Navarre. Et adonc estoit le prince
174 CHRONIQUE
et son host au commencement de Ntirarre^ et là leur
donna passage le roy de Navarre.
Comme le roy Henry, monseigneur Bertran, le ma-
reschal d*Andrehen, le Besgue de VUlaines sceurent
que le prince o son host estoit parti de Navarre, ilz se
partirent de Bures et se mistrent sur les champs. Et
ala en frontière le frère au roy d'Arragon et le Besgue
de Villaines, le Besgue de Fayeul, monseigneur Yvain
de la Houssaye avec les diz Normans et Bretons bien
cinq cens glaives, et le frère du roy d'Arragon avec
lui bien bien trois mille combatans, que Espaingnolz
que Arragonnois, et se mistrent en lieux couvers pour
soupprendre les gens du prince.
Le roy Henry, monseigneur Bertran et le mareschal
d'Andrehen ne s'eslongerent point de Bures, car là
devoit le roy garder son pais qu'il avoit oonquiz et là
atendre ses ennemis. Avec lui furent les Espaingnolz
fors ceulx de Sebille et de Galice qui tenoient le parti
du roy Petre. Et comme le prince fust en Navarre et il
eust rafreschi son host, il se parti de Navarre, et au
partir il ala veoir la royne et lui fist grant feste. Et lui
donna grans pierres précieuses et moult de beaui
joiaulx d'or qu'il avoit euz du roy Petre. Puis se parti
le prince du royaume de Navarre et print congié du
roy qui demoura pour garder son pais. Monseigneur
Hue de Karvelley vint devers le prince et s'agenouilla
devant lui et lui dist comme il venoit devers lui comme
à son droit seigneur. Et le fist assembler le prince o
sa route avec son avantgarde et lui enquist Testre du
roy Henry et des Françoiz et combien ilz estoient.
Monseigneur Hue de Karvelley lui dist : et Sire, pour
vray, le roy Henry avoit bien quant je parti de sa
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 175
route trente mille Espaingnolz, tant de pie que de
cheval ; et monseigneur Bertran de Clacquin, le ma-
reschal de Andrehen et le Besgue de Yillaines et du
Favel ont bien deux mille hommes d'armes; et le
frère au roy d'Arragon a bien trois mille hommes
bons combatans de Arragonnois. »
Apres ce que le prince ouït ouy monseigneur Hue
de Karvellev, il fist sonner ses araines et commanda
à ceulx de son avantgarde qu'ilz chevauchassent oultre
et tant que Tost du dit prince vint au commencement
des destroiz du royaume d'Espaingne. Le roi Henry
avoit envoie ung de ses frères à tout bien deux mille
Espaingnolz que de pié que de cheval. Adonc le cap-
tai et monseigneur Jehan de Chendoz o toutes leurs
batailles se mistrent à pie et pourprindrent le pas et
les destrois. Et lors les Espaingnolz s'enfuirent, et
donc passa tout l'ost du prince et entra en Espaingne.
Cy se taist à parler de la guerre d'Espaingne et
raconte comme monseigneur Louis de Navarre en-
gaiga sa terre au roy Charles de France pour aller
cspouser la fille de la royne de Cezille dont le mariage
avoit este pourparlé. Monseigneur Louis de Navarre,
pour aller en Cezille et fournir son voiage, alla par de-
vers le roy de France et lui monstra comme il lui fa-
loit une grant somme d'or, et que, se il lui en faisoit
finance, il lui Uvreroit la conté de Beaumont et toutes
les forteresses qu'il avoit en Normendie avec toutes
leurs appartenances ; et s'il ne lui plaisoit le faire, qu'il
^voit trouvé qui lui feroit très vouUentiers. Le roy de
Crance ouït conseil qu'il lui feroit la dicte finance
sdHn qu'il ne tournast devers le roy d'Angleterre pour
^voir la dicte finance. Laquelle, s'il y fust tourné, tan-
176 CHRONIQUE
tost et vouUeutiers il lui eust faicte pour avoir la po-
cession et saizine des diz chasteaux et revenue. Et fut
faicte la dicte finance au dit monseigneur Louis par
telle condicion que le roy de France auroit la conté de
Beaumont et les chasteaux , Passi, Âgnet^ Breval et le
fort chastel de Beaumont avec les revenues des terres
jusques à six ans. Par ainsi que, se dedens les six ans
le dit monseigneur Louis ne povoit rendre la dicte
somme, les dictes terres et chasteaux seroient acquisez
au roy de France. Et de ce furent faictes bonnes
Chartres. Et ouït le dit monseigneur Louis la dicte
somme, et le roy de France fut saizi de la terre.
Quant le dit monseigneur Louis de Navarre ouït
receu la dicte somme d'or, il concueiili gens d'armes
en Costentin et print à compaignon et à gueux mon-
seigneur Eustace d' Ambiscourt \ lequel avoit bien huit
cens combatans. Et alors vint monseigneur Louis
prendre congié de ses seurs^ puis se parti de Normen-
die à bien deux mille combatans de toutes gens. Et fit
tant par ses journées qu'il vint par devers le Saint
Père et fut moult solennelment receu des cardinaux,
par especial de monseigneur le cardinal de Boul-
loingne, lequel le mena au Saint Père. Monseigneur
Louis de Navarre, comme il fut par devers le Saint
Père, il lui requist qu'il lui ottroiast le mariage de la
fille à la royne de Cezille. Maiz le pape ne lui ottroia
pas, et lors se parti d'Avignon et dit au dit cardinal de
Boulloingne : <^ Je ne perdray pas que je puisse le
royaume de Cezille. Se Dieu plaist, le pape n'empes-
chera pas l'avancement d'ung tel gentilhomme comme
1 . Eustache d*Aubrecicourt.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 177
je suy. 9 Puis print congié de son cousin le cardinal
de BouUoingne et s'en ala en Prouvence, et là espousa
la fille de la royne de Cezille, et fut fait chief de la
terre de Labour. Et très bien s'i contint au grë des
gens de la dicte terre et s'i fit très bien amer.
Or retourne l'istoire à parler de la guerre d'Es-
paingne que, comme le prince fut entré en Espaingne,
et aucuns de sa route furent espanduz pour avoir des
vivres, et une route d'Angloiz avoit chevaucé vers la
partie où estoit embuschié le frère du roy d'Arragon,
le Besgue de ViUaines et ceulx de leurs routes^ mon-
seigneur Jehan Scouet, ung chevalier Breton, apper-
çut la chevaucie et la dénonça au frère du roi d'Arra-
gon et au dit Besgue de Villaines. Lors vindrent courre
sus aux Angloiz les glaives es poings. Les Espaingnolz
leur gettoient dardes et archigaies. Et les Normans,
les Bretons et les Arragonnois se combatoient aux An-
gloiz de leurs glaives et de leurs hasches par telle
vertu qu'ilz rompirent leurs batailles. Et adonc mistrent
pié à terre les Espaingnolz, Arragonnois, Normans et
Bretons, et vindrent de grant force courre sus aux
Angloiz tant qu'ilz furent desconfiz. Et là gaignerent
moult de bons prisonniers. Et en ceste bataille ouït
bien deux mille Angloiz des gens au prince desconfiz.
Quant le prince sceut que une route de son host avoit
esté desconfite, il fit crier que nul ne partist de son
host et print à chevauchier par Espaingnejusquespres
de Bures. Le captai et monseigneur Jehan de Chen-
doz qui avoient grant désir de ruer jus et desconfire
monseigneur Bertran de Clacquin pour son grant lan-
gaige et vantement furent coureurs de l'ost du prince
de Galles de son avantgarde que faisoit son frère le duc
il
1 78 CHRONIQUE
de Lenquastre, avec lui monseigneur Hue de Kar-
velley.
En ce temps vint Jehan de Montfort^ qui avoit con-
quis la duchié de Bretaingne par Toutrageuse emprinse
de monseigneur Bertran de Qacquin (car le dit comte
de Montfort offiroit au duc Charles de Bloiz offres rai-
sonnables que le dit monseigneur Bertran ne voult
souffrir estre ouyes, comme dessus est dit), à Paris eu
mois de décembre, le jour que l'en chante en saincte
église a O sapiencia^ » Et vint pour faire hommaige
de la duchië de Bretaingne au roy Charles de France
et lui fit hommaige et jura feaulté , puis s'en retourna
en sa terre. Etd*illec ala o grant route de gens d'armes
en Bretaingne pour garder le pais, pour ce que aucuns
gens d'armes Françoiz avoient couru la terre du prince
de Galles.
Cy raconte que, comme le prince de Galles ouït eu
nouvelles de la desconfiture de ses gens, il fist Tan-
demain chevauchier son host. Monseigneur le captai
de Bucz, monseigneur Jehan de Chendoz, monsei-
gneur Hue de Karvelley, N. de Hollande chevaucerent
en Tavantgarde. Et à ung destroit pas à venir à Bures
avoit bien sept mille Espaingnolz pour garder celui
pas. Maiz comme ilz virent venir l'ost du prince, ilz
s'en fuirent. Alors passèrent tous ceulx de Tost au
prince et chevaucerent jusquesasses près de Bures. Et
là estoit sur les champs le nouvel roy Henry et les
Espaingnolz. Monseigneur Bertran, lemareschal d'Ân-
drehen et le Besgue de Yillaines o leurs Françoiz
furent devant et firent une bataille divisée des Bspain-
1. Le 13 décembre. V. Gr. Chron,, éd. in-lî, t. VI, p. 243.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. i79
gDolz, et estoient bien deux mille hommes ains plus
que moins. Puis après furent trois autres batailles,
c'est assavoir celle du frère au roy d'Arragon et celle
des deux frères au roy Henry. Et la derraine avoit le
dit roy Henry. Et en ces trois batailles estoient bien
soixante mille hommes Espaingnolz.
Le prince estoit en conrroy de combatre et avoit
trois batailles dont la première avoit son frère le duc
de Lencastre, le captai da Bures, Chendos et mon-
seigneur Hue de Karvelley. Iceste première bataille
vint adjouster à monseigneur Bertran de Clacquin, et
adreça le captai sa baniere à la monseigneur Bertran.
Dieux I com grant noise ouït à rassembler, le son des
araines et des autres instrumens et le cry des en-
saingnes, que d'une partie que d'autre, fussent bien
ouis de deux Ueues loing ! Les deux premières batailles
assemblèrent premièrement comme dit est et se com-
bâtirent très aigrement, car de Tune part et d'autre
estoient la meiliieur chevalerie des Crestiens. Maiz ce
n'estoit pas partie égal. Car en la première bataille
du prince estoient plus de huit mille hommes, tous
gens de fait. Et en la monseigneur Bertran n'avoit que
deux mille combatans ou environ. Non obstant ce, ilz
combatirent et tindrent place viguereusement, et se
combatirent tant hardiement que on ne povoit rompre
leur bataille. Là souffrirent les Frauçoiz grant faiz
d'armes et grief à soustenir. Car quant les diz Fran-
çoiz, Normans et Bretons ourent combatu des glaives,
ilz se combatirent des hasches. Qui là cheist nient
fust du relever. Maiz trop greva les diz Françoiz une
bataille d'archiers d'Angleterre, bien trois mille et plus,
qui traioient de travers leur bataille sur eulx tant as-
i80 CHRONIQUE
prement que a pou qu'ilz ne veoient goûte, et alors
priodrent les Françoiz à branler.
AdoDC le duc de Lencastre fît sonner ses instrumens
pour resbaudir sa gent et vint courre sus aus dessus
diz Françoiz. Et à celle empainte s'en fuy du champ le
roy Henry et ses frères et le frère au roy d'Arragon
et les Espaingnolz. Les archiers Anglois de la bataille
du comte d'Ârmignac et du sire de Larbret et aussi des
Gascons alerent sur les Espaingnolz qui estoient à pië
et en occistrent bien onze mille, tant en la place que
en la chasse, selonTesme des gens d'armes « Et encoires
ce durant se tenoient les Françoiz, c'est assavoir mon-
seigneur Bertran de Clacquin, le mareschal d'Andrehen
et le Besgue de Yillaines et leurs routes. Et enhaitoient
ces diz seigneurs leurs gens d'armes en leur disant que
nul pour paour ne vousist fuire. Et de très grant cou-
rage se combatoient aux hasches et aux glaives contre
la première bataille de leurs ennemis. Et adonc y ren-
voya le prince monseigneur N. d'Ansellëe à tout bien
trois mille hommes d'armes armés de toutes pièces
qui forcloirent les Françoiz dessus diz. Et furent avi-
ron nez de toutes pars comme les oiseaulx entre les ra-
seurs. Et lors fallut il qu'ilz se rendissent ou ilz eussent
esté tous decouppés. Ainsi fut monseigneur Bertran de
Clacquin, le mareschal d'Andrehen et le Besgue de
Yillaines avec tous ceulx de leur route comme preux
desconfiz par la defauUe des Espaingnolz qui s'en
fuirent. Monseigneur Bertran, après ce qu'il fut prins,
fut admené au prince par le captai et Chendos. Lors
dist monseigneur Jehan de Chendos à monseigneur
Bertran : « Dan Bertran, quant je vous prins en Bre-
taingne, vous jurastes que vous ne vous armeriez
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. i8i
point contre le prince^ si le roy de France ou ses frères
n'avoient guerre contre le prince ou contre le roy
d'Angleterre. » Lors respondi monseigneur Bertran à
monseigneur Jehan de Chendoz, présent le prince,
disant : « A Dieu le vou, ja dittes vous veoir! Maiz
monseigneur le prince n'a cy point de guerre; ains
s^est armé du parti du roy Petre. Et d'autre partie
comme souldoier du roy Henry je me suys armé en
son aide. Et par ce dys je que je n'ay en riens enfraint
mon serement. »
Apres ce que le prince ouït eu victoire, il vint devant
Bures en Espaingne. Et se rendi la cité à lui et mist
dedens le roy Petre, lequel (ist mourir de vi Haine et
cruelle mort aucuns chevaliers et citoiens de la ville,
dont il fut moult hay. Et puis après le pridce s'en
retourna en sa terre pour ce que la princesse lui avoit
escript que aucuns Françoiz couroient sa terre de
Guienne. Monseigneur Bertran de Clacquin (ut admené
prisonnier à Bordeaux. Et comme il estoit prisonnier,
il requit estre mis à raençon et si dist oultre : « A Dieu
le vou, le prince ne me veult mettre à raençon de
paour que je ne lui face guerre, i> présent monseigneur de
Chendoz et le captai. Et depuis aprez fut mis à grosse
raençon, dont le roy de France lui aida de la plus
grant partie. Et d'autres grans seigneurs, princes et
autres lui aidèrent tant que sa dicte raençon futpaiée,
et par ainsi fut deli\Té. Mais ains qu41 fut mis à raen-
çon, lemareschald'Andrehen, le Besgue de Villaines
et les autres nobles hommes avoient esté mis à finance
et leurs raençonspaiées. Et furent délivrés par le com-
mandement du prince plusieurs escuiers et nobles
hommes sans paier raençon.
182 CHRONIQl]E
Henry le Bastard, nouvel roy d'Espaingne, vint
devers le pape pour le fait du royaume en Avignon.
Et là aussi estoit monseigneur d' Angou pour le fait du
royaume d'Arle.
Quant le prince fut retourné d'Espaingne et venu en
Guienne o tout son host, il tint bien quatre mois sans
souldoier, et sans souldoiez ses gens se vivoient sur son
pais. Pourquoy les nobles hommes de sa terre monstre-
rent au prince que les dictes gens d'armes destruisoient
etmengoient son pais et qu'il lesenmeisthors. Et lors
le prince les mist hors de Guienne. Et entrèrent les
dessus diz gens d'armes eu royaume de France et com-
mencèrent compaigne. Dont aucuns tenoient que
c'estoit par le prince qu'ilz estoient entrés eu royaume
de France. Apres ce que monseigneur le Besgue de
Villaiues fut quitte de sa raençon et délivré, o tout ce
qu^il poult finer et assembler de gens d'armes de Nor-
mendie il se remist à voye pour s'en aler droit en Es-
paingne au roy Henry. Lequel, o tant de gens comme
il poult concueillir et finer, se mistrent luy et le dit
Besgue o sa route sur les champs et firent forte guerre et
aspre au roy Petre et moult recouvrèrent de pais sur luy.
En l'an de grâce mil trois cens soixante sept, le pape
Urbain se parti d'Avignon et ala à Marcelles passer la
mer pour aler à Romme. Et print port à Viterbe en
Rommanye, car la dicte cité estoit del'eglize de Romme.
Là fist longue demeure le pape ains qu'il alast à Romme.
Et comme le pape estoit à séjour à Viterbe, sourdist
une discencion entre les gens de la cité de Viterbe et le
pape et les cardinaulx pour la cause de la belle fontaine
qui est en la dicte cité. Et se rebellèrent ceulx de Vi-
terbe contre le pape et vouldrent courre sus aux gens
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 183
lu pape et des cardinaulx. Maiz le bon pape par son
jnuit sens, par belles et doulces paroUes, les appaisa.
Pour laquelle chose fist venir son mareschal qui estoit
» affaires du pape et de Teglize pour avoir la domi*
iftcion d'icelle ville. Lequel à grant foison de gens
rarmesvint à Viterbe. Et comme il fut venu à Viterbe,
1 fit mettre à mort grant nombre des citoiens de la
nlë, et aucuns des plus puissans il fit pendre à leurs
liaisons et les autres decappiter. fiien leur monstra
îguereusement le meffait qu'ilz avoient fait contre la
lignite papal. Bien y doit prendra chacun exemple.
Apres cestui fait, le pappe se parti de Viterbe et ala
I Romme à grant armée pour la double des Rommains.
El ains qu'il entrast à Romme, lui fut rendu le chastel
le Saint Ângre de Romme oultre le gré d'aucuns des
Kommains. Et vint le pape à Saint Pierre de Romme,
ivec lui les cardinaulx.
Quant le pape fut venu à Romme, tantost vint après
MF devers le Saint Père Tempereur de Romme à moult
{nmt nombre de gens d'armes et de nobles hommes.
El aussi vint par devers le Saint Père le bon roy de
Hongrie à grant foison de gens d'armes et d'autre
partie la royne de Napples. Pour la cause de leur guerre
l'entre le roy de Hongrie et d'elle estoient ilz venus
ilevers le Saint Père en espérance d'avoir acort.
Cy raconte d'un fait qui advint en France entre
deux chevaliers, c'est assavoir monseigneur Richart
de Beaumont et monseigneur Guillaume de Hare-
court. Le dit monseigneur Richart de Beaumont
lia pardevers monseigneur Galiache^ sire de Mil-
I. Galeas Visconti, podestat de Milan.
184 CHRONIQUE
lent. £t eu nom du roy de France, par une faulse
lettre seellée d'un seel contrefait du seel du roy de
France, emprunta au dit monseigneur Galiache une
grant somme d'or. Laquelle somme d'or après long
temps passé fut demandée aux messagiers du roy qui
aloient à l'empereur de Romme. Et comme monsei-
gneur Richart de Beaumont sceut que le roy avoit
envoies messages à son oncle l'empereur pour soy
desoccuper, il mit sus à monseigneur Guillaume de
Harecourt cestui fait et l'en occuppa devei*s le roy.
Pour quoy monseigneur Guillaume de Harecourt fut
mis en prison au Temple à Paris, mais de ce fait offrit
gaige de bataille par monseigneur Raoul de Goussy,
oncle du droit seigneur de Coussy, qui avoit à femme
madame Isabel fille du roy Edouart d'Angleterre et
seur au prince de Galles. Cestui monseigneur Raoul
de Coussy avoit espousée la niepce de monseigneur
Guillaume de Harecourt, lequel s'excusoit par le dit
monseigneur Raoul de Coussy par voye de droit, di-
sant que oncques par lui ne furent les deniers em-
pruntez au sire de Milieu. 11 avoit à Paris ung nouvel
prevost Bourguignon nommé Hugues Âubriot moult
aspre justicier, lequel examina monseigneur Guil-
laume de Harecourt, avec lui des sages conseillers du
roy. Le fait estoit tout prouvé contre monseigneur
Guillaume' de Beaumont. Et nyoit monseigneur Guil-
laume de Harcourt le fait que on lui mettoit sus, disant
qu'il s'en vouUoit deffendre comme gentilz et noble
selon la coustume de France. En baillant son gaige^ le
dit monseigneur Richart de Beaumont vouUoit entrer
1 . Lisez : Richard.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 185
en champ de bataille contre monseigneur Guillaume
de Harecourt. Maiz le fait estoit tout clerement prouvé
contre lui qu'il en estoit coulpable. Et pour ce le dit
prevost et le conseil le jugèrent à estre decappité. Et
comme il fut en Teschaufaut pour estre decappité, il
confessa que par hayne Tavoit mis sus à monseigneur
Guillaume de Harecourt et par jalousie de sa femme.
Et pour cause aussi, s'ilz eussent entré en champ,
leurs amis en eussent fait Tacort sans qu'ilz eussent
combatu en champ de bataille. Et comme il ouït con-
fiasse le cas, il fut décapité. Et Tandemain monseigneur
Guillaume de Harecourt fut délivré tout à plain quitte
el absoulz d'icellui meffait.
En icellui an mil trois cens soixante sept, Urbain
pape de Romme ouvry le passage du saint voiage du
Saint Sepulchre de Jherusalem. Et fut le dit voiage
preschié et publié par la province d'Âlemaingne et de
France. Maiz pour les guerres estans en icellui pais et
autres poupristrent Temprise d'icellui voiage. Pierron
le bon roy de Cyppre, qui se disoit estre roy de Jheru-
salem, fit une grant armée de pèlerins tant Françoiz,
Angloiz que Geneuoiz et des gens de son royaume
pour aler de rechief eu dit saint voiage, tant que en la
compagnie du dit roy de Cyppre estoient bien sept
mille combatans sans les nautonniers ou mariniers.
Pierres, le dit bon roy de Cyppre, fit une rese sur les
Sarrazins à tout le dit nombre de Crestiens. I<e conseil
du soudent de Babilone, qui estoit jeune au dessoubz
de vingt ans, envoierent un Turc bon guerroier qui
estoit ung des amiraulx du père au jeune soudent, avec
lui bien vingt mille Sarrazins pour garder les portz
de la marine. Et comme les Crestiens deurent prendre
i86 CHBONIQUE
terre, les SarrasÎDs et les Turcs leur defteiidireDl moult
asprement, et la ouït une forte batattlê et dure. Carie
dit amiral du soudent avoit bien six mille bons ar*
chiers de Turquie qui trop aigrement deflendoient les
Sarrasins. Maiz alors, par le bon conseil des chevaliers
Françoiz et Angloiz qui estoient rusés des guerres,
firent partir les Crestiens en deux parties. Tune amont
et Tautre aval près de Tripple'. Et fut en celle d'amont
le prince d'Anthyoche et les Angloiz et prindrent terre,
car les Sarrasins ne s'estoient point départis. Et adonc
le roy suivy son frère le prince d'Anthyoche et adjousta
ses gens à sa bataille et vindrent combatre les Sarra-
sins. Les Geneuoiz etlesYenisiensavoientla première
bataille, maiz les archiers de Turquie les mistrent à
desconBture. Et adonc monseigneur Symon de Lan-
duras, monseigneur de Basqueville et monseigneur
Guy le Baveux o la bataille des Françoiz et monsei-
gneur N. de Brouas avec luy les Angloiz et monsei-
gneur Symon de Tynory coururent sus aux glaives et
aux espées aux dessus diz archiers de Turquie. Et par
la grâce et plaisir de Dieu ilz les mistrent à desconfi-
ture. Car le prince d'Anthyoche et la chevalerie de
rOspital les secoururent moult viguereusement, et là
ouït moult belle besoingne. Les Geneuois et les Yeni*
siens, qui au commencement fuirent, prindrent har-
dement en eulx et coururent sus aux Sarrasins moult
effbrciement.
Le bon roy de Cyppre et l'amiral de sa terre o
toutes leurs batailles assemblèrent à F amiral du sou-
dent, et là ouït mouk dure bataille. Car les Sarrasins
I. Tripoy.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 187
estoient trois tans plus que les Crestiens. Adonc les
mariniers, qui estoient remains pour garder les vais-
seaulx, saillirent à terre cryant fort et huant, si que les
Sarrasins s*en esbahirent. Et par le bien fait de Tem-
prinse plaine de hardement que les diz mariniers et
ceubL qui estoient remains en navire firent, furent les
Sarrasins desconfiz. Car comme les gentilz hommes
qui estoient au dit fait racontent, ceulx qui estoient es
diz nefz et vaisseaulx vindrent ferir les Sarrasins au
dos de si grant courage, force et hardement que les
Sarrasins tournèrent en fuitte et à desconfiture par
oeste menue gent. Lesquelz Sarrasins donnoient trop
à faire aux nobles hommes Crestiens et puissans sei*
gneurs.
Ce fut par la grâce et voulenté de Nostre Seigneur
Jhesucrist que ce fait ainsi advint, car Dieu ne voulioit
pas que sa noble chevalerie des Crestiens fust perie
entre les mains des mescreans, et aussi pour donner
example aux nobles, aux puissans et bonnes gens
d'armes qui se travailloient à confundre et grever les
ennemis de la foy. Car Nostre Seigneur Jhesucrist ne
veult point de boban ne de vanité. Pour ce veult il
que les petiz feissent ou par eulx fut faicte la victoire
affîn que les grans n'y preinssent vaine gloire.
Et comme les Sarrasins se desconfirent, ilz s'en
prindrent à fuire. Les gens de pié qui vindrent du na-
vire les decouppoient par derrière, et les gens d'armes
les assailloient par devant, si que l'amiral du soudent
s'en fuy et partie de ceulx de cheval. Mais les Sarra-
sins de pié furent tous mors ou prins. Là ourent les
Crestiens grant conquest de cameulx, de paveiUons et
de despouilles. Tous estoient riches, s'il leur fust de-
188 CHRONIQUE
mouré. Maiz moult eu perdireut par plusieurs aveo-
turesy ains qu'ilz veusissent en leurs contrées.
Les ceulx qui eschapperent de la bataille, comme le
soudent et autres, vindrent au Kayre jouxte Babilone
où estoit le jeune soudent et son conseil. Et distrent
comme les Crestiens les avoient desconBz et comme
le roy de Cyppre couroit la marine. Et lors, par le
conseil du soudent, l'amiral d'Egypte fut envoyé pour
garder les portz et pour résister aux Crestiens. Car les
Sarrasins et le conseil du soudent ne doubtoieut que
les gens d'armes des compaingnes. Car ilz avoient ouy
parler du fait d'Espaingne par le roy de Grenade et
par le roy de Bellemarine. Si doubtoient que le prince
et Bertran de Clacquin ne les vensissent guerroier.
Maiz l'ennemi d'enfer a tousjours mis discencion et
guerre entre les roys et les princes Crestiens, par quoy
la saincte terre de Jherusalem ne peult estre recouvrée
sus les ennemis de la foy Crestienne.
Une route de gens d'armes Anglois, Alemans et
autres aloientparsuivant le roy de Cyppre. Et de ceste
compaingnie estoit cappitaine ung nommé Philip-
pot. Cestui Philippot avoit bien quatre cens comba-
tans qui s'estoient mis soubz lui de plusieurs pais. Et
comme ilz singloient par la mer, ilz trouvèrent quatre
vaisseaulx d'armée de Geneuois et Venisiens qu^ilz
congnurent qu'ilz estoient Crestiens. Hz s'entrefirent
grant feste et racontèrent les ungz aux autres comme
ilz suyvoient le roy de Cyppre, et lors ilz se mistrent
ensemble. Maiz ung vent les desvoia qui leur fut con-
traire. Et singlerent d'icellui vent droit à Japhé à une
joiunée près de Jherusalem. Ces Crestiens vindrent
prendre port asses près de Japhé et descendirent a
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 189
terre. Alors estoit à Japhé ung Turc qui estoit cappi-
taine du pais de par le soudent. Cestui Turc à tout
bien deux mille Sarrasins vint pour combatre les Cres-
tiens, et les Crestiens \indrent très hardiement contre
les Sarrasins tout à pié rengiéz en belle ordonnance.
Maiz les Sarrasins ne firent à eulx que lancier et pa-
leter et ne les ossoierent atendre.
Et par aucuns qui avoient fréquenté le pais les
Crestiens alerent prendre ung chastel degastë que les
Crestiens tenoient jadis eu temps Godefroy de Buyl-
lon. Les Crestiens enforcierent le dit chastel et y mis -
trent grant foison vivres. Et là se tindrent le dit Phi-
lippot et ses gens la plus grant partie. Et coururent
bien cinq lieues de terre et admenerent la proye en
leur fort. L'autre partie des Crestiens, des Geneuoiz et
Venisiens gardoient le navire. Le cappitaine de Japhë
sceut comme les diz Crestiens s'estoient logiës en cellui
vieil chastel et avoient couru la terre. Il fit tant qu'il
cuit briefment grans effors de Sarrasins et fit tant que
par force il print le fort des Crestiens. Et partie en fit
mourir la plus grant et aucuns mena eu chetivoison,
et le dit chastel fit abatre et raser au prez de terre.
Alors que le chastel fut prins des Sarrasins, Philippot,
le cappitaine des Crestiens n'y estoit point, mais il
estoit venu au navire pour aucunes besoingnes parle-
menter.
En ceste besoingne furent bien mors trois cens Cres-
tiens. Alors qu'ilz le sceurent, ilz partirent du port et
singlerent contreval la marine et choisirent en mer
navire et envoierent espier se c'estoient Sarrasins. Maiz
ilz trouvèrent que c'estoient Crestiens et estoient Hon*
grès. Et là estoit ung bon chevalier de l'ostel du roy
190 CHRONIQUE
de Hongrie. Et estoient en sa compaingnie bien seize
cens pèlerins. Toutes les deux armées, après ce qullz
s'entrefurent diz leurs pensées et leurs aventures , se
mistrent ensemble. Et par le conseil de Philippot ilz
retournèrent à Japhé. Soudainement et sans noise, par
ung point du jour, ilz se mistrent en hable et entrèrent
en la ville qui de celle partie estoit mal fermée. Les Cres-
tiens entrèrent en la ville et y boutèrent le feu et occis-
trent grant nombre de Sarrasins, car ilz furent soupprins
des Crestiens. Si les occioient à gransmonceauUparmy
la ville et moult enoccistrent es maisons. Là vengèrent
bien leurs compaingnons, car pour ung Crestien mort
il occistrent bien vingt Sarrasins. Le cappitaine des
Sarrasins s'en fuy en Babilone et raconta le fait au
soudent et à son conseil, dont ilz furent moult trou-
blés. Et bailla l'en au dit cappitaine trois fois plus de
gens que devant pour chasser les Crestiens de Japhé.
Maiz comme il vint à Japhé, ilz estoient jà partis. Etdit
Fistoire qu'ilz avoient ouy nouvelles du roy de Cyppre.
Et alerent à luy qui très grant feste leur (ist, car il
avoit ouy nouvelles d'eulx et de leurs faiz. Et des lors
qu'ilz furent adjoustés au roy de Cyppre, le dit roy
commanda que l'en singlast où Dieu les vouldroit
mener, et de cest singlage vint le roy de Cyppre devant
Sur. Adonc estoit à Sur l'amiral d'Egypte, cappitaine
de Surie de par le soudent, car cestui amiral estoit de
par mère oncle du soudent. Par tout le pais avoit fait
admener les vivres es fortes cités et chastiaulx, par
quoy les Crestiens ne trouvoient nulz vivres.
Cestui amiral , comme il apperçut Tannée d
Crestiens, il yessi à l'encontre à bien trente mille
rasins dont le plus estoient montez. Et en sa compai
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. I9i
gnie estoient le plus des meillieurs guerroiers du po-
voir au soudent. Le roy de Cyppre et les Crestiens
vindrent pour prendre port, maiz là ouït une très
grant et diu*e bataille à conquerre terre. L'armée des
Crestiens qui fut à Japhé et l'armée des hospitalliers
tous d'un front, comme se leurs yaisseaulx fussent che-
villiés ensemble, abordèrent bandement. Les Sarra-
sins vindrent combatre contre eulx et getterent feu qui
esprint leur navire. Et adonc comme au desespoir
saillirent hors et vindrent courre sus aux Sarrasins si
hardiement que en l'endroit d'eulx ilz rompirent leur
bataille et les desconBrent. Et lors tous les autres Cres-
tiens yssirent hors de leur navire; et aux glaives, aux
haschez et aux espées conquistrent à force d'armes la
terre. Là s'i contint moult noblement le bon roy de
Cyppre, car au descendre cellui qui portoit la baniere
du dit roy de Cypre fut mort. Le bon roy print la ba-
niere que cellui portoit et la leva vassaument. Son
firere le prince d'Antyoche s'i porta comme preux,
maiz il fut navré d'ung dart en la jambe. Maiz oncquez
pour ce ne voult laissier Testeur et la forte bataille qui
dura jusques à la nuyt. Adonc ouït conseil le roy de
Cyppre de se retraire en son navire, car pour lors ne
povoit il à Sur riens forfaire ne conquester. Et donc
s'en repaira le roy de Cyppre en sa terre, car il n'avoit
que trop petit de vivres en son navire. Par quoy il fal-
lut qu'il retournast en Cyppre, et aussi se départirent
tous ceulx de l'armée dessus dicte.
Cy retourne à parler du royaume de France. Mon-
seigneur Olivier de Mauny commença guerre en Nor-
mendie au roy de Navarre et couru sa terre eu Cos-
tentin et pilla et mist siège devant Avrenches. Maiz le
192 CHRONIQUE
roy de France le manda, et laissa le siège pour venir
au mandement du roy.
En cest temps, les compengnes qui furent avec le
prince de Galles et d'Acquitaine en Espaingne entrè-
rent eu royaume de France et pillèrent tout le pais
par où y passoient, et prenoient les gens de France à
raençon , et firent mainte grande destruction eu
royaume de France.
Urbain, pape de Romme, excommenia les dictes
compengnes et maudit de Tauclorité Saint Pierre et
Saint Pol et tous leurs soustenans appertement ou cou-
vertement, tous leurs aliez et tous leurs confortans ou
qui riens leur administreroient, de tous sains sacre-
mens de Saincte Eglise les priva, et de tous biens tem-
poreux et espiritueulx par succession ou autrement
eulx et leurs hoirs privoitjusquez au tiers genouil.
Par toute Teglise du povoir de Romme fut com-
mandé que les dictes compengnes fussent excomme-
nies et engregies et le feu et l'iaue de quoy ilz pre-
noient leur sustentacion et les vivres dont ilz vivoient.
Par quoy les dictes compengnes firent trop de griefz
et de tourmens aux ministres de Saincte Eglise, quant
ilz les prenoient, et plusieurs en mistrent à mort. Les
dictes compengnes vindrent parmi le royaume de
France par Bourgoingne, et là prindrent une bonne
ville marchande que l'en appelle Vermenton *. Puis
passèrent Seyne et vindrent en Brie et coururent
jusquez près de Rainset prindrent par assault Tabbaye
d'Epernay.
Charles le roy de France fit moult grant semonce
i. Vermenton, Yonne, an*. d'Auxerre, ch. 1. de c.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 193
pour combatre les dictes compengnes, c'est assavoir
monseigneur le duc de Berry, monseigneur le duc de
Bourgoingne, monseigneur Robert d'Alençon, conte du
Perce, monseigneur Jehan d'Ârmignac, monseigneur
de Larbret et ses frères, le captai de Bues, monsei-
gneur de Beaumanoir, monseigneur Olivier deClichon,
le comte Dampmartin , les barons de Normendie qui
s'estoient mis soubz le comte du Perche et les ba-
rons de Picardie soubz le connestable, le comte de
Saint Pol et le maistre des arbalestriers.
Le duc de Berry et le duc de Bourgoingne, avec eulx
les dessus diz haulz hommes, alerent contre les com*
pengnes, et lors les compengnes ramonterent en
Bourgoingne et rappasserent Seyne. Et lors en cest
temps furent faiz mareschaulx de France monsei*
gneur Louis de Sancerre et monseigneur Mouton de
Blainville. Lesquelz costioient les dictes compengnes
en gardant les villes fermées et chastiaulx du roy de
France.
A Sens, comme les Françoiz poursuioient les dictes
compengnes, meust une riote des Bretons contre ceulx
de Sens; maizles mareschaulx les appaiserent. Comme
les dictes compengnes vindrent à Senlis devant la
ville, ung chevalier de Normendie qui estoit en la
ville, nommé Lyon de HacquevUle, yssy hors à com-
batre aux barrières pour acquérir honneur. Ceulx de
la ville ne le recuillirent point, quant besoing fut;
pourquoy le dit chevalier fut occis.
Cy raconte de monseigneur le duc d'Angou qui fit
^erre aux Provinciaulx pour le royaume d'Arleblanc
et ala mettre siège à Terrascon par terre et par le Rone.
Et là vint à lui monseigneur Bertran de Ciacquin tout
13
194 CHRONIQUE
droit de Bordeaux où le priuce lui avoit donné eslar-
gissement jusques à certain jour pour finer de sa
finance. Avecques le dit monseigneur d'Angou estoit
le mareschal d'Andrehen.
Au dit siège vint monseigneur Olivier de Mauny à
bien quatre cens combatans de cheval sans la piétaille
et tous Bretons. Et s'estoit parti du roy pour cause du
captai. Monseigneur le duc d'Angou le reçut moult
liement. Les Françoiz coururent jusques oultre le Rone
en la comté de Prouvence. Alors ceulx de Prouvence
tramistrent une gallie à Terrascon, laquelle fut prinse
des Françoiz. Lesquelz destraindrent tant ceulx de
Terrascon qu'ilz se rendirent à monseigneur le duc
d'Angou qui y mist cappitaine et garnison en son nom.
Puis fut fait acort entre monseigneur le duc d'Angou
et ceulx d'Arleblanc. Et après ce monseigneur le duc
d'Angou aida à monseigneur Bertran de une partie de
sa raençon. Et si lui fit faire aide tant au pappe que au
roy de France son frère tant et si que la raençon du
dit monseigneur Bertran fut payée. Et pria et requit le
dit monseigneur Bertran à son cousin monseigneur
Olivier de Mauny qu'il lui feist compaingnie o ses gens
à retourner en Espaingne, lequel lui acorda bonne-
ment. Et aussi concuiili le dit monseigneur Bertran
en Bretaingne et en la Basse Normendie ce qu'il poult
finer de gens d'armes pour mener avec lui en Espain-
gne. Et puis se mist à chemin o ses gens et la route du
dit monseigneur Olivier son cousin. Et passèrent par
Navarre et tant esploiterent qu'ilz vindrent en Espain-
gne et chevaucerent droit à Toullecte* où le roy Henry
■
1. Tolède.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 195
et le Besgue de Villainestenoieut siège, lesquelz eurent
très grant joye de leur venue.
Cy dit ristoire que le prince de Galles, après certain
temps qu'il fut venu de Espaingne, voult avoir et aie-
ver une subcide sur les Guiennoiz. Maiz les barons de
Gascoiugne le contredirent, monseigneur de Larbret
et ses frères, le comte d'Armignac, monseigneur Jehan
d'Ârmignac son filz et la plus grant partie des nobles
du dit pais. Et firent faire responce par ung archediacre
que ce n'estoit pas la voulenté aux nobles de Guienne
que sur eulx ne sur leurs hommes eust ne preinst le
prince aucune subvencion. Par quoy meust rumeur
des barons contre le prince. Et pourdoubte du prince
le comte d'Ârmignac et le sire de Larbret vindrent au
roy dé France comme à leur souverain seigneur et se
clamèrent du prince. Et par la dicte clameur et do-
leance fut le prince adjourné par devant le roy de
France. Et y furent envoyez messages qui puis ne
retournèrent de longtemps et ne sçavoit l'en s'ilz
estoient mors.
Cy raconte que le jeune comte d'Aucerre fut prins
en Bourgoingne et de ses gens d'armes mors pour ce
qu'il avoit pillié et couru sur la terre de la contesse de
Flandres et mourut en prison.
'• En cel an mil trois cens soixante huit, monseigneur
Lyon, filz du roy d'Angleterre, parti de son pais et
vint en France pour aler espouser la fille du prince
Bamabo de Millen^ et vint à Paris où il fut receu très
noblement du roy de France, de monseigneur le duc
de Berry et de monseigneur le duc de Bourgoingne
qui alerent contre lui et lui portèrent moult grant
honneur. Et fut moult grandement festoie du it>y.
196 CHRONIQUE
AprCvSce se parti monseigneur Lyon de Paris et esploicta
tant qu'il vint à Milieu et espousa la fille du dit mon-
seigneur Barnabo. Maiz il ne fut gaires là qu'il mourut,
et disoieut aucuns qu'il avoit este empoisonné des
Lombars.
Cy retourne à parler des compaignes, lesquelz vin-
drent devant Paris; puis se partirent de France et en-
trèrent en Normendie. Et parti une route des com-
pengnes dont ung nommé Briquet estoit chief et cui-
derent prendre Loviers. Maiz monseigneur le comte du
Perche, monseigneur le mareschal de France, seigneur
de Blainville, monseigneur de La Ferté, monseigneur
Claudin de Harainvillier, marescbaux de Normendie,
et monseigneur de Basqueville avec eulx bien quatre
cens lances s'estoient mis paravant dedens Loviers ; et
faillirent à la prendre par la force et deffence des dessus
diz nobles hommes avec ceulx de la ville. Quant les
compengnes ourent failly à prendre Loviers, ilz che-
vaucerent à force jusques au chastelde Vire où Ten ne
se donnoit garde d'eulx et firent une embuscbe. Et une
partie d'eulx se mistrent en la ville et tuèrent les por-
tiers qui gardoient la porte. Et lors vint leur embuscbe
et entrèrent en la ville de Vire et la pillèrent et robe-
rent, et tout homme qui se mettoit à deffence estoit
mis à mort. Apres ce aucunes routes de compengnes
entrèrent en Mayne. Monseigneur Mouton de Blain-
ville, mareschal de France, ala à Vire et rafreschy le
cbastel de Vire, puis fit tant que par une somme de
fraus d*or les compengnes laissirent Vire. Monseigneur
Robert d'Alençon, comte du Perce, chevauça avec
monseigneur Louis de Sancerre, mareschal de France,
et monseigneur Guillaume du Melle droit à une prieuré
DES QUATRE PRE^OERS VALOIS. 197
que monseigneur Robert Sercot cappitaine d'aucuns
Angloîz des compengnes enforçoit. Et là fut prins et
mis à mort. Semblablement en une chevaucie que fit
Briquet qui restoit chief d'une compaignie des com-
pengnes, monseigneur Guillaume du Melle le fit sca-
voir aux mareschaulx de France, lesquelz y envoierent
des gens d'armes qui desconfirent Briquet et occistrent.
Cy parle du noble roy de France Charles qui ala
jusques en Lysle en Flandres pour parlementer au
conte de Flandres pour le mariage de sa fille et d'ung
des fireres au dit roy, c'est assavoir Philippe de France
duc de Bourgoingne. Et d'icelluy mariage avoientpieça
les paroles esté portées par très noble dame la contesse
d'Artoiz, mère du dit conte. Et en ce ouït descort, car
aucuns des bonnes villes de Flandres vouloient que
ung des filz au roy d'Angleterre eust la dicte fille de
leur seigneur. Maiz le Saint Père ne le voult consentir.
Pour le dit mariage attendi par quatre jours le dit roy
de France en la dicte ville de Lisle. Le dit comte s'en-
voya excuser par devers le roy pour cause d'une ma-
ladie qu'il avoit. Puis s'en retourna le roy de France à
Paris.
Cy dit que la ville de Caours* se retourna Françoise
pour la cause du descort des seigneurs de Guienne,
des bonnes villes et du prince. Et pour ce que les An-
gloiz n'accomplissoient pas bien le traittié et que en
plusieurs manières l'avoient enfi^aint tant par les com-
pengnes que par plusieurs autres meflaiz, Charles, le
roy de France, tramist messagiers au roy d'Angle-
terre, c'est assavoir le comte de Sallebruce , le doyen
1. Cahors.
i 98 CHROMQUE
de la mère église de Paris et autres. Maiz sur ce cp*ilz
requeroient n'eurent aucune certaine resppnce. Par
quoy le roy de France et son conseil apperçeurent
bien que le roy d'Angleterre estoit enneray du roy de
France et du royaume.
Cy parle de la guerre renouvellée en Espaingne
entre le roy Henry et le roy Petre. Et dit que, après
ce que le prince de Galles eust remis le roy Petre en
son royaume après sa victoire, et que après ce feust
retourné en Guienne et mené ses prisonniers, et le roy
Henry feust venu devers le pape et eust trouvé mon-
seigneur le duc d'Angou, comme devant est dit, il fut
ainsi que le prince eust mis à raençon le mareschal
d'Andrehen et le Bègue et leurs raençons paiées. Le dit
Bègue, comme devant dit est, vint à la cour du pape en
Avignon où le dit roy Henry estoit avec monseigneur
le duc d'Angou qui moult grandement Tavoit festoie
et soUennelment reçeu. Et s'en ala en Espaingne o le
roy Henry et conquistrent moult de villes et forteresses.
Et comme ilz avoient assiégé la cité de Toullette et que
le roy Petre estoit aie quérir secours au roy de Belle-
marine, Sarrasin, lequel lui fit grant aide de Turcs et
de Sarrasins ; cependant monseigneur Bertran de Clac-
quin o grant secours pour le roy Henry vint en Es-
paingne et tout droit vint au siège de Toullette. Et
tantost après ce qu'il fut venu, vint le dit roy Petre o
les diz Turcs et Sarrasins. Et comme le roy Henry le
sceut , lui , monseigneur Bertran de Clacquin , le dit
Besgue et leurs gens vindrent en Tencontre et les com-
batirent et desconfirent. Comme le roy Petre aperçust
la desconfiture de ses gens, il s'en fuy et se bouta en
ung très fort chastel assis en très haulte place nommé
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 199
Le Moncel, et là fut parsuivy du dit roy Henry, mon-
seigneur Bertran et Besgue o leurs gens, lesquelz mis-
trent le siège devant le dit chastel. Et comme le roy
Petre se vit ainsi avironné de toutes pars de gens
d'armes, il fit par ung syen chevalier privé eu qui
moult se fioit traictier au dit Bertran et au dit Besgue
de Yillainesque, se il le povoient getter hors des mains
Henry le Bastart son frère, qu'il leur donneroit et
livreroit cent mille doubles de fin or. Ceulx convoitè-
rent Tor et distrent aux messages que si feroient ilz. Le
roy Petre leur fit mettre terme en une certaine nuyt
que le dit Bertran et le dit Besgue vindrent au pie du
chastel. Et fut mené le roy Petre en une plate maison
soubz le chastel. Et comme les diz monseigneur Ber-
tran et Besgue en furent partis et qu'ilz ourent reçeu
les flourinsy ainsi comme le roy Petre s'appliquoit pour
monter et s'en aler, le roy Henry vint et dit : a Où est
Petre, qui se dit roy d'Espaingne et de Castelle? » Le
roy Petre dist lors : w Traïtour, je suy le roy d'Espaingne
et de Castelle. » Et tantost couru sus au roy Henry,
maiz la force nen fut pas au roy Petre. Car il fut prins
et lui fit le roy Henry coupper la teste. Ainsi mourut le
roy Petre et le dit roy Henry demoura paisible roy
de Espaingne et de Castelle. Lequel roy Henry donna
au dit monseigneur Bertran de Clacquin et au dit
monseigneur le Besgue de Villaines grans terres, po-
cessions en Espaingne, c'est assavoir au dit monsei-
gneur Bertran la duchié de Moulinez et les apparte-
fiances et au dit Besgue la conté de Ribedieu et toutes
les appartenances.
En l'an de Tincarnacion Nostre Seigneur Jhesucrist
mil trois cens soixante huit, le premier jour du benoit
200 CHRONIQUE
dimenche de l'ÂventS la royne de France ouït ung
filz dont tous les bons Françoiz ourent par le royaume
de France grant joye du nouvel hoir du royaume qui
ace glorieux advenement de Jhesucrist fut né. Le qua-
triesme jour après sa nativité fut baptisé le jour Saint
Nicolas à grant solennité. Et fut levé de fons de ma-
dame la royne Jehenne et du comte Dampmartin et
de monseigneur Charles de Montmorency. Et fut le
dit enfant nommé Charles et luy donna le roy son
père le dalphiné de Vienne.
Alain de Mauny, o une route de huit vingt comba-
tansy s'en vint par Prouvence. Les Prouvincieus assem-
blèrent bien seize cens combatans et coururent sus au
dit Alain de Mauny, maiz les Prouvinciaulx furent
desconfiz.
Pierres le bon roy de Cyppre fut mis à mort et occiz
de son propre frère le prince d'Antioche en Cyppre.
Dont ce fut grant domaige pour toute crestienté , car
il estoit ung très vaillant prince et qui hardiemeit
avoit guerroyé les Sarrasins.
Cy raconte Tistoire de la guerre recommencie entre
le roy de France et le roy d'Angleterre. Les Angloiz de
par le roy d'Angleterre coururent en Picardie et
prindrent Neelle soudainement. Le roy de France et
son conseil en ourent nouvelles, et fut envoyé en
frontière monseigneur Hue de Chasteillon, maistre des
arbalestriers. Puis par le commandement du roy de
France, le comte de Saint Pol et le connestable et
monseigneur Jehan, dit Mouton, sire de Blain ville,
mareschal de France, alerent en Picardie pour ra-
i. V. Gr, Chron. de France, éd. in-12, t. VI , p. 266-268.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. ÎOi
voir Neelle qu'ilz prindrent et gaingnerent sur les
Angloiz.
A Pasques rail trois cens soixante neuf, les bour-
goiz d'Abbeville se rendirent Frariçoiz. Et furent les
Angloiz mis hors de la dicte ville sans leur faire nul
mal en riens. Et les commis de par le roy de France y
entrèrent et furent joieusement reçeuz de ceulx de la
dicte ville.
Le roy de France, à grant deliberacion de conseil,
et par les barons, prelas et bonnes villes, fit deffier
Edouart le roy d'Angleterre. Les commis du roy qui
estoient à Abbeville se saisirent de la conté de Pontif
et prindrent le ckastel de Montereul que le roy d'An-
gleterre avoit fait faire. Le roy d'Angleterre, qui se
sentoit ung des plus puissans princes du monde, fit
aliance au roy d'Escosse son serourge et lui tramist
grant somme d'or. Maiz les Escoz, par especial les
bonnes villes, ne vouldrent estre contre le roy de
France ne contre les Françoiz aucunement.
Cy raconte que le roy de France fit ung grant con-
sille à Paris et fit raonstrer au peuple comme par leur
conseil il avoit fait deflBer le roy d'Angleterre. Et pour
celle cause fut prins le prest sur le sel sur les riches
hommes, et afferma le roy qu'il envoieroit raonsei*
gneur leducdeBourgoingne son frère en Angleterre. Et
pour ce fit le dit roy grant semonce de nobles hommes.
Et pour fournir son fait vint le roy de France à Rouen.
£t alors ala monseigneur Philippe de France duc de
Bourgoingne espouser la fille et héritière du conte de
Flandres. Et après ce qu'il ouït espousée, tantost après
il se parti et vint à Rouen où le roy son frère estoit.
Tant comme le roy estoit à Rouen, fut faicte une ar-
202 CHRONIQUE
mée des gens de Seyne de la coste de Caux et de
Somme, lesquelz coururent en Angleterre. El d'autre
partie le roy d'Angleterre fit une armée de barges, et
vindrent sur la coste de Somme et prindrent environ
douze vaisseaulx que Normans que Picars.
Edouart le roy d'Angleterre, pour rompre le fait et
Temprise du roy de France, affin que les Françoiz
n'entrassent en sa terre, envoya son fîlz le duc de Len-
castre à Callais à tout plus de quatre mille combataus
et coururent sur la terre du roy de France. Le roy qui
pour lors estoit à Rouen pour faire aprester le voiage
d'Angleterre, tenoit parlement à ses bonnes villes de
son royaume, dont il avoit des bourgois de chacune
grosse ville et cité pour avoir finance et argent. Et lors
pour le roy requit l'abbé de Fescamp, nommé de La
Granche, Bourgoingnon , la mousture de chacune
myne de blé seize deniers pour myne, et sur le bre-
vaige tant sur le vin, sur cydre que sur cervoise, le
sixiesme denier par dessus toutes autres subvencions
tant gabelles que imposicions. Dont le dit abbé ouït la
malle grâce du peuple de tout le royaume de France,
et en fut en très grant dangier de mort. Et eust esté
cela levé sur le dit peupple, maiz les prelas, clergié,
nobles et bourgoiz ne le conseillèrent pas ne ne con-
sentirent, ains le furent à plain refusans.
Ce pendant vindrent nouvelles au roy de France
que le duc de Lencastre estoit en Picardie et couroit la
terre du roy. Et lors fut donné en conseil au roy que
ce seroit le meillieur d'aler premièrement combatre le
duc de Lencastre, maiz le roy voulloit que le passage
se feist. Et touteffoiz voult le roy qu'il fust sceu par les
gens de ses bonnes villes lequel estoit le meillieur et
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 203
le plus expédient. Et pour ce furent esleus quatre prê-
tas, douze barons et douze bourgoiz qui rapportèrent
au roy, aux prelas et clergié, aux autres nobles et
bourgoiz que c'estoit le raeillieur d'aler premièrement
sur le duc de Lencastre. Adonc fut crié sur les nobles
le ban le roy que tous nobles et tenans noblement
alassent après le duc de Bourgoingne à Abbeville. Là
assemblèrent les Françoiz, c'est assavoir le duc de
Bourbon, le conte du Perche, le conte d'Eu, le conte
de Harecourt, le connestable monseigneur Moreau de
Fieules, le conte de Saint Pol, Tevesque de Troie, le
viconte de Narbonne, le conte Dampmartin et moult
de haulz et nobles hommes avec eulx en la compain-
gnie de monseigneur le duc de Bourgoingne. Chevau-
cerent les diz seigneurs o leurs gens contre le duc de
Lencastre et son host.
Ce pendant le roy de France ouït nouvelles du duc
de Bretaingne que les Angloiz esloient venuz à Saint
Sauveur le Viconte. Et pour ce de par le roy de
France furent envoyez en Costentin en frontière les
mareschaulx de France, monseigneur Louis de San-
cerre et monseigneur Jehan de Blainville dit Mouton,
monseigneur de La Ferté et monseigneur du Melle.
Lesquelz assemblèrent grant foison de gens d'armes,
par especial de Normendie. Et avec eulx s'ajouxta
monseigneur Olivier de Clichon, et mistrent le siège
devant Saint Sauveur le Viconte.
En cest temps, le roy de Navarre estoit nouvelle-
ment venu à Cezarbourg. Lequel tramist messagiers à
son serourge le roy de France en soy offrant à lui et
aussi requérant qu'il lui recovrast terre pour la conté
de Longueville, Mante et Meullent, et pour ce aussi
204 CHRONIQUE
que la terre que on lui avoit assise à Montpeullier, le
duc d'Angou la tenoit et possidoit. Les diz messagiers
du roy de Navarre furent longuement à la court du roy
sans avoir responce. Et tandis que les diz messagiers
furent en la court du roy de France, monseigneur
Olivier de Clichon fut par devers le roy de Navarre et
parlementèrent ensemble. Et comme il retourna en
l'osty il fit deslogier des Bretons toute rassemblée. Car
le duc de Bretaingne et le roy de Navarre fermèrent
aiiance ensemble. Alors fut levé le siège, et le vint
monseigneur le mareschal denoncier au roy de France
qui à merveilles en fut couroucié et dolent. Et fut
donné en conseil au roy de France qu'il envoiast de-
vers le roy de Navarre. Et y alerent le comte de Sal-
lebruce et des conseillers du roy, lesquelz traicterent
de paix.
Cy retourne à pa[r]ler de monseigneur de Bourgoin-
gne qui ala hostoier contre le duc de Lencastre, lequel
avoit pris place à Tournelien * en la valée. Et vint le
duc de Bourgoingne pardevers son frère le comte de
Flandres, puis vint à son host. Et se logierent les
Françoiz droit devant les Angloiz pour avoir bataille.
Maiz le duc de Lencaslre et les Angloiz, qui moult
estoient subtilz et rusez de la guerre, doubtans la
grant chevalerie des Françoiz et leur puissance, s'es-
toient si fortifiez que nul ne les povoit aprochier. Le
duc de Bourgoingne manda au duc de Lencastre ba-
taille; et le duc de Lencastre luy octroya par ainsi que
la place fust eslite quatre jours devant la bataille. Et
furent chevalliers esleuz d'une partie et d'autre pour
1. Tournehem, Pat-de-GiUu, air. Saint-Omer, c. Ardres.
DES QU/LTRE PREMIERS VALOIS. 205
eslire place. Maiz atant deinoura pour ce que les An-
gloiz se vouUoient forliffier.
Tandiz comme le duc de Bourgoingne fut à Tourne-
hen devant le duc de Lencastre et son host, il eust
une rumeur entre les Francoiz et les Flamens. Et vint
le duc de Bourgoingne départir la mellée. Et si n'eust
este présent ad ce, ung Flamenc eust tué le comte du
Perche. Par devant les Angloiz fut monseigneur de
Bourgoingne plus d'un moys lui et son hostet deubt
Fen aux souldoiers la plus grant partie de leurs gaiges.
Et les gens du pais Picars ne leur vouUoient riens
acroire. Pour quoy le dit monseigneur de Bourgoingne
manda au roy son frère de l'argent pour paier les diz
souldoiers, maiz deniers ne furent point apportés. Et
disoit la commune renommée que c'estoit par Tabbé
de Fescamp. Et par ce que l'argent failly, se desloga
l'est des Francoiz, ne ne peurent les haulx hommes te-
nir leurs gens d'armes. De quoy ce fut grant honte
et grant domaige au royaume de France.
Cy après raconte que les Angloiz prindrent la mère
à la royne de France, dont son filz le duc de Bourbon
et son gendre le comte de Harecourt alerent mettre
siège au lieu où les Angloiz l'avoient mis, maiz ilz
s'en retournèrent.
Apres ce que le duc de Bourgoingne et les Francoiz
se furent deslogiéz de Tournehen, le duc de Lencastre
s'en vint o son host d' Angloiz courant par Picardie et
vint passer o son host à la Blanche Taque. Et puis
chevauca tant qu'il entra en clos de Caux et vint mettre
le siège devant Harefleu et le fit fort assaillir, maiz
riens n'y forfit. Car la ville estoit bien garnie, et estoit
dedans le conte de Saint Pol et grant quantité des che-
206 CHRONIQUE
valiers de Caux o ceulx de la ville qui bien la deffen-
dirent. Maiz tandiz que le duc de Lencastre estoit au
siège devant Harefleu, il envoia ung de ses mares-
cbaulx pour assaillir Moustiervillier\ Maiz le Bau-
drain de la Heuse o cent hommes d'armes avec ceulx
de la ville se deflendirent très bien. Et lors quant le
duc de Lencastre vist qu'il perdoit son temps à tenir
siège devant Harefleu^ il se desloga et repassa parmy
Caux ardant et bruiant^ et s'en retourna passer à la
Blanquetaque. Et par une embusche qu'il fit faire à
ung de ses mareschaux, fut prins le maistre des arba-
lestriers de France et fut mené prisonnier en Angle-
terre. En cest temps les Geneuoiz firent ung nouvel
seigneur et mislrent leur duc en une cage de fer en
charte.
Le roy d'Arragon envoia messages au roy de France
et lui requist pour son filz la fille du roy Philippe, fille
de la royne Blanche et seur du roy de Navarre. Et en
la parfin fut donnée au filz du dit roy d'Arragon et
fut espousëe à Paris par procureur. La fille du conte
de Flandres que monseigneur le duc de Bourgoingne
avoit espousëe fut amenée en France par son aelle ma-
dame la contesse d'Artoiz, mère du dit conte de
Flandres.
En Tan mil trois cens soixante dix, de par le roy de
France, monseigneur Jehan de Guienne, monseigneur
de Blainville, niareschal de France, et monseigneur de
La Ferté, o plusieurs routes de gens d'armes, alerent
en Guienueet prindreut plusieurs forteresses, puis s'en
retournèrent aucuns en France. En Guienne, ung
1 . MontWillien, Seine^Infériettre, arr. le Havre, ch.*l. de c.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 207
Breton, nommé CaruoletS prist le Chasteleraut et le
chastel monseigneur Jehan de Chendos. Et comme
une foiz d'aventure que le dit Garuolet o de ses gens
chevaucoit sur le pais, le dit monseigneur Jehan de
Chendoz semblablement chevaucoit, si a vint d'aven-
ture d'armes qu'ilz s'entrencontrerent à l'endroit d'un
pont. Et là ouït ung moult dur pongneys euquel par le
trait d'un archier fut le dit monseigneur Jehan de Chen-
doz occizy lequel eu dit pais de Guienne estoit cappi-
taine pour le roy d'Angleterre et pour le prince son fdz.
Cy après dit que le roy de France fit faire une armée
par mer par son admirai, le viconte de Narbonne, de
ceulx de la coste de Normendie et de Picardie, et cou-
rurent sur la coste d'Angleterre. Et d'autre partie, le
roy d'Angleterre fit une très grosse armée dont estoit
chief monseigneur Robert Canole. Et descendi à Calaiz
et couru le dit Canole par le royaume de France jus-
ques près de Paris. Etsourmonta le dit Canole la rivière
de Aize et de Marne et passa Seyne parempres Troye.
Et revint o tout son host pardevant Paris où il Ait plus
de six jours, et couroient les Angloiz jusques aux
faubours où il avoit souvent pongneys, et demandoit
bataille. Maiz le roy n'oult pas lors conseil de le faire
combatre. Et pour ce se desloga le dit Canole et ses
gens de devant Paris. Et comme le dit Canole fut des-
logié lui et son host de devant Paris, monseigneur
Bertran de Clacquin, qui par le mandement du roy
de France retournoit d'Espaingne^ arriva à Paris et
(ut fait connestable de France; et se demist de la
connestablerie monseigneur Moreau de Fieules.
1. Ktr-Loet.
208 CHRONIQUE
Le dit monseigneur Bertran, nouvel connestable, fit
sa semonce des nobles et parsuy monseigneur Robert
Canole, maiz le dit Canole estoit ja entré en Bretain-
gne. Et du dit host Canole estoit demouré derrière
monseigneur Hue de Karveley. Et comme il senti que
le dit connestable les parsuioit, il s'en fuy et se desloga
d'une ville forte où il estoit. Monseigneur Bertran fit
assaillir la dicte ville et la prist d'assault. Et comme le
dit connestable ouït prins la dicte ville, Taudemain il
prist une abbaye près du Mans que les Angloiz avoient
Tortifiée. Monseigneur Tbomas de Grantson faisoit
Tarrieregarde de Tost des Ângloiz, lequel estoit ma-
reschal du roy d'Angleterre, avec lui bien six cens
combatans, et estoit en une vallée nommée Mayet.
Monseigneur Bertran sceut par ung espie que les An-
gloiz estoient là. Tantost il se parti du Mans o pou de
gens d'armes et clievauca toute la nuyt. Et quant les
Françoiz sçeurent qu'il chevauçoit, tantost et hastive-
ment suirent le dit monseigneur Bertran. Et comme
vint au point du jour, il aperçut les Angloiz. Et lors
tantost se mist en conrroy et en ordonnance pour
combatre, et de fait les combati et les desconfît. Et fut
le ditmareschal d'Angleterre prins, et l'envoya le con-
nestable au roy de France à Paris.
Le roy d'Angleterre envoia son filz le duc de Len-
castre en Guienne à grant foison de gens d'armes An-
gloiz. Et comme il fut venu à Bordeaux, il fit sa
semonce des nobles du pais, puis ala asseoir Chasteau
Paon' et destraint moult fort la ville. Et du pais d'en-
tour il fit admener les vivres à son host et si fit demie
1. Froissart appelle ce lieu MoDtpaon.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 209
journée du pais d'entour vuidier et essarter pour la
double du nouvel connestable Bertran de Clacquin et
des Françoiz. Monseigneur Jehan de Vuienne qui estoit
en Guienne et autres seigneurs le firent scavoir au roy
de France, lequel y envoia monseigneur Bertran. Maiz
ains que le dit monseigneur Bertran peust venir là, le
duc de Lencastre avoit desjk prinse la ville et les
Françoiz qui la gardoient.
Le prince de Galles et le captai de Bues, avec eulx
grant nombre de gens, alerent assegier la cité de Li-
moges. Et à eulx vint o ses gens le duc de Lencastre,
et jurèrent le siège. Monseigneur Jehan de Vinemeur
estoit dedens la cité qui très efTorciement la defTendoit.
Et les Angloiz qui avoient foison d'engins les faisoient
getter jour et nuyt. Le duc de Lencastre fist miner la
ville, et estoit avec les mineurs, et lui en sa propre
personne les guettoit. Le dit monseigneur Jehan de
Vinemeur fit faire contremine. Dont il advint que les
mineurs se entre encontrerent et coururent sus les
ungz aux autres. Lors eschey que le duc de Lencastre
et monseigneur Jehan de Vinemeur se combatirent
Tun contre Tautre très vassaument. Dont dit le duc de
Lencastre : « Qui es tu qui si fort te combas à moi ? Es
tu comte ou tu es baron ? » — « Nennin, dist Vinemeur,
mais je suis ung povre chevalier. >> Adonc dit le duc
de Lencastre : « Je te prie que tu me diez ton nom
puis que tu es chevalier, car tel porras estre que j'auray
honneur de m' estre essayé à toy ou tel que non. »
Donc dit Vinemeur : « Saches, Angloiz, que oncquez en
armes ne regniay mon nom. J'ay non Jehan de Vine-
meur. » Adonc dit le duc de Lencastre : a Monseigneur
Jehan de Vinemeur, j'ay bien grant joye que je me suy
14
210 CHRONIQUE
esprouvé contre si bon chevalier comme vous estes.
Si sachiez que je suys le duc de LencastreS » Et atant
remaint la dicte bataille d'eulx deux. Et les autres se
mistrent avant, et dura Testour jusques à la nuyt. Et
fut là blecié le duc de Lencastre d'une des estaies qui
froissa.
Apres ce que dit est, le prince de Galles et le duc de
Lencastre firent efTorciement assaillir et continuelment
la cité de Limoges, et tant la destraindrent que par
force la prindrent. Et moult des citoiens mistrent à
mort pour ce qu'ilz s'estoient renduz Françoiz. Mon*
seigneur Jehan de Vinemeur et aucuns de la dicte cite
se retraireut en ung moustier où ilz se tindrent et là
se combatirent moult longuement. Là se contint le
dit Vinemeur moult vassaument, maiz par la force du
duc de liencastre ilz furent prins.
Apres ce que la cité de Limoges fut prinse, le prince
de Galles pour cause de maladie fut porté en une litière
à Bordeaux, et le duc de Lencastre couru le pais. Mon-
seigneur Bertran fit sa semonce à Bourges en Berry
pour aler en Guienne. Et comme il parsuioit une route
d'Angloiz, ung orage ou tampeste du temps chey sur
les Françoiz dont ilz perdirent moult de leurs che-
vaulx. Et lors s'estoient les Angloiz retraiz. Et donc
retourna le dit monseigneur Bertran à Paris.
Gy raconte que entre le roy de Navarre et le roy de
France furent faiz plusieurs parlemens pour traictier
de paix entre les diz rois. Et furent les conseilz ainsi
d'acort que le roy de Navarre vendroit devers le roy
i . Froissart n*a pas rapporté ce beau dialogue chevaleresque. Voy.
Chron.f liv. I, part. II, chap. cccxx et cccxxx, éd. du Panthéon, t. I,
p. 619-031
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 211
de France. El vouiloit le dit roy de Navarre avoir ung
des frères du roy de France en hostage, maiz nul des
diz frères n'y vouloit aller. Pour quoy il fut ordonné
que aucuns seigneurs, certains prelas et bourgoiz se-
roient en hostage pour le dit roy de Navarre. Le roy
de France vint à Vernon à grant nombre de haulz sei-
gneurs. Et de Vernon alerent en hostage monseigneur
Philippe d'Alençon, archevesque de Rouen , Tarche-
vesque de Sens^ le comte d'Estampes, le comte de Sa-
lebruce, le comte Dampmartin et le comte de Genevre,
monseigneur de Blainville, monseigneur d'Estoute-
ville, monseigneur de Graville et plusieurs autres
nobles hommes et des bourgoiz de Paris et de Rouen.
Tous les dessus diz hostages furent par monseigneur
Bertran de Clacquin, connestable de France, conduiz
G grant quantité de gens d'armes et sauvement menez
à Evreux. Car pour lors les fortz de Couches et de
Bretueil, lesquelz est oient garnis d'Anglois et de Gas-
cons, faisoient guerre et moult grevoient le pais. Et
comme les hostages furent à Evreux, le roy de Navarre
se parti d'Evreux et emmena avec lui le comte d'Es-
tampes, et tous les autres demourerent eu chastel
d'Evreux. Et le roy de Navarre , le comte d'Estampes
et monseigneur Bertran s'en vindrent à Vernon. Et
comme le roy de Navarre vint devant le roy de France,
il s'agenouilla par trois fois. Le roy de France le fit
lever, puis s'entrebaiserent les deux roys, et fut paix
confermée par entre eulx.
Eu dit an mil trois cens soixante dix, le bon pappe
Urbain retourna à Romme, et le ala quérir de par le
roy de France l'abbé de Fescamp à plusieurs gallées
garnies de gens d'armes. Et comme il fut venu à Avi-
212 CHRONIQUE
guoD, il ne vesqui guerres après et trespassa ung pou
devant Noël. Et fut mis en sépulture en Tabbaye de
Marcelles dont il avoit esté abbé quant il fut esleu à
pape. En Tan de rincarnacion Nostre Seigneur mil
trois cens soixante onze, selon Tusaige de Romme, fut
esleu et sacré pape le cardinal de Beaufort et fut ap-
pelle Grégoire. Et après ce le dit pape envoia le cardi-
nal d'Angleterre légat et autres pour traictier de paix
entre le roy de France et d'Angleterre.
Cy retourne à parler du roy de France et du roy de
Navarre. Car comme ilz furent d'acort, le roy de Na-
varre manda le cappitaine de Couches et de Bretueil
pour rendre les fors qu'ilz gardoient. Ad ce respondi
Toncle du captai que de par le captai gardoient les diz
fors et aussi ne les rendroient fors à lui et non à
iautre. Et leur furent données trêves jusques à six sep-
maines. Et le roy de Navarre et monseigneur Bertran
alerent à Caen pour faire vuidier les forteresses des Gas-
cons, Angloiz et Navarrois. Et comme ilz furent à Caen^
le roy de Navarre manda Rifïlart de Tulhay cappi-
taine de Tury* et fit tant à luy qu'il luy promist rendre
le dit fort de Tury. Comme RifHart fut retourné à
Tury, il parla aux Anglois et leur dit : « Beaux sei-
gneurs, je vieng du roy de Navarre qui m'a dit que il
a fait paix avecques le roy de France et ne fera plus
guerroier. J'ay prins congié de luy. Or n'y a fors de
soy pourveoir. Car je doubte que monseigneur Ro-
bert d'Alençon, comte du Perche, et monseigneur Ber-
tran ne viengnent icy mettre le siège. » Les Angloiz lors
respondirent qu'ilz yroient chevaucier sur le pais
I. Harcourt-Thury, Gilvados, arr. de Falaise, ch.-l. de c.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 213
pour eulx advitaillier et se partirent de Tury. Et
comme ilz furent hors, on leva le pont et lors s'escria
RifTIart de Tulhay : « Moult [s/c] joye Saint Denis! w
Et dit aux Angloiz : « Ne soyez plus retournans, car
ne enlreres en Thury. )^
A Penthecouste , Tan mil trois cens soixante onze,
le roy de France tint grant court. Et y fut le roy de
Navarre et le duc d'Angou, frère du roy de France, et
grant nombre de baulz et nobles hommes de France.
Et adonc fit le roy de France Tacort du dit roy de Na-
varre et du dit duc d'Angou. Puis après ce le connes-
table monseigneur Bertran de Clacquin ala mettre le
siège devant Couches. A prendre le siège, les Anglois
et Gascons firent une saillie, et là ouït grant escar-
muche. Et furent les diz Gascons et Anglois reboutés
par force dedens le fort, et à la retraitte blecerent
grant foison des Françoiz du trait. Et y fut blecié le
comte du Perche, et monseigneur Raoul Maillart oc-
ciz. Puis resaillirent ceulx de Couches par une autre
porte. Et prindrent des Françoiz de Tost et si prindrent
des gens qui menoient vivres en Tost et tout menèrent
en leur fort.
L'abbé de Fescamp retourna de court de Romrne.
Et retrencha Ten les garnisons, et ordonna Ten deux
bastides devant Couches, et leva Ten le siège. Dont ce
fut grant domaige pour le pais , car ceulx de Couches
reprindrent à pillier et destruire le dit pais. Charles
le roy de Navarre vint devant Couches et devant Bre-
tueil affin qu'ilz se rendissent, mais oncques pour luy
n'en vouldrent riens faire.
En ce temps, madame de Bourgoingne, fille du
comte de Flandres, acoucha d'un fiiz.
li 4 CHROmQUE
Cy raconte des legas du pape lesquelz, après ce
qu'ilz eurent esté pardevers le roy de France, allèrent
en Angleterre pour traittier de paix au dit roy d'Angle-
terre d'entre lui et le roy de France pour mettre chres-
tienté en bonne paix et union, et que l'en peust guerroier
les ennemis de la foy, et que armée se fourmast et
voiage se feist à chasser les mescreans de la Saincte Terre
de Jherusalem, ainsi que le roy de France se sub-
mettoit du tout en l'ordonnance du Saint Père de faire
du descort et de la guerre qui estoit entre les diz roys.
A cestui premier traictié fut tout à plain refusant le
roy d'Angleterre. Item, les diz legatz distrent que le roy
de France s'en submettoit en l'ordonnance de l'empe-
reur. Le dit roy d'Angleterre le fut refusant. Item, les
diz legatz distrent au roy d'Angleterre que le roy de
France s'en mettoit en l'ordonnance de quatre roys
Crestiens. Le dit roy d'Angleterre le fut refusant. Item,
les diz legatz distrent au roy d'Angleterre que, de qua-
rante personnes tant chevaliers que bourgoiz prins du
royaume d'Angleterre et autant semblablement prins
du royaume de France, que sur ce que ces quatrevingt
preudommes diroient et jureroient, le dit roy de
France s'en mettroit en leur ordonnance. De tout ce
le roy d'Angleterre fut refusant. Atant se partirent les
diz legatz du pape du dit roy d'Angleterre sans riens
faire et s'en retournèrent.
En cest temps, les bons barons de Bretaingne,
monseigneur de Beaumanoir, monseigneur Olivier de
Clichon, monseigneur de Laval et moult d'autres
haulx hommes avoient mis siège à Becerel ^ comme le
I . BéchercI, Ule-et-Vilaine, air. de Montfort, ch.-l. dec.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. «15
connestable avoit fait à Conches. Les Angloiz» qui sont
moult subtilz de la guerre, affin qu ilz peussent remuer
le siège, vindrent bien sept cens combatans en Bre-
taingne. Et fut mandé au connestable que hastivement
alast vers le dit siège. Maiz les cappitaines de Fost
avoient mandé les genz de Caen, de Baieux et de
Saint Lo et de par tout le pais et les mistrent à garder
le siège. Et ilz alerent contre les Angloiz. Et comme
les Angloiz le sceurent, ilz s'en retournèrent en leur
pais. Et le connestable et le comte du Perche s'en re-
tournèrent au siège de Conches. Et comme ilz furent
là venuz, ilz firent une escarmucbe où il ouït moult
de gens d'armes bleciéz. Maiz le connestable tint tant
son siège, et furent ceulx de Conches si destrains de
ceulx des bastides que la ville et chastel se rendirent.
Et s'en partirent les Gascons, et monseigneur le con-
nestable y mist garnison de Françoiz. Et puis donna
le roy de France Conches, la terre et les appartenances
de la viconté au connestable Beriran de Clacquin.
Monseigneur Olivier de Clichon, le viconte de Rohen,
monseigneur de Laval, monseigneur de Beaumanoir
et les autres barons de Bretaingne, lesquelz avoient
tenu siège devant Becherel plus d'an et demy, eurent
lettres du duc de Bretaingne comme le chastel meissent
en sa main. Maiz après ce qu ilz eurent leu et entendu
le mandement, ilz firent tant que le chastel leur fut
rendu. Lequel ilz prindrent et receurent eu nom du
roy de France, leur souverain seigneur.
Cy raconte l'istoire de la guerre d'Alemaingne. En
cel an mil trois cens soixante onze, le duc de Guéries
et le marquis de JuUiers avoient meu guerre au duc de
Braban, frère de l'empereur, oncle du roy de France,
210 CHRONIQUE
du duc d'Angou, du duc de Berry et du duc de Bour-
goingne, frères du dit roy de France. Et estoit le dit
duc de Guéries entré en la terre du dit duc de Bra-
ban. Le duc de Braban donna une terre au duc de
Julliers pour estre en son aide contre ceulx du Liège
en la bataille de Steps où par les miracles saint Lam-
bert le duc de Braban fut desconBt pour ce qu'il avoit
fait destruire et destruit Saint-Lambert.
Apres par l'espace de long temps, le duc de Braban
toUit la dicte terre au dit duc de Julliers. Et du temps
Louis de Bavière, le duc de Julliers, qui eust en son
aide le comte de Henault, Guillaume, qui mourut en
Frise, si reconquist ceste terre, et par la force du dit
comte de Henault il desconfit les Brabançons et si fit
une forte ville nommée Aast.
Apres la mort du duc de Braban qui ouït nom Je-
han, lequel ouït deux filles, dont Tune ouït le comte
de Flandres à qui son père mourut à la bataille de
Cressi, et l'autre fille ouït le duc Vincelaux, duc de
Luxembourg, filz du bon roy Jehan de Behaingne qui
aveugla lequel mourut à Crecy, et fut frère de l'empe-
reur Charles et oncle par mère du roy de France et des
ducs ses frères devant diz; quant le duc Vincelaux
ouU à moullier Jehenne la duchesse de Braban et il
fut saizi, il voult avoir Aast et semont ses amis et ses
hommes et vint assegier la ville d'Aast et tant fit par
sa force qu'il la reconquist. Le duc de Julliers guer-
roya le duc de Braban, en son aide le duc de Guéries
duquel il ouït à moullier sa seur, et vindrent à host
bannie. Le duc de Julliers et cil de Guéries entrèrent
en Braban et coururent le pais, ardirent, bruirent et
prindrent prisonniers et moult domaigerent le pais. Le
DFS QUATRE PREMIERS VALOIS. Î17
duc de Braban manda ses amis, le comte de Saint
Pol, monseigneur Jacques et monseigneur Robert de
Bourbon, Guillaume et Guyon de Namur, monseigneur
de Rochefort, le conte de Cleves, Robert Darque frère
de l'evesque de Liège, le seneschal de Henault, le pre-
Tost de Buillon et les Brabançons tant de cheval que
de pie. Et vint le duc de Braban o son host en la terre
du dit duc de Julliers. Et premièrement y entrèrent
monseigneur Robert, o lui les Françoiz qui avoient
Tavantgarde.
Le duc de Julliers et le duc de Guéries, le comte de
Nazo, le sire de Vitefaille*, le sire des Rusces, le senes-
chal de CouUoingne, frère de Tarchevesque, o moult
grant gent yssirent de Julliers à trois batailles. Dont le
mareschal de Julliers o sa bataille ala devant. Mon-
seigneur Robert de Namur o son frère et une partie
de Françoiz alerent contre. Et là ouït dure et Bere
bataille. Et à force d'armes furent les Allemans des-
confiz et le mareschal prins. Ceulx qui eschapperent
fuirent au duc de Julliers qui venoit à deux grosses
batailles, lui et le duc de Guéries qui dist : « Où est
la bataille au comte de Saint Pol ? Là yray ferir. S*il
peult estre desconBt, je ne prise riep le demourant. »
Lors s'adreça vers la bataille au duc où estoit le comte
de Saint Pol, o lui maint noble chevalier. Et là
commença bataille dure et pesante qui dura longue-
ment. Et jouxtèrent corps à corps le dit duc de
Guéries et le dit comte de Saint Pol et s'entre na-
vrèrent mortelment. Le duc de Guéries leva sa visière,
et ung arbalestrier le fery qui l'occist. Ung syen escuier
i. Westphalie.
218 CHRONIQUE
monta derrière lui et le soustint mort ainsi qu'il
apperoit vif.
Le duc de Julliers, le comte de Nazo et les Rusces
et les Vitefailliens yindrent de grant courage et à force
ferir sur les Barbançons tant qu'ilz abatirent Festan-
dart au duc de Braban. Et tournèrent Barbançons à
desconfiture. Là fut prins le duc de Braban et maint
bon chevalier prins prisonnier. La bataille de ceulx
de TAucefrite combatirent la bataille de monseigneur
de Namur et des Françoiz, lesquelz faisoient Tyais '
reculer. Le comte de Nazo vint par derrière ferir. Et
quant Françoiz et Navarrois se virent enclos, ilz se
rendirent. Et furent prins prisonniers tous les nobles
chevaliers ou occiz. Monseigneur de Rochefort^
monseigneur de Tyns, monseigneur de Fauquemont,
monseigneur Robert Darque y furent occiz. Monsei-
gneur le comte de Saint Pol s'estoit mis hors de Tes-
tour. Ung villain Rusce le fery par la teste d'une grant
machue et Toccist. Le dit villain Rusce s'en vanta de-
vant le duc de Julliers qui fit trainer et pendre au gi-
bet le dit Rusce qui avoit occiz ung si noble prince.
Le duc de Julliers mercia Dieu de sa victoire. Et
fut son filz duc de Guéries. Lequel après certain temps
après ceste devant dicte bataille fit sa semonce pour
aler sur le duc de Braban. Lequel duc de Braban ouït
en son aide le conte de Saint Pol et son filz qui lui
appartenoient de lignage. Monseigneur Jacques de
Bourbon^ le seneschal de Henault, monseigneur Raoul
de Reneval et moult de nobles hommes alerent avec-
quez le dit duc de Braban pour combatre le dit duc de
1. AllemancU.
DKS QUATRE PREMIERS VALOIS. ii9
ruerles. Et ouït le dit comte de Saint Pol et Robert de
[amur o les barons de France la première bataille. Et
hevaucerent contre le duc de Guéries, maiz ilz ne
irent pas suys de Barbançons. Car les Angloiz se
listrent entre eulx et les Barbançonnois. Adonc com-
lençala bataille dure et pesant. Et vint courre sus le
uc de Guéries aux Françoiz. Car bien lui estoit adviz
ue, s'ilz estoient vaincus, legierement seroient les
litres desconfiz. Et là ouït trop merveilleux estour et
lit et s'entre coururent sus de glaives. Et dura moult
loguement la bataille dure et mortel, dont il convint
lourir maint noble homme. Puis mistrent main aux
ipées. Là se portèrent vaillanment le comte de Saint
cl et ceulx de sa partie. Maiz la chose estoit mal par-
e. Car le dit comte de Saint Pol n'avoit pas sept cens
>mbatans, et le duc de Guéries en avoit plus de huit
lille. Si ne les peurent souffrir cil de la partie au dit
>mte de Saint Pol, et leur convint perdre place. Et
»r8 le duc de Guéries vint sur le comte de Saint Pol.
e comte de Saint Pol luy couru sus, le glaive au
^ing, plain d'ire de ce qu'il veoit sa gent mourir en-
lur lui. Et aussi le duc de Guéries et lui s'entre
lioient mortelment. Et scavoit bien que, se le duc de
uerles le prenoit vif, qu'il le feroit mourir en prison,
t dit que de bonne heure fut né, se par ses mains
m ennemy estoit occiz. Lors couru seure au duc de
uerles. Et le duc de Guéries, comme il le congnust,
i couru seure. Et s'entreferirent ambedeux parties
ir tel vertu de leurs glaives que tous deux en mou*
vent, tant s'entre frappèrent de grant yre et obéirent
terre tous deux envers et mors. Lors fut grant la
îëe d'une partie et d'autre. Et comme le duc de Bra-
220 CHRONIQUE
ban vit la bataille, il dit à ses hommes : « Qui me
aymera, si me suyve! J'auroie plus chier estre mort
que je ne feisse secours à ceste bonne chevalerie de
France. » Lors se bouta en labataille, lui et trois mille,
que chevaliers que escuiers. Maiz il ne fut ne aidé ne
secouru de sa gent commune, maiz s'en fuirent comme
faulx et mauvaiz. Adonc.fut la bataille forte et dure.
Et se porta vaillanment le duc de Braban. Et fit si
grant effbrs d'armes lui et les syens qu'il se mit en la
bataille des Françoiz qui soustenoient pesant faiz et
grant charge d'armes. Maiz pou leur valu. Car ung des
filz au duc de Julliers, lequel fut duc de Guéries, les
avironna si fort de toutes pars qu'ilz ne peurent souf-
frir Testour. Et là furent prins iceulx haulz hommes,
le duc de Braban, le filz au comte de Saint Pol, mon-
seigneur Jacquez de Bourbon, monseigneur Guillaume
et Guy de Namur, le seneschal de Braban , monsei-
gneur Raoul de René val, le seneschal de Henault et
moult d'autres nobles hommes. Et les emmenèrent
prisonniers ceulx de Guéries et de JuUiers et moult
occistrent de ceulx de pié et moult en périrent et
noierent en la rivière de Meuse.
En ce temps fut ars à Rouen ung herese qui se fai-
soit appeller Jehan Dieu, lequel maintenoit moult de
faulses opinions contre la foi catholique.
En cel an mil trois cens soixante onze, le duc de
Lencastre parti d'Angleterre à grosse armée et vint en
Guienne. Et adjousta à lui le captai et vindrent mettre
siège à Montcontour. Hz assaillirent le fort efforcie-
ment. Ceulx du chastel le mandèrent au roy de
France. Et comme les nouvelles en furent venues au
conseil du roy, les conseulx furent longs pour avoir
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 221
finance. Et ne poult promptementle connestable avoir
deniei*s pour paiersouldoiers. Il fut ordonné qu'il au-
roit deux mille paies. Et se parti le connestable, o lui
grant foison de bonnes gens d'armes, et chevauça
jusques près de Montcontour, maiz ce fut trop tart.
Car environ quatre jours ains qu'il vensist, le duc de
Lencastre et le captai avoient prins le fort. Âdonc
quant le connestable vist qu'il avoit failli à secourir
Montcontour, il fut moult yré et commanda l'assault.
Et alerent Françoiz assaillir, maiz pou y firent. Carie
dit fort estoit bien garny, et l'avoit le duc de Lencastre
rafreschi de bonnes gens d'armés, d'archiers et de
vivres, maiz depuis le prist le dit connestable Ber-
tran.
De la guerre par entre ceulx de Mets et le duc du
Bar ouït une bataille empres le chastel de Montfaucon ,
et eurent ceulx de Metz victoire. Et y ouït moult grant
estour et moult y ouït prins de nobles hommes, le
nepveu de l'empereur et monseigneur N. du Bar et le
seneschal du Bar et moult d'autres nobles hommes.
Par entre le roy de Navarre et monseigneur Robert
d'Alençon, comte du Perche, fut fait acort que le dit
monseigneur Robert d'Alençon auroit à femme ma-
dame Jehenne de Navarre, seur du roy de Navarre.
Et ala ledit comte du Perche au Pontaudemer et là la
fiança à prestre et à clerc. Et après ce le dit roy de
Navarre et monseigneur Philippe d'Alençon arche-
vesque de Rouen et le dit monseigneur Robert d'Alen-
çon, comte du Perche, son frère, s'en vindrent à
Rouen pour y faire les neupces. Et comme il furent
partis du Pontaudemer, le doien de Therouenne se
saizi de la ville du Pontaudemer et du chastel et eu
222 CHRONIQUE
mist hors les gens du roy de Navarre et sa seur, et fut
amenée à Jumieges. Et lors hastivement le dit roy de
Navarre, le comte du Perche^ le comie de Harecourt,
monseigneur Jacques de Harecourt et plusieurs autres
nobles hommes alerent au dit Pontaudemer. Et là fit
aoort le dit doien au dit roy de Navarre et lui fit sere-
ment de garder son dit fort loiaument pour lui et en
son nom. Et y mist de rechief de ses gens le dit roy de
Navarre. Et après ce le dit roy de Navarre retourna à
Rouen et y amena madame Jehenne de Navarre sa
seur. Et de Rouen ala à Paris pour confermer le dit
mariage de sa seur et du conte du Perche. Maiz il ne
plust pas lors au roy de France que le dit mariage se
feist, dont les parties furent moult dolentes. Et se par-
tirent le roy de Navarre et le conte du Pçrche de la
court du roy de France et fut madame Jehenne de
Navarre ramenée au Pontaudemer.
Apres ce le roy de Navarre requit au roy de France
que Montpeullier luy fust délivré, comme il le devoit
estre pour la restitucion de Mante et de Meullent. Il
luy fut acordé du roy de France. Et fut fait mande-
ment de par le roy de France à monseigneur le duc
d'Angou qu'il meist en saizine le roy de Navarre de
Montpellier et de toute la terre et appartenances. Et
lors après ce se parti le roy de Navarre de Paris et ala
vers Montpellier et vint à Lyon sur le Rone. Et ala par
l'empire en Avignon pour la double de monseigneur le
duc d'Angou. Car par entre eulx avoit haine pour
cause de la dicte baronnie de Montpellier. Le duc
d'Angou disoit Montpellier estre syen et que le roy
Jehan son père lui avoit donnée.
Comme le roy de Navarre fut venu à Avignon, il ae
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 223
complaint au Saint Père du dit duc d'Ângou qui à
force lui detenoit Montpellier. Monseigneur le duc
d'Angou, comme il sceut que le roy de Navarre estoit
là, y ala à bien mille combatans, et fut logié en sa per-
sonne et aucuns de ses prochains dedens le palais du
pape. Le Saint Père fut moult désirant de les mettre à
acort. Leduc d'Angou monstra comme il tenoit Mont-
pellier du don de son père. Leroy de Navarre monstra
comme le roy de France avoit baillié en assiete de terre
Montpellier et les appartenances pour la conté de Lon-
gueville, Mante et MeuUent. Et se le roy de France lui
veult laissier sa terre, il ne demandoit riens à Mont-
pellier. MouU y ouït dittez de raisons d'une partie et
d'autre. Et fut Tacort tel en conclusion que le roy de
Navarre auroit Montpellier, et en (ut mis en saizine et
en possession.
Cy après dit comme une route d'Anglois vindrent
escheller ung fort empres Paris appelle Rochefort *,
lequel fut prins des diz Angloiz. Les nouvelles en vin-
drent au roy de France. Et pour lors le connestable
Bertran et monseigneur Olivier de Clichon estoient à
Paris, lesquelz chevaucerent appertement contre les
Angloiz. Et comme les Angloiz les virent venir, ilz
firent une yssue contre eulx et mistrent leurs prison-
niers eu dangon et y laissèrent six Angloiz pour les
garder. Monseigneur Olivier vint pour assaillir de la
partie du dongon. Et le connestable ala vers le belle'
du fort, et parvint le premier, et moult aigrement fit
assaillir et eflbrciement le dit chastel. Les prisonniers
1. Seine-et-Oiie, arr. de Rainbouillet, c. de Dourdan.
3. Baile, mot de l'ancien français qui désigne la coar de devant atte-
nante à une habitation.
224 CHRONIQUE
qui estoient eu dongon virent comme tous les Angloiz
estoient yessus et qu'ilz n'estoient comme nul eu dit
chastel. Hz occistrent les Ângloiz du dit chastel et du
dit dongon et les getterent es fossez et alerent deffermer
les portes et abatre les banieres des Angloiz es fossez
et crièrent (c Moult [sic] Joye Saint Denis ! » Et comme
les Angloiz se virent ainsi deceuz, eulx qui se comba-
toient contre le connestable tournèrent tantost à des-
confiture. Le dit connestable et le dit Clichon les
mistrent tous à Tespée et furent tous occiz fors environ
vingt qui furent amenez^ à Paris, desquelz en y eust
dix sept qui furent décapités.
L'an de grâce mil trois cens soixante douze, Tevesque
de Paris et autres alerent en legacion devers Tempe-
reur affin que nulz AUemans n'alassent en souldoiës
pour le coslé et parti du roy d'Angleterre. Le cardinal
de Beauvaiz, le conte de Sallebruce, le doyen de Paris
et autres alerent à Calaiz pour traictier de la paix. Et
en cestui parlement les Angloiz parlèrent plus gracieu-
sement aux Françoiz qu'ilz n'avoient fait au devant. Et
en ce parlement fut proposé par les Angloiz que le roy
d'Angleterre leur seigneur estoit droit seigneur par
droit du royaume de France, en disant ainsi et par telle
raison. Madame Ysabel, la mère du roy d'Angleterre,
estoit ainsnée fille du roy de France nommé Philippe le
Bel. Et le dit roy Philippe le Bel ouït trois filz, desquelz
trois filz ne yssi oncquez hoir masle qui vesquist. Et
alors que le puisné des filz du roy Philippe, c'est assa-
voir le roy Charles mary de la Royne Jehenne, trespassa
et mourut, à icelle heure et temps le roy Edouart
d'Angleterre estoit le plus prochain hoir masle de la
couronne de France. Et disoient les Angloiz que par
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 225
l'establissement qui anciennement fut fait eu temps du
roy Hue Cappet que la couronne de France devoit
venir au plus prochain hoir masie, pour icelle raison
disoient leur roy le plus prochain hoir masle le jour
de la mort du dit roy Charles. £t en oultre disoient
les Ânglois que Fen ne doit regarder se ce n'est de la
paitie ou costé du masle ou de la femme; maiz soit
de par la femme ou de par Tomme on doit prendre
et recepvoir le plus prochain hoir masle à roy. Et
Ëdouart le roy d'Angleterre estoit cousin frereus du
dit roy Charles. Et le roy Philippe ne lui estoit que
cousin remué de deux genoulz plus arrière.
Ad ce dient les Françoiz que les Angloiz errent. Car
du temps Hue Cappet que la constitucion fut faicte,
les femmes furent privées de la couronne de France^
et par ce par une raison leurs hoirs en sont privés.
Dient les Françoiz que Philippe de Yalloiz par les ba
rons de France, paries prelas et parles frans bourgoi?
des bonnes villes fut fait roy de France comme le
plus prochain hoir masle yssu du costé de l'oir masle.
Carie père au roy Philippe de Yalloiz fut frère au roy
Philippe le Beaux. Et estoit le dit roy Philippe de Yal-
loiz nepveu du dit roy Philippe le Bel par père, non pas
de par mère. Pour quoy par droit il fut sacré à roy de
France. Cest article dirent les Françoiz» contre les An-
gloiz avec plusieurs autres, et se partirent sans acort.
En ceste matière ont pechié et erré aucunes gens
tant nobles que autres. Car ilz tenoient que le roy de
Navarre devoit estre roy de France par raison de sa
mère, laquelle estoit fîlle du roy Louis dit Hutin,
Tainsné des filz du roy Philippe le Bel, qui fut roy de
France et de Navarre. Par lesquelz nobles et autres de
226 CURONIQUE
France fut exorté le roy de Navarre, ainsné filz d'icelle
dame Royoe de Navarre, fille du dit roy Louis ainsnë,
filz du dit roy Philippe le Bel , à contendre à la cou-
ronne de France, lui disant qu'il y avoit droit. Par quoy
les mauU descrips paravant avindrent. Dont ce fut
douleur, ja soit ce que le roy de Navarre ne s'en meisl
oncquez en fait; ne pour guerre qui fust par entre le
roy de France Jehan et Charles son filz, le roy de Na^
varre ne print oncques tiltre sur eulx, comme fait le
roy Edouart d'Angleterre sans tiltre de droit. D'icest
traictië se départirent sanft acort, et s'en retournèrent
les cardiuaulx et les autres ambaxadeurs de France.
En cest temps ouït la royne de France ung filz , le-
quel fut nommé Louis. Et le leva de fous le conte
d'Estampes, monseigneur Bertran de Clacquin, cou-
nestable de France , et monseigneur Olivier de Cli-
chon. Et conoune l'enfant fut crestiennë, le dit monsei-
gneur Bertran lui donna une espëe, laquelle il luy
mist en sa main en disant que Dieu et saint Geoi^e
le feissent bon chevalier.
En cest temps mesmez, des Angloiz qui estoient à
Saint- Sauveur le Vicoute en Costentin environ qua-
rante hommes d'armes et les archiers alerent eu mont
de Nostre^Dame de Tombehelaine et l'emparerent. Et
pour ce que maintes gens ne scevent pour quoy celle
^lise est appellëe Tombelaine, jadis eu temps du bon
roy Artur, roy de la Grant Bretaingne, il est vérité,
comme racontent les anciennes histoires de la Grant
Bretaingne, que le dit roy Artur fit une si grant assem-
blée de tous les roys, princes et nobles qui à luy es«-
toient submiz pour estre et venir à lui à certain terme
au port de Barfleu en Neusirie qui à présent est appel-
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. «27
lée Nofmetïdie. Et [lafti ledit roy \rtur de la Grant
Bretaingne qui ores est dicte Angleterre et se mist en
mer et arriva à très grant armée au dit port de Bare-
fleu. Et comme il fut arrivé, il descendi à terre pour
atendre plusieurs roys et princes ses submiz. qui à lui
dévoient venir pour chevauchier et aler contre les Rom-
mains qui à lui et à ses subroiz demandoient treu et h
ires grant host venoîent contre lui. Et comme le dit
roy Artur atendoit ses gens , y lui fut dit que ung
grant géant merveilleux et cruel estoit de nouvel venu
habiter en une très haulte et forte place près du dit
port et eu dit pais. Lequel par aguet et par force
avoitravy une très noble pucelle plaine de grant
beaulté nommée Hélène, laquelle estoit niepce du dit
roy Artur et de Hoel pour lors duc d'Armorique qui
est dicte et appellée la Petite Bretaingne. Incontinent
que le roy Artur le sceut, tout coement se mist en ung
vaissely ô lui Biduereduc de Neustrie, son grant essan-
son, et Kair, duc d'Angou, son grant maistre d*ostel.
Et singlerent tant qu'ilz vindrent jouxte le dit mont
où habitoit et conversoit le dit géant. Et là eu grant
mont apperçurent ung grant feu, et de costé en ung
autre plus petit mont apperçurent aussi clarté, et là
tournèrent. Et descendi le dit Biduere et monta en
celui petit mont pour sçavoir qui y estoit. Et comme
il aprocha de la clarté, il ouy et vist une femme qui
trop fort lamentoit et plouroit. Il vint à elle et lui de-
manda pour quoy ainsi se doulousoit. Laquelle lui
respondi : « J'ay bien cause de doulour. Car j'ay cy
enterrée la niepce de Hoel, laplusbelle, la plusdoulce
et la meillieur pucelle que l'en sceust ne peust trouver,
laquelle de douleur, de paour de abhominacioti et
228 CHRONIQUE
de tristresse est morte, laquelle j'avoye nourrye et
alectée. Et comme elle fut par aguet et par force ravie
d'entre chevaliers et escuiers qui Tavoient en garde
par ung abhominable géant qui là est en ce hault
mont et l'aporta icy, je la suivy. Et comme ce détes-
table monstre Toult icy aportée et se voult soulacier à
elle, de la tresgrant paour que la dicte pucelle ouït de
lui elle fut comme morte. Et pour ce que le dit géant
ne poult avoir compaingnie charnelle avecquez elle,
luy enflambë de son ort et vil pechié, moy ainsi
vieille comme je suy me prist à force , et à grant
tourment et martire ouït compaingnie à moy. Et tan-
tost après ceste dicte pucelle trespassa que j'a^cy en-
terrée comme dit est. Je vous prie, dit elle, que vous
vous en allés; car, se par aventure il vient cy et il
vous treuve, vous estes mort. » Biduere lors se parti
et rapporta au roy Arlur ce qu'il avoit trouvé. Et
adonc se mistrent en ung bastel le dit roy Artur, Bi-
duere et Kaire et vmdrent au grant mont et montè-
rent en hault. Et comme ilz furent montés et eurent
aperçu le dit gueant qui se chaufToit, le dit roy Artur
dist au dit Biduere et Kayre que luy seul yroit comba-
tre le dit géant et qu'ilz ne approchassent aucunement,
se besoing n'cstoit. Le dit roy Artur ala de bonne
voulenté et grant courage combatre le dit géant qui
moult desprisoit la petite corpulence du roy Artur
envers lui. Et si bien et si forciblement se combati à
lui le dit roy Artur qu*il lui couppa la teste. Laquelle
il bailla à porter au dit Biduere, lequel Taporta en
Tost du dit roy Artur. Apres ceste victoire s'en retour-
nèrent joyeulx eu dit host. Et pour la mémoire et
remenbrance de la dicte pucelle, la<|uelle de si très
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 22»
noble et haulte ligne estoit, le dit roy Artur et Hoel
duc de Bretaingne firent faire et fonder une chappelle
ou église en Tonneur de Dieu et de Nostre Dame eu
dit lieu et place où la dicte pucelle Hélène fut mise en
sépulture. Pour laquelle chose ycelle église et lieu est
nommé Tumbehelene. En icelle église et lieu dessus
descript qui estoit en moult forte place se boutèrent
les diz Ânglois et la commencèrent à fortifier. Les
Françoiz qui estoient en celle marche en frontière,
c'est assavoir le Besgue de Faiel, monseigneur Guil-
laume Martel, monseigneur Guillaume de Fiamencourt
et autres jusquez à deux mille hommes d'armes ale-
rent à Tumbehelene et se combatirent aux Angloiz.
Et furent les Angloiz desconfis, la plus grant partie
mors, les autres prins.
Apres cestui fait, ime autre route d' Anglois du dit
fort de Saint-Sauveur le Viconte, en Costentin , alerent
escheler le chastel de Briquebec\ Et a bien pou qu'ilz
ne le prindrent. Ceulx du chastel aperçurent les An-
gloiz et crièrent alarme, et abatirent les eschieles et
firent trebuchier les Anglois es fossez. Et aucuns An-
glois estoient jà en chastel, lesquelz furent mis à mort.
Quant ceulx de dehors virent qu'ilz avoient failli à
prendre le chastel , ilz s*en retournèrent.
Monseigneur Bertran de Clacquin , connestable de
France , et monseigneur Olivier de Clichon firent une
cbevaucie en Guienne et pristrent ung fort nommé
Morilon* empres Poitiers. Et là gaengnerent les Fran-
çois de bonnes gens d'armes. Maiz en ceste chevau-
i. Manche, «rr. de Valog^ne», ch.-l. de c.
2. Montmorillon.
380 CHRONIQUE
cie perdireDt les François moult de leurs chçvaulx»
qui oioururenl de fain.
Eu ce temps, monseigneur Jehan de France , duc
de Berry, fit une grant semonce de grans seigneurs,
c'est assavoir monseigneur le duc de Bourbon , mon-
seigneur de La Marche, monseigneur Jçhan d'Artois,
conte d'Eu , monseigneur Bertran de Clacquin ^ mon-
seigneur Olivier de Clichon , monseigneur Olivier de
Mauny, et très grant nombre d'autres barons, nobles
chevaliers et escuiei*s et bonnes gens d'armea* Et en-
tra le dit monseigneur de Berry ep Guieqne et cou-
rurent sur le pais,
Le roy de France, pour domagier le$^ Anglois eo
plusieurs lieux et en plusieurs manières et sur plu-'
sieurs marches , fit une armée en mer d'environ q\k^^
torze barges et moult d'autres vaisseaulx. Et en furent
chiefz Yvain de Galles et Morelet de Mooupor, eq
leur route bien six ceps hommes d'arme^, sans ks
mariniers des v^isseaulx, qui estoient bops guer-
roiers et bardiz , et ^an^ l'autre n^eque gent^ Et par-
tirent de la fin de la rivière de Seyne , et singlerent
vers les ysles de Guerpesy. f^t coipme çil des y$les
sceurent que les François fa.isoiept armée, ilz le fîrent
scavoir au cappitaine de Saint 3auveur le Vicopte»
Lequel y envoya hastivepiept des gens jusque^ fi qua-
rante hommes d'armes, et autant d'archiers ou plus.
Comme ilz fiirent venur# es ysles , ilz mistrent }s^ gept
en conrroy sur le port. Et les Françoiz singlerent à
plain tref vers les ysles pour pourprendre terre là oit
estoient la gent du pais armés de telz armes comme
ilz avoient. Et sachiez que jeunes femmes et les boi^-
selettes des dictes ysles avoient en ce printemps de
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 231
lors fait chapeaulx de flours et de violettes et les
avoient donnes aux jeûnez hommes, et leur disoient
que cil se dévoient bien deiïendre qui les avoient à
amies. Et cuidoient ceuU des ysles qu'il n*y eust eu
navire de France que mariniers et gens d'eaue. Et
comme les Françoiz parvindrent à pourprendre terre,
ilz saillirent des vaisseauh et des barges très ysnele^»
ment et viguereusement armés de toutes pièces, et
vindrent courre sus à ceulx des ysles. Et là ouït une
dure bataille et pesante. Yvain de Galles et Morelet
de Mommor mistrent leur gent en deux batailles, et
par forcée d'armes pristrent terre. Et comme cil de
Saint-Sauveur virent ce , ilz ralierent ceulx des vsles.
Et là ouït moult fort estour et dure bataille. Mais ceulx
des ysles ne peurenl souffrir les Françoiz et commen*
cerent à fuire qui mieulx mieulx» Les Françoiz en oc*
cistrent tant qu'il en demoura plus de huit cens en
champ , tous mors , sans ceulx qui fuirent et qui fu->
refit prins prisonniers. Moult y gaignerent les Fran*
çqiz. Et après la desconfiture les Françoiz se logèrent
auprès du chastel. Et comme ilz furent logiez, jeunes
hommes des enfans de Paris s'estoient logiez à la vetie
4u dit chastal et firent grant feu et se couchèrent de^
vapt le feu. Ceulx du chastel apperçurent leur con-
vine. Hz ^^essirent et leur coururent sus et les tuèrent ,
occistreut et decoupperent ^ puis se reboiiterent tan-
tost en chastel.
Apres ce que les Françoiz eurent desconfit les An-
glojz et c^ulx des yeles de Guernesy qui tiennent le
parti d'Angleterre , jasoit ce que ilz soient de l'eves-
chié de Constances qui est de Normendie, (au temps
que le bon roy d'Angleterre Richart Cueur de Lyon
232 CHRONIQUE
fut trespassé , Jehan le mauvaiz roy d^Ângleterre perdi
Normendie; et la mist en sa main tant par conqueste
que par traictié le bon roy Philippe de France dit
Auguste. En ycelles ysles ledit roy Philippe ne les
Françoiz n'alerent pas. Et pour ce ont tous jours tenu
le parti d'Angleterre jusquez à aujourd'huy) ; et comme
ledit Yvain eust esté es dictes ysles et que plus n*y
povoit conquester, il et ses gens se partirent des dictes
ysles pour aler vers Espaingne pour trouver le navire
d'Espaingne et les Espaingnolz.
Cy se taist ung pou de Yvain et de sa route et parle
de Tarmée au roi d'Espaingne et de l'amiral d'Espain-
gne^ qui estoit chief de Tarmée. Vous aves ouy
comme le roy Henry fut fait roy d' Espaingne par la
puissance du roy de France et par les gens d^armes
que Bertran de Clacquin et le Besgue de Villaines
menèrent en Espaingne. Cestui roy Henry d'Espaingne
fist une armée de vingt galées et y mist à cappitaine
son amiral , lequel estoit moult vaillant preudomme.
Il parti d' Espaingne et failli à trouver le navire de
France et singla vers La Rochelle et Poitou. Et lors le
conte de Penembroc à tout grant armée d'Angloiz ve-
nant d'Angleterre estoit venu à La Rochelle et avoit
mandez les haulz hommes de la terre comme mon-
seigneur Richart* d'Angle et autres. Alors aparut le
navire d'Espaingne. Et les virent les Anglois qui à
merveilles en furent liez , car ilz ne prisoient riens les
Espaingnolz. Et entrèrent les Anglois en leur navire. Le
conte de Penembroc, qui estoit bon chevalier, se mist
1. Lisez Gnichart. Gaichart d'Angle fat créé comte de Himtiogdoii
en Angleterre.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. «33
es plus grans voisseauU et les meillieurs de ses gens,
et se mist en mer pour combatre les Espaingnolz.
L'amiral d'Espaingne, qui estoit très sages du fait de
la mer, vint à ses galées pour liardoier les Angloiz et
fit paleter à eulx et traire. Et se tenoient au large de
la mer. Puis fit Tamiral d'Espaingne retraire galées.
Et lors les Angloiz les pristrent à huer et crier, a En-
dallez, Endallez, failli Espaingnol, mauvais recréant! »
Adonc leur dit le conte de Penembroc : u Ne nous
remuons. Demain les Espaingnolz vendront à la
plaine mer, et lors nous les forcloron et nous comba-
trons. Car à nous n'auront point de durée , se vient à
la bataille. » Ainsi le firent les Angloiz comme le
conte de Penembroc a voit dit, et les Espaingnolz se
retrairent. Adonc leur dit leur amiral : n Beaus sei-
gneurs, se vous me crées, je vous rendroy demain les
Angloiz desconfiz. Hz nous attendent à la plaine mer.
Qui me croira , de la première marée nous leur cour-
rons seure. Et vecy raison. Nos galées sont iegieres, et
leurs grans nefz et leurs grans barges sont pesantes et
fort chargées. Et ne se pourront remuer de basse
eaue, et nous les assauldron et de Feu et de trait. Se
vous estes bonnes gens, nous les desconfiron. n Ainsi
comme Tamiral d*Espaingne le devisa il fut fait. L'an-
demain, au point du jour et au commencement de la
marée, la mer encorres si petite que les nefz d'Angle-
terre ne flotoient point, les Espaingnolz les vindrent
ressaillir fort et roide et prindrent fort à traire feu et
gresse aux nefz des Anglois. Là ouït une trop dure
bataille et pesant. Moult viguereusement se deflendi*
rent les Angloiz , maiz ilz ne se donnèrent de garde
qu'ilz virent leurs nefz toutes esprises de feu. Là fut
234 CHRONIQUE
horrible chose à ouir le bruit et la noise tant du feu
comme le bruit des cheraulx qui ardoient es fons des
vaisseauU. Le dit amiral d'Espaingoe et jusques à ùx
galées se adrecerent à la nef de monseigneur le conte
de Peqembroc et monseigneur Guiffart de l'Angle, ung
bon chevalier de Poitou. Et là ouït trop grant bataille
et trop forte. Et moult vassaument se combatirent les
Angloiz et traioient fort contre les Ëspaingnolz. Maiz
getterent et trairent tant eflbrciement feu et cresse en
la nef du conte de Penembroc qu*elle fut toute esprise.
Et quant les chevaulx qui estoient en fons de la nef
sentirent le feu , faisoient les nefs toutes froisier et
rompre. Lors quant le conte de Penembroc visi qu'il
ne povoit plus durer pour le feu , il se rendl et mon*
seigneur Guiffart de TAngle. Là fut grant destruction
et oocision de gens et de chevaulx, tant d'ars, de
noiéz et d'occiz du trait. Car plusieurs saillirent en la
mer de la rage du feu qu'ilz sentoient. De ceulx de La
Rochelle en y ouït il moult de mors et noyez qui s'es*
toient mis en bateaulx petiz pour secourir les Aqglois.
Lors après ce que les Ëspaingnolz ourent desconfiz les
Angloiz et prins des plus sufHsans , ilz ardirent la plus
grant partie du navire des Angloiz, puis eurent con-
seil qu'ilz retournèrent en Espaiiigne '.
Cy se taist des Ëspaingnolz et parle comme Yvain
de Galles, qui estoit allë en Espaingne, arriva au port
de Saint Dandier* ^n Espaingne. Et là fut moult lon-
guement pour ouir nouvelles du navire d^ Espaingne.
i. Yoyea^ dani Frpi^^ h réei\ anirné ie çp coinbfil niiTa) do |^ Qot
chelle. Chron»^ liv. I, part. II , ch. ccoxLn, cccxLijn, qccxliy, éd. da
PaothéoDy t. I, p. 636-630.
S. Saînt-Ander, dana la Qîsoa^re.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 235
Et fut Yvaiu de Galles par devers le roi Henry • Et des-
pendirent les Frapçoiz tout le leur eo ^paiogne, car
là avoit graut chierté de vivres.
Tandiz que les Frauçoiz e^toiçut epcoires en E^
paingpe , viut Vaiuiral d'Espaiogue et les diz Espain-r
gnolz et amenèrent leurs prisonniers ferrés meaiufH
ment le conte de Penembroc et les gentilz boinipeS| et
les autres estans çncoupplés comme chieqs en lesse en
une corde. En ceste manière menèrent les E^pain-
gnolz les ^ugloiz devant leur roy. Et compie les
Angloiz veoient les Frauçoiz ^ ilz leur disoiçnt : t No^
ble gent de France et doulce^ se nous fussions voz
prisonniers, nou3 ne feussoQs pas si viUainem^nt me-
nez ne si durement traictiés^ comme nous sommez, ni
Et comme l'amiral d'Espaingue fut venu, Tvain de
Galles et Morelet de Montmor alçrent au roy Henry et
lui requistrent qu'il leur voulsist délivrer navire et
Tarmée comme il avoit promise au roy de France.
Maiz les Espaingnolz distrent au roi Heqry : « 3ire,
envolez nous en la terr^ desvQyOi en Grenate, en Per-
sici oultre les destroi^ de Marroc ou ou il vpu^ plaira
fors en Galles. Car là ne yrons noi^ point par nulle
manière. >^ Ce fut dit à Yyain. Par quoy il se parti
d'Espaipgne mouU yré , pour ce qu'il avait failli à son
emprise.
Cy parle de monseigneur H^gnier 4^ Gfimande,
lequel fi|t cliief de huit galées qui furent ini3es sur la
mer par le roy de France pour garder la marchandise
et pour courir sur les portz d'Angleterre. Cestui mon-»
seigneur Régnier de Griipande en la i^ison de l'esté
couru par la mer et par les costez et pprts d'Angleterre
et prist^à l'aide de ses Geueuois plusieurs nefz et moidt
236 CHROMQUE
portèrent de domaige aux Angloiz. Et comme le dit
monseigneur Régnier o ses gens eurent couru la coste
d'Angleterre vers Savins, il avint que la galée du dit
monseigneur Régnier par une basse eaue se Frappa à
terre y et ne se poult remuer. Lors les Angloiz qui es-
toient sur le port vindrent assaillir la dicte galée et la
cuiderent ardre. Maiz les Geneuois se deffendirent si
fort de trait que nul ne povoit approchier de la galée.
Lors le cappitaine du fort fist demander à qui estoit
celle galée. Les Geneuoiz respondirent qu'elle estoit
au roy de France. Donc demandèrent les Angloiz qui
en estoit cappitaine. Et les Geneuoiz distrent que
c'estoit monseigneur Régnier de Grimande. Lors dit
le cappitaine des Angloiz : n Monseigneur Régnier,
rendez la galée au roy de France et d'Angleterre!»
Lors demanda monseigneur Régnier comme on Fap-
pelloit. Et les Angloiz distrent que on l'appeloit
Edouart : a Edouart! dit monseigneur Régnier de
Grimande, le roy de France n'a pas nom ainsi; ains a
nom Charles. A icellui rendrons la galée et non à au-
tre. » Ainsi comme ilz parloient la marée vint. Par
quoy la dicte galée s'en retourna o les autres en la
mer. Et se la marée ne fust si tost venue, les Angloiz
l'eussent prinse , car trop de gens leur croissoient. Et
quant la saison de l'esté fut passée , les Geneuoiz et les
dictez galées yssirent hors de la mer.
Cy se taist des Geneuoiz et parle comme les Fran-
çoiz , qui estoient en Costentin en frontière contre les
Angloiz de Saint Sauveur le Viconte, firent une as-
semblée pour aler clievaucier devant le dit chastel de.
Saint Sauveur. Les Angloiz sceurent la convine des
Françoiz et leur coururent sus l\ descouvert. Et là ouït
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 237
moult dur estour. Maiz les Françoiz Furent desconfiz
jusquez à huit vingt combatans. Et pour résister con-
tre les Angloiz et les tenir qu'ilz ne courussent sur le
pais, par le conseil du roy de France, monseigneur
Robert d'A-Iençon, conte du Perche, fut envoyé en
frontière en Costentin .
Eu dit an , comme Yvain de Galles ouït ouye la
responce des Espaingnolz, lui et les Françoiz de sa
route se partirent d'Espaingne. Et fut en mois d'aoust
en dit an. Il fut conseillië au dit Yvain qu'il singlast
en Guienne. Et ainsi le fit et vint en Poitou et là prist
port. Adonc estoient guerrians en Guienne monsei-
gneur Jehan de France, duc de Berry, ie duc de Bour-
bon, le conte de La Marche, et monseigneur Bertran
de Clacquin, connestable de France, et moult d'autres
nobles hommes et bonnes gens d'armes. Lesquelz par
le conseil du dit connestable alerent assaillir le chastel
de Chauvegny ^ Et tant efTorciement et vassaument se
portèrent les Françoiz que par force d'armes con-
quistrent la dicte ville et chastel de Chauvegny. Et
comme le dit chastel de Chauvegny fut gaingnié, le dit
monseigneur Jehan de France, duc de Berry, à grant
compaingnie ala chevaucier les banieres desploiées de-
vant la noble cité de Poitiers. Les bons bourgois et cy-
toiens de Poitiers, qui estoient bons et vrais Françoiz,
quant ilz virent les banieres des fleurs de Hz, les armes
de leur souverain seigneur le roy de France, eulx rem-
plis de la grâce du Saint Espirit et par la vertu divine ,
d'ung mesmes courage ilz prindrent à crier « Mont-
joye ! » parmy la ville et cité de Poitiers , cité très no-
i. ChauvigDy, Vienne, arr. de Montmorillon, ch.«l. de c.
238 CHRONIQUE
bic , siège du Saitit Père , chambre royal du roy de
France. Comme lesdiz ciloîens de Poitiers virent mon-
seignem* de Berry, ilz furent taeut par la grâce de
Dieu et par la vertu de nature à eubt tourner Fran-
çoiz. Monseigneur Bertran de Clacquin^ connestable
de France j vint auprès de la ville et dit aux citoieùs
qu'ilz se rendissent à monseigneur de Berry, ou si
non ilz seroient assailliz. Leâ citoiens distrent qù^ilz
eussent respit d'eulx conseillier, et le dit connestable
leur donna à Tandemain. Et lors se logèrent les Fran-
çois devant la ville. Et les citoiens eurent conseil par
entre eulx qu'ilz se rendroient. Et mistrent hors les
Angloiz de la cité, puis rendirent les clefz de la cité à
monseigneur le duc de Berry. Et quant la dicte cité fut
rendue, le dit monseigneur de Berry fit crier sur peine
de la hart que nul ne fortfeist à ceulx de la cité. Et
comme Poitiers Fut rendu , on le fit scavoir au roy de
France qui en fut merveilleusement joyeulx et en
mercya Dieu et sa benoicte mère et en fit dire des
messes solennelles à Nostre Dame de Paris , de Rouen
et de Chartres. Et après la prise oti rendue de la noble
cité de Poitiers , se rendirent très grant nombre de
villes et de chasteaulx.
Cy après parle de Yvain de Galles et des Françoiz
et Normans de sa route, lesquelz arrivèrent en Poitou
et descendirent de leurs vaisseaulx et vindrent devant
La Rochelle qui estoit pour lors Ânglesche. Et de là
alerent h Soubize% une forte ville, et s'appareillèrent
pour Tassaillir, et estoit jour de samedi. Nouvelles en
vindrent au captai de Buchs qui estoit lieutenant du
1 . Soubize, Gharente-Inféiieurey aiT. de Marennes, c de Saint-Agnant.
DES QUATRK PRCMIERS VALOIS. 239
prince en Guieone. Et comme il luy fut dit, il dit :
« Or alons contre Yvain et ceulx de sa route. Ce ne
sont point gens d'armes, ce sont gens concueillis. Hz
seront au premier assault desconfiz. » Adonc vindrent
les AngloiKy le captai de Bucz et le seneschal de Saiu-
tonge qui estoit cousin du roy d'Angleterre, et le se-
neschal de Bordeaux, le sire de Mareul, monseigneur
Gaultier Huet et grant route d'Angloiz et de Gascons,
les plus esprouvézd*armes qui fussent lors en Guienne.
Et vindrent es faubourcs de Soubize où là estoit logié
Yvain de Galles et les Françoiz. Et lors estoit plus
minuyt. Le captai et les syens vindrent assaillir les
François comme ilz estoient logiez. Et crioient les
Angloiz et les Gascons : « Saint George ! » au captai
de Bues. Et moult efforciement assaillirent les Fran^
çoiz, et à celle première empainte furent les Françoiz
desconfiz, et en y ouït moult de prins. Les Françoiz
se assemblèrent de toutes pars et vindrent au logeiz
de Yvain de Galles et se mistrent en conrroy. Et
avoient jà les Angloiz desconfit aucuns Françoiz et
chassez jusques au logeiz de Yvain. Et lors les Geneu-
ois et les arbalestriers Françoiz pristrent fort à traire
contre les Angloiz, et moult en occistrent et navrè-
rent. Là ouït moult dure bataille et pesant. Ung An-
gloiz prist à crier : « Où es tu allé, faulx traistre
Yvain de Galles, faulx regnié? Huy sera vengié le roy
d'Angleterre et de France de toy. » Lors dit Yvain :
(I Veez me ça! m et couru sus à T Angloiz et le fery
d'une hasche si fort qu'il Fabati à terre, et aucuns au-
tres Toccistrent. Et adonc apleurent Françoiz de
toutes pars. Et là vint Morelet de Mommor et les
Normans dont moult en y avoit de bons couibatans.
240 CHRONIQUE
de fors et de hardiz et de bonnes gens d'armes qui
très bien le firent. Et là se coinbatirenl si vertueuse-
ment crians « Nostre Dame! » que les Àngloiz pris-
trent h reculer. Et en navrèrent les arbalestriers plu-
sieurs de leur trait. Et moult bien se portèrent les
Espaingnolz qui en la compaignie de Yvain estoient.
Et avec les Françoiz coururent sus aux Angloiz moult
viguereusement tant que les Ânglois perdirent place,
et se commencierent à retraire. Morelet de Mommor
et les Normans avoient forclos les Angloiz et tenoieut
le bout d'une rue. Et comme les diz Angloiz se cui-
doient retraire par icellui lieu , ilz ne povoient. Là
parvint le captai et les siens qui par force furent recu-
lez. Et là ouït moult forte bataille. Et pour ce qu'il
estoit nuyt eschapperent moult d'Angloiz. Monsei-
gneur Gaultier Huet et bien trente Angloiz et plus se
boutèrent es fossés de Soubise où là se sauvèrent,
maiz aucuns François les suyrenl qui en navrèrent et
tuèrent bien dix.
Le captai de Bues, quant il vit que les Angloiz fu-
rent desconfiz, fut moult yrés. 11 tenoit une hascheet
feroit à destre et à senestre. Il ne feroit homme qu'il
ne portast à terre. Et empres lui estoit monseigneur
de Mareul, le seneschal de Saintonge, et leurs gens
qui se conibatoient aux Françoiz. Pierres d'Auvillier
et monseigneur d'Auvillier et le gendre du Baudrain
de la Heuse à grant route de Françoiz pristrent à crier
<c Clacquin I Nostre Dame ! Clacquin ! » et vindrent
courre sus aux Angloiz. Et à celle foiz furent les An-
gloiz desconfiz. Pierres d'Auvillier, G. de Santueil, le
sire de Magny s'adrecerent au captai pour le prendre,
maiz le captai fery le sire de Magny de sa hasche par
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 241
tel vertu qu'il Tabati à terre. Les Françoiz se esver-
tuerent tant que le sire de Mareul et le seueschal de
Saintonge se rendirent. Adonc s'adreça le dit Pierres
d'Auvillier au captai et lui dist : « Sire, rendez vous ou
vous estes mort. » Donc dit le captai : « Es tu gentil-
homme? car pour mourir je ne me rendroye que à
ung gentilhomme. » Âdonc parla le dit Pierres moult
hardiement et dit au captai : « Gentil homme suys je,
filz de chevalier et de dame. » Et lors se rendi le dit
captai. Et quant le dit captai fut rendu, les Angloiz
ne tindrent plus place; ains qui poult fuire si fuit.
Moult furent joyeulx les Françoiz quant ilz sceurent
qu'ilz eurent prius le captai. Et se rassemblèrent et
reserrerent, et lors apparut le jour. Donc pristrent les
Françoiz conseil qu'ilz assauldroient Soubize. Et
comme ilz furent venuz devant la ville, on leur rendi
par ainsi que les Angloiz qui estoient en la dicte ville
et forteresse s'en yroient sans riens perdre et auroient
sauf conduit des Françoiz. Ad ce s'acorderent les
Françoiz. Par ainsi eschappa monseigneur Gaultier
Huet, dont les Françoiz furent moult yrés. Ainsi se
rendi Soubize en la main des Françoiz. Et le captai
fut mené es barges et fut baillié à garder à monsei-
gneur Morelet de Montmor. La prinse du captai fut
lantost sceue. Les nouvelles en furent portées à mon-
seigneur le duc d'Angou, monseigneur le duc de Berry
et à monseigneur le duc de Bourgoingne, lesquelz
estoient vers Poitiers»
Apres ce que le captai fut prins et Soubize rendue,
Yvain de Galles o les Françoiz et Normans de sa route
alerent devant la Rochelle et distrent aux gens de
la ville qu'ilz rendeissent au roy de France. Maiz ceulx
i6
14f CHRONIQUE
de la ^ille respondirent qu'ilz ne se reodroient fors aui
frères du dit roy de France. Et ce leur fut mandé, et
vindrent à la Rochelle avecquez euU le connestable
Bertran et leur noble bemage. Et lors leur rendirent
les clefz de la ville les bourgoia^ de la Rochelle. Les
diz frères du dit roy de France lui mandèrent la
prinse du captai et de la Rochelle et au pape aussi qui
en furent moult joyeulx. Car le pape avoit son frère
prisonnier, et le tenoit le dit captai en prison. Iceste
victoire eurent les Françoiz sur le captai et les Gas-
cons et Angloiz que l'en tient à des meillieurs guer-
roiers du monde. Laquelle ne fut pas faicte par les
haulz et nobles hommes, maiz elle futYaicte par petite
gent et povres hommes. Et pour ce ne doit on pas
avoir povre homme d'onneuren despit ne le vil tenir.
Comme le captai fut en Tabbaie où Morelet Favoit
mené, il se desconforta moult et disoit : «Al k\
Guienne, tu es perdue vraiement I » Lors lui dit Mo-
relet : ce Sire, comme dittez vous ce! Guienne n'est
pas perdue, ains est gaingnie. » — Adonc, dit il,
perdue est elle vraiement quant au roy d'Angleterre,
et gaingnie povez dire quant à monseigneur le roy de
France. » Et la cause pour quoy le captai appella le
roy de France son seigneur est ceste. Nul ne doit ap-
peller le roy de France son seigneur, s'il n'est de son
lignage. Et le captai estoit à cause de sa mère du sang
royi^l de France,' et pour ce appelloit le rpy de France
son seigneur.
Cy parle de la duchesse du Bar qui fut femme de
monseigneur Philippe de Navarre, laquelle portoit
guerre à son filz qui avoit à femme une des seurs du
roy de France, §1 pour ce estoit prisonnière à Paris.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. t4S
Et par uDg frère prescheur qui estoit son oonfesseur
elle eschappa de prison et s'enfuy jusquez près dû
Flandres , raaiz elle fut reprinse par monseigneur de
Reneval et ramenée à Paris.
En Tan mil trois cens soixante treize, must ung
grant descort entre le roy de France et monseigneur
Philippe d'Alençon archevesque de Rouen par ung
baillif que le roy mist en Rouen oommë Oudart d*Â-
tainville, lequel perturba la jurisdiction de l'élise
tant en temporalité comme en espirauté en nxHjlt de
manières. Par quoy l'officîal de Rouen excommenia le
dit bailli, lequel prist et arresta le temporel de Tarche-
▼esque en la main du roy et fit adjoumer le dit arche-
iresque en parlement pour respondre ad ce que le
procureur du roy lui vouldroit demander. Et en par-
lement fut donné arrest contre le dit archevesque de
Rouen, lequel respondi qu'il ne devoit point là res-
pondre pour le fait de son arche veschié. Et pour ce
se parti le dit archevesque et ala à la court du Saint
Fere où il procéda contre le dit bailli de Rouen. Et
ce pendant le dit bailli de Rouen fit moult de grief aux
gens de l'église. Et envoia par ung vendredi environ
la Toussains dix commissaires armés, lesquelz par
force d'armes et violentement par devant Kofficial
prindrent et menèrent les sergens de la court du dit
officiai en prison eu chastel de Rouen. Puis les diz
commissaires, meuz de mauvaise voulenté contre les
gws d'eglize, sourcuidiez du port du bailli de Rouen
duquel la gregnieur partie est de ses familiers , oc-
cistreot ung chappellain de l'église Nostre Dame de
Rouen. Le dit baiÛi les desoccupa et délivra tous fors
celui qm avoit lait Vomicide, lequel de puis eis ftit
î^4 CHRONIQUE
délivré, le plaît durant entre le roy et Tarchevesque.
Icellui bailliffit lesclers mariez aler aux veuez comme
les bigames et les paisans lays. Celle anée la mère de
la royne de France fut délivrée de prison par mon-
seigneur le duc d'Angou, par monseigneur le duc de
Bourbon et par monseigneur Bertran de Clacquin,
connestable de France.
En cel an mesmez, la royne de France fut malade
par ung caraut ou empoisonnement si qu'elle en perdi
son bon sens et son bon memore. Le roy de France
qui moult Tamoit en fit maint pèlerinage ; et la mercy
de Nostre Seigneur, revint en sa bonne santé et en son
bon sens. En icellui an trespassa à Evreux de mal
d'enfanter, comme l'en dit, très noble dame la royne
de Navarre, seur du roy de France.
Cy aprez parle du duc d'Angou, du duc de Berry et
du duc de Bourgoingne, lesquelz, avecquez eulx le
connestable de France, estoient en Guienne où ilz
attendoient la bataille, par ce que plusieurs villes
avoient mandé secours au roy d'Angleterre et au
prince de Galles. Maiz ilz n'en eurent point. Et lors
par monseigneur Louis de Harecourt et monseigneur
de Partenay se rendirent Françoiz bien jusques à
quatre cens forteresses tant en Poitou comme en Sain-
tonge et es parties d'environ. Puis s'en vindrent les
frères du roy de France à Paris, avec eulx ledit mon-
seigneur Louis de Harecourt. Lequel paravant estoit
en l'indignacion du roy de France par ung souppeçon
que le roy ouït sui* lui et la royne de long temps pa-
ravant, et du temps que la terre de Guienne fut livrée
aux Angloiz, et paravant aussi que monseigneur le
dauphin fust né. Le roy de France, qui bien sceut que
DES QUATRE PREBOERS VALOIS. Î45
sans cause il avoit eu celle folle suspicion sur le dit
monseigneur Louis de Harecourt , le reçut moult
agréablement et joyeusement. Et fut très bien venu à
court, et lui donna le roy grans dons ains qu'il partist
de Paris. Et au bon gré du roy s'en retourna le dit
monseigneur Louis en sa terre.
En cel an mil trois cens soixante treize, monsei-
gneur Bertran de Clacquin, connestable de France,
avec lui grant baronnie, ala sur le duc de Bretaingne
en Bretaingne pour ce que le dit duc Jehan de Mont-
fort avoit faulsé son hommaige et feaulté au roy de
France. Et n'osa le dit duc attendre le dit connestable,
ains passa en Angleterre et y porta son trésor. Et se
complegni au roy d'Angleterre du dit monseigneur
Bertran^ connestable de France, lequel avec le dit
barnage de France entrèrent en Bretaingne. Et se ren-
dirent les bonnes villes de Bretaingue et tous les
chasteaulx au roy de France fors Konc* qui fut prins
d'assault et De[r]val et Brest où estoit la duchesse et
Robert Canolle.
Apres ce que les FranÇoiz ourent prins Konc et que
les forteresses, villes et chasteaux de Bretaingne furent
renduz tous excepté Brest et Derval, les Françoiz y
mistrent le siège et si fort les destraindrent qu'ilz
baillèrent hostages d'eulx rendre dedans la Saint
MichieL Le connestable et monseigneur Olivier de
Clichon pristrent les hostages et furect menez en pri-
son. Jehan de Montfort pourchassa de son trésor
spuldoiers en Angleterre. Et fit le roy d'Angleterre
grosse armée dont il fit chief le duc de Lencastre
I. Le ÇoDcpet, Finittère, arr. de Brest, o. de Saint-Renan.
S46 CHBONIQUE
son filz, et partirent d'Angleterre et singlerent à
Calaiz.
Le dit duc de Lencastre et le duc de Bretaingne
Jehan de Montfort coururent en royaume de France^
bruiant et gastant celui bon pais ; et en sourmontailt
les rivières parvinrent jusquez près de Paris. Quant
le roy de France sceut que les Angloiz forent descendus
en France , les barons de France furent mandéis et
vindrent à Paris. Et là ouït le roy plusieurs conseulx,
à scavoir se le duc de Lencastre seroit combatu et le
duc de Bretaingne qui estoit avec lui. Et en ces éntre*>
faittez le duc d' Angou, le conte du Perche et le sire de
Clichon à quatre cens combatans alerent en Bretaingne
pour ce que le terme aprochoit de rendre Brest et
Derval. Maiz alors Canolle avoit fortifïié et rafreëchi
les diz chasteaux et fist responce qu'ilz né seroient
point renduz. Lori pardevant les diz chasteaulx curent
les hostages les testes couppëes. Puis s'en retourna le
duc d'Ângou à Paris. Maiz le duc de Berry et le duc de
BourgoingnCy avec eulx le connestable o grant nombre
de nobles hommes et bonnez géàs d'armes^ estoient
aléz devers Troyez où les Anglois estoient.
Aprez ce que le duc d'Angoii fut retourné de htt^
taingne, il adjouxta son host à Tost de ses frères et har-»
dierent les Angloiz. Monseigneur Jehan de Wièùtkb eti
desconfit bien douze vingt hommes d'arme^ qui i'eé-
toient e^>arti8 de Tost aux Angloiz. Et en eedbé bbe^*
vaucie n'oult pas grant chose doilt l'en doife faire
comptCé Le roy de France ouït en Oônseil que lés Att-
gloiz ne fussent ^int combatuz. Leftquelz alèrentira
Guienne sourmontant les rivières, et Tost des Fran-
çois s'en retourna. Monseigneur Bertràn dé Glaoquio
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. t47
après son retour s'en ala en Bretaingne, car sa femme
estoit trespassée en Tannée de devant.
En cel an mil trois cens soixante treize, les rivières
furent desrivées et firent merveilleux dommaiges en
trance. Car ilz destruirent tous les labours des valées
idond leurs cours et emportèrent maisons et moulins
et jompirent les pons de Seyne, de Loire, d'Aize et
d'ailieurs. Et sourondoient les maisons des cités et
des lonnes villes, dont les greniers de sel et moult
d'autns marchandises furent perdues.
Le dic de Lencastre avoit sourmcnté les rivières
et passé o tout son host les passages ainçoiz que les
rivières fissent sourmontées ne qu'elles fussent creues.
Et conimtil vint à Bordeaux, il rafreschy son host.
Car il avoitfait la gregnieur reze et le gregnieur hos-
toiement qu^fust fait en France puis le commencement
des guerres d>ssus dictes. Puis donna congié aux gens
de pié et aux mal armés et retint une partie de sa
meillieur gent,^tprist à chevaucier sur les forteresses
Françoises. Et {rindrent les Angloiz plusieurs petites
forteresses.
Le duc d'Angoi, qui estoit à tout mille hommes
d'armes pour reccnforter les frontières, refist sa se-
monce et manda au roy Henry d'Espaingne qu'il
venist sur le duc de Lencastre. Lequel roy Henry fit
sa semonce le plus efbrciement qu'il poult et assembla
bien plus de trente mile hommes, dont il y en avoit
bien dix mille d'arbalétriers et bien huit mille hom-
mes de cheval, dont il [ avoit bien des diz huit mille
deux mille ohevaulx arnés et couvers. Et manda le
roy Henry au duc d'Âng)u qu'il lui vendroit aidier à
trente mille oombatans. Miiz alor» le duc de Lencastre
248 CHRONIQUE
s'estoit retrait à Bordeaux. Et donc le duc d'Angou
manda ung contremandement au roy Henry d'Es-
paingne comme le duc de Lencastre s*estoit retrait à
Bordeaux et que l'en n*auroit point de bataille. Car le
duc d'Angou avoit demandé bataille au duc de Len
castre à Montauban. Et le duc de Lencastre responli
qu'il avoit esté par trois mois en France, querant la la-
taille, et que pour lors il ne Tatendroit point. Ce m^oda
le duc d'Angou au roy d'Espaingne, lequel, coiime il
ouït le contremandement, il départi son lost et
retourna en Espaingne. Car o tout son dit /lost il
estoit jà venu jusquez empres Navarre et avot requiz
passage au roy de Navarre par sa terre de Navarre. Et
le roy de Navarre avoit respondu qu'il le' laisseroit
passer par les destroiz de son pais, s'il avoit bous
bostages que l'en ne feist nul mal à son T^^is et oultre
qu'ilz ne passeroient que trois cenz à à foiz par les
diz destroiz. Et de ce ouït plusieurs p^lemens. Maiz
quant le roy Henry ouït le contremandement du duc
d'Angou, il n'en tint plus compte ne parlement, maiz
retourna à Bures et ses gens chacio en sa terre. Le
duc de Lencastre qui estoit à Bord^siux, pour la très
grant mortalité qui estoit en la <ité et eu pais, se
parti de Bordeaux et se mist o sefgens en vaisseaulx
et singla en Angleterre. En Avigron, en icellui an et
mois d'avril et de may, fu si tr6 grant mortalité eu
pais quMl y mourut plusieurs cardinaux, et se parti
pour la dicte cause le pape hoi* d'Avignon.
En l'an mil trois cens soixmte quatorze, l'eschi-
quier de Normendie pour k roy de France séant à
Rouen au terme de Pasqu^s, Oudart d'Atainville,
bailli d'icelle cité, ala en Ibstel de l'archevesque de
DIS QUATRE PREMIERS VALOIS. 249
Rouen Philippe d'Alençon qui lors estoit en Avignon.
Et fit de fait et de force rompre les prisons de la ju-
risdiction du dit archevesque pour ung qui estoit clerc
marie prisonnier es dictes prisons. Et le mena de fait
es prisons du roy. Et furent les officiers du dit arche-
vesque mis en deffault eu dit eschiquier où ilz avoient
esté adjournës parce qu'ilz ne comparurent point. Et
fut pour cequ*ilz avoient deffendusur peine de excom-
mice [sic] que Fen ne feist violence à l'espirituautë
du dit archevesque.
En cel an vindrent ambaxadeurs de Honguerie à
Paris pour traictier du mariage de monseigneur Louis,
le second filz du roy de France, et de la fille du roy
de Honguerye.
En cel an, le conte de Saint Pol [et] monseigneur de
Chasteillon , maistre des arbalestriers firent une che-
vaucie devant Ardre. Le duc de Lencastre, qui estoit
venu à Kalais, le sceut et fit faire deux embusches. Et
comme François retournoient de devant Ardre , les
Angloiz les sourprindrent, car ilz estoient desheau-
mëz pour le chault qui estoit moult grant, et leur
coururent sus. Et lors les Françoiz , le plus tost qu'ilz
pourent, se heaumerent et vindrent combatre contre
les Angloiz y car bien veoient qu ilz ne po voient partir
sans bataille. Lors le conte de Saint Pol qui vist
bien que les Françoiz estoient pris en desarroy dit à
monseigneur Hue de Chasteillon, maistre des arba-
lestriers : t< Sire , sauvez-vous , se vous povez. Car se
vous estez prins , nous sommez perdus. » Et lors parti
le maistre des arbalestriers, et les Françoiz tindrent
Testour dur et fort contre les Angloiz. Aucuns des
PicarSy quant ilz virent que leur maistre fuioit, tour-
S50 CBRONIQUE «
nerent en fuite, et par ce furent left Françoiz descon-
fiz, et le conte de Saint Pol prisonnier et plusieurs
nobles hommes, Jacques de Harecourt, frère du conte
de Harecourt , le chastellain de Beauvaiz , et bien en
place de mors soixante hommes de grant pris.
En cel an, monseigneur Jehan de Vienne, amiral
de France , vint mettre siège devant Saint Sauveur le
Viconte en Costentin. Et y ordonna quatre bastides,
et là ouït plusieurs pongneys des Françoiz et des An-
gloiz et plusieurs chevauceys. Et là ouït des deux parties
prins des prisonniers. Dont par une chevaucie fut
prins le nepveu de l'amiral et le (ilz au seneschal
d'Eu. Âinçoiz que ce siège fust mis sur, les Angloiz
du dit fort chastel de Saint Sauveur le Viconte couru-
rent sur le pais et boutèrent le feu es faubours de
fiaieux et de Saint Lo et accueillirent grant proye
qu'ilz menèrent en leur fort.
Ung bon homme d'armes et bien esprouvé en plu-
sieurs bons faizarreslé, appelé Jehan le Bigot, avoit
une route de bien cent combattans. On lui cassa bien
aux gaiges quatre vingt et dix hommes. Et comme le
dit Jehan le Bigot vit ce, lui qm estoit ung des meil«
lieurs de la main et le plus asseuré escuier qui fust en
tout Tost, si ouït despit que ses gens furent cassés, et
ne voult demourei* aux gaiges de Tamiral. Et donc il se
parti des bastides et ceulx de sa route , et si le suirent
bien jusquez à quatre cens combatans. Et disoient
qu*ilz yroient en la guerre de Lorayne et alerent fole-
ment par le royaume. Comme Jehan le Bigot vit ce,
il se parti de la grant route, car bien vit que celle geot
foloient et ausû que pour lui ne lairroient à prendre
sur le pais.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 251
Les plaintes eo vindrent au roy à Paris. Et lors es-
toit à Paris le connestable monseigneur Bertran de
Glacquin. Et fat ordonné que ceste gent seroient
oombatus. Et ala sur eulx le dit connétable et le pre-
¥Ost de Paris. Et comme le confnestable approcha
celle gent y il manda et fit scavoir secrètement audit
Jehan k Bigot qu'il vuidast de celle route; car se où
lui trou voit et il fut prins , il seroit destruit. Et lors
le dit Jehan le Bigot et bien jusquez à cent hommes
d'armes s'en alerent. Et le connestable et le prevosf de
Paris vindrent courre sus à celle gent^ lesquelz se ren*
dirent au connestable. Et en ceste besoingne fut le dit
prevost nommé Hugues Aubriot fait chevalier. Le dit
prevost fit mener celle gent à Paris j lesquelz furent à
ung ffbet que l'en fit faire et drecier tout neuf devant
le grant gibet de Paris que l'en nomme Montfaucon.
Et icellui gibet fut nommé Happe Pillart. Aucuns
d'iceulx furent noyez. Depuis ce fut monstre le bien
de Jehan le Bigot au roy, et qu'il estoit ling des bons
hommes d'armes que le roy euM. Et par la prière du
covinefilable et d'autres grans seigneurs fut le dil Jelian
le Bigot en la grâce du roy de France.
En cel an ^ les Geneuois alerent en Gyppre et pris*
trent le roy Jehan de Gyppré , qui avoit fait oodre son
frère le bon roi Pieiron qui prist Alexandre. Les diz
Geneuois le pristrètit ei titidrent en prisctb et obtin-
drent le règne de Gyf^pre.
En cel an mil trois cens soixante quatorze, les An-
glois prindrent Mènl^eol Bonin *^ qui estûiit au con-
taestâMe. Gâr lé cappitaine du dit Blontereiil avoit
I. Montrenil-Bonnin, Vienne, arr. de Poitiert, e. de Vntiillé.
252 CHRONIQUE
vendu le dit fort au}L Angloiz. Mouseigoeur le connes-
table Bertran de Clacquio , quant il sceut comme le
dit cappitaine avoit ouvré ainsi faussement, il vint
mettre siège à Montereul Bonin. Et tant le fit fort as-
saillir qu'il le prist. Et quant il ouït prins, U fit de-
cappiter le dit cappitaine. Et comme monseigneur
Bertran de Clacquin estoit au siège à Montereul Bonin,
le cappitaine de Bordeaux et cil de Bordeloiz à grant
armée vindrent à grant navire en Tisle d'Erré*, et là te-
noient bien court N. Montmor, qui estoit en ung
chastel en icelle ysle d'Erré. Monseigneur Bertran
pourchassa navire et vint combatre les Angloiz, et là
ouït forte bataille et dure. Et en la parfin furent les
Anglois desconfiz. Et rafreschi et renforça le dit chas-
tel d* Erre monseigneur Bertran , puis retourna à La
Rochelle.
Apres ce le duc de Berry et le dit connestable alerent
mettre siège devant Congniac et firent drecier pierres
et engins et livrèrent moult forsassaulx. Et comme les
Anglois virent le grant péril où ilz estoient, si firent
ung traictié au duc de Berry et au connestable que ,
s'ilz n'estoient secourus dedens le mois de juing,
qu'ilz rendroient le fort et le chastel de Congniac. Le
duc de Berry et le connestable en prindrent bons hos-
tages.
En cest temps , Jehan de Montfort estoit descendu
en Bretaingne. Dont le roy de France avoit ouy nou-
velles et avoit mandé au duc de Berry, son frère, et
au connestable qu'i|z laissassent tout pour aler en
Bretaingne. E% pour ces nouvelles qu*ilz avoient
1. Erre, tledeRé.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. Î53
du roy pristrent ilz ce traictié jusquez au terme des-
sus dit. Et au dit terme le duc de Berry et le ditcon-
nestable viadrent à grande et grosse puissance des
barons de France o sept batailles. Et quant les An*
gloiz virent qu'ilz n'auroient point de secours , ilz
rendirent Congniac.
En cest temps ^ estoit encoires le siège à Saint-Sau-
veur le Viconte en Costentin. Et le maintenoit Tami-
ral de France , comme devant est dit j avec les barons
de Normendie et les evesques de Beauvaiz et de Cons-
tances, monseigneur de Blainville, mareschal de
France, et monseigneur de La Ferlé, mareschal de Nor-
mendie, o grant nombre de nobles hommes. Et là ouït
au dit Saint-Sauveur moult de fortes saillies et de fors
assaulx. Les Françoiz avoient bien quarante engins,
que ungz que autres, que grans que petis. Quant les
Angloiz virent qu'ilz furent si fort destrains , ilz firent
ung traictié à Tamiral et à sire Jehan Le Mercier,
grant trésorier de France, qu'ilz rendroient Saint-
Sauveur, s'ilz n'estoient secourus dedens le premier
jour de juillet. Et en ou cas qu'ilz ne seroient secou-
rus, se ilz rendoient le dit fort ehastel de Saint-Sau-
veur, ilz auroient cinquante mille francs d'or, c'est
assavoir quarante cinq mil frans au commun et cinq
mil aux cappitaines. Et ce acorderent les Françoiz pour
ce que le dit Saint-Sauveur estoit inprenable par en-
gin ne par assault. Et à la journée que on esperoit
qu'ilz fussent secourus, vindrent des haulz barons de
France, le connestable, le duc de Lorraine, le duc du
Bar et grant quantité de nobles hommes. Car on es-
peroit que à la dicte journée avec les Angloiz fust le
duc de Bretaingne. Et pour ce fit le roy de France
2S4 CHROmQUB
moult grant semonce. Car là oull bien dix mil har-
noiz de jambes et gens d'armes armes de toutes pièces
et bien autant ou plus de bonnes gens d'armes et
bons combatans et grant foison d*arbalestriers. Blaiz
les Angloiz n'eurent point de secours et eurent la
finance qui leur avoit esté promise, et ilz livrèrent
Saint-Sauveur en la main des Françoiz,
Le duc Jehan de Monfort estoit descendu en Bre»
laingne dès Pasques mil trois cens soixante quinze à
bien quatre mille combatans et deux mille que archiers
que servans. Et prist Saint-Maliieu, puis ala à Saint-
Pol du Lyon et Tassailli et le prist par force. Et là fit
grant occision de hommes, de femmes et d'enfans, et
moult fort guerroya le pais de Bretaingne.
Cy parleron du duc de Bourgoingne et du doc de
Lencastre, lesquelz dès au devant de Pasquez mil trois
cens soixante quinze estoient aies à Bruges pour traic-
tier de la paix entre le roy de France et le roy d'An-
gleterre et du roi Henry de Espaingne. Moult y ouh
d'une partie et d'autre long parlement sur les des-
cors. Et pour ce que les faiz de si puissans roys on ne
povoit pas briefment consummer, ne sans la présence
des roys les acors et traictiez entériner, on fit Irevtz à
ung an, c'est assavoir pour Tan mil trois cens soixante
quinze par entre le roy de France et se& frères et le
roy d'Angleterre et ses filz et Jehan de Montfort soy
disant duc de Bretaingne et aussi du roy Henry d'Es-
paingne. Et furent ces trêves jurées du duc de Bour-
goingne et du duc de Lencastre. Et après ce que
Saint-Sauveur fut rendu, monseignelir Thoyias de
Grancy et monseigneur Gaultier Huet, chevaliers an-
glois, conduiz par monseigneur Raoul de Reneval et
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 25S
monseigneur Enguerren de Hedinc , iceulx portèrent
les trêves au duc de Bretaingne qui les tinst. Et se le
duc de Bretaingne ne les eust tenuez, il estoit ordonne
que tout le grant bemage qui estoit devant Saint-Sau-
veur yroit sur lui.
L'an mil trois cens soixante quinze , après ce que
les dictes trêves furent jurëes, données et confermées,
quatorze barges d'Angleterre pillèrent sur la mer des
nefz d'Espaingne, Et pour lors devant les trêves leroy
Henry avoit fait armée sur la mer. Et estoit encoires
Tamiral d'Espaingne sur la mer. Comme il ouy nou-
velles que les Espaingnolz avoient ainsi este pilliés
des Angloiz, il singla o tout quatre vingt vaisseaulx
d'armée et vint vers La Rochelle où il trouva quatre
vingt et quatre vaisseaulx d'Angleterre qui aloient à la
baée au sel de Poitou. Les Espaingnolz coururent sus
aux Angloiz et les pillèrent, occistrent et noyèrent et
gaingnerent l'avoir et le navire. Les Angloiz crioient :
n Nous avons trevez. » Et les Espaingnolz leur di-
soient : « Vous avez pillié et desrobénoz gens en trevez.
Vous les avez enfraintes. » Ce fait fut eu mois d'août
en Tan dessus dit.
En cel an plusieurs Angloiz comme Krysoualle et
autres cappitaines avoient pris en Bretaingne aucunes
forteresses, non obstant que Jehan de Montfort eust
juré les trêves. Les nouvelles en vindrent au roy de
France qui y tramist son connestable qui pour lors
estoit à Paris où il plaidoit en parlement contre ceulx
de Bruges pour le parpaiement de la raençon au conte
de Penembroc que le dit connestable avoit achatée
aux Espaingnolz. Et d'icellui parpaiement estoient
ceulx de Bruges pièges. Ainsi que l'en menoit le dit
S»6 CHRONIQUE
conte à Brugez, il mourut en chemin. Pour quoy ceulx
de Brugez disoient qu'ilz n'estoient du dit parpaiement
en rien tenuz de paier aucune chose. Maiz pour ce
débat et descort le roy prist la chose en sa main et en
ordonna à la requeste du conte de Flandres. Et le dit
connestable parti du roy et ala en Bretaingne. Et
comme il fut là venu^ il voult scavoir pourquoy les
Angloiz avoient rompu les trêves. Et voult commencier
à guerroier sur le duc Jehan de Montfort. Et comme
il vist ce^ il desavoua les Ângloiz et dit que par lui onc-
quez n'avoient commencé la guerre et rafferma les
trêves au roy de France.
En cel an fut le pape cause de la transmutacion de
Tarcheveschié de Rouen en Tarcheveschié d'Aux pour
monseigneur Philippe d'Alençon. Et est en Gascoin-
gne et avec ce patriarche de*.... Et aussi fut demis Ou-
dart d'Atainville du bailliage de Rouen, dont le peuple
ouït grant joye. Cy parle du duc d'Angou et du duc
de Boui^oingne, avec eulx le cardinal d'Amiens qui
fut abbé de Fescamp, et aucuns du conseil du roy de
France pour son parti, et le duc de Lencastre et son
frère filz de Edouart roy d'Angleterre, avec eulx le
conseil de leur dit père roy d'Angleterre. Et parle*
menterent longuement pour traictier de paix et d'a-
cort. Maiz pour ce qu'ilz ne peurrent. conclurre pour
le fait du roy Henry d'Espaingne et pour le duc de
Bretaingne , l'en aloingna les trevez de Pasques l'an
mil trois cens soixante seize jusquez à ung an. Les
trevez furent jurées, et le parlement se départi, et re-
i. U y a ici une lacune d*un mot dam le nu. Lisex : patriarcfae de
Aqnilée.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 257
tourna chacun en son pais, les Françoiz en France et
les Angloiz en Angleterre. Monseigneur Bertran de
Oacquin esloit lors en Guienne. Ung cappitaine an-
glois comme en trêves semont le dit monseigneur
Bertran à disner o lui en ung chastel. Et comme il y
aloit, on donna à entendre à monseigneur Olivier de
Mauny que, se le connestable y aloit, il seroit prins et
retenu et seroit en grant péril de son corps. Par le dit
monseigneur Olivier, le connestable n'y ala pas, maiz
vint à Paris par devers le roy de France qui là es-
toit.
En Tan mil trois cens soixante seize, trespassa de
cest siècle le prince de Galles, ainsnë filz du roy
Edouart d'Angleterre. Cestui prince fut ung des meil-
leurs chevaliers de cest monde. En son temps il en
avoit le renon sur tous. Duquel partie de ses fais sont
cy retraiz en ceste cronique. De la mort de cestui cy
prince furent merveilleusement courouciéz et dolens
les Angloiz. Le roy de France, non obstant que le
dit prince fust son ennemy, neantmoius pour cause
de lignage il en fit faire obseque et service très so-
lennel.
En cel an eu mois d'aoust, avint eu royaume de
France que ung jeune valeton de Taage de dix sept
ans fut introduict qu'il estoit filz du roy de France et
de la royne, et estoit bel enfant. Et de Soissons où ung
chevalier le avoit fait nourrir vint à Paris. Ce cheva-
lier l'avoit fait aprendre à estanmmer. Et comme le
dit chevalier fut eu lit de la mort, il dit à l'enfant qu'il
estoit filz du roy de France. Bien peult estre que ce
chevalier estoit en frenoizie. Le dit chevalier manda
l'enfant et lui dit devant plusieurs personnes et tabel-
17
§58 CHRONIQUE
lioDS : ce Beau filz, je t'ay nourry, et sachez que tu es
filz du roy de France. Et comme tu fuz ne, on mist eu
lieu de toy une (ille. El dit on à la royne premier que
tu estoiez ung filz. Apres on lui dist que tu estoiez
une fille. Et en ces enssaingnes te recongnoistra à
filz. » Apres la mort de cest chevalier, Tenfant vint à
Paris et vint au Louvre et parla au moigne le gardien
du Louvre, et lui dit qu'il estoit filz du roy et de la
royne. Le moigne le fit savoir au prevost qui y en-
voya de ses gens, et fut cestui enfant mis en prison eu
Chastelet. Et pour lors le roy de France estoit à Aur-
liens et retourna à Paris pour ceste cause. Et fut
amené ce jeune filz devant le roy et devant la royne.
Et trouva l'en que les enseingnes qu'il disoit n'estoient
pas vrayes. Et aussi il ne resembloit de rien au roy ne
à la royne. Et avec ce il ne fut pas trouvé ferme en
parler, car il avoit esté sotement introduit. Et comme
il vist qu'il fut réputé pour fol et ses paroles pour
foies, il dit : a Se je ne suys filz du roy, si soye filz du
pape. J'ayme mieulx. à faire mon mestier que mourir
de fain en Chastellet. » Le roy commanda que on
Tostat hors .de devant lui et qu'il fust tondu et merqué
comme fol et sot et mené parmy Paris en cel estât.
En cel an, se rebellèrent ceulx de la terre de Teglise
de Romme et chassèrent les Rommains et les officiers
du pape. Et se tournèrent aucunez cités et se aliereot
de monseigneur Barnabo de Milieu. Les nouvelles en
vindrent au pape qui requist aide au'roy de France,
lequel lui fit aide de souldoiers et de deniers. Et aussi
se rebellèrent les Florentins lesquelz le pape excom-
p^enia et guerroya.
En cel an, se parti de la court et conseil du roy de
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 259
France le cardinal d'Amiens qui fut abbé de Fescamp,
et prist congié du roy, et s* en ala demourer avec le
coliege des cardinaulx à la court du pape. De son
alée et partement fut tout le peuple du royaume
de France moult joyeulx. Et en cel an ala le pape
Grégoire à Rommenye pour sa guerre contre les Fleu-
rentins.
En cel an y environ sept jours en septembre, très-
passa le captai de Bucz au Louvre à Paris, lequel
avoit esté en son temps très vaillant chevalier aux
armez.
En cel an, ouït es parties de Flandres si grant ha-
bundance d'eaue venue soudainement par la mer es
parties de Quigent, de L'Escluze, en alant tout au
long de la mer selon la coste de Ardenbourc, que
plusieurs plates villes furent noyées et plus de trente
mille personnes peries.
Cy après dist que, aprez ce que le duc de Lencastre
fut retourné de Flandres du parlement d'avecquez le
ducd'Ângou, que les AngloizTeurentsouppeçonneux.
Et une partie de la cause en mut par le prince de
Gales qui estoit pour lors malade, lequel ouït en
doubte et en souppeçon son frère le duc de Lencastre
qu'il ne voulsist estre roy d'Angleterre et alié du roy
de France. Et ce mesmes fut dit au roy Edouart d'An-
gleterre, lequel ouït son filzsouppeçonneux. Par quoy
il avint que, après la mon du prince, le duc de Len-
castre ne retourna puis en Flandres pour le fait du
traictié. Par cette suspicion mut grant débat entre les
Aâgloiz. Et ouït ung Angloiz en Angleterre, qui estoit
seneschal de Nyorth, qui dit au sire d'Ansellée qu'il
avoit prins des deniers d'or firans du roy de France.
260 CHRONIQUE
Le sire d'Ansellée en ofTri son gaige de bataille. Et
remporta le duc de Lencastre. Et aussi ourent les An-
gloiz souppeçonneux une partie de ceulx qui furent en
Flandres pour traictier de la paix.
En cel an, eu mois d'aoust, ouït ung parlement eu-
quel ne fut rien conclud. Et y furent de la partie du
roy de France Tarchevesque de Rouen, cousin du
pape, le chancellier de France, le conte de Salebruce,
maistre Nichole du Bosc, evesque de Baieux, et autres
des conseulx du roy de France. Lesquelz s'en retour-
nèrent à Paris o tout les trêves jusquez au rassembler
pour traictier de la paix. Et aussi les Ânglois retour-
nèrent en Angleterre.
En ceste histoire, est faicte mencion comme Pierres
le bon roy de Cyppre fut occiz par traison du prince
Jehan son frère. Et depuis les Geneuois conquistrent
Cyppre sur le prince Jehan. Or fut ainsi que la royne
de Cyppre, feiîime du bon roy Pierres, fit traictië aux
Geneuois pour le royaume de Cyppre par ung million,
et si seroient seigneurs de Famagoste. Et aussi le
prince Jehan se mist à raençon aux Geneuois. Par
quoy depuis advint que, tant par le cappitaine des
Geneuoiz que par le chancelier de Cyppre, on fit
traictier de paix entre le prince Jehan de la royne de
Cyppre, femme du dit roy Pierres et de ses enfans, et
furent en ung chastel. La royne qui moult estoit vail-
lant dame fit faire ung aguet ou garnison de seigneurs
loiaux chevaliers. Si advint qu*il fut ordonné par les
traicteurs pour faire Facord du prince Jehan, de la
royne et de ses enfans qu'ilz disneroient ensemble. Le
prince Jehan y vint mal garny. Car il fut trop oultre-
cuidië et ne prisa en rien ses nepveuz pour ce qu'ilz
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. Ui
estoient petis enfans. La noble royne, comme le
prince et elle, ses enfans et le cappitaine des Geneuoiz
furent assiz à disner, elle commença trop fort à plou-
rer. Son ainsné'filz lui demanda : a Belle mère, pour
quoy plourés vous ?» Et donc sacha la dicte royne la
chemise du roy leur père toute ensenglantée, icelle
propre chemise en quoy le bon roy Pierres avoit esté
occiz et dit : « Enfans, enfans, tant comme je voye
que le sang du bon chevalier vostre père soit à ven-
gier et je voye le faulx traistre qui Toccist, mon cueur
ne cessera de plourer. » Adonc saillirent ceul\ de Ta-'
guet et occistrent le prince Jehan d'Anthyoche en la
présence de tous. Et ainsi fut vengie la mort du bon
roy deCyppre, et fut au devant du commencement de
l'an mil trois cens soixante seize.
En Tan de grâce mil trois cens soixante dix sept,
Edouart, le roy d'Angleterre, qui estoil ancien, fut ma-
lade. Et comme il aprocha de sa mort, il songa par
plusieurs foiz sa mort, puiz une foiz que on le empoi-
sonnoit, puis que on le vouloit noyer, puis que son
filz le vouloit occire. Cestui roy Edouart avoit fait
mourir son père, si doubtoit que on ne feist ainsi de
lui. Et quant il fut aproché du mal de la mort, il fit
son hoir le filz de son aiusné fils le prince de Galles,
comme dit est. Et après ce que le dit roy Edouart
d'Angleterre fut trespasse de cest siècle, lequel avoit
tant guerroie le royaume de France comme ceste his-
toire l'a devisé eu temps des trois roys de France,
comme dit est, il fut très solennelment et très haulte-
ment mis en sépulture en l'abbaye de Westmonstier
jouxte Londres. En Angleterre, ouït grant débat pour
la couronne, car le duc de Lencastre se efforça d'estre
Î62 CHRONIQUE
roy. Mais les citoiens de Londres lui furent contraires.
Et fut le filz du prince de Galles, ainsné filz du roy
Edouart d'Angleterre, levé à roy d'Angleterre.
Richart, le file du prince de Galles, fut enoint, sacre
et couronné roy d'Angleterre en Teglise de Westmon-
stier ainsi solennelmeut comme il est acoustumé eu
dit pais à faire en tel cas. Et prist comme son ayeal
avoit fait le tiltre du roy de France. Dont il fut mal
conseillié. Car tant comme il portera le tiltre de France,
paix ne acord ne sera entre les deux royaumes de
France et d'Angleterre. Le duc de Lencastre fut fait
régent et garde du roy nouvel, jusques ad ce qu'il
feust en aage. Et jura feaulté au roy son uepveu par
le conseil des barons d'Angleterre. Et Jehan de Mont-
fort, duc de Bretaingue, fut fait connestable d'Au^e-
terre.
En cest temps, monseigneur Olivier de Clichon tinst
siège devant Aurrey, en Bretaingne, tant efforciement
qu'il le prist et le mist en la main du roy de France.
Adonc le roy de France fit faire une armée par mei
dont monseigneur Jehan de Vienne, amiral de France,
fut chief. Avec lui furent moult de nobles hommes,
c'est assavoir le sire de Torchy, le barou de La Ferté,
le chastellain de Beauvais, monseigneur Guillaume Le
Bigot et Jehan Le Bigot son frère. Avec eulx fut Tami-
rai d'Espaiugue à grant nombre d'Espaingnolz et sin-
glerent es ysles de Gerzié* et de Wych' et barrèrent le
pais, puis singlerent à Wyncelze. Et descendirent les
François en Angleterre et boutèrent le feu par les villes
i. Jersey.
S. Wiith.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. î«3
dessus la marine et prindrent la proye. Et alors tous
les barons d'Angleterre estoient à Londres pour le
trespas du roy Edouart, comme dit est. L'amiral de
France fit bouter de fait le feu en la Rye. Dont mon-
seigneur Nicholas, sire de Torcliy, qui o moult grant
route de bonnes gens d'armes estoit en celle armëe,
ouït moult grant desplaisir, car il la vouloit emparer,
tenir et enforcier, et moult s'en courouça et en dit de
moult grosses paroles à l'amiral de France. Lors se
retrairent les François et retournèrent à Harefleu, car
les souldoiers avoient servi leur temps de leurs gaiges.
Quant le navire fut venu à Harefleu, l'amiral ala à la
court du roy devers le roy de France. Et aussi fit mon-
seigneur de TorcIiy, maiz monseigrjeur Bureau de La
Rivière et sire Jehan Le Mercier les mistrent à acort.
Cestui sire Jehan Le Mercier qui estoit principal
gouverneur des deniers du roy, et à lui estoient tous les
receveurs et grenetiers du royaume de France obeis-
sans, vint à Harefleu et fit de rechief singler le navire
de France et d'Espaingne à Hantonne. Maiz comme
lesFrançoiz cuiderent prendre port, le conte d'Arun-
delle et monseigneur Robert Canole, à bien huit cens
hommes d'armes et bien plus de deux mille Anglois,
furent au port et leur deveerent le descendre. Et là
ouït moult grant assault. Maiz les Françoiz sonnèrent
la retraitte et singlerent selon la coste d'Angleterre.
Et selon ce que les Françoiz singloient, les Angloiz les
costoient par la terre. En cestui voiage ne firent riens
les François, lors singlerent vers Calaiz . Et adonc leur
sourt ung orage de fort temps en la mer qui moult les
domaiga. Pour quoy le navire s'en retourna à Hare-
fleu. Alors monseigneur de Boui^oingne et le sire de
264 CHRONIQUE
Clichon et moult de nobles hommes avoient assis
Ârdres et deux autres forts qui furent prins. Puis se
départi Tost.
Apres ce que les François furent partis d'Angleterre,
Jehan de Montfort^ duc de Bretaingne, à tout bien qua-
torze cens combatanS; descendi à Breth en Bretaingne.
D#par le roy de France fut ordonné monseigceur de
Clichon à estre en frontière. En cest temps, le cappi-
taine de Bordeaux prist monseigneur Emond de Pom-
miers et le fit decappiter.
Eu dit an, mil trois cens soixante dix sept, après le
saint jour de la glorieuse Nativité Nostre Seigneur
Jhesucrist, vint à Paris Tempereur de Rom me et d'A-
lemaingne, oncle du roy de France. Avec l'empereur
vint son filz le roy des Rommains et de Boesme et
maint hault prince d'Alemaingne. Charles, le roy de
France, envoia le duc de Berry et le duc de Bourgoin-
gne, ses frères, à rencontre de l'empereur. Et comme
l'empereur vint à Saint Denis en France, par le com-
mandement du roy, le prevost des marchans de Paris
à plus de mille cytoiens à cheval vestus de robes
pareilles de couleur, alerent faire à l'empereur révé-
rence.
Le roy de France mesmez ala à Fencontre de Feni-
pereur aussi comme à l'entrée de la ville. Et s'entre-
firent l'empereur et le roy grant joye et vindrent d'une
alée et compaignie eusenble au palais du roy de France
à Paris. Icellui jour esloit la vegille de la Typhanie.
Moult tint riche hostel pour ce jour le roy de France.
Et l'audemain tint le roy court planiere à son palais e^
moult honoura l'empereur et son filz et tous les haulz
hommes de sa compaingnie. Et merveilles estoit de
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. «6»
regarder la ires grant richesse du roy de France qui
estoit tant en drecheurs sur tables, en paremens au
grant palaiz, en salles et en chambres et de très grans
et nobles dons qu'il donna à Tempereur, à son (ilz et
à leurs gens. Âpres ce que le roy de France ouït fes-
toie l'empereur son oncle à Paris, il le mena au bois
de Vincennes où il le festoia. Et du bois Tempereur
ala en pèlerinage à Saint Mor des Fossés, et de là s*en
retourna en son pais.
Apres ce que l'empereur se fut parti du roy de
France son nepveu où il avoit eu moult riche feste et
noble, la royne de France acoucha d'enfant et ouït
une fille dont elle mourut. De quoy ce fut pitié. Le
roy de France en fit grant dueil. Et fut la dicte royne
mise en sépulture à Saint Denis en France , et son
cueur enterré aux Cordelliers à Paris, et les entrailles
aux Celestins de Paris. Apres mourut une de ses filles.
En cel an mourut le pape Grégoire à Romme et fut
eu mois de mars.
En l'an mil trois cens soixante dix huit, commença
guerre entre le roy de France et le roy de Navarre. Et
fut prins Jacques de Rue sur lequel on trouva lettres
esquelles estoit contenu que le roy de Navarre devoit
faire mariage de monseigneur Pierres son filz à la fille
du duc de Lencastre et qu'il devoit livrer de ses chas-
tiaux aux Ângloiz. Et alors estoit venu en France
monseigneur Charles de Navarre, ainsné filz du roy
de Navarre, lequel fut mandé du roy de France son
oncle et y ala à sauf conduit. Et lui monstra le roy
les dictes lettres. Et sur ce ledit monseigneur Charles
respondi au roy de France son oncle : « Mon très
redoubté seigneur, vous m'avez dit que monsei-
f66 CHRONIQUE
gneur mon père vous a faussé sa promesse en taut
qu'il a vouUu mariage de ses eufans aux Anglois.
Quant à ce, monseigneur mon père est roy. Il puet
marier ses enfaus où il lui plaira et lui aussi où il
lui plaity car il est roy. Maiz à Tautre point où l'en dit
qu'il devoit livrer de ses chastiauh au roy d'Angle-
terre, se Dieu plait, il ne sera ja trouvé qu'il y ait fait
ne qu'il le face. Je suys vostre nieps, vostre seur me
porta. » Donc lui dit le roy : « Beau nieps, je ne vous
vueil pas tollir terre. Maiz je vueil que les chasteaulx
soient mis en ma main. » Et pour ce par le duc de
Bourgoingne et par le duc de Bourbon, avec euU le
connestable Bertran de Clacquin, fut mené monsei-
gneur Chailes de Navarre par les forteresses que son
père le roy de Navarre tenoit en Normendie tant de
son propre domaine que de l'assiette du mariage de sa
femme, mère du dit monseigneur Charles, pour les
faire rendre en la main du roy de France. Et se ren-
dirent la ville, cité et chastel d'Evreux, Bretueil, Pacy,
Agneit, Breval, Regnierville. Fut prins d'assault Ber-
nay où là fut prins maistres Pierres Du Tertre. Le
Pontaudemer ne fut pas lors rendu, car les Navarrois
ne vouldrent. Monseigneur le duc de Bourgoingne, le
dit monseigneur Charles et le connestable bien acoui-
pagniés de bonnes gens d'armes alerent à Cesarbourg.
Maiz les Navarrois estans dedens la place ne vouldrent
rendre le chastel, et pour ce s'en retournèrent devant
Gavray aussi comme pour faire siège. Et tant des-
traint le connestable ceulx de Gavray que par defaulte
de vivres ilz rendirent le dit chastel au dit monsei-
gneur Charles de Navarre. Lequel le rendi en la main
du dit connestable pour et eu nom de son oncle le
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. Î67
roy de France. Lequel chastel estoit imprenable d'as-
sault de gens d'armes, de toute artillerie et de tous
engins. Puis s'en revindrent le dit monseigneur
Charles de Navarre et le dit eonnestable au Pontaude-
mer. Et comme ilz furent là venuz, monseigneur
Charles ala pourparler au cappitaine affin que on lui
rendist la place qui estoit à lui de par sa mère, seur
du roy de France. Le cappitaine fit dire qu'il estoit
malade. Maiz monseigneur Charles le pressa tant qu'il
vint parler à lui. Et dit le cappitaine que le roy de
Navarre lui avoit baillé le chastel à garder, et que
pour mourir ne le rendroit fors au roy de Navarre.
Maiz se ainsi estoit que le roy de Navarre fut mort^
voulentiers le rendroit à monseigneur Charles de Na-
varre. Quant le eonnestable ouït ouye la responce du
cappitaine du Pontaudemer, il dit : a A Dieu le vou,
gars, je vous pendroy aux carneaulx. » Et dont on
ordonna que l'en les assauldroit. Et manda le dit
eonnestable à Rouen que on lui envoiast deux cens
arbalestriers et autant de gens d'armes et des engins.
Et lors fit assaillir le dit chastel, et les engins getter
très efforciement de jour et de nuyt tant qu'ilz enfon*
drerent les habitacions du chastel. Et lors quant les
Navarrois se virent si batuz d'engins, ilz ourent con-
seil qu'ilz se rendroient. Et firent traictié par ainsi
qu'ilz rendroient le fort à monseigneur Charles, et se-
roient paiëz de leurs gaiges de trois mois, et si se-
roient menez o leurs biens à saufconduit à Cesarbourg.
Ainsi leur fut accordé. Et par ce traictié fut le Pont-
audemer rendu, dont le chastel fut abattu et la forte-
resse de la ville aussi. Et plusieurs autres nobles chas-
teaulx royaulx et belles forteresses que tenoit le dit roy
268 CHRONIQUE
de Navarre en Normendie furent tous en la main du
roy de France, excepté Cesarbourg et Saint Guillaume
de Mortaing. Et tous ou la plus grant partie furent
abatuz.
En cel an 9 eust à Romme grant descort, après ce
que le pape fut trespassé, à faire ung pape. Et ouït
entre les cardinaulx grant descord. Car les Limosins
et ceulx de deçà les mons voulloient faire pape de
leur partie, et les Rommains et oultre montains ne
vouidrent. Et pour cest débat fut levé à pape Farche-
vesque du Bar qui avoit nom Berthelemieu, et nommé
fut pape Urbain le sixiesnie. Et en cel an fut descort
par entre le dit pape Urbain et les cardinaulx. Car
après ce qu'il fut oint et sacré à pape le jour de Pas-
ques à Romme, il voult depuis ce regarder sur leur
estât y et ne voult pas qu ilz eussent si grant estât
comme ilz avoient eu au devant. Et pour ce qu^il les
voult corrigier et leurs bénéfices apeticier, les diz car-
dinaulx se partirent de Romme et alerent en Vienne.
Et ains qu'ilz partissent de Romme , dit le cardinal
d'Amiens au pape Urbain qu'il ne le tenoit point à
pape. Et le pape Urbain lui.respondi qu'il estoit vray
pape et loialment sacré. Et de ce le dit cardinal le des-
menti comme archevesque du Bar et non pas comme
pape.
Comme les diz cardinaulx furent venuz en Vienne,
ilz firent conclave. Et le dit cardinal d'Amiens fit venir
les Bretons et gens de compaigne qui estoient en Italie
pour guerroier ceulx de Romme. Et chevaucerent les
dictes gens d'armes jusqu'au pont de Tybre. Là es-
toient les Rommains pour garder le psLS. Un escuier
de Normendie nommé Tournebu qui avoit bien six
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 269
YiDgt combatans soubz lui assailli les Rommains pre-
mier et puis les Bretons. Et là desconfirent les Rom-
mains et en mistrent grant foison à mort et les firent
reculer jusques à Romme. Le peuple de Romme cou-
rut aux armes et sonnèrent la grosse cloche et ycssi-
rent contre les Normans et Bretons qui s'estoient re-
traiz. Apres ce que les Romains furent retournés, ilz
occistrent de povres clercs qui estoient venuz à
grâces.
Pour cest temps estoient les cardinaulx à Vienne te-
nans conclave pour faire autre pape que cil qu*ilz
avoient fait et sacré. Le cardinal d'Amiens, qui par sa
subdlleté contendoit et vouloit estre pape, se traist
vers les cardinaulx d'Ytalie et dit à chacun par soy
qu'il lui donnoit sa voix et qu'il ne la donneroit jà à
Limosin. Et leur conseilla qu'ilz donnassent leur voix
au cardinal de Genève disant : a II est le plus jeune
des cardinaulx, il ne pourroit estre pape. » Et ilz le
creurent. Or vint à ouvrir le conclave. Les Limosius
vouldrent faire pape Limosin. Mais les autres cardi-
naulx ne vouldrent. Dont fu par entreulx dit que nul
Limosin ne seroit pape. Et lors les cardinaulx d'Ytalie
donnèrent leur voix au cardinal de Genève. Et aussi
fit le cardinal d'Amyens, et les autres s'i acorderent.
Ainsi fut esleu, levé et créé à pape des cardinaulx le
cardinal de Genève. Et fut nommé pape Clément le
septième.
En France vindrent premièrement les bulles du
pape Urbain, et fut receu à pape de toute crestienté
excepté du roy de France. A Paris fut fait ung concilie
des preslas de France et des maistres et docteurs de
l'Université de Paris eu quel fut déterminé que le pape
270 CHRONIQUE
Urbain estoit vray pape. Maiz les cardioaulx ne le
vouldrent accepter, et disoient qu'ilz avoient fait le
premier par force et pour doubte que les Rommains
ne les occisissent, et que le second, le cardinal de Ge>
neve ilz tenoient à pape et que à eulx est le droit de
Taire pape, et, quelque oppinion que les prelas ne
r Université deissent, se est il à eulx de faire pape. Et
à la partie des diz cardinauix se tint le roy de France.
Apres ce, aprez la Saint Martin d'yver, (iirent ap->
portées les bulles du pape Clément à Paris. Et fut
commandé par le roi de France qu'il feust tenu à
pape, jasoit ce uqe la greigneur partie des chevaliers
et du peupple tenissent l'autre à vray pape. En cest
temps qu'il ouït scisme et discension en coliege de
Romme, comme dessus est dit, par aucuns des cardi-
naulx fut descript à Tarchevesque du Bar non pas
comme à pape et si descrivoient comme à pape. Car
il estoit dit du pape Urbain que selon sa significacion
des papes qu'il estoit signifié à beuf et sans mittre et
sans clef et que enfer l'atendoit et qu'il estoit avi-
ronné d'estoilles merveilleuses.
Le pape Urbain leur descript qu'ilz avoient (ait
comme firent les disciples de Nostre Seigneur Jhesu-
crist en sa Passion et aussi comme les Juifz. Les disci-
ples le laissèrent : (c Circumdederunt me viri nien-
daces, etc.... Vous qui m'avez sacré par la vertu
divine à pape et sans mon pourchas en la présence de
bons tabellions, si me faictes comme les faulx Juifz
firent à Jhesuscrist nostre seigneur. Car comme ilz le
eurent receu en Jherusalem le jour de Pasqucs flouries,
ilz le boutèrent hors et i'occistrent. Ainsi vouliez vous
faire. Et comme les disciples laissèrent Nostre Seigneur
DES QUATRE PREBOERS VALOIS. 271
Jliesuscrist, me avez vous laissié pour les délices mou-
daines et tournez aux temporalités. Apres, beaux frères,
vous m'avez descript que je suys signifié au beuf. Le
beuf signifie beste débonnaire et vertueuse. Se vous
vous radreciez vers moy, je vous seroy débonnaire.
Quant saint Pierre ouït regnié son créateur Jhesucrist
et ainsi pechié vers lui, Nostre Seigneur Jhesucrist lui
pardonna. Se vous faictez ainsi comme je vous escrips
et que vous vous radreciez, je vous pardonneray.
Et se vous faictez comme Judas, ma sentence qui
procède de Dieu vous jugera. Car entre vous a ung
Judas qui tous vous tient en la voye des ténèbres.
Âpres vous m'avez descript que enfer m'atent. Beaux
frères, vous m'avez escript vérité. En la cité de Napples
a une partie de la cité que l'en appelle Enfer. En icelle
partie demeure une partie de mon lignage. Cil à grant
joye me attendent et tout le pais. Apres, beaux frères,
vous m'avez descript que je suys avironné d'estoilles
merveilleuses. Bien avez descript. Je vous descry que
les estoiles merveilleuses signifient que j'ay créé plu-
sieurs preudommes à estre mes frères par vostre ini-
quité. » Moult de belles raisons leur descript le pape
Urbain. Maiz onc pour ce ne vouldrent les dessus diz
cardinaulx eulx radrecier. Maiz tousjours obstindrent
qu'il n'estoit point pape.
Apres le pape Urbain descript à l'Université de
Paris comme de la monicion des cardinaulx avoit esté
enoint et sacré. Aussi escript il au roy de France et
aux autres roys et haulx princes Crestiens qui tous le
tindrent à pape excepté cil de France qui de rechief
manda des plus notables clers de l'Université de Pa-
ris, lesquelz lui distrent que le pape Urbain estoit
272 CHRONIQUE
vray pape. Et non obstant ce, le dit roy de France
tint le parti des dessus diz cardinaulx et tint le cardi-
nal de Genève à pape.
Le pape Urbain créa plusieurs prelas d^Ytalie à
cardinaulx. En France, il tramist le chappel à monsei-
gneur Philippe d'Alençon, qui fut archevesque de
Rouen, puis patriarche. Il ala à Romme où il fut gran-
dement receu et joyeusement des Rommains. Pour
lors le derrain pape nomme Clément et ses cardinaulx
alerent à Foudres où le conte de Foudres les receut
le mieulx qu*il poult. Et quant le dit pape Clément
sceut que monseigneur Philippe d'AIençon fut avec le
pape Urbain^ il en fut moult dolent et donna ses bé-
néfices.
En cel an mil trois cens soixante dix huit, devant
Harefleu , le jeudi devant Penthecouste, vint par mer
le conte d'Arondelle à plus de cent nefz d'armée et
vint à plus de deux mille combatans assaillir Hare-
fleu. En la ville estoit monseigneur de Blainville, ma-
reschal de France, qui alors n'avoit pas plus de cent
lances de la chevallerie de Caux qui très vassaument
deffendirent Harfleu à porte ouverte. Et là ouït belle
escarmuche et fort estiqueis de glaives et fort assault
d'une partie et d'autre de trait. Là le fit bien monsei-
gneur le mareschal, monseigneur de Basqueville,
monseigneur d'Auseboc, monseigneur de Harmen-
ville, monseigneur de Remes et ses enfans. Et moult
d'autres bons chevaliers de Caux se combatoient vail-
lamment. Maiz le conte d'Arondel vint à deux si
grosses batailles qu'il fallut que les dessus diz Fran-
çoiz se retraissent dedens Harefleu. Et à la retraicte
le firent bien les dessus diz Françoiz chevaliers et es-
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. ' 273
cuiers de Caux. Monseigneur Guillaume de Taleville
et plusieurs autres y souffrirent grans fais d'armes.
Les arbalestriers ourent là moult graiit mestier et
moult navrèrent d'Ângloiz. Lors fut la retraitte son-
née et s'en retournèrent les Angloiz en leur navire.
Apres ceste besoingne, es feries de Penthecoustes,
le conte d'Arondel yessi de son navire et vint à ba-
taille rengie devant Harefleu et demanda la bataille et
où estoit le connestable et qu'il le attendroit à com-
batre. Monseigneur de Blainville ne accepta pas ne ne
prist jour de bataille. Maiz il le manda au connestable
lequel lui escript et manda qu'il preist jour de bataille
et place à sept lieues de la mer et là leur livreroit on
bataille. Maiz les Angloiz ne le voudrent accepter.
Comme les Angloiz se retraistrent en leur navire,
monseigneur de Graville, monseigneur de Basqueville,
monseigneur de Beausaut avec le dit mareschal et
bien huit vingt lances desdiz chevaliers et escuiersde
Caux parsuirent les Anglois jusquez en la mer. Et là
ouït trois chevaliers Anglois qui firent beau fait d'ar-
mes à recueillir leur gens. Et entrèrent les derrains
en leur navire, puis se retrairent les diz Anglois et se
boutèrent dedens la mer.
En cel an mil trois cens soixante dix huit, la foire
du Lendit séant, furent décapités maistre Pierres Du
Tertre et Jacques de Rue, officiers et familliers du roy
de Navarre. Et ains qu'ilz fussent décapités, ilz furent
jugiés comme atains en parlement. Et fut pour ce
qn'ilz dévoient livrer des chasteaulx que le roy de Na-
varre tenoit en Normendie aux Angloiz. Maistre Pierres
Du Tertre disoit en ses raisons que quant il fut prins
il estoit en sauf conduit dii connestable de France, et
48
274 CHRONIQUB
aussi que le roy Jehan le avoit baillië au roy de Na-
varre à le servir contre tous hommes. Maiz il ne fut
point ouy en celles deffenses et fut jugië au dit parle-
ment à Paris à estre décapités. La cause pour quoy fu-
rent décapités Jacques de Rue et maîstre Pierres Du
Tertre si comme l'en dit fut telle. Premièrement, qu'ilz
dévoient empoisonner ou faire empoisonner monsei-
gneur Charles de Navarre pour ce qu'il ne vouUoit,
depuis qu'il (ut Françoiz, que on esmeust guerre au
roy de France. Et fut empoisonné le dit monseigneur
(Charles de Navarre de une poison telle de flux de
ventre que onc médecins ne fizicien ne poult sçavoir
remède. Item, que la roy ne de Navarre fut par eulx
empoisonnée en ung baing pour ce qu'elle soustenoit
les Françoiz, et le distrent à Ferrando. Maiz je ne dy
pas que ce eust fait faire le roy de Navarre, car il l'a-
moit moult. Item, quant le dit monseigneur Charles
de Navarre eust esté avec le roy de France son oncle,
le dit Jacquez de Rue et le dit maistre Pierres Du
Tertre dévoient empoisonner ou faire empoisonner le
roy de France et ses frères et le dit monseigneur
Charles de Navarre. Et pour ce furent ilz coudampnéz
à estre décapités pour les faiz dessus diz tant comme
d'empoisonnement que pour les autres choses devant
dictes. Le roy de Navarre descript au roy de France
que quelconque chose que on lui meist sus onc ne le
pensa ; ne onc l'avancement de la mor de son seigneur
et frère le roy de France et ses frères onc ne pour-
pensa.
En cel an, les Turcs et Sarrasins es parties d'Chîent
coururent sus la mer et prindrent plusieurs Crestiens.
En cel an, le duc de Lencastre mist siège devant
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 275
Saint MaloUy lui et le conte d'Arondel, et fut eu mois
d'aoust. Monseigneur Bertran deClacquin connestable
de France fit sa semonce et chevauça sur les Angloiz»
Et pour lors le conte d'Arondel s'estoit mis sur le pais
à bien trois cens hommes et plus. Le dit connestable
courut sus aux Anglois et les soupprist ; et pou s'en
fallu que le conte d'Arondel ne fut pris. Et furent les
Anglois desconfiz, et y ouït prins de bons prisonniers.
Apres ce, le dit connestable attendi monseigneur de
Clichon ; et, comme ilz furent adjouxtës^ ilz ne furent
pas quinze cens lances. Et les Anglois estoient plus de
trois mille hommes d'armes et autant ou plus d'ar-
chiers. Et avec ce le duc de Lencastre attendoit le
duc de Bretaingne. Le connestable se parti de Saint
Mallou et ala à Paris pour parler au roy pour pour-
veoir à lever le siège de Saint Mallou. Dedens Saint
Mallou estoient bien trois cens hommes d'armes qui y
eurent bon mestier^ car le duc de Lencastre leur livra
ung grant assault. Et si bien se deffendirent ceulx de
Saint Mallou que les Angloiz y perdirent plus de six
vingt hommes d'armes.
En cel an y fut mis le siège à Saint Guillaume de
Mortaing par monseigneur de La Ferté, monseigneur
de Tournebu , monseigneur de Torchy et par autres
barons et nobles de Normendie. Et tant destraindrent
cil du chastel que le chastel fut rendu , prins et abatu
de tous poins.
Apres ce que tous les chasteaulx et forteresses que
le roy de Navarre tenoit en Normendie furent rendus
ou prins et mis en la main du roy de France, excepté
Cesarbourgy le dit roy de France fit abatre tous iceulx
chasteaulx et forteresses. Et puis en cel an mesmes eu-
276 CHRONIQUE
voya le dit conneslable de France o grant nombre de
gens d'armes, d^arbalestriers, d'engins, de carpeii-
tiers, de maçons, de pionniers et de mineurs pour
mettre siège devant Cesarboui^. Monseigneur Beitran
de Clacquin, connestable de France, monseigneur de
Blainville mareschal de France, monseigneur de La
Rivière, le seneschal de Renault et tout Tost appro-
chèrent de Cesarbourg. Les Anglois et Navarrois
avoient fait une grosse embusche. Le frère du dit con-
nestable, le sire de Mauny, le sire de La Roche et plus
de soixante dix, que chevaliers, que escuiers, vindrent
courre devant Cesarboui^ et passèrent Tembusche.
Et les Navarrois leur coururent sus. Là furent soup-
prins, car Tost estoit encoires loing. Là furent prins
monseigneur Olivier de Clacquin, frère du dit connes-
table et le sire de Mauny et bien soixante, que cheva-
liers, que escuiers.
Apres yessirent de Cesarbourg en bataille bien six
cens Anglois. Et en la mer estoient quatorze barges
d'armée d'Angleterre. Le connestable de France et
l'ost se logèrent en l'abbaye au dehors de Cesarbourg.
Pour lors que l'en vint mettre siège devant Cesar-
bourg, il faisoit merveilleux froit, et enfondoient les
chevaulx, et aussi y avoit grant defaulte de vivres. De
laquelle s'estoit fait fort sire Jehan Le Mercier de four-
nir l'ost de vivres. Comme on fut venu à Cesarboui^,
chacun tendy à soy logier. Là eurent trop de povreté
et de mesaize la menue gent tant de fain que de froit,
et tant qu'il fallut que l'ost deslogast. Maiz ainçois
que on se deslogast, les Anglois qui virent les François
au froit et au vent qui tendoient à eulx logier, comme
monseigneur Charles de Navarre et sire Jehan Le
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 277
Mercier furent venuz, les Anglois et Navarrois yessî-
rent de Cesarbourg et vindrent bouter le feu en Tost.
De la partie des logeis au dit sire Jehan Le Mercier on
cria alarme et s'arma Tost. Et donc se retrairent tan-
tost les diz Anglois et Navarrois, car monseigneur de
Clichon sourvinst en Tost à tout bien n^ille combatans.
Par ce qu'il n'estoit pas saison ne temps convenable
à prendre siège et aussi les gens ne les chevaulx n'a-
voient pas asses vivres, il fallut que Tost se departist.
Et fit l'en bastides en l'abbaye où demoura monsei-
gneur Guillaume de Bordes o une route de gens d'ar-
mes du dit bost.
Apres ce on fit ung concilie à Caen. Et là fut le con-
nestable et sire Jehan Le Mercier et le conseil du roy
pour avoir sur le pais de Normendie une aide ou sub-
cide pour paier les gens d'armes. Et quelque on estoit
en icellui parlement, ceulx qui estoient demourës es
dictes bastides se deslogerent, car ilz estoient pou
pour résister contre ceulx de Cesarbourg. Le connes-
table fut trop marry que le siège estoit rompu. Si ad-
vint que le connestable fut ung jour avec les generaulx
ou trésoriers; il demanda où estoit sire Jehan Le Mer-
cier, et on lui dit qu'il estoit avec les dames. Le con-
nestable lors dit et appella sire Jehan Le Mercier or-
deux gars, traistre et larron au roy de France, et que
par son deffaultle fait du siège estoit rompu. Et ce
que le connestable avoit dit fut reporté à sire Jehan
Le Mercier en la présence de monseigneur N. du Bosc
evesque de Baieux et d'autres seigneurs du conseil du
roy. Dont sire Jehan Le Mercier fuit moult yrés et do-
lent; puis respondi comme subtil : « Je scay bien que
le connestable a dit ces paroles par yre et courouj^
278 CHRONIQUE
qu'il a de sod frère, de monseigneur de La Roche, du
sire de Mauny et des autres bons chevaliers et escuiers
qui ont esté prins. Mais, se Dieu plaist, je m*en excu-
seroy tant et si avant par devant le roy que j'en seroy
excusé deueoient. » En cest concilie de Caen fut or-
donnée une grosse taille à cueillir sur le pais de Nor-
mendie dont lé peuple fut moult grevé.
Apres ce que le siège de Cesarbourg fut levé, ung
grand cappitaine du roy de Navarre nommé Ferrando,
lequel estoit en prison à Caen, fut amené en prison eu
chastel de Rouen en la grosse tour.
En cel an mil trois cens soixante dix huit, trespassa
de cest siècle l'empereur de Romme et d'Alemaingne,
oncle du roy de France, eu dit an qu'il avoit esté a
Paris. Et fut cestui empereur ung très grant sages
homs et conquist plus l'empire par sens que par ar-
mes. Son filz le roy des Rommains fut esleu des Aie-
mans à estre empereur.
Apres ce que le dit empereur fut trespassé, le roy
de France tramist en legacion maistre Aymery de Mi-
gnac, evesque de Paris, à son cousin le nouvel empe-
reur à celle fin qu'il tenist à pape le pape Clément, le-
quel avoit ^té créé à pape, comme devant est dit. Les
prelasd'Alemaingne comme l'archevesque de Mayence,
l'arche vesque de Coulloingne, l'archevesque de Trêves,
l'evesque de Liège, l'evesque de Cambray et autres, en
la présence de la plus grant partie des barons d'Ale-
maingne, respondirent à l'evesque de Paris qu'îk es-
toient bien merveilles comme le roy de France sous-
tenoit le cardinal de Genève à pape, considéré que de
tous temps le roy de France après l'empereur est le
souverain prince des Crestiens. Et oultre fut dit à l'e-
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 279
vesque de Paris que, ce ne fust par Tamonr du roy de
France duquel il estoit messagier, ils le redarguassent
de hérésie disant que c'est chose notoire que le pape
Urbain avoit esté sacré et beney à pape du gré et con-
sentement des cardinaulx. Et eu cas qu'il avoit esté
sacré par les diz cardinaulx, ilz ne le povoient par
droit déposer ne débouter, se ce n'estoit qu'il fut he-
rese ou bougre*. Mais pour ce que les diz cardinaulx
virent que le dit pape Urbain leur voult diminuer
leurs estas et leurs revenues, par ce et par la commo-
cion d'aucuns des cardinaulx comme cil de Genevre,
cil de Therouenne, en especial cil d'Amiens qui des-
menti le pape Urbain, le cardinal de Limoges et cil de
Saint Eustace et aultres iceulx cardinaulx, comme fut
dit à i'evesque de Paris, levèrent indeuement à pape
le cardinal de Genevre. Quant I'evesque vit que si
grans prelas et si puissans furent contre lui, il ne fut
pas asseur et ouït doubte. Et en oultre estoit à la court
de l'empereur le duc d'Austriche qui avoit guerre au
sire de Coussi, et le duc de Guéries et cil de Julliers
qui de long temps ont esté ennemis du roy de France.
Et cecy fut denoncié au jeune empereur par le duc de
Braban, lequel monstra aussi au dit empereur comme
richement, haultement et joyeusement son père et lui
furent receuz du roy de France à Paris. Et lors prist
l'empereur les legas et messagiers du roy de France en
son sauf conduit. Et après le parlement on ala disner.
Et en icellui disner ouït trois tables d'onneur. En la
plus haulte fut l'empereur, trois archevesques et les
1. Bougre, Manichéeoy de la Bulgarie , qui était une des contrées
d'Europe, où la doctrine de Mauès s'était d*abord et surtout répandue.
280 CHRONIQUE
ducs. Et la plus notable après furent les evesqués et
les contes. En la tierce après fut l'evesque de Paris et
ceulx qui avec lui estoient commis de par le roy de
France et envoyés avec lui en la dicte legacion. Et fu*
rent les Françoiz assis par eulx^ dont Tevesque de
Paris fut moult esmerveillié. Et ne fut oncquez si
joyeuk le dit evesque comme quant il se vit hors du
povoir aux Âlemans. Et tout ce il raporta au roy de
France et à son conseil. Moult furent merveilliés le
dit evesque 9 les dénonciateurs et légats du roy de
France de ce qu'ilz furent assis à par eulx. Mais ce fut
pour deux raisons, la première pour le pape que les
Françoiz tenoient, et en ce erroient comme teuoient
les diz Àlemansy la seconde pour ce qu'il y avoit
à la court de l'empereur des princes d'Alemaingne qui
estoient ennemis du roy de France.
En Tan de grâce mil trois cens soixante dix neuf,
vindrent à Paris trois cardinaulx de par le pape Cle-
ment^ Et prescherent et firent preschier devant le roy
de France et devant le peuple que le pape Clément
estoit vray pape et que le pape Urbain n*estoit pas
pape. Le roy de France fut de leur acord, car le dit
pape Clément estoit de son lignage. Maiz les clercs de
rUniversité de Paris ne le furent pas ne le peuple. Les
prelas tindrent l'opinion du roy affin qu'ilz ne perdis-
sent leurs bénéfices. Et les autres princes de Crestienté
comme roys, ducs, contes, barons, nobles et peuple
de toute Crestienté, furent pour lors contre les diz
1. D*aprè4 Froissait (liy. II, ch. XLYni) et les Grandes chroniques de
France (t. VI, p. 452 et 457), le cardinal de Limoges d*abord, puis les
cardinaux de Poitiers et d'Aigrefueil, furent députés à la cour du roi de
France par le pape Clément.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 281
cardiuaulx et leur dit pape Clément, excepté ceulx de
France les aucuns.
En cel an, ouït bataille en mer des Ânglois aux
François. Et furent les Anglois desconBs. Et y oull
bien quatre vingt prisonniers et autant de mors, et fu-
rent les prisonniers admenés à Hareflen.
En cel an, le conte de Saint Pol qui moult est no-
bles homsy qui avoit esté long temps en prison en
Angleterre, pour soy délivrer sans paier raençon,
pour mauvaiz conseil qu'il crust, se alia avec le roy
d'Angleterre. Et vint le dit conte en Henault pour avoir
souldoiers et pour faire aliance au duc Aubert son
cousin. Le roy de France sceut comme le dit conte de
Saint Pol s'estoit trouvé avec le roy d'Angleterre. Si
fit prendre toute sa terre et tous ses chasteaulx, et fut
tout mis en la main du roy de France.
En cel an, du pais de MontpeuUier se rebellèrent
les gens pour ce que le duc d'Angou voult alever une
subcide sur le dit pais de MontpeuUier. Ceulx de
MontpeuUier occistrent les denunciateurs et lesmessa-
giers du dit duc d'Angou. Le duc d'Angou fit graut
assemblée de gens d'armes et de compengnes pour
aler sur ceulx de MontpeuUier. Et vint le duc d'Angou
jusques en Avignon au pape Clément qui luy fit grant
révérence, et envoia deux cardinaulx à MontpeuUier
pour traictier de la paix. Lesquels distrent à ceulx
de MontpeuUier que le duc d'Angou veuoit à grant
force, et que, se Uz ne faisoient acord, la cité seroit
en très grant péril d'estre destruicte. Tant parlemen-
tèrent les diz cardinaulx que par une somme de de-
niers d'or cil de MontpeuUier eurent leur paix et
en livrèrent hostages. Et lors entra le duc d'Angou
282 CHRONIQUE
à MoDtpeuUier, et vindrent ceulx de MontpeuUier à
mercy à luy.
En cel an, ung Breton, nommé monseigneur Sèves-
tre, fut décapité à IVlascon. Et le fit décapiter Ou-
dard d'AtainvUle, pour lors bailly d'icellui lieu. Cestui
Sevestre avoit aidé à conduire le pape Clément en
Avignon de Rommenye. Et pour celle cause deman-
doit au cardinal d'Amiens pour lui et pour cil de sa
route trente mille frans. Le dit cardinal, qui estoit
venu devers le roy de France à Paris auquel il fît tant
de plaintes de cestui Sevestre, disoit qu'il Tavoit voulu
prendre et détenir et qu'il avoit pillié eu royaume de
France et bouté feu et fait bouter. Par quoy il (ut
mandé au bailly de Mascou qu'il le feist décapiter. Et
pour lors estoit venu le dit monseigneur Sevestre a
Mascon pour pourchasser sur le dit cardinal la somme
d'or dessus dicte. Comme le dit Oudart d'Atainville
sceut que le dit monseigneur Sevestre estoit à Mascon,
il assembla des gens d'armes et prist le dit monsei-
gneur Sevestre, et le fît decappiter en la ville et ung
syen compagnon^ Car dehors la ville ne le eust il osé
faire, pour les routes des gens d'armes dont il estoit
chief. Et quant les dictes roules de gens d'armes
sceurent que le dit monseigneur Sevestre fut occiz, fu-
rent moult yrés et tous forcenés. Et pour celle cause
fîrent des maulx tant entour Mascon que ce fut pitié,
car ceulx le comparèrent qui n'y avoient coulpe.
Comme le dit cardinal d'Amiens estoit par devers le
I . Sur ce Seyeftre Bude et certain motif penonnel de U haine qae kn
portait le cardinal d* Amiens, Toy. FroiMart, liy. II, oh. u, éd. du Fuh
théon, t. II, p. 65.
D£S QUATRE PREMIERS VALOIS. f83
roy de France à Paris, aucuns de la court ennorterent
monseigneur le Daulphin que le dit cai*dinal avoit ung
deable prive qui lui disoit les choses passées et avenir.
Dont il advint que , comme le dit cardinal vint une
foiz devers le roy de France, monseigneur le Daul-
phin y estoit. Et comme il vist le dit cardinal venir,
il commença à seingnier par plusieurs fois et à dire :
a Chassies ce dyable, fuyés ce dyablel » De ce fut
trop yrés et dolent à merveilles le dit cardinal. Et
pria au roy qu'il Teist tant à mon dit seigneur le Daul-
phin qu'il deist qui luy avoit dit que le cardinal avoit
ung dyable privé. Monseigneur le Daulphin respondy :
« Tout le monde le dit, » et que pour Dieu le roy n*a-
prochast point de lui, ne onc n'en voullu dire autre
chose ; ne pour beau parler ne pour menace ne voult
oucques dire qui luy avoit dit\ l'antost après, le dit
cardinal prist congié du roy de France et s'en retourna
en Avignon pour demourer avec le pape Clément.
En cel an, les Bretons, lesquelz s'estoient renduz au
roy de France, vouldrent avoir duc et ne vouldrent
pas sans moyen' estre au roy de France comme est la
duchié de Normendie. Et pour ce furent fais plusieurs
i. Le Dauphin avait déjà dix ans à cette date. Froissait n'a pas
fait mention de cette piquante anecdote, où se voit si bien quelle
fat toujours la crédulité et la faiblesse d*esprit du fils et du successeur
de Charles le Sage. Le rédacteur des Grandes Chroniques de France, le
chancelier Pierre d'Orgemont, qui vivait à la cour, dut avoir connais-
sance de ce fait; mais il n'avait garde de lui donner place dans son
œuvre. Le roi, son maître, fut sans doute surpris et péniblement affecté
d*one telle aventure. Pour nous, elle est un présage de la tragique scène
de la forêt du Mans, et nous y voyons poindre, treize ans à l'avance, la
folie de Charles VI.
S. Sans moyen, c'est-à-dire sans milieu, sans intermédiaire, direc-
tement.
284 CHRONIQUE
parlemensy car aucuns voulloient que monseigneur
H. de Blois Teust duc de Bretaingne. Et ad ce ten-
doient fort le duc d'Angou, le sire de Clichon et mon-
seigneur Bertrau de Clacquin, conneslable de France.
Maiz la plus grant partie des Bretons voulloient avoir
à duc Jehan, le conte de Montfort, qui ja fut leur duc.
Et en son aide estoit le conte de Flandres, son cousin.
Pour ce fait et pour la paix d'entre le roy de France
et le roy d'Angleterre, furent fais plusieurs parlemens
tant à Saint Osiner et en la marche comme en la
marche de Bretaingne.
En cest temps et en cest an^ le conte de Flandres
voult alever ung subcide dessus ses hommes. Maiz
les Flamens se esleverent et se rebellèrent tant qu'il
fallut que le conte vuydast de Flandres et cil de sod
hostel. Et se mistrent les diz Flamens sur les champs
et estoient bien cent mille. Et alloientde Gant à Bruges
et à Yppre et mandèrent le conte qui estoit à Lysle.
Et leur jura le dit conte à les tenir franchement et
partant se appaiserent. Et après ce le conte ala à Pa-
ris devers le roy de France.
En cel an, les Espaingnolz firent grant armée sur la
mer et singlerent en Escosse. Les Escos se mistretit en
leur aide. Et leur livra passage monseigneur Guillaume
DuglaSi et coururent en Angleterre etardirent et brui-
rent le pais, et y firent grant domaige en celle partie.
En cel an, les enfans au conte de Fois vouldrent
faire mourir leur père et l'empoisonner. Leur père le
sceut; il fit prendre ses filz et leur fit cognoistre toul
le fait, et puis les fit mettre en chartre. Aucuns
distrent que ce fut par la promocion du roy de Na-
varre, leur oncle.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 285
En Tan de grâce mil trois cens quatre vingt, le par-
lement du traictié et accort d'entre le rov de France
et le roy d'Angleterre estant et séant, les Anglois ar-
dirent en la coste de Picardie Ëstaples* et autres
villes.
En cel an, le conte de Fondres et N. de La Salle et
les souldoiers Normans, Bretons et autres pour le
pape Clément se combatirent aux Rommains et en
mistrent à desconfiture plus de quatorze cens que mors
que prins.
En cel an 9 trespassa de cest siècle monseigneur Ber-
tran de Clacquin, connestable de France, devant ung
chastel appelle Chasteau Neuf de Landon où il avoit
mis le siège. Et duquel chastel les Anglois qui le te-
noient lui apportèrent les clefs du dit chastel grant
pièce après qu'il l'oult assiz pour la très grande renom-
mée et double qu'ilz avoient de lui en son paveillon
où il estoit couchié malade au lit de la mort'. Et les
reçut eu nom de son souverain seigneur le roy de
France. Auquel après Dieu et la Vierge Marie sa mère
et leur très saincte compaignie il se recommanda et
aux dux et frères du dit roy et à tout le noble sang de
France et geueralment à tous nobles, prelas et peuple
de tout le dit royaume de France. Et bientost après,
les sains sacremens eux et receus moult dévotement,
fina ses jours et rendi son esprit à Dieu. Il trespassa
en ce dit an mil trois cens quatre vingt, eu mois de
juillet*. De sa mort fut moult grant domaige au
\ . Étaples, Pat-de-Calaifl, arr. de Montrenil, ch.-l. de c.
3. Cf. Froiftsart, Ut. II, ch. lxit, t. II, p. 03. — Le* Grandet Chroniques
de France^ t. VI, p. 466, ch. orz.
3. Le 13 juUlet.
286 CHRONIQUE
royaume de France. Et en fut le roy moult dolent et
couroucé. Car pour lors et eu temps les Angloi
estoient descendus à CaUais les plus fors que pieça des-
cendissent et estoient esméz à plus de quinze mille
combatans. Et y estoient grant partie des barons
d'Angleterre. Hz chevauoerent sur le royaume et se
logèrent de coste Therouenne. Là pristrent deux pe-
tites forteresses qu'ilz abatirent. Puis se deslogerent et
coururent sur le royaume de France, sourmontant les
rivières jusques en Soissonnois, puis de là jusques à
Troye en Champaigne, comme avoit. fait au devant le
duc de Lencastre o tout son host. Car là cuidoient du
duc de Berry, du duc de Bourgoingne^ du sire de
Coussy, du mareschal de Sancerre, du mareschal de
Blain ville et des barons de France avoir la bataille.
Maiz ilz n'estoient pas eiicoires assemblés , et si ne
eust pas le roy de France conseil qu'ilz fussent com-
batus. Les diz Anglois passèrent Seyne et chevau-
cerent vers la rivière de Loire et jusquez en Bretaingne
et en Guienne.
En cel an, le duc de Braban, oncle de l'empereur
et du roy de France, et le duc Aubert vindreot à Pa-
ris pour faire la paix au conte de Saint Pol, lequel
estoit départi de avec les Anglois et estoit eu Tempire
es parties de Henault. Eulx disoient que ce que le dit
conte de Saint Pol avoit fait n'estoit fors pour soy dé-
livrer de prison.
En cel an, le conte de Flandres vint à Yppre à
Faide de ceulx de Franc et de cil de Bruges, et là fit
decappiter plusieurs de ceulx d'Yppre.
En cel an mesmes, ouït très grant guerre entre les
Flamens les ungz contre les autres à Bruges, et puis
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. Î87
reoult forte guerre de ceulx de Bruges contre ceulx de
Gant. Et furent ceulx du Franc avecquez ceulx de
Broges, et mistrent gens sur les champs les ungs
contre les autres Et se combatirent et en eurent
du pirs ceulx de Gant. Apres ceulx du Franc et de
Bruges Tindrent devant Gant k bien cent mille honmies
armés, comme Ten dit.
En cel an et en ce temps, Jehan de Monlfort vint
en Bretaingne, lequel par les Bretons qui desiroient
avoir duc fut receu de partie des Bretons à duc et à
seigneur. Et pour ce fait vint par devers le roy de
France monseigneur de Clichon, lequel en amena avec
soy bien mille glaives.
En ce dit an mil trois cens quatre vingt, le quin-
ziesme* jour du mois de septembre, trespassa de cest
siècle Charles le roy de France, filz du roy Jehan de
France, à Beaulté sur Marne au bout du bois de Vin-
cennes. Et comme le dit roy se senty griefment ma-
lade, sa crestienté le remort de ce qu il avoit soustenu
le pape Clément qui fut cardinal de Genevre contre
le pape Urbain. Et dit que, se le pape Clément ne ob-
stenoit deuement le Saint Siège, en tant comme il le
avoit soustenu, et se pechié y avoit, il en crioit à Dieu
mercy. Et oultre il se rapportoit et creoit du tout en
l'ordonnance de saincte Eglise et eu gênerai concilie
de toute Crestienté. Moult estoit sages et bien moral
et bon justicier d'onneur et d'estat; larges fut à don-
ner grandement ; par son grant sens atrait à soy et
sourmonta grant partie de ses ennemis. Il conquit et
1. Le 16 septembre, d'après les Grandes Chroniques^ t. VI, p. 469,
ch. CTx, et aussi d*après riuscription qui se lisait sur le tombeau de
Cbarles Y dans Téglise de Saint-Denis.
288 CHRONIQUE
assembla grant trésor. Moult ama ses officiers et moult
les accroissoit. Il avoit sa plaisance à faire nobles édi-
fices. Il fît moult de bien en plusieurs églises en son
royaume, comme à Nostre Dame de Paris et à Nostre
Dame de Rouen donna il grans rentes en son vivant.
Il ordonna que son cueur seroit en terre au cueur de
la dicte église de Nostre Dame de Rouen.
Comme il fut en la maladie de la mort, il fitabatrele
subcide des feux qui couroit par son royaume sur le
peuple y dont le peuple estoit moult grandement
grevé'. Le corps du dit roy, comme il fut trespassé,
fut ouvert, enbasmé et ordonné comme il est accous*
tumé de faire aux roys de France et fut apporté à Pa-
ris. Et comme le corps deubt partir de Saint Anthoine
à venir à Paris, là estoit tout le clergié de Paris, les
frères du roy et grant foison de barons. L'Université
de Paris, le recteur et les maistres des quatre Facultés
vouldrent aler devant au plus près du corps du roy
devant le chappitre de Nostre Dame de Paris et le
chappitre de la Saincte Chappelle du palais du roy.
Làsourdiung grant débat dont le prevost de Paris,
Hugues Aubriost, ungs homs crueux, lui et ses ser-
gens armés, coururent sus aux clers , et en navrèrent
plusieurs, et bien plus de trente six en mistrent en
prison. Les clercs n'estoient pas armés, si furent pour
ce jour les plus fiebles*. Adonc fut crié de par mon-
seigneur le duc d'Angou par son commandement que
1 . Cette ordonnance, qoi se trouvait parmi celles de Charles VI dam
le mémorial E de la Chambre des comptes de Paris, fut enveloppée
dans l'incendie du 27 octobre 1737, avant que Secousse en eût pu
prendre copie pour la faire entrer dans son excellent recueil.
3. Cf. Grandes Chronique*^ t. VI, ch. cix, p. 460 et 470.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 289
aucuns ue feissent rumeur. Lors fut apporté le corps
du dit roy à Nostre Dame de Paris où il fut aiusi re-
ceu comme il est acoustumé. Et randemain il fut porté
à Saint Denis où il tut sevelis et mis en terre , et son
service très solennelment fait. Et auprès de sa sépul-
ture ou tumbe estoit et est la sépulture de son bon
connestablcy monseigneur Bertran de Clacquin, en
son temps duc de Moulines , conte de Burgues en Es-
paingne et conte de Longueville en Caux.
En cel an, le jour de la Saint Denis, fut fait le ser-
vice du dit cueur du roy à Rouen. Et fut mis le dit
cueur eu très noble sépulture eu milieu du cueur de
la dicte église de Nostre Dame de Rouen. Et furent
au dit service Tarchevesque de Rouen et autres pre-
las, abbés, monseigneur de Blainville, mareschal de
France, monseigneur de La Rivière et les autres exce-
cuteurs et officiers du roy. Et n*y ouït nul des fleurs
de lis. A très grant révérence fut mis le dit cueur en
sépulture.
Or retourne à parler des Anglois comme, après ce
que les ducs d'Angou, de Berry et de Bourgoingne et
les grans seigneurs de France qui parsuioient les An-
glois se furent partis des routes pour venir à Paris
pour la mort du roy, tous les gens d'armes françoiz
se départirent. Et ainsi s'en alerent et passèrent les
Ânglois, comme devant dit est.
En cest temps le conte de Flandres, cil de Bruges,
cil de Yppre et cil de Franc furent à siège devant
Gant qui est une très forte ville. Et cil de Gant se def-
fendirent très effbrciement. Et moult souvent yssoient
cil de Gant couti*e leurs ennemis et leur portoient
grant domaige. Comme cil de Gant se virent assiégés
19
290 CHRONIQUE
de leur seigneur et du peuple de Flandres, les gros se
doublèrent du menu peuple et parlèrent aux menus
comme cil de Bruges les vouUoient efTacier et la ville
de Gant du tout destruire et déserter. Lors fut le menu
commun en plus grant voulenté que les grans d'eulx
defTendre. Adonc quant les clievetaines de Gant sceu-
rent la voulenté du commun, ilz firent faire d'un
acord plusieurs feux parmy Gant et firent crier par
Gant, a Trahy! Trahy 1 » Ceux de Tost qui estoient à
la porte devers Bruges d'icelle part coururent et en-*
trerent dedensGant. Cil de Gant avoient fait une em-
busche de plus de douze mille hommes armés Et se
combatirent à ceulx de Tost et en occistrent plus de
cinq mille. Et les rebouterent les autres hors de leur
ville. En ceste guerre des Flamens nulles gens d'armes
qe s'i vouUoient bouter, car nul n'y estoit prins à
raençon.
En cest temps que le siège estoit devant Gant, le
conte de Flandres fit dire à ceulx de Tost comme par
droit il devoit estre au sacre du roy de France, et que
c'estoit le droit au conte de Flandres, car le conte de
Flandres est un des pers de France. Maiz les Flamens
ne vouldrent souffrir qu'il laissast leur host durant le
dit siège devant Gant. Le conte de Flandres et cil de
Gant furent d'acort que le conte tendroit cil de Gant
en leurs franchises et libertés. Et lors entra le conte
de Flandres en Gant où il fut receu très grandement.
Et cil de Tost se deslogerent et s'en alerent chacun en
son repaire moult doubteux de ceulx de la ville de
Gant.
En cel an mil trois cens quatre vingt, à ung jour
de dimenche apfes la Toussains, fut le noble jeune
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 191
roy de FraDce, nommé Charles^ filz du roy Charles de
France, sacré, enoint et couronné à Elains à très grant
et très haulte solennité, très haultement et très noble-
ment acompaignié des ducs ses oncles etdesplushauU
et nobles barons de France, Et y ouït feste très grant
et très planiere. Âpres le sacre et couronnement du
dit roy, à celle belle compaignie de ses diz oncles, le
duc d'Ângou, le duc de Berry, le duc de Bourgoingne
et le duc de Bourbon et les contes, barons et nobles
de France, le dit nouvel roy de France se parti de
Rains et s'en viqt à Paris où il fut receu très haulte-
ment. Et furent cil de Paris, à sa joyeuse venue, ves-
tus de blanc et de vert.
Apres ce que le roy fut venu à Paris, aucuns nobles
et ceuU de Paris ne vouldrent plus que les subveb-
cions, comme de Timposicion de douze deniers pour
livre, la gabelle, le quatriesme et le treiziesme, cou-
russent. Et vindrent cil de Paris requerre au roy et au
duc d'Angou comme les subvencions cheissent, et que
tout le peuple en estoit essilliéz et mis à povreté. Le
chancellier nouvel respondi que Tandemain on leur
en donueroit responce. Et comme le dit chancellier
s'en aloit et partoit du palais, une grant quantité de
peuple le prist et luy crioit en demandant qu'ilz
eussent response se les maies subvencions estoieot
cheutes. Ce chancellier par aventure doubta et leur
respondi que le roy et monseigneur d'Angou voul-
loient que tout cheist. Et donc menèrent le dit chan->
cellier par les boictes où l'on cuilloit les dictes sub*
venqiqns. Apres, cil de Paris amenèrent le prevost des
marphans au palais pour avoir confirmacion comme
le^ diQtes subvencions estoient abatues. Et la avoit
292 CHRONIQUE
plus de vingt mille hommes vestus de btaDc et de vert.
Mouseignem* le duc d'Angou, de Benry et de Bour-
goingne et monseigneur de Clichon, lequel fut fait
nouvel connestable, et le chancellier et grant nombre
de grans seigneurs vindrent à la pierre de marbre au
palais. Et là fut dit à ceulx de Paris que le roy vouloit
que toutes sucides obéissent et fussent abatues. Donc
crièrent très haultement cil de Paris : « Noël ! Noël !
Planté 1 Vive le roy de France! Montjoye Saint-
Denis !» Et à ceste assemblée et criée fîit crié : <c Aux
Juifzl Aux Juifz! Aux Juifzl » Adonc ala Ten sur
eulx, et furent pilliés les Juifz, et ung de leurs eves-
ques occiz. Maiz le roy y envoia hastivement monsei-
gneur le duc de Bourbon, disant que le roy preooit
tout en sa garde tous les Juifz de son royaume. Et par
les autres villes du royaume furent mis les Juifz en la
sauvegarde du roy. Apres ce que les maies subven-
cions ou imposicions furent abatues, il fut acordé et
ordonné que Ton feroit certaine aide au roy pour la
defTence de son royaume, et que les provinces et pais
y pourverroient, et la provision devers le roy et mon-
seigneur le duc d'Angou, de Berry et de Bourgoingne
et le conseil rapporteroient.
Aprez ce les Normans firent ung parlement à Rouen
où là furent partie des prelas et barons de Nor-
mendie, c'est assavoir Tarchevesque de Rouen, Guil-
laume de Lestrange, Nichole du Bosc, evesque de
Baieux, conseiller du roy, et moult d'autres gens d'é-
glise, tant abbés que autres, monseigneur Philippe
d'Artois, filz du conte d'Eu, le conte de Harecourt,
monseigneur Jacquez de Harecourt, monseigneur
d'Estouteville, monseigneur de Blainville, monseigneur
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 293
de Hambuye, monseigneur de Beaumesnil, monsei*
gneur Nichole Paynel, monseigneur d'Enneval, mon-
seigneur de La Fer té, et moult d'autres nobles et des
bourgois notables des bonnes villes. En icestui parle-
ment, par fourme de adviz, furent aucunes choses ra-
menteuez par aucuns qui pour lors ne sortirent point
leur effecty comme Estieune du Moustier, cappitaine
de Harefleu et visamiral, lequel parla et dit que c'es-
toit la meillieur voye que de avoir douze deniers ou
huit deniers pour livre. Maiz tout le peuple et grant
partie des nobles distrent : « Rien, rien. » Et se fai-
soit cestui parlement en palais de Tarchevesque de
Rouen. Et furent tous d'acort qu'ilz feroient comme
ceulx de Paris. Et tenant ce dit parlement, vindrent,
de par le roy et le duc d'Angou, monseigneur Estienne
de La Grancke et maistre Jehan Pastourel, conseillers
du roy. Lesquelz ambaxadeurs exposèrent comme,
pour la provision et deffeuce du royaume, il falloit
huit mille hommes d'armes, et oultre pourveoir à
Testât du roy. A brief raconter, il fut respondu aus
diz aml^axadeurs que on yroit à Paris, et que la pro-
vince de Normendie feroit comme les autres pro-
vinces. Et fut prise journée au jeudi avant Noël. Et là
à Paris furent fais plusieurs parlemens de toutes les
provinces du royaume de France, où furent prelas,
nobles et gens des bonnes villes de toutes les pro-
vinces du dit royaume, pour avoir adviz ensemble.
Et fut en cest temps ordonné à cueilUr ung aide pour
la provision et deffense du royaume, c'est assavoir par
fourme de feux, dont le plus grant paioit pour sep-
maine deux sous six deniers, et les autres, selon leur
faculté ou possibilité, au dessoubz^ dont le mendre
i^k CHRONIQUE
on mendres paioient ^ ... Et estoient en ceste aide corn-
prins variés, servans et chamberieres ou meschinez
gaignans louier. Et se cuilloit ceste aide par certaine
hommes ad ce commis selon les paroisses, et apor-
toient les deniers à ung receveur gênerai ad ce or-
donné selon les dyoceses.
En cest temps, les Angloîs, qui avoient couru
comme dit est par le dit royaume de France, mistrerit
le siège devant la cité de Nantez en Bretaingne.
En Tan de grâce mil trois cens quatre vingt et ung,
ouït une bataille en Flandres de ceulx de Gant contre
le conte de Flandres et cil de Bruges. Et furent cil de
Gant desconfiz bien six mille qui estoient sur les
champs, dont la greignieur partie furent mors. Âpres
ceste bataille^ le conte de Flandre vint devant Gafnt,
et y fut deux jours et une nuyt, e( puis s'en parti. Le
dit conte avoit en sa compaignie en la dessus dicte
batallè bien sept cens bons hommes d^armes, tant de
ses nobles comme Anglois, Alemans et Brabançons,
par lesquelz principalment en ceste dessus dicte ba-
taille furent desconfiz ceulx de Gant. En l'esté, revint
le conte de Flandres devant Gant pour mettre siège, et
avec lui ceulx de Bruges.
En celan, fut Hugues Aubriost, prévost dû roy à
Paris, par l'Université reprins de hefesie, de botlgre-
rie, d'estre sodomite et faulx crestien. Et fut faicte
par le pourchas de l'Université vraye informâcion
contre le dit prevost. Par laquelle il fut trouvé que le
dit prevost avoit fait plusieurs horribles et abhomi-
nables fais, coxame de habiter aux feiïunes bestial-
f • LacoDe d*an on denx mots dan» le ms.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. Î95
ment contre nature, d'avoir eu compaingnie aux
JuifVez chamelmenty comme d'enfans de Juifz qui
avoient esté crestiennés de les rendre aux Juifz, comme
d'avoir corrompuez femmes, puis avoir fait pendre les
maris, pour estre sodomite et non tenant la lo.y cres-
tienne. Desquelles choses, par juste et vraye informa-
cîon, le dit prevost de Paris fut ataint et prouvé coul-
pable. Maiz, pour Tamour et honneur du roy et dei
ducs d'Angou, de Berry et de Bourgoingne, ses oncles,
qui grandement le soustenoient, fut icellui prevost
respité d'estre ars, comme cil qui Tavoit trop abho-
minablemeut deservi. Et fut jugié par Tevesque de
Paris et par l'Université de tenir prison chartrée. Et à
le dampner avint que Tevesque de Paris fit ung ser-
mon où il dit en la fin que tous ceulx qui ne creoient
que le cardinal de Genevre fust vray pape estoient
hereseset scismatiques. Apres le dit sermon, le dit
Hugues Aubriost si jura à tenir sa penitance et sa pri-
son, sur peine d'estre ars sans mercy. Pour le fait de
cestui Hugues Aubriost, eurent moult des suffisans
clers et maistres de l'Université de prières, puis dé
menaces par monseigneur Jehan de Vienne. Aprez la
predicacion de l'evesque de Paris, se firent plusieurs
assemblées générales de l'Université de Paris. Et fut
déterminé par toutes les quatre Facultés que c'estoit
contre Dieu, contre droit et contre raison et erreur à
toute crestienté qu'il soit deux papes. Car il n'en doit
estre que ung, ne, tant comme il soit dedx papes, ilz
distrent que aucun ne seroit tenu à herese ne à cisma*
tique qui ne croirroit le pape Clément estre pape. De
ce se courouça grandement le duc d'Angou contre
l'Université,' et les fit menacier et mander par l'ami-
Î96 CHRONIQUE
rai de France, Jehan de Vienne^ et par plusieurs
grans seigneurs^ comme ilz tenissent à pape le pape
Clément. Et de fait en fit le dit duc d'Angou pour ce
fait mettre ung suffisant et vaillant clerc en prison.
Dont l'Université cessa à lire et à faire le fait de Tes-
tude, et autres bons clers se trairent arrière pour
doubte du duc d' Angou et aucuns prelas adherens et
soustenans le dit pape Clément. En cest temps, ne
ouït point de beneiçon au Lendit pour le descort de
rUniversité. Car le duc d'Angou, par sa force, ne
souffri que l'Université procedast à faire concilie gê-
nerai.
En cel an, Jehan de Montfort refu saizi de la duchié
de Bretaingne, et en vint de rechief faire hommaige
au roy de France, accompaignié de moult de nobles
hommes.
En cel an, Charles de La Paix, parent au roy de
Honguerie, conquist sur la royne de Cezille grant
partie de sa terre. Et en cel an le roi d'Arménie perdi
son royaume par le soudent et par les Turcz, et fut sa
femme prise et mise en prison, et le dit roy s'en vint
en France. Et fut aussi en Angleterre pour avoir
aide, puis s'en retourna à Paris. Et en cel an excom-
munia le pape Urbain Jehan le roy d'Espaingne, filz
du roy Henry.
Cy retourne à parler de monseigneur Charles de
La Paix, qui conqueroit grant partie de la terre à la
royne Jehenne, royne de Cezille, de Napples et de
Jherusalem. Ceulx d'Avignon eureïit doubte de la
puissance de monseigneur Charles de La Paix, qui te-
noit le parti du pape Urbain, et vindrent devers le
pape Clément et lui distrent : a Nous doubtcos la
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 297
puissance de monseigneur Charles de La Paix et qu'il
ne viengne nous guerroier pour vous. Si y vueilliés
pourveoir, car nous ne voulions pas estre destruis.
Et se par aventure avient qu'il viengne sur nous, nous
obéirons à luy. » Par ce fut délibéré par le pape Qe-
ment et par les cardinaulx que, se leurs ennemis ve-
noient en Avignon ou es parties, qu'ilz yroient à Lyon
sur le Rone.
En langue d'oc, a vint que les citoiens de Beziers
furent rebelles contre le duc d'Ângou ou de Berry,
par quoy on mist à mort moult de ceulx de Beziers
qui s'estoient rebelles contre ledit duc d'Angou, oncle
du roy de France.
La royne Jehanne de Cezille, comme elle vit qu'elle
perdoit ses terres et n avoit povoir de résister contre
le dit monseigneur Charles de La Paix, elle descript
par certains messages à monseigneur le duc d'Angou
qu'elle lui delessoit toute sa terre, maiz ce fut à
tort. Car monseigneur Charles de La Paix, par force
d'armes, conquist Napples. Et là ouït mainte grosse
besoingne et mist en son obéissance le royaume de
Napples. Et sur ce le duc d'Angou se parti de Paris
pour les causes dessus dictes, et s'en ala à Avignon et
en Prouvence pour aler oultre en Cezille à grant
quantité de nobles hommes de France et de bonnes
gens d'armes. En cel an, au devant de Noël, Richart,
le nouvel roy d'Angleterre, prist à femme la seur de
l'empereur de Romme et d'Alemaingne, et fut menée
en Angleterre.
En cel an mil trois cens quatre vingt et ung, le duc
de Berry et de Bourgoingne vouidrent avec le conseil
du roy de France mettre sus l'imposicion de douze
298 CHRONIQUE
deniers pour livre avec les autres subvencions. Dont
il advint que, le jour saint Mathias, le lundi, premier
jour de la quarantaine, aucuns du menu commun de
la cité de^ Rouen s'esmeurent contre les boui^oiz et
gens d'estat pour ce que on vouloit par le roy mettre
sus Timposicion. Et pour celle cause vindrent iceulx
mal avisez et mal conseilliez es hostelz d'aucuns des
notables bourgoiz de la dicte cité, et rompirent es diz
hostieux ou maisons huis et fenestres, Imches, coffres,
parois, verrières. Et pristrent, ravirent et pillèrent et
emportèrent, cassèrent et enfondrerent les biens d'au-
cuns d'iceulx bourgoiz. Et pour la doubte d'iceux mal
conseilliez, se absentèrent d'aucuns des plus notables
bourgoiz d'icelle cité. Lesquelz, par contrainte, tant
pour la doubte de leurs femmes et enfans que de leurs
hostieulx et biens qu'ilz avoient en la dicte cité, dont
ilz estoient menacés de iceulx à tout perdre, fallut
qu'ilz venissent à obéissance. Et firent iceulx mal con-
seilliés, par aucuns jours ensuivans, très grosse assem-
blée en Tettre de Saint Ouen en la dicte cité. Es quelles
assemblées firent de fait apporter en la dicte place la
lettre de la rente que prenoient les doyen et chappitre
de Teglise Nostre Dame de Rouen sur les revenues des
halles et moullins d icelle cité, du don du roy Charles
derrainement trespassé. Et oultre en icelle place iceulx
malconseilliés vouldrent de fait désister et faire renon-
cier les religieux, abbé et couvent de Saint Ouen de
Rouen à tous procès et plaidoieries qu'ilz avoient vers
la ville, et avoir d'iceulx religieux quictance générale
de tout ce qu'ilz pourroient demander à la dicte ville.
Apres ces clioses ainsi faictes, el plusieurs ordonnan-
ces non vaillables par eux Csûctes, fut conseiliié d'en-
DES QUATRE PREmERS VALOIS. 299
voyef devers le roy de France, pour apaisier et excu-
ser les bon» citoiens envers lui et son conseil. Et pour
ce fairCy enf la compâignie de raonseignear de Blain-
ville furent ordonnées certaines personnes de la dicte
ville^ tant clers, advocas comme boui^ois noublés.
Lesquelz, poW la grânt tribulacion qui estoit en la
court du roy^ s*eD retournèrent sans aucune chose
faire.
En cel an, à dfig jour de samedi, premier jour de
mars, eti la cité de Paris, s'esmeut aussi le comun
pour ce aussi que on voulloit ipettre sus Timposicion
et les autres subcides. Et coururenf iceuh menus gens
sur ceulx qui avoient esté impositeuts et en occistrent
aucuns. Et aussi âlerent sus aucuns officiers du roy
touchant les dictes imposicions où ilz firent moult de
excès et rompirent, pristrent et pillèrent ce qu'ilz peu-
rent de bon avoir et hostelz d'iceûlt officiers. Puis
vindrent et rompirent les prisons du roy de Clifastellet
et délivrèrent les prisonniers et derompirelit et depie-
cerent les registres^ actes et chartres qu'ilz trouvèrent
eu dit Chastéllef touchans le roy et sa juridiscion et
touchans parties. Puis alerent en Tostel de Tevesque
de Paris et semblablement laissèrent aler les prison-
niers qui y estoient et les délivrèrent. Entre les autres
prisonniers de la dicte court ilz délivrèrent Hi^uea
Aubriost, lequel avoît esté prevost de Paris, comme
devant est dit. Et de fait le menèrent par k vUle de
Paris avec euh, puis se pàHi le dit Hugues d'iceulx et
s*en ala hors de Paris.
Apres ces choses ainsi advenues^ le roy de France
qui estoit enfant, avec lui le duc de Bourgoingne, son
oncle et sod oônseil, se partirent du bois de Vin-
300 CHRONIQUE
cennes et vindrent au Pont de l'Arche à quatre lieues
de Rouen où iiz furent une partie du quaresme. Et là
furent aucuns des bourgois de Rouen devers le roy
pour excuser les bons bourgois et citoiens de la dicte
ville de Rouen. Et après ce que le roy et monseigneur
de Bourgoingne et le conseil du roy eurent esté très
bien infourraés du dit fait ainsi advenu en la dicte cite
de Rouen, ilz se tindrent bien contens des bourgois
et gens d'estat d'icelle ville. Et pour ce que chacun
doit avoir son louier de sa mérite, furent prins ceulx
qui furent et peurent estre trouvés les plus coulpables
d'icellui meiïait à Rouen, et furent mis en prison. Et
d*iceulxy par l'ordonnance du roy et de monseigneur
de Bourgoingne et du conseil du roy, en furent déca-
pitez six. Et des autres qui estoient en prison furent
menés douze eu chastel de Fontainez Le Bourg % qui
est à Tabbé et couvent de Fescamp.
Âpres ce, se parti le roy du Pont de l'Arche, et avec
lui son oncle le duc de Bourgoingne, et moult de no-
bles hommes, avec lui son conseil, pour venir à
Rouen. Et à sa joieuse nouvelle venue alerent les ci-
toiens hors de la ville bien deux lieues pour recevoir
le roy joyeusement et aconvoier en sa cité. Et estoient
des citoiens bien six cens à cheval et plus. Et estoient
les diz bourgoiz et moult d'autres de la cité tous ves-
tus de robes pareilles de couleur, c'est assavoir de
couleur asurée et de vert, dont l'asure estoit à destre.
Le roy fut à Rouen très haultement receu, et fit grâce
planiere par toute la cité, et y fut et séjourna toute la
sepmaine peneuse, et puis se parti aprez Pasques.
I. FonUme-le-Bourg, Seine-Infâricare» arr. de Rouen» e. de Oèrei.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 301
Ainçois que le roy entrast à Rouen, il falut que les
gens de la ville portassent leurs arnieures au chastel
de Rouen. Laquelle chose ilz firent bonnement. Et si
furent les manteaulx de la porte de Martainville par où
le roy entra en la dicte ville ostëz et mis jus. £t si
prist le roy la mairie, la jurisdicion, corps et com-
mune de la dicte cité en sa main, puis entra et vint en
la ville la vigile de Pasquez Flouries. Le roy estant à
Rouen, fut par les barons et prelas et bourgois de Nor-
mendie acordëe l'imposicion eu cas que les autres
provinces du royaume de France l'acorderoient.
liC jour de Pasques mil trois cens quatre vingt et
deux, tint le roy de France court planiere en son
cliastel de Rouen aux nobles de Normendie. Et là fut
fait capitaine de Rouen monseigneur Guillaume de
Bellengues. Et Tandemain du jour de Pasques le roy
se parti de Rouen. Et le vendredi ensuiant furent ren-
duez les armeures à ceulx de Rouen qu*iiz avoieat
baillies par bonne obéissance. Et le lundi d'après Qua-
simodo, des douze qui furent menés au chastel de
Fontaines le Bourg, ains que le roy entrast en Rouen,
comme dit est, en furent six penduz au gibet de
Rouen, et les autres six ramenés en prison au chastel
de Rouen qui puis par la grâce du roy furent délivrés.
Et n'estoient tous iceulx que gens de petit estât et de
malle vie.
Le roy et le duc de Bourgoingne, avec le conseil du
roy, après ce qu'ilz furent départis de Rouen, ilz allè-
rent à Compiengne pour mettre sus le fait de l'imposi-
cion et la plus grant partie des nobles de Picardie. Et
aucuns des bonnes villes d'icellui pais acorderent
l'imposicion .
30S IÇHR0NIQU9
Âpres ce^ le roy et monseigneur de Bourgoingne
avec le conseil alerent à Meleun pour ce que Paris
acordast Timposicion. Maizpar vpie nulle ne s'i voul-
drent acord^r, et firent par aultre composicioii. Et
par ce furent pour lors paix et acort entre le roy et
eulK. £t se départirent les gens d'armes que le duc de
Bourgoiqgne tenoit sans avoir aucun pillagf de Paris
ne de Rouen. En laquelle chp^ ilz avoient grant
espérance et s'i' attendoient. Pour laquelle espé-
rance et attente ^ aucuns nobles envolèrent en places
vuides et foraines des charettes vuides où il n'avoit
que ung pou d'estrain ou feurre aHin de avoir, char-
gier et emporter aucun pillage dç l^ dict^ ville, si le
cas s'oCFroit,
En cel an mil trois cens quatrevingt et deu^, le jour
de Saincte Croix en may, chevauciereqt cil (le Gant
contre cil de Bruges, et cil de Bruges yessirent contre
cil de Gant. Et là ouït une dure et forte bataille. Maiz
ceulx de Bruges furent desconfis. Puis entrèrent de
fait cil de Gant en Bruges où il reoult une forte ba-
taille et dure par toute la nuyt. Et là ouït très horrible
occision de ceulx de Bruges qui dura jusques au di-
menche environ tierce. Et lors conquistrent çil de
Gant la ville de Bruges et la très grant richesse 4^ cU
de Bruges, sans que cil de Gapt mefleiasent aux fem-
mes ne aux enfans, ne que en la dicte ville de Bruges
preinsent ne meffeissent aux derrées ou marchandises
qu'ilz sceussent qu'ilz fussent aux François ne à autres
marchans forains. Mais iceulx de Gant obtindrent et
demourerent en la dicte ville de Bruges, cpipnie seî^
gneurs et conquesteursd'icelle ville, sans contradieioD
aucune, tant comme il leur pleut. Car le conte qui es-
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 303
toit en la dicte bataille de la première desconfiture
s'enfuy à petite compaignie pour soy sauver, et se
eschappa et s'en vint en la conte d'Artois qui i^ouvel-
lement lui estoit echeue de par sa mère. Et furent en
icelle première bataille et desconHture tous les gentils
hommes qui avec le dit conte estoient, tant François,
Anglois comme de PEmpire.
Apres ce que cil de Gant eurent séjourné à Bruges
tant comme il leur pleut, ilz se partirent et s'en retour-:
nerent à Gant en bonne ordonnance et arroy, et em-
menèrent aveceulx en grant charroy etsommaige leur
très grant et innombrable conquest. Et comme ilz fu-
rent venus à Gant, mistrent leur dit conquest tous
d'ime mesme voulenté et acord en la maison com-
mune de la dicte ville pour eulx aidier en commun en
leurs nécessités et affairez.
En ce dit an et en ce dit mois de may, ung pou
après, la terre trembla très fort, c'est assavoir au mer-
credi et vendredi devant la Penthecouste.
Le jour de la benoicte Trinité eu dit an, vint le roy
de France à Paris» et y fut grandement receu. Maiz
aucuns de ses conseilliers n'y osèrent entrer pour le
fait des imposicions qu'ilz conseilloient estre misez
sus. Puis bien brief vint le roy à Maubuisson pour ce
que à Pontoise avoit ung parlement de Normans sur
le fait de faire aide au roy. Là fut déterminé que Nor-
mendie feroit le paiement de six cens glaives et deux
cens arbalestrlers. Et de voit estre la finance prinse sur
le vin et les menus bevrages et sur les draps pour paier
les dictes gens d'armes. Et le proposa Estienne du
Moustier, capitaine de Harefleu. Mais comme le capi-
taine de Rouen et les bourgpis de la ville qui avec lui
304 CHRONIQUE
estoient au dit parlement furent retournés, et ilz rap-
portèrent ce à Rouen, il fut debatu d'aucuns.
En cel an, le duc d'Ângou qui estoit devers le pape
Clément pour aler sur monseigneur Charles de La Paix,
en la fin du mois de may le dit pape Clément le sacra
et couronna à roy de Cezillci de Napples, prince de
Kalabre et de Puille. En son aliance et aide, fut le
conte de Savoye, puis se parti d'Avignon pour aler
conquerre. Monseigneur Charles de La Paix manda au
duc d'Angou que, si noble prince et de si noble li-
gnage comme il estoit filz du roy de France aloit sur
lui sans le dédier, ce n'estoit pas fait de gentil homme,
et que bien sceut le duc d'Àngou que Charles de La
Paix le attent comme son ennemi et lui livrera bataille
à jour nommé.
A Rouen, advint en celui an, le premier jour
d'aoust, qu'il estoit Vendredi jour de marchié en icelle
ville, que on voult mettre subvencion sur les draps. Le
peuple en especial de draperie, comme variés et ou-
vriers d'icellui mestier se esmurent, et furent en la
halle abatus les buffets et le marchié brisié. Pour quoy,
le bailly et cappitaine d'icelle ville firent aucuns drap-
piers emprisonner. Et le vendredi ensuiant, furent les
buffets relevés en la dicte halle aux draps. Et vint le
bon mareschal de France monseigneur de Blainville
en la dicte halle parler aux drappiers. La subvencion
des bevrages, sans débat ne contradicion, fut cueillie
et levée paisiblement en la dicte ville de Rouen.
En Tan dessus dit, eu mois d'aoust, le roy de France
vint à son palais à Paris à la pierre de marbre, avec
lui son oncle le duc de Bourgoingne, et moult de haulz
barons. Et dit le roy au peuple qu'il feist assembler,
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 305
car il yroit en Guienne pour le profit du royaume et
leur recommanda son frère. Et le duc de Bourgoingne
son oncle, qui estoit gouverneur du royaume, fit la
plus grant semonce et la greigneur assemblée qu'il
poult pour aler en Flandres. Et y mena le roy de
France en sa propre personne, avec lui ses haulz bar-
rons de France, son connestable, ses marescliaulx et
les nobles de son royaume. Et aussi vindrent grant
bachelerie de nobles, tant d*Âlemaigne et Henault
comme de Braban, en Taide du conte de Flandres.
Le roy de France et monseigneur de Bourgoingne,
avec eulx les diz barons et nobles de France, chevau-
cerent droit en Flandres contre les Flamens et Philippe
Dardevelle leur chiefqui tenoit siège devant Oude-
narde et avoit tenu depuis la desconfiture et conqueste
de cil de Bruges.
Le duc de Berry, oncle du roy de France, comme
il sceut que le roy estoit allé eu Flandres, il se départi
de Guienne où il estoit et s'en vint par Paris, et de là
s'en ala en Flandres avec ses gens au roy de France
son nepveu. Pour lors les Flamens parlementoienl de
traictié, mais le conte de Flandres et le duc de Bour-
goingne ne vouidrent consentir cellui traictié. Dont
fut ordonné que le connestable et les marescliaulx,
avec la chevalerie de Picardie et de Bretaigne et partie
de celle de INormendie, chevaucerent pour gaignier
passage sur les Flamens. Car le conseil du roy de
France avoit retenu la plus grant partie des plus grans
seigneurs, tant du sang de France que autres, pour
estre avec le roy en sa bataille. Le connestable et les
marescliaulx et leurs batailles chevaucerent sus les
Flamens qui gardoient les pas du pais de Flandres et
20
306 CHRONIQUE
se ferirent dessus. Puis vint le conte de Saint Pol et le
sire de Coussi et leurs batailles, et tous ensembles cou-
rurent sus aus diz Fia mens qui gardoient les diz pas-
sages et là ouït forte bataille. Maiz les Flamens s'en-
fuirenty et furent tous desconfis, et en furent bien
cinq mille occiz. Et les autres s'enfuirent à la grosse
bataille où estoit Philippe Dardevelle, avec lui plus
de trente mille Flamens. Apres ce le roy de France o
tout son host entra en Flandres, et vint près de la
grosse bataille Philippe Dardevelle jouxte Rosebeke.
Et comme les François virent si grosse gent de Fla-
mens, de toutes leurs gens ne firent que deux ba-
tailles. Donc par le conseil du conte d*Eu, le roy de
France et sa bataille fut à cheval en l'arriére garde
avec lui les plus haulz seigneurs. Apres on fit par le
conseil du Bègue de Villaines une bataille de fors var-
iés. Lors le connestable, monseigneur Olivier de Cli-
chon, avec lui les Bretons, monseigneur Louis de
Sancerre et monseigneur de Blainville, dit Mouton,
avec les Normans, alerent combatre les Flamens. Et
là, en celle avantgarde et première bataille, ouït fort
estour merveilleux et pesant. Puis l'en fit d'autre par-
tie ferir les forts variés. Adonc Philippe Dardevelle
dist que l'en forcloist les François. Adonc vint la ba*
taille de Tarrieregarde la plus grant partie, et lors fu-
rent Flamens férus et assaillis de trois parties. Car ilz
u'avoient que une seule bataille, laquelle ilz avoient
faicte en triangle comme ung trepié. Et lors firent les
Françoiz tant d'armes que les Flamens furent descon-
fis. Et là fut occis Philippe Dardevelle, filz de Jacquet
Dardevelle, et plus de dix huit mille Flamens. Qui se
peust sauver si se sauvast. En la chasse les François
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 307
en occistrent taut que les champs estoient couvera
de mors. Quant les François ourent Flamens des-
confisy ilz retournèrent en champ pour avoir la proye
et les armeures. Par entre les mors, l'en trouva
plus de trois mille Flamens vifz qui furent tous occis.
Philippe Dardevelle fut apporte mort devant le roy
de France, et fut despoilliéy et avoit les chausses four- .
rées de gris, il fut moult regardé de ungs et d*autres.
Le conte de Flandres, qui à merveilles le haioit, le fit
pendre à ung gibet ou à ung arbre. Dont les gens
d armes le blasmerent, disant qu'il estoit mort hon-
nourablement en bataille. Pour ce fut il depuis des-
peudu. Cil de Gant que Philippe Dardevelle avoit
laissiés au siège de Oudenarde, quant ilz sceurent la
desconfiture de leurs gens, se deslogerent et alerent à
Gant, et bien jusques à six mille alerent à Bruges. Mais
ceulx de Bruges ne les vouldrent recevoir. Dont une
partie alerent à Balleul avec autres Flamens. Les
François le sceurent et les assaillirent, pristrent et oc-
cistrent. Et furent desconfis, et eu mourut bien de
cinq à six mille.
Apres la desconfiture de la grant bataille de Rose-
beke, alerent les François à Courteray et pristrent la
ville , pillèrent et ardirent pour les espérons dorez
qu'ilz gardoient en la dicte ville de une victoire qu'ilz
avoient despieça eue sur les François afiin de mémoire.
Et pour ce à celle fois leur fut rémunéré. Puis vin-
drent les François à une riche plate ville nommée
Poupelingues qu'ilz pillèrent semblablement et partout
où ilz aloient.
Apres celle mesmez desconfiture, ceulx de Bruges
se mistrent en la mercy du roy de France, et lui firent
308 CHRONIQUE
présent de cent mille frans et de vivres. Aussi fit Yppre
selon son povoir et autres villes de Flandres. A tous
ceulx qui estoient de la partie Philippe Dardevelle et
qui lui avoient aidié que le conte poult tenir il leur fit
coupper les testes. Ceulx de Gant se vouldrent rendre
sans moyen au roy de France, mais le duc de Bour-
goingne le contredist.
Puis se parti de Flandres le roy de France et s*en
ala àTournay où il fit sa feste de la solennité de Noël,
et après la solennité fut déterminé que le roy retour-
neroit à Paris. Car quant le duc de Berry passa par
Paris, quant il vint en Flandres, cil de Paris lui reqiiis-
trent que le roy retournast à Paris. Et le dit monsei-
gneur de Berry leur promist qu*il leur ameneroit le
roy. Si fit il, maiz ce fut à leur grant confusion.
Cy dit que le roy approcha de Paris et fut mandé
aux bourgois de Paris que le roy vouloit qu'ilz se
meissent du tout en son obéissance comme avoient
fait cil de Rouen. Ceulx de Paris furent à conseil, et
fut monstre au commun le mandement du roy. Hz
distrent qu'ilz vouloient faire du tout la voulenté du
roy leur seigneur. Ce fut rapporté au roy et à son con-
seil. Lors vint le roy o tout son host à Saint Denis. Et
le dimenche après la Typhaine fut ordonné que le roy
yroit et entreroit à Paris. A icellui jour, vindrent au
devant du roy et entrèrent en Paris les mareschaulx
de France, le connestable et Tamiral à tout quinze
cens hommes d'armes rengiés en ordonnance, comme
s'ilz deu-ssent combat re les glaives espoingz. Apres vint
le roy de France, le duc de Berry, le duc de Bour-
goingne et le duc de Bourbon, ses oncles, à grant foi-
son de contes, barons et nobles tous armés. Et puis
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 309
vint Tarrieregarde et tous armés de toutes pièces en
bacinésy les glaives es poings en ordonnance comme
pour combatre ^ comme dit est. Ainsi entra le roy à
Paris et fit crier sur peine de lahart que nul ne pillast
et aussi que cil de Paris rendeissent leurs armeures,
laquelle chose ilz firent. Et furent les chaennes aba-
tues et ostées et les chouquets ars.
Comme les diz gens d'armes entrèrent en Paris, les
chevetainesy comme le connestable, les mareschaulx
et l'amiral et autres, se logierent es fortes places et lia-
bitacions de Paris, les ungs eu Chastellet, les autres
eu Petit Chastellet de Petit Pont, les autres en la porte
ou bastide Saint Antboiue et aucuns au Louvre. Le
roy fut logië en son palais, et les ducs et grans sei-
gneurs en leurs hosteiz. Au Temple aussi ouït logié
des diz gens d'armes. Le roy, ses oncles et le conseil
firent prendre très grant nombre des plus puissans et
nobles bourgois de Paris, et les fit mettre en prison
eu Chastellet, Tandemain que le roy entra en Paris, et
estoit jour de lundi. L'andemain, trois des diz bour-
gois de Paris furent décapités. Puis, l'autre lundi en-
suiant, ou en décapita six dont Nicholas Le Flament,
qui estoit ung des puissans bourgois de Paris et nota-
ble marchant en gros de draps, fut l'un. Et depuis on
en décapita dix. Et commença l'en de par le roy à faire
une forteresse à la bastide Saint Antlioine. Et fut la
vieille porte abatue d'ancienne forteresse qui estoit
encontre ou devant icelle bastide.
Par devant le roy vindrent plusieurs bourgoises de
Paris, toutes vestues de noir, pour requérir et avoir
pardon et mercy de leurs maris. Le samedi devant La
Chandeleur, on décapita des bourgois de Paris qui
310 CHRONIQUE
avoient fait faire les mailletz et de ceulx qui les firent.
Et entre les autres fut décapité ung notable bourgpis
de Paris. Le samedi après la Chandeleur, on exécuta
plusieurs pillars qui roboient ceuU qui alloient et ve-
noient à Paris. Et en cest temps, refurent mises sus les
imposicions de douze deniers pour livre et les autres
subcides dont tant de meschief estoit sours à les de*
batre. Le samedi, derrain jour de février, refurent dé-
capités seize des diz bourgois de Paris. Desquelz fut
Tun monseigneur Jehan des Mares, chevalier, conseil-
lier du roy en son parlement, et en ses jours le plus
solennel advocat du royaume. Lequel fut merveilleu-
sement plaint de tout le peuple tant à Paris que ail-
lieurs pour le bien de sa personne. Lequel fut con-
dampné en son absence, et ne fut oncques ouy en ses
excusacions\
A Paris estoit la plus grant pitié et la plus amere
douleur que Ten peust voir. Le duc de Bourgoingne
proposa à la pierre de marbre comme par cil de Paris
les bonnes villes de France avoient esté rebelles puis
la mort du roy , et qu'ilz avoient de ce et d'autres
choses deservi plus grant punission que Ten n'en faisoit.
Icellui jour de samedi, derrain jour de février, fut
crié à Paris que tous fussent Tandemain, jour de di-
menche, au palais à pierron de marbre. Là furent les
bourgois de Paris sans chapperons et des boui^oises
sans chapperons pardevant le roy, le duc de Berry, le
duc de Bourgoingne, et grant quantité de barons et de
i. V. sur Jean Detmareft une intéressante notice de M. F. Bour-
quelot : Jean Desmares, avocat général au parlement de Paris au quator^
tième siècle, (Extrait de la Repue historique dm droit français et étranger,
no de mai-juin 1858.)
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 3ii
cil du conseil du roy de France. Là fut faicte remis-
sion gênerai à ceulx de Paris de ce qu'ilz avoient of-
fensé contre la majesté royal, réservé vingt à prendre
à la voulenté du roy et de son conseil. Et fut fait le
cas criminel^ civil, et bourgois prisonniers raençonnés
grossement et autres. Apres ces choses ainsi faictes,
le duc de Bourgoingne se parti de Paris et ala en sa
terre.
En cel an, les Clementins du Liège vouldrent le
jour des brandons ocoire les Urbanistes. Mais les ci-
toiens furent de la partie aux Urbanistes, et furent
privés et chassiez les Clementins.
En l'an de grâce mil trois cens quatre vingt et qua-
tre, les Anglois vindrent en Flandres. Et furent en
leur aide ceulx de Gant et pristrent la ville du Dan\
de Bourbourg, de Vergues' et autres. Mais le roy de
France, avec lui ses oncles, à plus grant baronnie et
plus grant host ala en Flandres qu'il n'avoit fait de-
vant. Et comme le roy de France entra en Flandres,
les Anglois de Vergues se partirent et alerent avec les
autres à Bourboui^. Ainçois que le roy venist de cestui
voiage en Flandres, les Anglois avoient gaingnié une
grosse bataille jouxte Duncquarque contre les Fia-
mens sus les dunes en la garenne. En celle bataille y
ouït mors bien quinze mille Flamens, et aussi y ouït
moult d' Anglois mors.
Le roy de France s'en vint à tout son host mettre le
siège devant Bourbourg. Mais par ung traictié que fit
le duc de Bretaingne durant le siège du roy de France
i. Damme.
3. Berg ou Berghet.
312 CHRONIQUE
devant le dit fort, du consentement du roy et de ses
oncles, se partirent les Anglois de la dicte forteresse
franchement sans rien perdre. Durant le si^e du roy
de France devant Bourbourc, cil de Gant yssirent
sur les champs et vindrent devant Oudenarde où es-
toient les nobles de la conté de Flandres et le pris-
trent.
En Tan mil trois cens quatrevingt et cinq, fut le roy
de France devant la ville du Dan à tout son host et y
tint siège. Et après ce que les Anglois et Gantois s'en
furent partis de nuit, la ville du Dan fut prinse des
François, et les diz Anglois et Gantois parsuis. Mais
ilz estoient jà si eslongiés que la plus grant partie fu-
rent sauvés, et s'en alerent à Gant.
Puis chevauça l'ost des François jusques à Quatre-
moustiers^ près de Gant. Et y ouït des François aven-
tureux qui chevaucerent oultre pour aler devant
Gant. Et comme les Gantois les virent aprochier, ilz
laissèrent aler leurs escluses; et se bien tost les diz
François ne feussent retournés, ilz eussent esté par les
eauez des dictes escluses nayéz. Car quant celles es-
cluses sont levées, les eaues s'espandent trop grosse-
ment bien à une lieue loing tout entour Gant et vien-
nent de trois rivières qui passent parmi la ville de
Gant. Alors s'en retourna le roy après ce que on eust
fait coupper le col à plusieurs Flamenstant du Dan que
de TEscluse qui s' estoient rebellés. Et s'en vint le roy
en France o tout son host qui se départi, et s'en re-
tourna chacun en son pais. En l'an mil trois cens
1. Quatremoustier oa plutôt Quatremétiers. On appelait ainsi les
yilles du plat paya : Boachotte, Assenède, Axèle et Hulst.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 3i3
quatrevingt et six, le jeune roy de France prist à
femme la fille à l'un des ducs de Bavière et Tespousa
à Amiens. En cel an, mourut le duc d'Angou en Ce-
sille. En celle année, mourut le duc de Braban et le
conte de Flandres. En cel an au devant, ouït à Cambray
fait mariage du conte de Nevers, ainsné filz du duc de
Bourgoingne, à la fille du duc Albert, et aussi du filz
au duc Albert à la fille du dit duc de Bourgoingne.
Et là ouït très belle feste et belles jouxtes, dont le se-
neschal d'Eu, bon chevalier Normant, qui venoit tout
droit de Prusse, s'adreça à la dicte feste et y fit gran-
dement son devoir de bien jouxter.
En cel an, ouït débat entre Charles de La Paix et le
pape Urbain. Et le fit le dit Charles de La Paix asse-
gier. Mais les Geneuois l'en délivrèrent, et ala le pape
Urbain à Gennes, et de là ala à Romme.
En cest temps, les Hongres occistrent Charles de La
Paix.
En l'an de grâce mil trois cens quatrevingt et huit,
sourt une guerre par entre le duc de Bourgoingne et
le duc de Guéries. Et ala le roy de France et ses on-
cles à très grant puissance de nobles gens d'armes. Et
vint le duc de Guéries à mercy et à obéissance au roy
de France.
En l'an mil trois cens quatrevingt et neuf, le roy de
France fit la plus grant et la plus elTorcie semonce
qu'il eust oncques fait au devant pour faire passage
en Angleterre. Et comme le roy et ses oncles et la plus
grant et la plus noble assemblée de gens d'armes qu'il
feist oncques furent en Flandres, et le très grant et
beau navire prest, où il avoit bien quinze cens gros
vaisseaulx sans les menus, comme coques d'Allemai-
314 CHRONIQUE
gne, grosses nefz d'Espaingne et grosses barges, sans
les vaisseaulx et nefz de Normendie, de Picardie, de
Flandres et d'ailleurs; et que les garnisons de gens
d'armes estoient prestes ; mais pour ce que le temps
estoit divers sur la mer et ventoit fort, fut tout le fait
rompu et depecié. Dont l'en avoit cueilli et levé sur le
peuple une si grosse et si excessive finance que le peu*
pie en fut moult grevé merveilleusement.
Le roy de France et son host se parti de Flandres et
s'en retourna en France. Et à son retour il prist son
gouvernement. Et se partirent de court le duc de
Berry et le duc de Bourgoingne, et s'en alerent chacun
en sa terre.
En cel an, ouït trêves entre le roy de France et le
roy d'Angleterre. Apres ce, ala le roy en Languedoc
et fui en Avignon, où il fut receu joyeusement du pape
Clément et de son coliege.
En cest temps, mourut le pape de Ronime qui se
disoit Urbain. « Mortuus est Bartholomeus qui se di-
cebat Urbanus et in basilica Rome sepultus. » A
Romme les cardinaulx de là les mons, quant cellui
Urbain fut mort, qu'ilz tenoieut à pape, ilz esleurent
ung Ytallien, du lignage Charles de La Paix, et le le-
vèrent et sacrèrent à pape, et fut nommé Boniface.
Et il avoit nom Pierres du Chief de Rue, et estoit né
de Napples de noble lignie.
En Tan mil trois cens quatrevingt et dix, le duc de
Bourbon et plusieurs nobles, c'est assavoir le conte
d'Eu, qui nouvellement estoit venu d'oultre mer, le
conte de Harcourt, monseigneur Charles de Larbret,
monseigneur de Coussi, l'amiral de France, monsei-
gneur de Graville, monseigneur d'Esneval , le senes-
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 315
chai d'Eu et très grant nombre de chevaliers et des
esciiiers alerent en Barbarie.
En cel an, le pape Boniface levé à Romme couronna
le (ilz monseigneur Charles de La Paix à roy de Nap«^
pies. Et les Neapolitains le receurent à seigneur et oc-
cistrent des gens au duc d'Angou, car ilz doubtoient
que les nobles chevaliers de France, qui aloient à
Barbarie, ne allassent sur eulx.
En cest temps, furent aucunes povres gens pris et
emprisonnés, et aucuns décapitez en plusieurs parties
pour avoir empoisonné les eaues dormantes. Et aussi
en cest temps fut emprisonné ung noble homme de cil
de Saluce, parent du pape Clément, et fut mis eu pri-
son au Louvre à Paris.
En cel an, entre Bouloingne et Callais, trois cheval-
liers de France, c'est assavoir Chasteillon', Boussi-
caut et Cempui' firent une grant emprinse, laquelle ilz
fournirent honnourablement , c'est assavoir que par
ung mois entier ilz jousteroient contre tout noble An-
glois chacun qui en seroit requis trois coups de lance,
et y seroient attendans par chacun jour le dit temps
durant. Comme si firent ilz et fournirent Temprinse
honnourablement\
En cel an, le roy Richard d'Angleterre, les trêves
durantes, comme le roy de France avoit fait festes et
jouxtes à Paris, il fit jouxtes criées à Londres ^ par
France et par l'Empire. Et y ouït moult de haulz
hommes, le conte de Saint Pol, qui ouït à mouUier
1 . Begnault de Roye, suivant Froissart.
3. Froissart appelle ce chevalier Saint-Py. Lisez : Sempj.
3. Voy. dans Froissart le récit détaillé et animé de ces joutes, 1. IV,
ch. Ti et xn, t. III, p. 22 et 23 et p. 40-57.
316 CHRONIQUE
la seur du roy d'Angleterre, le demiseau de Henault et
le duc de Guéries. Apres les jouxtes , le roy Richart
d'Angleterre donna dons. Le conte de Saint Pol les
refusa et les chevaliers de France. Le damoiseau de
Henault prist Tordre du roy d'Angleterre, et le duc
de Guéries fut fait connestable d'Angleterre. Le da-
moiseau de Henault fut indigné du roy de France.
Mais son sire le duc de Bourgoingne en fit Tacord et
excusa le damoiseau que ce avoit prins pour avoir
l'aide du roy d'Angleterre pour aler en Frize. 11 est
vray que, de droit d'ancesourie, le royaume de Frize
appartient' aux contes de Henault, et pour la remettre
en leur main y estoient morts plusieurs contes. Le
conte Guillaume, qui tant fut bon chevalier, qui fut
nepveu du roy de France Philippe de Vallois et frère
à la royne d^ Angleterre, femme du fort roy Edouart,
y mourut. Par ceste raison et par autres, fut excusé le
dit damoiseau devers le roy de France.
En cel an, mourut le roy Jehan d'Espaingne, fiizdu
roy Henry, et chey de son cheval à terre, comme il
chevaucoit , et se rompi le col. En cel an, vint à
Paris devers le roy de France, de par le roy des Rom-
mains et de par les princes et prelas d'Alemaigne, am-
baxadeurs requerans que le scisme fut osté de l'Eglise.
Et aussi en fut descript à l'Université qu'elle y voul-
sist procéder, et en estoit le roy assez d'acord, mais
par les deux maiours ilz cessèrent.
Âpres ce eu conseil du roy de France, presens le
duc de Berry, le duc de Bourgoingne, sur le fait de
l'Eglise, fut délibéré que le roy yroit à Romme et se-
roit par lui mis eu siège de Romme le pape Clément.
Les Anglois le sceurent, qui tiennent le parti du pape
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 317
de Romme vieil et nouvel. Et pour ce fut envoie par
le roy d'Angleterre an roy de France monseigneur
Thomas de Percy et autres chevaliers, qui signifièrent
au roy de France et à son conseil que, se le roy de
France va sur le pape de Romme, qu'il ront les
trêves. Car le pape de Romme est chef espirituel des
Anglois, et par ce fut le fait différé et prolongié. En la
court du roy de France furent moult honnourés les
messagiers du roy d'Angleterre^ et leur donna Ten de
beaux dons et de nobles joyaulx. Et fut prins jour
pour parlementer, pour faire paix et acord entre les
deux roys.
En l'an mil trois cens quatrevings et onze , mut
guerre par entre le conte d'Armignac et le conte de
Vertus pour division de terre, dont le duc de Berry
portoit le conte d'Armignac pour ce qu'il avoit eu sa
seur en mariage, et le duc de Thouraine portoit son
sire monseigneur Galache^ deMillen, conte de V^ertus,
duquel il avoit sa fîlle espousée. Si avint que le conte
d'Armignac, à grosse route de gens d'armes, ala sur
le conte de Vertus. Monseigneur Galiache sceut la
venue du conte d'Armignac. 11 ne voult pas mettre
son corps en aventure. Aflin que son peuple ne se re-
bellast, il ouït ung soldoier nepveu, nommé N. de La
Salle, qui a deux cens lances et environ mille piétons
souldoiers, qu'il mit en frontière en une ville nommée
Alixandre*. Le dit conte d'Armignac vint devant celle
ville à tout son host et requist vivres. Cil de la ville
lui refusèrent. Il jura le siège et fit abatre les mai-
i . GaléaK Visconti de Milan.
3. Alexandrie.
3i8 CHRONIQUE
spDS de dehors, et fit emplir les fossez de bois. Cil
de la ville, par le conseil des gens d'armes, boutèrent
le feu eu bois. Par yre avoit le dit conte d'Ârmignac
juré le siège. Le conte de Vertus sceut que le conte
d*Armignac avoit mis siège devant Alexandre. Il y
tramist ungsien souldoier, qui estoit Anglois, et son
connestable à huit cens glaives, et trois mille piétons
armés de lance et de targe, et bien cinq cens arbales-
triers, qui par nuyt se mistrent en la ville. Et comme
ilz se furent rafreschis, ilz yssirent de la ville et
se mistrent en embûches. N. de La Salle yessi à
deux cens glaives et mille piétons. Lors le conte
d'Armignac, quant il vit le dit de La Salle yessir, il
dit à ses Lombars : a Sur eulx ! Hz sont noz. » Et
leur couru sus trop hastivement. N. de La Salle fit
sonner sa trompette. Et donc saillirent ceulx de l'em-
busche, et coururent sus aux gens du conte d'Armi-
gnac, et là ouït une très fiere bataille. Là se combati
vassaument le dit conte d'Armignac, mais sa gent
tournèrent à desconfiture. Et fu le conte d'Armignac
prins prisonnier, mais il fut comme estaint de chaut.
Et comme il fut desarmé, il but et après bien brief
mourut. N. de La Salle en fut moult dolent, car il eust
paie grosse finance.
Les Fleurentins et les Bouloniens o leurs souldoiers
venoient au conte d'Armignac. Hz rencontrèrent la
gent au conte de Vertus qui s'en retournoieut. Il se
combatirent à eulx et les desconfirent. Le frère au
conte d'Armignac, par le conseil du duc de Berry,
du duc de Bourbon, et du conte de Boulloingne, vint
par devers le roy de France, lui ofirant à faire bom-
maige. Apres la mort du conte d'Armignac, mourut le
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 319
conte de Fois, qui estoit ennemy du conte d'Armi-
gnac. Dont aucuns distrent qu'il en avoit prins si
grant joye qu il en estoit mort. Et ains qu'il mou-
rusty il advoua le roy de France à hoir de la conté
de Fois.
En cel an, les Juifz d'Espaigne coururent sus aux
Crestiens et en occistrent bien mille. Les Crestiens des
cités et les nobles leur coururent sus, et en occistrent
plus de dix mille. Les Juifz se rendirent en requérant
baptesme. En cest temps, les Juifz de Paris, qui en
ourent nouvelles, par fînance furent mis en la sauve-
garde du roy de France. Et fut criée la sauvegarde à
la trompette, sur peine de mort.
En cel an, ung grant prince de Turquie ou Tartarie,
nommé l'amiral Baquin ou Bakan*^ à très grant nom-
bre de Sarrasins, vint en Honguerie et courut la
terre de Constantinoble. Le roy de Hongrie semont
Crestiens, et demanda secours à son frère Yincelaux,
le roy des Bommains et de Beheingne. Lors s'esmut
grant chevalerie d'Alemaingne pour aler contre les
Sarrazins. Et manda le roy de Hongrie jour de ba-
taille contre le dit amoral [sic], qui le jour assigna.
Icellui amoral avoit occis le père à l'amiral de Tu-
nes', lequel fut contre la reze* que Crestiens firent en
Barbarie et devant AufTrique. Icellui roy ou amiral
de Tunes, comme le dit amoral Baquin estoit venu
sur crestienté, lui qui scavoit la prouesse des Cres-
tiens^ présuma et pensa que l'amoral auroit assez à
i . Bajazet, fils de Mourat.
3. Tunis.
3. Reze, expédition.
320 CHRONIQUE
faire^ et tant que à peyue en pourroit ja retourner. Si
concueilli Sarrasins à grant quantité, et leur donna
tout leur conquest, et vint o son host en la terre de
Tainoraly et en conquist grant partie. Et pour ce qu'il
donnoit si largement, gens lui venoient de toutes pars
à planté. Nouvelles vindrent à Tamoral que Tami-
ral de Tunes degastoit sa terre. Il se parti de Hongrie
et ala delTendre sa terre. De France et de Alleinaigne,
ouït moult grant chevalerie qui portèrent grant
domaige à la queue des Sarrazins, et en occistrent
moult, car ilz les assaillirent très liardiement, et
du charroy prindrent ; moult gaiugnerent de temptes
et de harnois.
En cel an, le roy de France se traist vers Touraine,
affin que guerre ne sourdist en Bretaingne par entre
le duc et monseigneur Jehan de Blois, filz de Charles
de Blois, qui avoit requiz que le duc de Bretaingne
fust adjourné en parlement ou devant le roy contre
lui. Et disoit qu'il ne lui avoit pas entériné le traictié
qu il lui avoit promis, quant il fut fait duc. Et disoit
qu'il le devoit délivrer et livrer certaine assiete de
terre et paier grant somme de pecune. Le sire de Cli-
chon portoit Jehan de Blois, car le dit Jehan avoit
espousé la fille du dit de Clichon. Et fut le duc ad-
journé à comparoir en personne devant le roy, lequel,
par le viconte de Rochen*, qui avoit à femme ma-
dame Jehenne de Navarre, et par autres barons de
Bretaingne, ouït le duc saufconduit, et vint par
devers le rov de France, et là ouït de bons amis. Et
tant qu'il fît que son filz fiança et affia la puisnée fille
i. Rohan.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 321
du roy. Car Tainsnée, comme l'en disoit, estoit coii-
venancëeou afTiée au filz du conte d'Alençon.
En cel an, au commencement de Février, la royne
de France ouït ung filz. Pour quoy le roy s'en re-
tourna à Parisy et fut son filzcrestiennéy et fut nommé
Charles, lesixiesme jour de février du dit an.
En cel an, avint en Gant que une grant partie de
peuple et de femmes firent commocion pour ce que
monseigneur le duc de Bourgoingne vouloit que les Fia-
mens tenissent le pape Clément à pape. Et à banieres
desploiées alerent par les rues de Gant, criant : « Vive
le pape de Romme Boniface! » Puis vindrent sur le
marchié et demandèrent aux gouverneurs de Gant :
« Quel pape créez vous ?» et ilz respondirent : « Eu
pape ou vous crées, » puis occistrentceulx qu'ilzsoup-
peçonnoient estre Clementins.
En mois de mars, en cel an, vint le duc de Len-
castre à Callais. Et le roy de France et ses oncles et
son conseil alerent à Amiens. Et là vint le duc de
Lencastre pour traictier de la paix. Là fut Festoire du
roy et de ses oncles, le duc de Lencastre et les An-
glois, et furent ce parlement les trêves alongées d'un
an seulement.
Paravant vous avez ouy comme le roy Jehan d'Es-
paingne mourut pour cheoir de dessus son cheval. Et
fut comme il aloit veoir une minière qu'il esperoit
qu elle fut d'or. Et comme il cliey de dessus son che-
val, il se rompi le col. Au conte de Savoye aussi
avint que, comme il cachoit en ses forestz aux bestes
sauvaiges, il perdi ses hommes, ung lieupart vint
qui le assailli de dessus son cheval et le devoura et
occis t.
21
322 CHRONIQUE
En Tan mil trois cens quatrevings et douze, avint à
Paris le jour du Saint-Sacrement, comme monsei-
gneur Olivier de Ciicbon, connestable de France, ve-
noit soupper avec le roy, monseigneur Pierres de
Creon'^ qui Tavoit deffié, le vint assaillir à vingt
hommes armés, criant : « A mort 1 à mort ! » Le con-
nestable qui se vist soupprins se mist eu une maison.
La fut parsui et navré moult fort, si que monsei-
gneur Pierres cuida qu'il fust mort. Puisse retraistrent
le dit monseigneur Pierres de Creon et ses gens, et se
partirent tantost de Paris, et chevaucerent très fort
jusques en Bretaingne. De la famille de monseigneur
Pierres de Creon estoit demouré à Paris en son Iiostel
ung bon vieil homme, qui avoit bien soixante dix ans,
qui estoit concierge de son dit hostel à Paris, et ung
povre page, jeune enfant de l'aage de quatorze ans
ou environ. Iceulx pour ce fait ourent les testes coup-
pées; puis furent escartelés et desmembrés, et les
membres penduz aux portes de Paris. Geste povre
gent comparèrent ce dit fait. Le roy et son conseil
sceurent que monseigneur Pierres de Creon estoit aie
devers le duc de Bretaingne. Si fut mandé au duc de
par le roy, sur peyne de perdre terre et d'estre réputé
pour ennemi , qu'il rende monseigneur Pierres de
Creon. Le duc de Bretaingne sur ce contremanda ex-
cusacions, et que monseigneur Pierres de Creon avoit
dédié par de nobles hommes le connestable, et qu'il
ne le soutenoit point. Mais, comme Ten dit, monsei-
gneur Pierres de Creon se traist à Bretb *. Le roy de
France fit escripre au roy d'Angleterre comme mon-
i. Craon. — 2. Brest.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 323
seigneur Pierres de Creon avoit ainsi fait ; et que, s'il
aloit en aucunes de ses forteresses, il n'y fustsoustenu.
Le roy d'Angleterre escript au roy de France comme,
s'il scavoit que le dit Creon fust en forteresse qui
syenne fust, qu'elle fust prinse et rasée.
Le roy de France fit sa semonce au Mans. Le duc
de Bretaingne sceut comme le roy d'Angleterre avoit
escript au roy de France. Et pour doubte de la puis*
sance du roy de France, il envoia sa femme, qui fut
fille du roy de Navarre, qui estoit cousine germaine
du roy de France, vers le roy de France, pour le ex-
cuser qu'il ne soustenoit nullement monseigneur
Pierres de Creon, ne n'est en sa puissance, ne en ville
ne en chastel de Bretaingne. Le roy de France prist la
chose si à cuer que à son lieutenant ou son connes-
table avoit esté fait celle injure, comme d'avoir esté,
au partir de sa court et hostel à Paris, assailli, batu,
féru et navré, comme laissié pour mort, le roy, consi-
dérant que petitement estoit prisié pour ceste cause
et raison, ne fut homme tant hardi qui osast parler au
roy de la paix de monseigneur Pierres de Creon. Pa-<
ravant la duchesse de Bretaingne fut ordonnée à venir
par devers le roy. La semonce du roy estoit ja faicte
et ordonnée, et estoit le roy a voie. Le roy approcha
du Mans et voult veoir le nombre de sa semonce,
pour ce qu'il voult que l'en entrast en Bretaingne.
Monseigneur le duc de Bourgoingne, considérant que,
se on entroit en Bretaingne, les trêves seroient faillies
et rompues, quelle chose il debati. Quant le roy de
France ouït veu la monstre de ses nobles gens d'ar-
mes, et il deubt ou voult entrer en la forest du Mans,
le cinquiesme jour d'aoust, devant lui vint ung messa-
324 CHRONIQUE
gier à visaige deffiguré disant : (c Roy, se tu entres en
la forest pour aler au Mans, il te xnesavendra. » Aprez
revint ung fui à visaige defTiguré qui prist le roy par
le frain et dit ou roy : « Se tu vas plus avant, tu es
mort. » Le roy se voult délivrer du fol, et vint à son
page pour avoir son espée. Et le page ouït paour, si
fuy, et le roy après. Et prist Tespce, et, d*ire et de
Gou rouit, se marvoya ou désespéra, ou il fut em-
poisonnez ou ensorcelez ou entaraudéz, comme Ten
tenoit. Car comme il ouït Tespée, il couru sus à ceulx
d'entour lui, et moull en navra. Et ne sceut on oncques
que le dit messagier ne le dit fol devindrent. Et à très
grant peine fut le roy prins. Car nul n'osoit appro-
chier de lui, et toutes voies fut prins par ung cheva-*
lier Cauchois, sire de Bliesmare*.
De celle très merveilleuse aventure chey le roy en
griefve doulour et très grant maladie. 11 fut mené ou
porté à Saint Jullien du Mans, en T^lise, et là jut et
fit sa neufvaîne et commença à asouagier. Puis se
parti du Mans et vint à Nostre Dame de Chartres, où
il fit sa devocion. A Paris, à Rouen fit l'en proces-
sions en grant devocion, le peuple tout nu piéz. Et
fit Ten chanter messes pour prier pour le roy. Et
semblablement fut fait ainsi par les autres bonnes
villes et en plat pais mesmez du royaume de France.
Et par la grâce de Dieu le roy assouaga , et retourna
sa santé.
De Chartres, le roy ala séjourner à Creel. Le duc
de Bourgoingne blasma moult ceulx qui avoient le
1 . FroisMrt dit que ce cheTalier s'appelait messire Guillaume Martel.
Cf. Cfironiques^lW. IV, ch. xux, t. lil, p. 189-163.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 325
gouvernement du roy et de ceulx qui soufTroient et
donnoient si dissolut gouvernement comme de veillier
jusques au jour el rêver, jouer, banqueter et lever à
nonne, disant qu'il n'appartenoit point à si noble
prince comme le roy de France de mener ne de usa-
gier de tel vie, lui qui estoit jeune prince et de si noble
estât et nom. Car c'est soubz Dieu le souverain roy
qui soit au monde que le roy de France. Bon prince
doit on bien amer, car forte chose est à recouvrer.
Nostre bon roy de France, puis qu'il vint à gouver-
ner son royaume, si ouït partie de son peuple et moult
l'ama. Et ne voult souffrir que une maie et cruelle
subvencion appellée la Taille ou Tailles, qui avoient
tant souvent et si excessivement couru tant comme il
avoit esté gouverné, courust en son temps. Icelles
tailles en son gouvernement il abati et ne voult souf-
frir que aucunes en fussent alevées ne mises sus
aucunement. Pour ce estoit tout le peuple du tout
enclin à prier Dieu dévotement pour lui que Dieu
leur voulsist sauver et bonne vie et longue et santé
donner. Paravant l'adventure du roy de France,
comme dit est, monseigneur le duc de Thouraine,
son frère, fut translanté ou transmué de la duchié
de Thouraine en la duchié d'Aurliens et fut fait duc
d'Aurliens.
En cel an, le premier jour de septembre, après
mynuyt, fut éclipse de lune par longue espace. Et
mua la lune plusieurs couleurs et estaint toute noire
plus que errement si que on en perdi la veue.
Le duc de Berry vint à la court, et lui et le duc de
Bourgoingne reprinstrent moult cil qui avoient gou-
verné le roy et la finance du royaume. Et en furent
326 CHRONIQUE
aucuns mis en prison. Les autres se trairent arrière, et
en especial monseigneur Bureau de La Rivière. Et
sire Jehan Le Mercier et monseigneur Guy Chrestien
Furent mis en garde comme en prison à la bastide
Saint Â.nthoiney où ilz furent estroitement gardez. Et
les autres furent mis en Chastellet. Et firent les diz
ducs par toutes les bonnes villes du royaume de
France arrester tous les officiers, receveurs des aidez
et grenetiers et tous leurs biens qui furent trouvez et
leurs registres et papiers scellés et sur ce partout à
une foiz refourmés.
En cel an, Tamoral Baquin estoit retourné en Hon-
grie et avoit desconfit ses ennemis en Orient. Le roy
de Hongrie par sa femme et lui, qui estoit frère de
Vincelaux, le roy des Rommains et de Behengne*,
avoit mandé secours à son dit frère, et aussi avoit re-
quis son serourge le roy d'Angleterre, lesquelz lui
avoient envoies de bonnes gens d'armes. Et aussi y
alerent de bonnes gens d'armes du royaume de France
et d'autres contrées. Le roy de Hongrie prist jour de
combatre au dit amoral Baquin, à son filz et au mais-
tre de la bachelerie du soudent. Et à cejour vindrent
en bataille les Crestiens contre les Sarrasins et Turcs,
et par la grâce de Nostre Seigneur Jesus-Christ, les
Crestiens ourent victoire et occistrent merveilleux
nombre des diz Sarrazins et Turcs. Et s'en fuirent du
champ le dit amoral Baquin et son filz, qui avoient
quant tans plus que n'estoientles Crestiens.
Par tesmoings de gens d'onneur fut rapporté et dit
que le roy Louys, filz du duc d'Ângou, si ouït vie-
I. Bobéroe.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 347
toire contre le filz Charles de La Paix et le duc Ode* de
Bezinc qui ouït à femme la royne Jehenne de Napples
et de Cesille, et s'estoit tourné eiinemy du dit roy
Louis. Et fut cestui Odes de Bezinc celui qui se deubt
combatre au duc de Lancastre. Le roy Louis et Henry
de Blois ou de Bretaingne, N. de Luzignen, Pierres
d'Avoir le Jeune, le sire de Pont de Croix, le princed'O-
range et cil de le Roucellion et le seneschal de Prou-
vence chevaucerent contre leurs ennemis et les soup-
prindrent. Et tant bien le firent François* que les
Âllemans partirent du champ et s'en fuirent, et le de-
mourant fut desconfit. Le filz Charles de La Paix et le
dit Odes s'en fuirent.
En cel an, environ Noël, vindrent à Paris devers le
roy de France, de par le pappe de Romme, ambaxa-
deurs ofTrans de par le dit pape Boniface que, s'il es-
toit trouvé par consille de bons clers tant de l'Uni-
versité de Paris que d'autres qu'il ne fust vray pape,
il s'en vouloit démettre, et que celui d'Avignon aussi
se submei&t ad ce. La dicte Université de Paris, c'est
assavoir le^ maistres et les docteurs, ourent leurs rai-
sons qu'ilz lindrent à justes et leur obéissance bonne.
Hz le monstrerent au roy qui bien se acorda que on
en feist concilie. Et pour ce furent faictes par le roy et
ses oncles et son conseil et l'Université et les chappi-
tres de Paris processions , affin que l'église fust en
unité. Et aussi fit l'en par les autres citez et bonnes
villes du royaume de France.
Le mardi vivant la Chandeleur eu dit an, ouït à
Paris unes neipces d'une des damoiselles de la royne
i . Othon de Bmntwick.
3S8 CHRONIQUE
de France. Si avint que, par druerie et sot esbate-
ment, de jeunes chevaliers, par la promocion d*au-
cunsi firent ung esbatement de gens sauvaiges. Et
avint que le roy s*i mist et se vesti semblablement et
desguisa avec eulx. Et a voient vestemens de toille cy-
rée et empesée de noire pois, raisiné. Et y avoit es-
touppez atachées à la dicte poix, tant que les diz ves-
temens en estoient couvers, et tous les membres et le
corps du roy et des autres semblablement. Et si
avoient visaiges deffîgiirés, afHn qu'ilz ne fussent con-
gnuz. Si avint d'aventure ou par aucun que le feu se
prist par une torche sur ung des desguisëz. Et comme
il senti le feu, il frea à ses compaingnons, et ainsi
sailli le feu de Tun à Tautre. Aussi fit il au rov. Et se
le roy n'eust esté promptement secouru, il eust esté
mors et ars. Des autres y ouït il de mors et defligurés
par le feu comme le conte de Jogni. Le bJistart de
Foiz, Aymart de Poitiers et Huguet de Guinsey furent
si esprins de feu et hideusement embrasez et ars que
tantost et, sans que remède y poult estre mis, mouru-
rent à grant douleur, angoisse et meschie*. Et le roy
et le mareschal de France Boussicaut et le sire de Nen-
teulet* furent sauvez, et en espartirent e: eschappe-
rent.
Le roy vint Tandemain par grant devoeion à Nostre
Dame de Paris pour regracier Dieu et sa doulce mère
de la très grant grâce qu'ilz luy avoient :aicte qu'il ne
fut péri et mort. Maiz la grâce de Dieu le délivra de
cest péril. Moult fut la feste ameren:ent troublée,
comme de veoir de si vile et horible ncort mourir si
I. Ntntouillet. Cf. Froissart, Ht. IV, ch. xxxn, t. III, p. 176-179.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 329
très nobles hommes comme contes, chevaliers et
escuiers. En cestui mauvaiz esbatement, moururent
d*icellui feu monseigneur Charles de Poitiers, le conte
de Jogny, le bastart de Fois.
En cest temps, ala monseigneur le duc de Bourbon
en Ytalieau roy Louis. En cel an, fut fait conuestable
de France monseigneur Philippe d'Artois, conte d*Eu,
et fut demis en son absence monseigneur de Clichon,
et espousa le dit monseigneur Philippe d'Artois Tune
des filles au duc de Berry, puis fut envoyé en fron-
tière en Guienne.
En Tan mil trois cens quatrevings et treize, fut le
parlement du traictié de la paix des deux roys de
France et d'Angleterre entre Callais et Boulloingné.
Et y furent des seigneurs de France, le duc de Berry
et le duc de Boui^oingne, le conte de Saint Pol, Te-
vesque de Bayeux, et autres du conseil du roy de
France. Et, d'autre partie, vint le duc de Lencastre
et le duc de Glocestre, et autres du conseil du roy
d'Angleterre. Et sur espérance de paix furent les trêves
allongnies d'un an. En ce traictié, fut parlé de faire
acord entre le duc de Brelaingne et monseigneur de
Clichon et monseigneur Jehan de Bretaingne ou de
Blois, conte de Paintievre, requerans avoir le chastel
de Jugon* et appartenances que le duc de Bretaingne
aVoit eu du dit Clichon. Le proverbe dit : « Vieille
rancune est pire que mauvais malon*. » Il est voir que
le vieil sire de Clichon, père de cestui, fut décapité à
I. Jogon, GôteA-du-Nordy air. de Dinan, chef-lien de canton.
9. Malon, ulcère, pourriture. Fait sur mal i i*imiution du cas régime
des noms imparisyllabiques.
330 CHRONIQUE
Paris pour le fait du vieil conte de Montfort, père de
cestui duc, comme devant est faicte mencion. Et ces-
tui sire de Clichon, à très grant nombre de gens d*ar-
mesy fut à aidier à conquérir la duchië de Bretaingne
à cestui duc. Pour quoy, cestui duc luy donna le dit
chastel de Jugon, comme dit est. Mais depuis, cestui
sire de Clichon se tourna François, et guerroya ce
duc, et fut en guerre contre lui. Par quoy, cestui duc
prist le dit sire de Clichon en Bretaingne, lui estant
connestable de France, et le mist à raençon, et si lui
tolli Jugon. Dont Ten dit : « Qui a Bretaingne sans
Brest et sans Jugon, il a chappe sans chapperon. »
Or diron comme ceste guerre couverte de Bretain-
gne est meue soudainement et de rechief. Monseigneur
Pierres de Creon estoit moult avancié en la court du
roy de France, et en especial estoit moult aflfin de
n^onseigneur le duc de Bourgoingne. Car par monsei-
gneur le duc de Bourgoingne, monseigneur Guy de
La Tremoille, simple chevalier et petit terrien familier
et especial affin du dit duc de Boui^oingne, du con-
sentement de monseigneur Pierres de Creon, par le dit
duc de Bourgoingne, espousa le dit chevalier de La
Tremoille la noble heresse de Creon, qui tient bien
trente mille livres de terre et plus. Laquelle noble
heresse paravant avoit este affiëe au filz de monsei-
gneur le duc de Berry, lequel mourut ainçois qu il
Tespousast. Or avintque monseigneur de Boui^oingne
laisse le gouvernement de France au roy à qui il ap-
partenoit. I^ roy gouvernant le royaume, monsei-
gneur de Clichon, connestable de France, monsei-
gneur de La Rivière, qui estoient bien affins ensembles,
et leur complices, gouvernoient le roy de France. De
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 334
quoy fut blasmé le dit monseigneur Pierres de Creon
et indign<^ du roy et débouté de la court du roy de
France. Pour soy vengier, le dit monseigneur Pierres
de Creon espia, comme devant est dit, comme le dit
de Clichon, connestable de France, venoitde soupper
de la court du roy, et lui et les syens leur couru sus,
et navra le dit de Clichon, comme dit est. Pour quoy,
il s'en fuy en Bretaingne. Et le roy, pour vengier la
honte qui avoit esté faicte à son connestable, s*esmut
pour aler en Bretaingne. Le duc de Berry et le duc de
Bourgomgne mandèrent et escriprent à monseigneur
de La Rivière, au Besgue de Villaines et au conseil du
roy de France que^ se le roy entroit en Bretaingne
pour faire guerre, que les trêves seroient rompues et
la guerre recommencie. Cil ne firent rien pour le
mandement des diz ducs, dont ilz furent moult indi-
gnez d'eulx.
Le vingt septiesme jour du moys de may jusquez au
vingt sixiesme jour du moys de juing eu dit an, les
devant diz ducs de France et ceulx d'Angleterre, et
les conseulx des diz deux roys, par la voulenté de
Dieu, parlementèrent si qu'ilz furent à acord de paix
entre le roy de France et cil d'Angleterre ainsi que le
roy d'Angleterre devoit venir par deçà la mer pour
confermer le dit traictië ; maiz les Anglois ne voul-
drent qu'il passast la mer, et pou s'en fallut que le
traie tié ne fut depecié.
La guerre meut fiere et aspre en Bretaingne entre le
duc et le sire de Clichon, et coururent sus les ungz
aux autres. Le conte de Paintievre et le sire de Beau-
manoir rencontrèrent bien six cens combatans des
gens au duc. Hz leur coururent sus, et là ouït grosse
332 CHRONIQUE
bataille en laquelle perdirent place cil du parti au
duc. Et se retraist de celle bataille monseigneur Pierres
de Creon. En y oull prins de prisonniers bien soixante.
Le duc fit sa semonce, avec lui le viconte de Rochen,
monseigneur Pierres de Creon , le sire de Rocliefort,
le sire de Montauban en Bretaingne, et le cappitaine
de Brest, et des gens des fortes villes en Bretaingne,
et mit siège devant Chasteau* Jocelin. Dedens ce dit
chastel estoit la Femme au dit monseigneur Olivier de
Clichon et sa fille, la femme du dit conte de Pain-
tievre. Monseigneur de Beaumanoir tenoit les champs
et vint à Dol. Aussi fit il à Renés, et les cuida esche--
1er. Le duc de Bretaingne manda deniers à paier ses
souldoiers. Monseigneur de Beaumanoir le sceut et le
conte de Paintievre, et firent une embusche, et soup-
prindrent ceulx qui conduisoient Targent, et en occis-
trent bien quarante et bien autant en prindrent pri-
sonniers, et apportèrent la finance au dit sire de
Clichon. Comme on desarmoit les diz prisonniers de-
vant monseigneur de Clichon, en furent trois con-
gneus qui furent aie prendre avec le duc. Il les occist.
Dont monseigneur de Beaumanoir le blasma, et luy
dit qu'il ne devoit nul mettre à mort, puis qu'il estoit
fiance prisonnier; et s'il les mettoit à mort, ainsi fe-
roit on de cil de son parti. Le demourant fit monsei-
gneur de Beaumanoir délivrer par paiant raisonnable
raençon.
Monseigneur de Beaumanoir, à bien deux cens
glaives, vint pour ad viser Test du siège. Le duc de
Bretaingne le sceut, et prist mille glaives pour prendre
!• Jotielln, Morbihan, arr. de Ploermel, dief»liea de caoton.
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 333
monseigneur de Beaumanoir, mais on lui fîst scavoir^
si se retray. Deux chevaliers de Bretaingne, dont Tun
fut avec monseigneur Pierres de Creon, et l'autre es-
toit avec monseigneur de Cliclion, quant le dit mon-
seigneur Pierre de Creon assailli à Paris monseigneur
deClichon, s'entre dédièrent, et chacun luy vingtiesme
se vindrent combatre. Ces deux chevaliers brochèrent
devant les autres, et s'entre ferirent des glaives de si
très grant force et de si grant ayr qu'ilz s'entre occis-
trent, et cheirent ambedeux à terre tous mors.
Le roy de France envoia ses messages en Bretain-
gne, c'est assavoir l'evesque de Lengres, le cappitaine
de la bastide Saint Anthoine de Paris, et autres de son
hostel au duc de Bretaingne et au sire de Clichon* Et
pour lors estoit monseigneur de Laval devers le duc
pour traictier de paix. Les messagiers du roy distrent
au duc de par le roy de France qu'il se cessast de
guerroier. £t le duc dit que si feroit il, maiz qu'il eust
seurté du sire de Clichon et du conte de Paintievre,
et qu'il obeiroit au mandement du roy. Les messa-
giers du roy alerent au sire de Clichon et au conte de
Paintievre, et distrent de par le roy qu'ilz laissassent à
guerroier. Le sire de Clichon respondi moult yrés :
« Comme laisserai je à moy vengier de mes mortieulx
ennemis et du duc qui sousticnt mon ennemy mortel
Pierres de Creon, qui me voult murdrir en traison
comme je venoye de soupper d'avec le roy 1 Je ne
pourroye laissier que je ne m'en vengasse. » Et oultre
luy très fort meu d'ire dist : a II a trois roys en France.
Je ne scauroie au quel obéir. »
Les messagiers s'en retournèrent à la court du roy
de France et rapportèrent ce qu'ilz avoient trouvé.
334 CHRONIQUE
£d Bretaingne, monseigneur de Beaumanoir et
monseigneur de Tournemyne avoient guerre mortel*
Jasoit ce que monseigneur de Beaumanoir fust le plus
puissant de richesse, d'avoir, de terre et d'amis puis-
sans, et non obstant ce que le dit monseigneur de
Tournemyne fust de plus basse ligne et mains noble
tant de soy que de sa femme, si avoit il es bonnes
villes fortes grantment amis. Icestui monseigneur de
Tournemyne fist trop puissant aide au duc de Bretain*
gne. Monseigneur de Beaumanoir vint à grosse gent
devant Renés, et es faubourcs ouït grant bataille et
fort estour. Le sire de Tournemyne estoit lors à Rene&
Mais monseigneur de Beaumanoir ouït la plus grant
force de gens d'armes , si qu'ilz firent recuUer cil de
Renés mal gré leur dedens la forteresse, et en y ouk
moult de navres.
A une autre chevaucie ouït une fiere besoingne, et
y ouït moult de nobles hommes mors du costé au duc
de Bretaingne, monseigneur de La Beliere, le frère
au viconte de Rohen, monseigneur Jehan de Porcon
et autres et moult de prins. Apres ce que les messagiers
du roy furent partis de Bretaingne, les deux parties
firent guerre mortele et ardirent sur le pais les ungz.
des autres.
En partie le traictië de la paix fut prolongé par entre
les seigneurs de France, le duc de Berry, le duc de
Bourgoingne et ceulx du grant conseil du roy de
France d'une part, et le duc de Lencastre, le duc de
Glocestre et le conseil du roy d'Angleterre, d'autre,
pour cause de la guerre de Bretaingne qui estoit une
très périlleuse guerre, rachine de commocion de
guerres par entre les plus grans et les plus puissansde
DES QUATRE PREMIERS VALOIS. 335
France. Et fut le traictié alongié jusques en septembre.
Ce temps pendant, vint à Paris le filz au duc de Len-
castre veoir la noble cite au conduit des diz ducs, on-
cles du roy de France.
En Bretaingne, les gens d'armes du costé au conte
de Paintievre assaillirent Saint Briot des Yaulx et le
prindrent. Le viconte de Pavau, qui estoit chief des
diz gens d*armes du dit conte, y fut navré mortelment.
Par quoy cil de la ville furent ars, occis et mis à Tes*
pëe et destruis. Dont ce fut grant douleur, car ceulx
de Saint Briot avoient tousjours esté bons, vrais,
loyaulx François.
En la court du roy de France, furent remués de
son hostel la plus grant partie de ses o^ciers, et par
les dis ducs ses oncles bailliés autres nouveaulx offi-
ciers, et par semblable les autres menuz officiers.
Environ le chief de Tan ou le bout de Tan que le
roy de France ouït esté malade à aler au Mans, refîit
le roy malade griefment : dont ce fut pitié et grief
douleur.
En ce temps, en Bretaingne, par le commun acord
des barons, ouït trêves jurées par entre le duc, le sire
de Clichon et le 'conte de Paintievre jusques à la Saint
Michiel.
En cet an mil trois cens quatrevings et treize, fut
guerre de monseigneur Remond de Thouraine au
pape Clément d'Avignon. Le conte de Yalentinois et
monseigneur Jehan de Vienne, amiral de France,
rencontrèrent le dit monseigneur Remond de Thou-
raine, et y ouït pongneis et estour. Et se retray le dit
monseigneur Remond en ung syenchastel. Là mistrent
siège le dit conte et le dit amiral. £t dit le dit amiral
336 CHRONIQUE
au dit monseigneur Remond qu'il se rendist. Le dit
monseigneur Remond lui demanda : « Me requerés
vous comme amiral de France ou comme Jehan de
Vienne? — Je le diz comme Jehan de Vienne et pour
le pape Clément. — Ne au pape Clément ne à vous je
ne rendroy le chastel. Hais se le roy de France me
mandoit que je lui rendisse, je lui rendroye. m Aprez
ce vindrent gens par ung bois à monseigneur Remond
de Thouraine, et entrèrent eu chastel par une poterne
secrètement. Et par ung point du jour le dit monsei-
gneur Remond o ses gens vint soudainement abatant
logeiz et tentez et desconBt cil qui Tavoient assiégé.
Le jour de la Nativité de la glorieuse Vierge Marie
ou dit an, fut receu en Teglise de Nostre Dame de
Rouen monseigneur Guillaume de Vienne, frère de
Tamiral de France, à archevesque de Rouen et noble-
ment compaigné, c'est assavoir du conte de Hare-
court, de monseigneur Jacquez de Bourbon et de
moult grant chevalerie d'onneur, de prelas aussi et de
grant nombre de bourgois, de peuple, et tist grant
feste riche et solennel.
En cel an, le duc de Bourbon retourna d'Ytalie du
roy Louis filz de monseigneur d*Angou, lequel luy aida
en sa guerre. Et en retournant il amena de Lyou sur
le Rhône ung fizicien ou médecin très excellent, le-
quel medicina le roy et lui fit purgacion par la teste.
Par quoy il assouaga. Dont tout son peuple ouït mer-
veilleusement grant joye.
PIN.
TABLE
DES NOMS DES PERSONNES.
Adrian (comte d'), 97.
Alencon (comtes d'), 5, 15, 16,
121, 149, 193,321.
Alençon (comtesse d'), 28.
Alencon (Philippe d'), archevêque
de Rouen, 98, 110, 114, 211,
221, 243, 249, 256, 272, 289,
292.
Allemagne (empereur d'), 66.
Alphonse d^Espagne et de Castille,
11 12 23.
Amiens "(cardinal d'), 256,259,
268, 269, 279, 282, 283.
Andrehen (maréchal d'), 22, 29,
30, 36, 41,49,51,52,56,166,
173-175, 178, 180, 181, 194,
198.
Angenrille (sire d*), 39,
Angle (Guichart d»), 232, 234.
Anjou (Louis, comte d*), 119,
121.
Anjou (duc d'), 129, 130, 134,
135, 142. 144, 140, 182, 193,
194, 198, 204, 213, 216, 222,
223, 241, 244, 246-248, 256,
259, 281, 284, 288, 289, 291-
293, 295, 297, 304, 313,315,
326, 336.
Ansellée (sire Jean d'), 24, 31, 83,
105, 171, 173, 180, 259,260.
Anselée (Guillaume d*), 45, 49,
98.
Antioche (Jean, prince d'), 164,
165, 186, 191, 200, 261.
Aragon (roi d'), 20, 171, 174,
175, 177, 179, 180, 206.
Araines (sire d'), 26, 64.
Archiprétre (K), 80.
Arcy (d'), avocat, 68.
Armagnac (comte d'), 171, 172,
180, 193, 195, 317-319.
Armagnac (Jean d'), 195.
Arménie (roi d'), 296.
Arondel (comte d'j, 4, 10, 263,
272, 273, 275.
Aneveld (Jacques d'), 5, 7.
Arthur, roi de la Grande-Bretagne,
106, 226-229.
Artois (Charles d»), 2, 40, 71.
Artois (comtesse d'), 206.
Artois (Jean d'), fils de Robert,
comte d'Eu, 2, 31, 32, 36, 40,
50, 55, 56, 149,230,306.
Artois (Louis d'), fils de Robert, 2.
Artois (Phihppe d'), 292, 329.
Artois iRobirt d*), 2, 4, 5.
Atainville (Oudart d*), 243, 248,
256, 282.
Athènes (duc d*), 15, 40, 49, 50,
55.
4(9
338
TABLE
Aubert, duc de Bayière, 43, 281,
286» 313.
Aubigny (sire d'), 29, 41, 56, 74,
80, 137, !38, 151.
Aubrecicourt (Eustache d'), 176.
Aubriot (Hugues), 184, 251, 288,
294, 295, 299.
Aufremont (sire d'), 15.
Aurichi (Ligier d'), 27, 97, 136.
Auseboc (sire d'), 272.
Autriche (duc d'), 4, 279.
Auvergne (dauphin d'), 121.
Auvillier (sire d'), 240.
AuviUier (Pierre d'), 240, 241.
Auxerre (comte d'), 5, 15, 18, 50,
56, 80, 137, 139, 140, 141,
145, 146, 159, 161.
Auxerre (jeune comte d^), 195.
B
BaIlIet(Jean),68.
Baqueville (sire de), 13, 70, 71,
74, 118, 137, 141, 145, 150,
164, 186, 196, 272, 273.
Baquin ou fiakan, amiral, prince
de Turquie, 3!9, 326.
Bar (duc du), 221, 253.
Bar (duchesse du), 242.
Bar (sénéchal du), 221 .
Bascon (Roger), 9.
Bauce (sire de la) , 91.
Baudraiu de la Heuse (ic), amiral
de France, 37, 39, 41, 42, 45,
66, 67,75, 78,79, 87,90,93,
96.98,103, 107,109,137,150,
206, 207, 240.
Baveux (Guy le), 186.
Bavière (Louis de), l, 2, 4, 6, 9,
216.
Bayeux (évéque de), 15, 329.
Beaufort (cardinal de), 212.
Beaujeu (sire de), 21-23.
Beaumanoir (sire de), 159, 160,
193, 214,215, 331-334.
Beauinesnil (sire de), 134, 293.
Beaumont (comte de) 121.
Beaumont (Jean de), 4.
Beaumont (Richard de), 183, 184.
Beaumont (vicomte de), 145, 146.
Beansaut (sire de), 273.
Beauvais (cardinal de), 224.
Beauvais châtelain de), 138, 250,
262.
Beauvais (évéque de), 253.
Bec Crespin (ûls de madame du),
145.
Bec Thomas (baron du), V. Tour-
nebu.
Bec Thomas (sire du), 35.
Behaingne (Jean, roi de), 216. V.
Bohème.
Belemarine (roi de), 11, 12, 23,
188, 198.
Belitre (sire de La), 334.
Bellengues (Guillaume de), 301.
Bellengues (Jean de), 74, 155.
Benoit XII, pape, 6, 9.
Berreville («ire de), 35, 41, 74, 80,
90, 118, 145.
Berry (duc de), 119, 129, 193,
195, 216,230, 237, 238, 241,
244, 246, 252, 253, 264, 286,
289, 291, 292, 295, 297, 305,
308, 310, 314, 316-318, 325,
329-331,334.
Berthelemieu, arcbevéqae du Bar,
268, 270.
Bertran, maréchal de France, 8,
14, 15.
Bertran le Jeune (Robert), 23.
Betencourt (sire de), 137, 141,
145, 146.
Betin, 147.
Beuchet, 10, 11.
Bezinc (Ode de), 24, 25,327.
Biduere, duc de Neustrie, 227,
228.
Bigot (Guillaume le), 262.
Bigot (Jean le), 250, 251, 262.
Blainville (sire de), 35, 74, 80,
90, 92, 102, 104, 114, 131,
137, 145, 150, 169, 193, 196,
200, 203, 206, 211, 253, 272,
273, 276, 286, 289, 292, 299,
304, 306.
Blanche, seconde femme de Phi-
lippe de Valois, sœur du roi
de Navarre, 10, 18, 88, 96,
98, 132, 133, 141, 143, 144,
206.
Blaru (sire de), 136. 137, 141.
DES NOMS DES PERSONNES.
339
Bliesmare (sire de), 324.
Blois (comte de), 16.
Blois (Charles de), 6, 7, 11, 24,
50. 59, 121, 150, 158-162,
178, 3:20.
Blois (H. de), 284, 327.
Blois (Jean de), fils de Charles,
3i0.
Bohême (roi de), 25, 264.
Boniface IX, pape, 314,315,317,
321, 327.
Bordeaux (capitaine de), 264.
Bordeaux (sénéchal de), 239.
Bordes (Guillaume de), 277.
Bosc (Nichole du), évêque de
Bayeux, 260, 277, 292.
Bouillon (Godefroi de), 189.
Bouillon (prévôt de), 217.
BoulainTÎHiers (sire de), 76.
Boulogne (cardinal de), 25, 29,
3!2, 133, 176, 177.
Boulogne (comte de), 29, 318.
Bourhon (ducs de), 5, 15, 31, 37,
40, 50, 55, 6:>, 121, 148, 203,
205, 230, 237, 244, 266, 291,
292, 308, 314, 318,329, 336.
Bourhon (Jacques de), 32, 33, 43,
130, 217,218, 220, 336.
Bourbon (Robert de), 217.
Bourgogne, (Philippe, duc de), 3,
5, 13.
Bourgogne (Philippe le Hardi, duc
de). V, Philippe le Hardi.
Bourgogne (duchesse de), 213.
Bourgogne (Jeanne de), femme de
Philippe de Valois, 3, 17, 18.
Boussicaut (sire), 115, 116, 151,
156, 315, 328.
Braban (ducs de), 4,80, 215-220,
286, 313.
Braban (Jeanne, duchesse de),
216.
Braban (sénéchal de), 220.
Braquemnnt (Regnault de) , 26,
35, 64. 71, 74, 75, 87, 89,95,
99, 103, 107-109, 137, 144,
169.
Brenchon (Jean et Guillaume de),
i07.
Brene (comte de), 121.
Brest (capitaine de), 332.
Bretague (Jean de)^ 158.
Bretagne (duc de). V. Montfort.
Briquet, 196, 197.
Brocas (sire de), 123,
Brouas (N. de), 186.
Bruce, 4
Buch (captai de), 45, 49, 52, 55,
56, 144-150, 163, 171, 172,
175, 177-180, 193, 194, 209,
238-212, 259.
Buiyille (sire de), 35, 74.
Burgibus, portier d>nfer, 22.
Burgues (Bertran de Clacquin,
comte de), 289.
Cahors (Raoul de), 12.
Cahors (Regnault de), 23.
Cambray (évéque de), 278.
Canolle'(Robert), 39, 45, 83, 87,
152, 159, 207, 208, 245, 246,
263.
Cantorbiere (archevêque de), 117.
Capet (Hugue), 225.
Carbonnier ou (^rbonnel (Guil-
laume), 27, 97, 136, 144.
Caroulet, 207.
Carvelley (Hue de), 45, 49, 52,
54,83,98, 152,159, 163, 107,
173-175,178, 179, 208.
Castille (Alphonse de), 168.
Caux (bailli de), 75.
Célestins, 265.
Cempui, 315.
Châlons (évéque de), 50.
Champagne (maréchal de), 68,
69.
Ghandos (Jean de) 24,45, 49, 52,
54, 152, 159, 161, 162, 171,
172, 175, 177-181, 207.
Chantemelle (sire de), 74.
Charles le Bel, 224, 225.
Charles de Bohême, empereur de
Rome et d'Allemagne, 19, 218.
Charle5 d^Espngne, connétable de
France, 20, 25-29.
Charles, duc de Normandie, fils
aine du roi Jean, 33-36. 40, 50,
93, 54, 56, 58-62, 64-66, 68,
69, 78-88,90, 91, 96-100, iOi,
340
TABLE
108, iiO, H4-li9, 122, 128,
134-137, 142-144.
Charles V, roi de France, 1 44 ,
148150, 156, 163, 164, 169,
172, 175, ne, 178, 18!, 184,
192-195, 197, 198, 200-204,
206, 207, 210-216, 230, 222,
223, 225, 226, 2;*0, 232, 236,
237, 241, 246, 248,249, 251-
260, 26i, 264-267, 270-272,
274, 275, 277, 289, 298.
Charles VI, 200, 283, 290-293,
296, 297, 299-325, 327-331,
333 336.
Charles, dit le MauTais, roi de Na-
varre, 1, 19, 25, 26, 28, 29,
31, 33, 35-37, 39, 44, 60,61,
64, 65, 69-76, 80-84, 86-88,
95, 96, 99, 400, 104,105, 107,
ilO, 122, 132, 140, lU, 150,
151, 154, 158, 163, 169, 171-
174, 191, 203, 204, 210 243,
221, 223, 225, 226, 248, 265-
268. 273, 274, 275, 278, 284,
323.
Charles (Guillaume), 71-76.
Chamy (Geffroi de), 29, 30,41,
49 51 55.
Charuel '(Iviin), 137, 140, 145,
159.
Chastelle (sire de), 171.
Chatillon (Hue de) 41, 50, 74,
138, 151,200, 249, 315.
Chavegny (sire de), 95.
Chenaye (Roulant de La) , 137,
139, 145, 162.
Chief de Rue (Pierre du), 314.
Chrétien "(Guy), 328.
Chypre (chevalier de), capitaine
de Beau vais, 41.
Chypre (chancelier de), 260.
Chypre (Jean de), 251, 260.
Chypre (Pierre, roi de), 126- 128,
144, 148, 149, 164-166, 185,
186, 188, 190, 191, 290,251,
260, 261.
Clacquin (Bertrand de), 20, 137-
142, 144-150, 159, 160, 162-
164, 166, 167, 170-175, 177-
181, 188, 193, 194, 198-200,
207-213, 215, 221, 223,224,
226, 229, 230, 232, 237, 238,
240, 242, 244-246, 251-253,
255, 257, 266, 267, 273, 275,
277, 284, 285, 289,
Clacquin (Olivier de), 276, 278.
Clément VI, pape, 3, 18, 25.
Qément VII, antipape, 269, 270,
272, 278, 283-285, 287, 295,
296, 304, 314-316, 321, 335,
336.
Clerc (sire de), 26, 27, 35, 64, 74,
114, 138, 145, 150.
Clermont (Robert, maréchal de),
39, 41, 49, 51,52,62, 63,66-
69.
Clèves (comte de), 217.
Clisson (Olivier de), 7, 193, 203,
204, 214, 215, 223, 224, 226,
229, 230 245, 246, 262, 264,
275, 277, 284, 287, 292, 306,
308, 320, 322, 329, 333, 335.
Cluny (abbé de), 116.
Cologne (archevêque de), 278.
Cologne (sénéchal de), 217.
Cordeliers, 265.
Coucy (baron de), 41, 64, 74, 121,
184, 279, 286, 306, 314.
Courourdain (Jean de), 38.
Coutances (évoque de), 253.
Craon (sire de), 50, 56.
Craon (Guillaume de), 121.
Craon (Pierre de), 322, 323, 330-
333,
Craco ou Graco, (roi de), 4, 14.
D
Dagome (Nicole), 49.
Dagure (Thomas), 1 1 .
Dampmartin (comte de), 15, 41,
50, 56, 151, 155, 193, 200,
203, 211.
Dardevelle (Jacques), 306.
Dardevelle (Philippe), 305, 308.
Darque (Robert), 217, 218.
David, roi d*£cosfte, 4.
Davoir le Jeune (Pierre), 327.
Dervol (sire de), 56.
Desmares (Jean), 310.
Despencier (Hae le), 159, 161,
173.
DES NOMS DES PERSONNES.
34t
Dieu (Jean)^ 220.
Dormans (sire de), chancelier de
France, 98.
Doublet (Colin), 27, 36, 65.
Doubler (Jean), 140.
Douglas (Guillaume), 22, 31, 32,
45, 50, 53, 284.
Du four (Jacques), 6.
Dutertre ( Pierre), 266 , 273 ,
274.
Dyscondore (Charles), 13.
£
Ecosse (roi d'), 201.
Edouard, roi d'Angleterre, 2, 4-
7, 9-11, 14-22, 24, 30, 31,
38, 45, 65, 97, 99, 100, 101,
105, 106, 114-117, 119-123,
125-129. 134, 135, 142, 143,
170, 175, 181, 184, 195, 197,
198, 200, 201, 202, 207, 208,
212, 214, 224-226, 236, 242,
244, 245, 25(1, 256, 257, 259,
261-263,316.
Ennequin (sire d*), 30, 74, 138,
141,145-147.
Esneyal (sire d'), 118, 138, 145,
293, 314.
Espagne (amiral d'), 232-235,
262.
Espaules (Guillaume aux), 74.
Essarts (sire Pépin des), 83-85.
Estelant (Pierre d'), 10.
Estone (roi de r), 14.
Estouleville (sire d*), 71, 80, 90,
103, 104, 118, 122, 211,
292.
Etampes (comte d'), 36, 149,211,
226.
Eu (Raoul, comte d'), connétable
de France, 8, 14, 19.
Eu (comte d'), 203.
Eu (sénéchal d'), 38, 42, 74, 107,
138. 145, 250, 313-315.
Evreux (comte d'), 1.
Evreux (Charles, fils du comte d*),
.1. V. Charles le Mauvais.
ETreux (Louis, fils du comte d'), 1.
V, N^vJirrc (Louis de).
Fauquemont (sire de), 218.
Fayeul (le Besgue de), 174, 175,
229.
Ferrando, 274, 278.
Ferté (sire de La), 26, 35, 41, 74,
i37, 140, 141, 145, 148, 150,
154, 156, 169, 196, 203, 206,
253,262,275,293.
Fiennes (sire de), 29.
Fiennes (Moreau de), connétable
de France, 41, 89-93, 111,
113, 203,207.
Fiennes (Jacauemart de), 74.
Fieules (sire de), 121.
FiUeul (Armaury), 131 .
Flamand (Nicholas le), 309.
Flamencourt (Guillaume de), 229.
Flandres (comtes de), 5, 15, 16, 19,
42, 120, 127, 130, 197, 201,
204, 206, 213, 216, 256, 284,
289, 290, 294, 305, 307, 313.
Flandres (comtesse de), 195.
Flandres (Rifflart de), 115.
Flayencourt (Guillaume de), arche-
vêque de Rouen, 98.
Foix (bâtard de), 328,329.
Foix (comte de), 5, 69, 70, 80,
173, 284, 319.
Foudres (comte de), 272, 285.
Fontaines (sire de), 74.
Forez ou Feres (comte de), 121.
Foucarmont (Raoul de) , comte
d'Eu, 14.
France (chancelier de), 260.
France |reine de), 244, 265.
France (mère de la reine), 244.
Friquans (sire de), 26, 27, 35, 44,
69, 71,74, 75, 89,96, 99,101,
137, 144, 150, 164,169.
6
Gainville (sire de), 97.
Galéas de Milan, 183, 184, 317.
Galle» (prince de), 4, 16, 24, 30-
32,38,45, 46, 49,51, 52, 54-
56, 57, 65, 97, 99, 100, 105,
106, 116, 117, 119, 120, 123,
342
TABLE
125, 145, 170-175, 177-182,
184, 192, 195, 198, 209, 210,
244, 257,259, 261,262.
Galles (Yvuin de), 230-232, 234,
235, 237-242.
Gand (comte de), 4.
Gant (Lyon de), fiU d'Edouard,
roi d'Angleterre, 11, 22,195,
196.
Garencières (sire de), 121, 151.
auville (sire de), 144.
icnève (cardinal de), 269, 270,
272, 278, 279, 287, 295.
Giffarl (Philippe), 70, 83.
Gilles (Pierre), 61, 70, 85.
Gisors (Pierre de), 74.
Glocestre (duc de), 329, 334.
Glocestre (comte de), 4, 10, 16.
Glos (comte de), 24.
Glos (Edmond de), 31.
Gollons (Raoul de), 116,
Gouvande (Charles de La), 10.
Granche (Etienne de La), 293.
Granche (de La), ahbéde Fécamp,
202,205, 211,213, 256.
Grancy (Thomas de), 254.
Grande-Bretagne (roi de), 226, 227.
Grantson (Thomas de), 208.
Graville (Guillaume de), 64, 99,
104, U4.
Graville (Jean Mallet, sire de), 27.
Graville (Robert de), 64.
Graville (sire de), 8,27,35-38,
41, 65, 74,211,273, 314.
Grégoire XI, pape, 212, 214, 259,
265.
Grenade (roi de), U, 12, 23, 170,
188.
Grimande (Régnier de), 235, 236.
Grimouart (Jean), 134.
Gueidres (duc de), 4,215-220,
279, 313, 316.
Gueidres (comte de), 43.
Guerarville(sirede),26, 104, 145.
Guienne (Jean de), 206.
Guillaume le Bastard,duc de Nor-
mandie, 114, 168.
Guillaume , iils de Louis de Ba-
vière, 43.
Guillaume, comte, neveu de Phi-
lippe de Valois, 316.
Guinsey (Huguet de), 328.
H
Hacqueville (Lyon de), 193.
Hainaut (damoiseau de), 316.
Hainaut (comtes de), 4, 23, 42,216,
316.
Hainaut (sénéchal de), 217, 218,
220, 276.
Haincourt (maître Jean de), 140.
Hambye (sire de), 293.
Hangest (sire de), 50, 55, 121 .
Hantonne, (eomte de), 10.
Harcourt (demoiselle d*) , 155.
Harcourt (comtes d'), 5, 8, 15,
16, 26,27, 31, 33, 35-37, 65,
70, 95, 103, 104, 118, 121,
203, 205 222, 250, 292, 314,
336.
Harcourt (Godefroi d'), 8, 9, 14-
17, 26,28,34-37,39, 42, 66,
67.
Harcourt (Guillaume d*), 50, 183-
185.
Harcourt (Jacques d') , 222 , 250,
292.
Harcourt (Louis d'), 26, 39, 41,
62, 63, 74, 80, 96, 102-104,
107, 110, 113, U8, 119, 121,
171, 173, 244,245
Harcourt (jeune comte d'), 88, 89.
Harencviller (sire de), 107, 198.
Harmeuville (sire de), 272.
Hélène, nièce du roi Arthur, 227-
229.
Henri, fils de Jean duc de Bre*
tagne, 6.
Henri, duc de Lencastre, V, Len-
castre.
Heronnet, écuyer du sire de Beau-
jeu, 22.
Hesdin (Eiiguerran de), 41, 255.
Heuse (Martin de la), 42, 61, 107.
Hoel, duc d'Armorique, 227, 229.
Hollande (comtesse de), 123-125.
Hollande (N. de), 178.
Hollande (Thomas de), 20, 105,
123, 125.
Hongrie (roi de), 32, 183, 189,
190, 296, 319, 326.
Houdetot (Robert de), maître des
arbalétriers, 35, 38, 41, 42, 45,
206.
DES NOMS DES PERSONNES.
343
Houisaye (Jacques de La), 137,
140, U5.
Houssave ( Yvain de La), 1 74.
Huet (Gautier), 239-241, 254.
Hurcz (Thomas), 106.
Kesnes (vicomte des), 64, 70, 78,
74, 89, 95, 104, 138, 151.
Kr}'soualle, 255.
I
Iles (sire des), 145.
Innocent VI, pape, 25, 46, 126,
133.
Isabelle d'Angleterre, 184, 224.
Ivry (sired'), 74, 136, 137, 141,
142.
Jacobins, ^.
Jacques, 71-76.
Jean XXII, pape, 5, 6.
Jean sans Terre, roi d'Angleterre,
232.
Jean, roi de Bohème, 3, 5, 15.
Jean, duc de Bretagne, 5, 6.
Jean roi d*Espagne, fils de Henri
de Transtamare, 296, 316, 321.
Jean, roi de France, 3, 5, 13, 18-
20, 23, 25, 26, 28-33, 35-58,
65, 66, 69, 71, 83, 97, IH,
112, 115-117, 119-122, 125-
135, 142-144, 148, 222, 226,
274, 287,
Jeanne, reine de Sicile, de Naples
et de Jérusalem, 296, 297, 327.
Joigny (comte de), 328, 329.
Jouel (Jean), 49, 62, 81, 89, 95,
129, 131, 135, 137, 144, 147,
148.
JuUiers (duc de), 4, 43, 215-218,
220, 279,
JuUiers (maréchal de), 217.
Kain (Thomas), 81, 107.
Kair, duc d'Anjou, 227, 228.
Kercst(Hue), 10, 11, 13.
La Barre, 137, 139, 145.
La Forêt (Pierre de), archcTéque
de Rouen et chancelier de France,
32, 50.
La Heruppe, 107.
La Marche (Thomas de), 30.
Lancastre (ducs de), 4, 12-14,21,
24,25, 38,40, 42, 45, 58,100,
105, 170-172, 177-180, 202-
200, 208-210, 220, 221, 245-
249, 254, 256, 259-262 , 26»,
274, 275, 286, 321, 327, 329,
334, 335.
Landuras (Jacques de), 153.
Landuras (Pierre de), 172.
Landuras (Simon de), 186.
Langres (évéque de), 333.
Larbret (siredt^), 49, 53, 17'l, 172.
180, 193, 195, 314.
Larbret (enfants de), 45, 55, 196.
Laval (sire de), 214,215, 333.
Le Bigot (Guillaume), 74.
Lf Bigot (Jean), 61, 75, 107, 109.
Lecoq (y<'a/i-R4>bert), évéque de
Laon, 59, 61, 68.
Lehumbre (marquis de La), 4.
Le Lieur (Jacques), capitaine de
Rouen, 77, 90.
Le Mercier (Jean),grand trésorier de
France, 253, 263, 276, 278, 326.
liC Noir de Grainville (Robert et
Guillaume), 26.
Lestrange (Guillaume de), 202.
Liège (évéque de), 217, 278.
Ligny (Jean de), 121.
Limoges (cardinal de), 279.
Linchole (comte de), 10, 16.
Lisle (le vieux comte de), 23.
Lisle (Jean de), 85.
Longueville (comte de), 50, 56.
Longueville (Bertrand de Clacquin,
comte de), 289.
Lorraine (duc de), 16, 253.
Lorris (Robert de), 35.
344
TABLE
Louis, dit HutiD, 225, 226.
Louis (saint), 3, 8, 9.
Louis, roi, fils du duc d* Anjou ^
326, 327, 329, 336.
Louis, deuxième fils de Charles
V, 226,249.
Lousciere (comte de), 10.
Louvre (capitaine du), 85.
Lucas (Hoclequin), 154.
Luce(sire), 156.
Lusignan (N. de), 327.
Lusse (sire de), 45, 49.
Lyon (sire de), 160.
M
Maçon (Joceran de), 70, 85.
Magny(sire de), 240.
Maillart (sire Jean), 83-85.
Maillart (Raoul), 2 1 3.
Malestrait (Henri de), 7.
MaloCTes (roi de), 5, 15, 171, 173.
Mandeville (Jean de), 22.
Mangart (Richard), 107.
Marcdargent (Nicole), 61, 107.
Marcel (Etienne), prévôt des mar-
chands de Paris, 61, 68-70, 72,
81, 82, 84, 85.
Marche (comte de La), 237.
Marche (sire de La), 230.
Mareul (sire de), 239-241.
Mareul (le Bascon de), 27, 28, 96,
144, 147.
Marie (Jean de), 106.
Martel (Guillaume), 41, 75, 78-80,
107-109, 229.
Martel (sire Jean), 37, 41, 55.
Mauny (Alain de), 200.
Mauny (Olivier de), 137, 139, 145,
159, 171, 172, 191, 194,' 230,
257, 276, 278.
Mavence (archevêque de), 278.
Meihedinch, 11, 12.
Melle (Guillaume du), 26, 64, 66,
74, 154, 169. 196, 197, 203.
Melun (Adam de), 50.
Melun (Guillaume de), archev<>que
de Sens, 50.
Melun (Jean de), 27, 151.
Menesmares (Maubue de), 36, 65.
Meulan (Adam de), 41, 50.
Meulan (Amaury de), 41, 64, 89.
Meulan (Jean de), 107.
Mignac (Aymeri de), évèqae de Pa-
ris, 278-280.
Milan (Barnabo de), 195, 196,
258.
Mommor (MorreW de), 230, 231,
23?i, 239-242, 252.
Mons (comte de), 43, 80.
Montanban (sire de), 332.
Montfort (comte de), 5-7, 45, 49,
58, 330.
Montfort (Jean, comte de), 125,
150, 158-163, 178, 203, 204,
245, 246, 252-256, 262, 264,
275, 284, 287, 296, 311, 322,
323, 329-335.
Montmorency (Charles de), 200.
Montmorency (sire de) , 41, 50,74,
121.
Moulines (Bertrand de Clacquin,
duc de), 289.
Moustier (Etienne du), capitaine
deHarfleur, 293. 303.
Mouton de Blainville, 23, 306.
V, Blainville.
Mustel (Jean), maire de Rouen, 35,
131.
N
Namur (comte de), 26.
Namur (Guillaume de), 217, 218,
220.
Namur (Guyon de), 217, 220.
Namur (Robert de), 217, 219.
Nantouillet (sire de), 328.
Naples (reine de), 183.
Narbonne (vicomte de), 203, 207.
Nassau (comte de), 4, 217, 218.
Navarre (chancelier de), 86.
Navarre (Charles de), fils aîné de
Charles le Mauvais, 265-267,
274, 276.
Navarre (frères de), 32, 33.
Navarre (Jeanne de), 65, 98, 99,
133, 144, 145, 200, 221, 222,
224, 320.
Navarre (Louis de), 1, 33, 156-159.
175, 176.
DES NOMS DES PERSONNES.
345
Navarre (Martin de), dit Requis,
45, 83, 89, 456.
Navarre (Philippe, roi de), 3, 11.
Navarre (Piiilippe de), comte de
Loijgueville. f . Philippe de Na-
varre.
Navarre (Pierre de), fils de Charles
le Mauvais, 265.
Navarre (reine de), 244, 274.
Nesle (Gui de), 20, 23.
Neuville (Jean de), III, 113.
Nevers (comte de), 313.
Nicolas V, antipape, 1,2.
Normandie (duchesse de), 65.
Olencst (comte de), 4.
Orange (prince d'), 327.
Orléans (duc d*), 3, 19, 31, 50,
52, 54, 119-121, 129.
Paix (Charles de La), 296, 297,
304, 313-315, 327.
Panthelu (Gillet de), 27, 44.
Paris (doyen de), 224.
Paris (évéquesde), 224, 295, 299.
Pastourel (Jean), 293.
Pavau (vicomte de), 335.
Paynel (Nicole), 74, 293.
Penembroc (comte de), 232-235,
255.
Penthièvre (comte de), 329-333,
335.
Perche (comte du), 196, 203, 205,
212, 213, 215, 221, 222, 237,
246.
Percy (Thomas de), 317.
Périgord (cardinal de), 46, 51,
133.
Pelre, dit le Cruel, roi d'Espagne,
163, 164, 167, 168, 170-174,
181, 182, 198, 199.
Pétrel (Jacques), 140.
Philippe Auguste, roi de France,
94, 232,
Philippe le Rel, 224-226.
PhiUppe, dit le Hardi, duc de Bour-
gogne, 50, 56, 143, 144, 149,
151, 153, 155, 158, 193, 195,
197, 201, 203, 206, 216, 241,
244, 246, 254, 256, 263, 264,
266, 286, 289, 291, 292, 295,
297, 299-302, 304, 305, 308,
310, 311, 313, 314, 316, 321,
323, 325, 329, 330, 334.
Philippe de Navarre, comte de
Longueville, 1, 19, 25-28, 33,
37-40,42, 44,45, 60, 62,64,
67, 69, 71, 81, 83,84, 86-98,
119-121, 128-133, 149, 152,
242.
Philippe de Valois, 1-9, 13, 14,
15, 16, 17, 18, 19, 21, 126,
158, 206, 225, 316.
Philippot, 188-190.
Picart (Henri), 117-119.
Picquigny (Ferry de), 71, 74,
Picquigny (sire de), 61, 64, 70,
73, 74, 95, 104.
Picquigny (hoirs de), 89, 104.
Piedoue (xMartin), 101.
Pippes (James), 81,84, 159.
Pipes (Jean de), 45, 49, 62.
Plantin (Jacques), 81.
Plennes (sire de), 38.
Pommereul (sire de), 30, 61.
Poitiers (Aimart, Charles de), 328,
329.
Poitiers (Jean, comte de), 121.
Pommiers (sire de), 49, 63, 172.
Pommiers (Edmond de) 45, 49,
55, 264.
Pont de Croix (sire de). 327.
Ponthicu (comte de), 50, 56.
Porcien (comte de), 121.
Porquon ou Porcon (sire de), 139,
145, 334.
Porte (Roherl), évoque d*Avran-
ches, 66.
Portugal (roi de), 11.
Poulaine (roi de), 4.
Poulehay, 62.
Préaulx (Jean de), 26.
Préaulx (sire de), 26, 35, 64, 74,
90, 121, 130.
Provence (sénéchal de), 327,
Puchay(sire du), 164.
»
>^
346
TABLE
R
Radigo, 27. 28, 96, 144.
Rayneval (Raoul de], 41, «37, 138,
151, 218, 220, 243, 254.
Renies (sire de), 272.
Renli (bastard de), 30.
Revel (Flacon de), 18.
Revel (sire de), 15.
Richard Gbuf de lion , roi d'An-
gleterre. 94, 95, 125, 128, 231.
Richard II, roi i'Anj;leterre, 262,
266.281, 284, 285, 297,314-
317, 323,326, 329, 331, 334.
Richemont (comte de), 31, 105.
Rivière (Bureau de La), 80, 263,
276,289, 326,330,331.
Rivière (Jean de La), 80, 130, 137,
141, 151, 152, 164.
Rochcfort (sire de), 217, 218.
332.
Roche-Tesson (sire de La), 0.
Roche (sire de La), 122, 130, 276,
278.
Roger (Pierre), archevêque de
Rouen, cardinal, 3, 9.
Rogny {cornte de), 50, 56, 80.
Rohan (vicomte de), 215, 320.
332,331.
Rome (empereur de\ 183, 184,
264, 265, 278-280, 207.
Rony (Amaury sire de), 26, 31.
41,64.
Rou, premier duc de Normandie.
114.
Roussi (comte de^, 76, 80.
Roye (Mathieu (le), 41, 74, 138,
151.
Roye (sire de), 29, 41, 74, 122.
Rue (Jacques de), 265, 273, 274.
Russes (sire des), 217, 218.
S
Saint- Antoine (capitaine de la Bas-
tide), 333.
5«int-Eustachc (cardinal de), 279.
Saint-Pol (comte de), 29, 40, 89-
93, 111, 113, 121, 130, 193,
200, 203, 205, 217-220, 249,
250, 281. 286, 306, 315, 316,
329. '
Saint- Venant (tire de) , 121.
Sainte-Beuve (sire de), 35.
Saintonge (sénéchal de), 239-241.
Salhadine, 11, 94, 95.
Salle (N. de La), 285, 317, 318.
Sallebrusse (comte de), 43, 50,56.
80, 197,204,211,224,260.
Sancerre (comte Louis de), 16,50,
56, 193,196,203,280, 306.
Sandon (Jacques), 81.
Saneuze (sire de), 47.
Santeuil (G. de), 240.
Saquanville ou Sauqueville (Pierre
de). 26, 28, 64, 66, 74, 96,
144, 147-149.
Sarrazins, 5, 12, 23, 94, 127, 129,
165-167, 185-191, 198, 200.
274, 319, 320, 326.
Saut (Pierron du), 154, 155.
Savoye (comte de), 304, 321.
Scouet (Jean), 177.
Sens (archevêque de), 116, 211.
Sercot (Hobtrt), 73-75, 87, 101,
103-105, 197.
Seveslre, 282.
Sicile (reine de), 175, 176.
Sonnain (sire Jean), 37, 42, 75, 77-
79,107,109.
Strot (Gautier), 138, 139.
Taillanville (sire de), roid'Yvetot.
164.
Taleville (Guillaume de), 273.
Tancarville (comte de), 14, 31,
32. 36, 41, 50, 55, 56, 115,
116,149.
Tertre , voyez Dutertre.
Tesson (Raoul), 9.
Therouenne (cardinal de), 279.
Tonneville (sire de), capiuine de
Rouen, 80.
Torchy (sire de), 145, 262. 263.
275.
Touraine (duc de), 317, 325.
Touraine (Remond de), 335, 330.
Tournehu (sire de), 35, 64, 74,
145, 154, 169, 275.
DES NOMS DES PERSONNES.
347
Tournebu, écuyer; 268.
Tournemyne (sire de), 334.
Toussac (Charles), 61, 68, 70, 85.
Transtamare (Henri de), dit le
bastard d'Espagne, 163, 164,
167, 168, 170, 17'2.17o, 178-
18-2, 194, 198. 199, 232, 235,
247, 248, 25i-2b6, 296, 316.
Tremoille (Guy de La), 330.
Trêves (archevêque de), 278.
Troyes (évéque de), 2o3.
Tr\e (Lohier de), 74.
Tulhav (Rifaart de), 212, 213.
Turcs; 127, 165, 166, 185, 186,
189,274.
Tynoiy (Simon de), 166, 186.
Tyns (sire de), 218.
u
Université de Paris, 269-271 , 280,
294-296, 316,327.
Urbain V, pape, 134, 182, 183,
185, 192,211, 212.
Urbain VI, pape, 268-272, 279,
280, 287,296,313,314.
Urgel (cardinal d'), 46.
Vendôme (comte de), 50, 56.
Ventadour (comte de) 50, 56.
Vert Chevalier (le), 137, 140.
Vertus (comte de). 317, 318.
Vienne (Guillaume de), archevê-
que de Rouen, 336.
Vienne (Jean de), 209, 246, 250,
260, 263, 295, 296, 335, 336.
Vienne (dauphin de), 5.
Villainnes (Le Besque de), 37, 80,
81, 138, 167, 173, 175, 177,
178, 180-182, 195, 198, 199,
333, 306, 331.
Ville (sire Jean de La), «ISS.
Villequier (sire de) 38, 145, 146.
Villers (Hue de), 74.
Vinceslas, duc de Brabant et de
Luxembourg, 42, 43, 216.
Vinceslas, roi des Romains et de
Bohème, 319, 326.
Vincestre (comte de), 4.
Vinemeur (Jean de), 209, 210.
Viiefaille ou Westpbalie (sire de),
217.
Varvic (Emond de), 45, 49, 53.
w
Warwich (comte de), 10.
Valentinois (comte de), 121, 335.
Valois (comtesse de), 70, 76.
Veudemont (comte de), 43, 80,
101.
Zil,juif, 168.
Zilles (sire), 81.
FIN DK LA TABLR UVS NOMS DES PERSOlTKiES.
1
i
"* •-.'.
•i.-- •
TABLE
DES NOMS DE LIEUX.
Aast, 216.
AbbeviUe, 91, 103, 201, 203.
Acquigny, 151, 152.
Aiguillon, 13.
Alexandrie, 317, 318.
Alexandrie, 165, 166,251.
Allemagne, U. 185, 215, 264,
278, 279, 305, 313, 314, 316,
319, 320.
Amiénois ou Amioîs, 76.
Amiens, 9, 17, 41, 61,65, 91, 95,
96, 313, 321.
Andelle, 96.
Andelys (les), 37.
Anet,176, 266.
Angleterre, 2, 30,31, 38, 97, 98,
110-114, 117, 119, 122, 123,
125, 128-131, 134, 135, 142,
143, 159, 168, 179, 201, 202,
206, 207, 214, 220, 227, 231,
232, 233, 235, 236, 245 246,
248, 255, 257, 259-264, 276,
281,284, 286, 296, 297, 313,
323,329,331,334.
Angouléme (comté d'), 29.
Anjou (comté d'), 3, 101, 115.
Antioche, 186, 191.
Anvers, 43.
Aquitaine (duché d'), 115.
Ardenbourc, 259.
Ardre, 249, 264.
Arles (royaume d*), 182, 193,
194.
Arménie, 127.
Armorique, 227,
Arragon, 171.
Arras, 91, 122.
Artoiî», 303.
Aucefrite, 218.
Auch, 98, 256,
Aumale, 89.
AuviUiers (fort d»), 88, 107,
131.
Auxerre, 87.
Avignon, 125, 126, 176, 182, 198,
211, 212, 222, 248, 281-283,
296, 297, 304, 314, 327, 335.
Avranches, 144, 159, 191.
B
Babylone, 165, 166, 185-188,
190.
Bailleul, 307.
Barbarie, 315,319.
BarHeur, 226, 227.
Bastide (la), 136.
Bayeux, 169, 215, 250.
3S0
TABLE
Beauce, 151.
Beaumont le Roger (comté de), 29,
175, 176.
Beauté sur Marne, 287.
Beauvais, 76. 98, \ti,
Beauvaisis, 71, 73, 75, 76.
Bécherel, 214, 215.
Bec (abbaye du), 150.
BecHelluûin, 107.
Becoiseau, 88.
Bec Thomas (le), 131.
Bemay (ville et abbaye de), 88,
131, 150, 260.
Berry, 210.
Bézièrs, 297.
Beziuc, 22-31.
Blâme, 13.
Blanche Taque, 16, 205, 206.
Blangy, 101, 101^-105.
Bordeaux, 15, 49, 51 , 58, 65, 125,
171, 181, 194, 208, 210, 247,
248 252.
Boulogne, 21, 22,24, 29, 91, 113,
315, 329.
Boui bourg, 311, 312.
Bourc, 13.
Bourges, 121, 210.
Bourgogne, 38, 87, 98, 101, 143,
192, 193, 195.
Boutaiicourt, 102, 103.
Braban, 9, 43, 2 16, 305.
Brav, 76.
Brest, 245, 246, 264, 322, 330,
332.
Bretigne, 7, 8, 11, 20, 23, 39,
58, 82, 83, 101, 125, 128, 150,
152, 158, 160, 162, 163, 178,
194, 214, 215, 227, 245-247,
252-256, 262. 264, 284, 286,
287, 294,. 290, 305, 320, 322,
323, 329-335.
Breteuil, 42-44, 46, 211-213,
260.
Breval, 176, 266.
Bricqufbec, 229.
Brie, 76, 98, 192.
Bruges, 254--256, 284, 286, 287,
289, 290, 294, 302, 303, 305,
307.
Buchy, 77.
Burgis, 167, 174, 177, 178, 181,
248.
Caen, 14, 15, 122, 169, 212, 215,
277,278.
Cabors, 197.
Caire (le), 166, 188.
Gïlabre, 304.
Calais, 17, 18, 21, 23-25, 29-31,
52, 03, 100, 113. 116, 117,
121, 202, 207, 224, 246, 24»,
263,286,315,321,329.
Cambray, 313.
Camerolles. 151-153.
CasUlle, 168.
Caux, 63, 71, 86, 88, 90-92, 96,
98, 100, 102, 103, 118, 131,
138, 145, 150, 202, 205, 206,
272, 273, 289.
Cayeu, 92.
Cé>arbourg ou Cherbourg , 97 ,
203, 266-268, 275-278.
Chalons, 121.
Champagne, 46, 286.
Charenlon (pont de), 81.
Charité sur Loire yla), 156, 157.
Chartrain, 114, 135.
Chartres (Notre-Dame de), 114,
115, 324.
Chartres, 46, 121 , 152, 153,
324.
Château Gaillard, 2, 37.
Chateauneuf de Landon, 285.
Chatt-au Paon, 208.
Chàtelet (le), 69, 258. 299, 309,
326.
Chaumont, 87.
Cherbourg, voy. Cesarbourg.
Chauvigny, 23*7.
Chevreuse, 84.
Chypre, 35, 16^166, 185-191,
251, 260.
Citeaulx, 6.
Clermoni, 71, 73, 75.
Clercs (Pré aux), 25, 64.
Cocherel, 145, 149.
Cognac, 252, 253.
Compiègne, 122. 301.
Couches, 42, 211-213,215.
Connoy, 153.
Couquét(le), 245.
Constantinople, 22, 32, 319.
DES NOMS DE LIEUX.
354
Cotentin, 28, 29, 33, 36, 37, 39,
42, 45. 46, 60, 66, 67, 82, 86,
92, 97, 150, 176, 191, 203,
226, 229, 236, 237, 250, 253.
(x)urtray, 307.
Coutance» févéché de), 231.
Crécy, 16, 17, 216.
Creil, 87, 324.
Crevecœur, 37, 60, 61.
Croix- Sa int-Lcufroy (la), 457.
Crotoy (lej, 92.
D
Daii, 311, 312.
Dancmarche, 114.
Dauphiné, 59.
Derval, 245, 246.
Dieppe, 13, 63, 92.
Dol, 159, 332.
Doullens, 91 .
Dunquerque, 311.
E
Erliauffour, 88, 107, 154, 156.
Ecluse (r), 10,259, 312.
Ecosse, 4, 22, 24, 31, 32, 45, 53,
284.
Egypte, 188, 190.
Elbeuf sur Seine, 1 06.
Enfer (quartier d*), à Naples, 271.
Épcrnay, 192.
Erre ou Ré, 252.
Espagne, 163, 164, 167, 168, 170,
172, 173, 175, 177, 182, 188,
192, 194, 195, 198, 199, 207,
232-235, 237, 248, 255, 256,
263, 289, 314.
Estonevergne, 13.
Étaplcs, 28:i.
Eure(P), 13,63,64,98,99, 118,
14ù, 151.
Europe (cité d*), 49.
Évreux, 28, 33, 37 39, 133, 144,
152, 153, 155, 157, 211,244,
266.
Famagouste, 260.
Faveril(le), 108.
Fécamp, 202, 205, 211, 213, 250,
300.
Ferté(la), 154.
Flandres, 4, 7, 8, 10, 108, 197,
243, 2S9, 260, 289, 290, 294,
305-308, 311, 313,314.
Fondres, 272.
Fontaine-le-Bonrg, 300, 301.
Foucarmout, 103.
Franc (le), 286, 287, 289.
Fresne, 70.
Frise, 216, 316.
G
Caillefontaine, 72, 76.
Galice, 168, 174.
Galles, 112, 235.
Gamaches, 89, 103.
Gand, 284, 286, 287, 289, 290,
294, 302, 303, 307, 311, 312,
321.
Gascogne, 45, 52, 55, 156, 172,
195.
Gâtinais, 114.
Gavray, 266.
Gènes, 10,313.
Genève (comté de), 211.
Gerbcroy, 76.
Gironde, 45.
Goullet (le), 144.
Graville, 99.
Grèce, 32.
Grcnatc ou Grenade, 235.
Grève, 85.
Gueldres, 215-220.
Guernesey, 230,231.
Guerzille (la) ou Algésiras, 11, 21,
23.
Guienne, 12, 13, 45, 101, 118,
116, 125, 173, 181, 182, 195,
197, 198, 206-209, 220, 229,
230, 237, 239, 242, 244, 246,
257, 286, 305, 329.
Guiues (château de), 24,29, 52.
Gaines (comté de), 116.
'6'Jt
TABLE
H
HalDaut, 281 , 286, 305.
HantonDe ou Southampton , 13,
263.
Harfleur, 63, 64, 99, 118, 205,
206, 206, 263, 272, 273, 281,
292, 303.
Hesdin, 91.
Hogue (la), 14.
Homme (lej, 169.
Honfleur, 62-64, 98, 101, 106,
107,199,110.
Hongrie, 249, 319, 320, 326.
H6piul (chevalerie de V), 186.
Lo Grono, 1 72.
Loire, 46, 157, 247, 286.
Londres, 65, 112, 117, 129, 261-
263, 315.
Longueville, 71, 73, 87, 194,
203.
Lorraine, 66, 250.
Louviers, 196.
Louvre (le), 70, 258, 259, 309,
315.
Lunel, 163.
Lyon, 121, 222, 297, 336.
M
I
Ile-Adam (P), 104.
Irlande, 24, 97.
Italie, 269, 272, 336.
J
Japhé ou Jaffa, 188, 189, 190,
191.
Jersey ou Gerzié, 262.
Jérusalem, 94, 126, 185, 188,
214.
Josselin, 332.
Jouy-sous-Telle, 87.
Julliers, 215-220.
Jumièges, 222.
Labour (terre de), 177.
Laigle, 26, 42, 154.
Languedoc, 156, 314.
l^ttainville, 87.
Liège, 2 16, 311.
Lille, 122. 197, 284.
Limoges, 209, 210.
Lincoln, 55.
Mâcon, 282.
Maine (comté du), 3, 101, 19G.
Malines, 42, 43.
Malogres (royaume de) ou Major-
que, 20.
Mans (le), 208, 323. 324, 335.
Mante, 86, 89, 93, 96, 105, 136,
138-142, 144, 163, 203, 222,
223.
Marbeuf, 88.
Marcelles ou Marseille, 134, 182,
212.
Marne (la), 207.
Marlainville, 78, 301.
Maubuisson, 303.
Meaux, 69, 70, 163.
Melun, 88, 96-98, 302.
Metz, 66, 221.
Mculan, 96, 140-142, 144, 163,
203, 222, 223.
Meuse, 220.
Milan, 196.
Montauban, 23, 248.
Montcoutour, 220, 221.
Montlui^^on, 221,251.
Montiviiliers, 63, 99, 206.
Montpellier, 163, 204, 222, 223,
281,282.
Montreuil, 201.
Montreuil-Bonniis251, 252.
Mont Saint-ÉIoy (le), 93.
Morillon, 229. *
Moulincaux, 155, 156.
Moulinez (duché de), 199.
'A
DES NOMS DE LIEUX.
.i53
N
NantM, â94.
Naple», 271, 29«, 297, 304,314,
315.
Navarre, 9, 33, 150, 171, 17i,
174, 194, 2i8.
Neaufles-Saint-Martiii, 98.
Ne»Ie, 200, 201.
Nesle (hôtel de), 19.
Neurchâtel,98, 103.
Neufttrie, 226, 227.
Nil (le), 16-),
Nîmes, 127.
Nogem-le-Roi, 19.
Normandie (duché de), 3, 4, 8-10,
14, 23, 2li, 33-35, 37, 39, 41,
44, 39, 62, 82, 83, 88, 90, 92,
98, 101-103, 106, 107,109-112,
Mo, 123, 428, 129, 435-138,
144, 149, 450, 152-15i, 158-
460, 469, 475, 476, 482, 191,
493, 191, 196, 203, 207, 227,
231, 232, 248, 253, 254, 266,
208, 273, 275, 277. 283, 292,
293, 301, 303,305,314.
Notre-Dame de Paiis, 288, 28;K
328.
Nolr.-Diime de Rom-n, 2i:^ 288,
289, 298.
Nyorlh, 259.
{)
210, 222-224, 231, 238, 242-
246, 249, 251, 256-260, 264,
265, 269-271, 274, 275, 278-
280, 283, 284, 286, 288, 289,
291297, 299, 302-305, 308-
311, 315, 316, 319, 321-324,
327, 328, 330, 333, 335.
Passi, 476,266.
Perche, 40, 193.
Perse, 235.
Picardie, 8, 10, Iti, 29, 41, 60,
71, 87, 89, 93, 100, 101, 103,
110-112, 437, 438, 145, 151,
152, 193, 200, 202, 205, 207,
285, 301, 305,314.
Poissi (pont de), 15.
Poitiers, 45, 46, 49, 52, 56, 58,
229,237,238, 241.
Poitou, 20, 101, 115, 116, 232,
234, 237, 238, 244, 255.
Poix, 76, 87.
Pont (Petit), 309.
Pont-Audemer, 8, 38-40, 44, 4H,
61, 62, 408, 221, 222, 266,
267.
Pont de TArchr, 37, 148, 300.
Ponthieu ou Fontif {comté de .
446,201.
Pontoise, 400, 442, 144,303.
Portugal, 467.
Pouille, 304.
Poupelingues, 307.
Préaux (abhave de), 108.
Provence, 477, 194, 200.
Prusse, 43,23. 313.
Oise, 87,207, 247.
Orival, 406, 107, 410.
Orléans, 122, 151,258,325.
Orléans (commune d'), 15.
Oudeoarde, 305, 307.
Q
Qoatrtïuioustien, 312.
Quigent, 259.
P
Paris, 14, 46, 19, 25, 28, 32, 37,
44, 44, 58, 59, 60, 61,64-66,
68-70, 73, 80-88, 96,97, 401,
105, 445-117, 421, 422. 425,
430, 131, 442, 444, 148-450,
484, 495-198, 201, 206-208,
R
Regnierville, 266.
Reims, 4, 49, 400, 401 105, 406,
144, 421, 444, 448, 192,201.
Rennes, 11, 58, 59, 332,334.
Rhodes, 464.
Wk
TABLE
Rhône (le), 193, 194, 222, 336.
Ribedieu (comté de), 199.
Rochefort, 223.
Rochelle (la), 232, 23i, 238, 24 1,
242, 252, 255.
Rom<inie, 182.
Rome, 1, 9, 18, 182-184, 211-
213, 258, 26:>, 2»$8-270, 278,
313-317, 321, 327.
Rosebeke, 306, 307.
Rosny, 140.
Rouen, 2, 15, 33-37, 39-41, 44,
62, 63, 65, 77-80, 87-92, 98,
102, 103, 100-108, 110, 113,
114, 118, 121, 123, 128, 131,
136, 141, 147-150, 155, 15fi,
201, 202, 220-222, 238, 243,
248, 249, 256, 260, 267, 272,
278, 288, 289, 292, 293, 298,
300-304, 308, 324, 336.
Rouen (Vieux-), 102.
Roulfhoiso (cliAtran de% 135, 138,
140, 141.
Roye, 76.
Rve (la\ 111, 26:?.
S
Saint- Ange (cliûlcaii), 183.
Saint-Antoine, 81, 8ri, 288,309,
326, 333.
Sainl-Brien, 335.
Saint-Clément, 66.
Saint-Cloud (pont de), 82.
Saint-Dandier ou Saint-Ânder, 234.
Saint- Denis, 19, 81, 83, 86, 122,
264, 265, 289.
Saint- Denis-le-Thiboult, 88.
Saint-Georges (flouve du bfa»), 32.
Saint-Germain (pré de), 6.
Saint-Guillaume de Mortain, 268,
275.
Saînt-Hilaire (porte), 79.
SaintJean-d'Angély, 12, 13, 20.
Saint-Julien du Mans, 324.
Saînt-Lambert, 216.
Saint-Leu d'Elsserens, 71.
Saint-Lo, 66, 169,215,250.
Saint-Mahieu, 254.
Saint-Malo, 20, 275.
Saint-Manr des Fossés, 265.
Saint-Merry, 68.
Saint-Omer, 21, 22, 29, 30, 122,
284.
Saint-Ouen, 23, 65, 298.
Saint Patrice (purgatoire), 22.
Saint-Pol de Léon, 254.
Saint-Sauveur le Vicomte, 67, 203,
226, 229-231, 236, 250, 253-
2oo.
Saint-Sever, 78,
Saint-Taurin (abbaye de), 153.
Saint-Valery sur Somme, 87 , 89-93.
Sainte-Catherine du Val des Eco-
liers, 85.
Sainte-Chapelle (la), 288.
Sainte Terre (la), 5, 126, 128.
Saintonge, 244.
Saluées, 315.
Savins, 236.
Seine, 62, 78, 83, 87, 88, 90, 96,
98, 100, 101, 106, 110, 114,
118, 136, 137, 141, 150, 192,
193, 202, 207, 230, 247, 286.
Senlis, 76, 193.
Sens, 193.
Sery, 103, 104.
Séville, 167, 174.
Sicile, 175-177, 296, 297, 304, 313.
Soissonnnis, 98^ 257, 286.
Somme, 89, 92, 100, 202.
Soubise, 238-24 1 .
Steps (bataille dej, 216.
Sur, 190, 191.
Syrie ou Surie, 190.
Tarascon, 193, 194.
Temple (le), 184, 309.
Therouanne, 221,286.
Thury, 212, 213.
Tibre, 268.
Tolède, 194, 198.
Tombelaine, 226, 229.
Toulouse, 121.
Touraine, 101,320, 325.
Toumay, 4, 5,91, 122,308
Tournehem, 20 i, 205.
Tours. 121.
DES NOMS DE UEUX.
355
Tripoli, 186.
Troyea, 121, 207, 246, 286.
TuboBuf, 41, 88, 107.
Tunis, 319, 320.
Turquie, 35, 186, 319.
Vincelze, 112, 113,262.
Vinrenncs, 3, 265, 287, 299, 300.
Vire, 196.
Viterbe, 182, 183.
w
Vergues, 311.
Vermenton, 192.
Verneuil, 40.
Vcrnon, 98, 132, 141. 143-145,
211.
Vétheuii, 140, 142, 144.
Vexin, 87, 137, 139.
Vienne, 200, 268, 269.
Villeneuve, 126.
Westmonstier ou Westminster
(abbavede), 261, 262.
y/igth iu Wvch, 262.
VSTindsor, 97."
Ypres. 284. i86, 289, 308.
Flîf.
^&«<
KRRATA.
Page iO, ligne i7, et page 16, lignes 13 et 15, <7ii iieu de : Ge-
nenois y lisez : Gcneuob.
Page 24, note 2 , au lieu de : Berwick , lisez : Brunswick.
Page 83, ligne 12, aa lieu de : est, lisez : les.
Page 22G, ligne 2 , au lieu de: Louis ainsné , lisez : Louis^ ainsné.
PARIS. — IMPRIMERIE DE CH. LAHURE ET C*-
Rues de Flourus, 9, et de l'Ouest, 91